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Disparition de Tristan Vieljeux,
une figure historique de l'armement français
 



       Tristan Vieljeux, dernier dirigeant de la grande compagnie maritime, la Société Navale Delmas-Vieljeux, nous a quittés le 30 avril, à l'âge de 90 ans.
Né en 1924, à la Rochelle, siège du groupe familial, Tristan Vieljeux était membre de la quatrième génération de ce groupe d'armement maritime créé au milieu du XIXème siècle par les frères Frank, Julien et Émile Delmas(1). Son grand-père, Léonce Vieljeux, avait épousé une fille de Frank Delmas et avait créé en 1920 la Compagnie Delmas frères et Vieljeux. La Compagnie s'intéressera à l'Afrique Noire et développera son trafic sur toute la côte ouest africaine. La nouvelle raison sociale, Compagnie Delmas-Vieljeux, dont la flotte comptait 21 navires, apparaîtra en 1935. Delmas-Vieljeux créera ensuite une filiale pour s'occuper des activités maritimes du groupe, la Société Navale Delmas-Vieljeux.
La deuxième guerre mondiale éprouve durement la Société. Son président, Léonce Vieljeux, deux de ses neveux, Frank Delmas et Yann Roullet(2), ainsi que Joseph Camaret, directeur technique de la Compagnie, sont déportés par les Allemands puis fusillés le 2 septembre 1944, victimes de leur patriotisme. Tristan Vieljeux fera lui aussi preuve de son patriotisme en s'engageant dans la 2ème DB du général Leclerc.
La flotte, quant à elle, est réduite à 6 navires, gérés par la Direction des Transports Maritimes. Ils seront rejoints fin 1945 par deux cargos type «Empire», puis en 1946 par 4 liberty-ships, La Pallice, La Rochelle, Rochefort et Royan.
La renaissance de la flotte débutera à partir de 1947 avec l'arrivée de navires neufs, Maine, Morbihan, Aquitaine, suivis en 1948 par Côtes du Nord, en 1949 par Frank Delmas, Rhuys et Quiberon et en 1950 par Joseph Camaret, Armorique et Picardie. La SNDV dispose alors d'une flotte de 22 navires.
Diplômé des Sciences Politiques et licencié en droit, Tristan Vieljeux commence sa carrière maritime en 1945 dans des compagnies de navigation britanniques et au sein de la Compagnie Fraissinet. Il entre ensuite en 1947 dans l'entreprise familiale, la SNDV, commençant au bas de l'échelle en tant qu'employé. En 1950, à 26 ans, il deviendra Secrétaire général.
En 1951, la Direction de la Météorologie Nationale confie en gérance à la SNDV trois frégates météorologiques, Mermoz, Le Verrier et Le Brix, devant effectuer une veille météorologique au point K. Ces navires seront remplacés en 1958 et 1959 par des bâtiments plus modernes, les navires météo France 1 et France 2.
A partir de 1954, la SNDV portera ses efforts sur le remplacement des unités anciennes par des navires plus adaptés à son trafic. Elle commande en 1955 deux cargos de 9.000 tpl, Léonce Vieljeux et Jean Guitton, et en 1956 deux gros porteurs de 16.000 tpl, Rocroy et Fontenoy. En 1959, le troisième navire de 9.000 tpl, Émile Delmas, et le septième liberty, Colmar, entrent en flotte.
Tristan Vieljeux remplacera son père en 1961 à la présidence de la Société. Mettant en pratique la volonté de réaliser des groupements donnant aux entreprises une taille économique plus importante, Tristan Vieljeux passera en 1963 un contrat avec la Compagnie Maritime des Chargeurs Réunis et l'armement Woermann Linie pour coordonner et harmoniser leurs départs de France vers la COA. En 1966, il décide la réalisation d'investissements qui engageront largement l'avenir de la Société. Ce sera la commande de quatre navires automatisés polyvalents, d'un port en lourd de 14.600 tpl et d'une vitesse de 17,5 nœuds, Lucie Delmas, Hélène Delmas, Marie Delmas et Irma Delmas. Par ailleurs, la SNDV acquiert le Louis Delmas (ex Rocroi) et le Julien Delmas (ex Oppelia), en même temps qu'elle vend le Côtes du Nord et le Morbihan. Suivront ensuite la commande de quatre navires polyvalents de 16.000 tpl à livrer en 1970 et 1971, et la commande de quatre navires similaires à livrer en 1972 et 1973. Ces huit navires porteront les prénoms et le nom de la famille Vieljeux : Léonce, Pierre, Christian, Georges, Eric, François, Patrick et Stéphane Vieljeux. Les grumiers Emmanuel Delmas et Bertrand Delmas seront mis en service dans le même temps.
Tristan Vieljeux, poursuivant la politique de regroupement au sein de la SNDV de toutes les activités maritimes entre l'Europe et la C.O.A., met en application en 1971 l'accord intervenu entre la SNDV et le Groupe des Chargeurs Réunis. Une nouvelle société est créée, la Société Navale Chargeurs Delmas-Vieljeux, dont il devient Président directeur général. La flotte s'enrichit de cinq porte-conteneurs polyvalents de 15.835 tpl, dont la mise en service s'échelonnera entre 1973 et 1975. Ce sont Côtes du Nord, Creuse, Corrèze, Cantal, Calvados. Une deuxième série, La Rochelle, La Pallice, Poitiers, Rochefort, Royan, Tours, entrera en flotte en 1975 et 1976.
La nouvelle société poursuit sa politique d'investissement. Elle commande en 1974 quatre grumiers de 27.000 tpl : Frank, Michel, Lucien et Henri Delmas, et l'année suivante les premiers porte-conteneurs adaptés à l'Afrique (24.946 tpl - 921 EVP) : Hélène, Irma, Lucie et André Delmas, qui seront livrés entre 1978 et 1982. En 1977, la flotte compte 30 navires en pleine propriété. Deux de ces navires, François Vieljeux et Emmanuel Delmas seront perdus par fortune de mer en 1979.
Malgré une conjoncture peu favorable affectée par les conséquences du deuxième choc pétrolier de 1979, la SNDV continue sa politique de renouvellement de sa flotte. Elle commande en 1980 une série de quatre porte-conteneurs (26.287 tpl - 988 EVP) du type «économes et performants». Il s'agit de Nathalie, Patricia, Renée et Suzanne Delmas, qui seront livrés en 1981 et 1982. Cette commande sera suivie l'année suivante par celle d'une nouvelle série de porte-conteneurs de la troisième génération (31.975 tpl - 1.693 EVP) qui seront livrés en 1983 et 1984. C'est la série Thérèse, Véronique, Ursula et Yolande Delmas. Enfin en 1983, la SNDV passe commande de quatre nouveaux grumiers vraquiers porte-conteneurs (conbulks de 33.000 tpl - 902 EVP) : Adeline, Blandine, Caroline et Delphine Delmas. Le programme de renouvellement de la flotte aura porté sur seize navires neufs entre 1978 et 1986.
Les Chargeurs Réunis se retirent en 1985 de l'actionnariat de la SNCDV, qui prend le nom de Société Navale et Commerciale Delmas-Vieljeux. Tristan Vieljeux s'intéresse alors à la Compagnie Navale et Commerciale Havraise Péninsulaire, dont il prend en 1986 une participation majoritaire dans le capital. Il prend aussi en 1987 une participation dans le capital de la Société Navale Caennaise et celui de la Sofrana.
Les années 1985-1990 seront marquées par une ouverture spectaculaire à l'internationalisation. Le 1er janvier 1989, Tristan Vieljeux crée une filiale, Navale Delmas qui gère les navires affectés au trafic entre l'Europe et la C.O.A., et une autre, Navale Delmas International qui reprend l'ensemble des autres lignes. La SNDV prend le nom de Delmas et devient le premier armement privé français. Au 1er janvier 1990, Delmas dispose d'une flotte d'une cinquantaine de navires avec six ans d'âge moyen. Le groupe a été classé 18ème au rang mondial des armements spécialisés dans le transport de conteneurs. Sur les 52 navires exploités, 45 sont la propriété du groupe, 7 sont affrétés à long terme. 16 de ses 45 navires se trouvent sous pavillon français et emploient 780 marins français. Le groupe dispose d'autre part d'un parc de 42.000 conteneurs dont 35.000 en pleine propriété.
Après avoir mené de main de maître l'ascension de sa société, Tristan Vieljeux, victime de la lutte engagée depuis 1987 par Vincent Bolloré pour prendre le contrôle du groupe Delmas-Vieljeux, est amené à démissionner le 7 juin 1991. Vincent Bolloré, entrepreneur de talent qui s'intéressait à l'armement maritime, avait racheté la Société Commerciale d'Affrètement et de Commission (SCAC) en 1986. Devenu en 1991 actionnaire de la SFDV (Société financière Delmas-Vieljeux), qui contrôlait majoritairement la SNCDV, il parvint à provoquer une situation de blocage de l'actionnariat de la société, obligeant Tristan Vieljeux à donner suite à ses offres de rachat de ses parts.
Ce n'était toutefois pas l'âge de la retraite pour cet homme d'exception. En 1996, il mettra son talent au service de Jacques Saadé, alors président de la CMA, et l'aidera à se porter acquéreur de la CGM auprès de l'Etat français. Il présidera le Conseil de surveillance de CMA CGM de 2001 à 2010 et en quittera le Conseil d'administration en 2012. La cession en 2005 par Vincent Bolloré de sa compagnie maritime Delmas au groupe CMA CGM aura un petit air de revanche pour son ancien Président directeur général !
Tristan Vieljeux avait été président d'Armateurs de France de 1972 à 1976. Il avait reçu les insignes de la dignité de grand officier de la Légion d'honneur en 2003.
Toute la presse a salué la très brillante carrière de ce grand armateur français, «homme de très grande qualité tant dans sa profession que dans sa relation aux autres».

(1)

(2)
Frank et Julien Delmas avaient créé en 1867 la société «Frank Delmas et Cie», devenue la «Compagnie Delmas frères» en 1870 après que leur frère Émile les ait rejoints. Originaires de Mulhouse, ceux-ci avaient fait adopter comme emblème pour l'armement la roue de moulin qui figure dans les armoiries de cette ville.
Petit-fils d'Émile.
René TYL

Sources

«La grande mutation de la marine marchande française (1945-1995)», Thèse de doctorat de Bernard CASSAGNOU, capitaine au long cours, juin 2000
Le Marin du 9 mai 2014
Différents articles de presse
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