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Ca passe ou ça casse !...


       Les skippers ou plutôt les " Pilotes " de ces Formules 1 de la Mer sont à la peine dans cette 7éme édition de la trop fameuse transat en solitaire St Malo - Pointe à Pitre.
La traversée du Golfe de Gascogne, véritable chaudron du diable en période hivernale, ne se fait pas sans casse : chavirages, démâtages, collisions et abandons en tous genres ont décimé la flotte des 60 concurrents. Rien de bien nouveau en fait, chaque édition a toujours apporté son lot de fortunes de Mer dont une dramatique en 1978 telle la disparition d’Alain Colas qui a payé de sa vie sa témérité au cours de la première édition .
Plus cocasse fut le numéro de rodéo de Guy Delage en 1982 sous les remparts de St Malo quand une goupille à un Euro se brisa dix huit minutes après le départ ! Son Prao, pirogue à balancier, se plia instantanément en direct sous les yeux excités des caméras de Télévision. Le résultat fut que la marque Rosières qui était le commanditaire de ce frêle esquif ne vendit jamais autant de gazinières que cette année là !..
Sans vouloir trop polémiquer et quitte à passer pour un empêcheur de naviguer solitairement en rond, je voudrais que l’on m’explique quel est l’intérêt réel de ces courses en solitaire si ce n’est pour les organisateurs et sponsors, que ce soit La Course du Rhum, le Vendée Globe Challenge, la Transat Anglaise, la Course du Figaro ou l’ Around Alone ? Le battage médiatique, savamment orchestré, force le grand public à s’y intéresser. Ce dernier qui a besoin de Mer, rêverait tout autant avec des compétitions transocéaniques sur des navires plus " marins " menés en équipage par temps maniable quand les trains de dépression ne balaient pas l’océan . La Mer est pourtant si belle à deux ou en équipage !
A croire que le public se délecte de ces naufrages dans la tourmente tel le peuple de Rome avide de voir Ben Hur se distinguer ou mordre la poussière dans l’arène ? Lâcher ces modernes gladiateurs sur leurs chars à voiles, si frêles, transforme cette course en un jeu du cirque des plus périlleux ! De plus constatons que cette épreuve semble perdre de son intérêt dès que la flotte des rescapés touche la douce force des Alizés ! Hors du Baston, moins d’attention …comme si la Route du Rhum n’avait de sens commercial et d’intérêt médiatique que par la dangerosité des numéros de funambules exécutés en solo. Triste constat…
L’enthousiasme de ces marins à la recherche de leur Everest via les sensations extrêmes que leurs procure l’escalade de montagnes d’eau, est sans doute compréhensible mais il faut absolument canaliser leur impétuosité. Devoir de précaution oblige. Bertrand de Broc l’a bien compris et a préféré abandonner sagement sachant qu’on ne joue pas impunément avec l’Océan sur de folles machines ! Sage décision pleine de bon sens marin qui force le respect.
Mais la grosse interrogation vient non seulement du bien fondé de ces courses mais aussi de la manière dont elles sont organisées et plus précisément des dérogations qui sont forcément accordées par les Autorités Maritimes aux organisateurs. Il faut savoir qu’une course en solitaire quelle qu’elle soit, bafoue inévitablement le "Règlement International Pour Prévenir Les Abordages En Mer" (COREG 72) ! Ce code de la route des Marins précise dans sa règle 5 que "… tout navire doit en permanence assurer une veille visuelle et auditive appropriée…". Libellé net et précis sans passe droit possible et dérogation d’aucune sorte. Ne parlons pas de la règle 17 de ce même règlement qui traite de la manœuvre de dernière minute du navire prioritaire pour éviter l’abordage, ce qui est le cas d’un voilier. Tout surhomme qu’il soit, un navigateur en solitaire ne peut assurer une veille continue 24 heures sur 24.
Dans ces conditions, comment les comités organisateurs arrivent-ils à avoir le feu vert et la bénédiction des autorités maritimes pour mettre sur pied ces courses folles aussi hasardeuses et de surcroît "hors la loi"?… Ca passe ou ça casse ! Faut-il attendre une hécatombe en vies humaines pour réagir ? Dommage que ces navigateurs de haut niveau, transformés en véritables "hommes sandwiches" par leurs sponsors, fassent le jeu dangereux des marchands de Pub qui les obligent pour faire le spectacle à prendre des risques insensés pour leur propres vies et celles de leurs sauveteurs.
Les intérêts en jeu et les budgets alloués sont colossaux. Mais de grâce, il faut raison garder. Il appartient aux Autorités Maritimes d’y remédier malgré les pressions et les appétits mercantiles et inconscients des organisateurs et autres commanditaires.
Curieux paradoxe que cette volonté de recherche d’une Sécurité optimale sur Mer et la tolérance de ces courses en solitaire en infraction totale avec les règlements supposés garantir cette Sécurité. Hélas l’homme est ainsi fait, il a besoin de règles mais tout autant besoin de les transgresser…

   Michel BOUGEARD
Capitaine au Long Cours
Membre de l’Association Française
des Capitaines de Navires (AFCAN)


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