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Revoir Ormuz...


       Après un flirt platonique en Finlande avec Mnémosyne, figure de proue emblématique du quatre-mâts barque "POMMERN" mais surtout Déesse de la Mémoire et mère des Muses, il me vint l'envie de revoir Ormuz.

       Ce petit phare métallique blanc planté sur son caillou m'a toujours fasciné quand j'arpentais les passerelles des pétroliers de la Société Française de Transports Pétroliers (SFTP). Un Petit Coin de paradis (Little Coin, in english) brûlé par le soleil à l'entrée du Golfe Arabique (ou Persique, c'est selon la destination) !

       Son gardien a du voir des milliards de tonnes d'Or Noir passer sous ses fenêtres. Aurait-il perçu ne serait-ce qu'un centime de US$ sur chaque baril, qu'il serait devenu l'un des hommes les plus riches de la planète ! Tel le cœur de notre monde moderne, le Golfe déverse son sang noir bitumeux par cette artère d'Ormuz dont le pouls bat au rythme d'une trentaine de super vaisseaux par jour, transportant chacun près de 2.000.000 de barils ! A 60 $ le baril, les Emirs, Cheiks, Khalifes, Princes et autres Sultans du Golfe ont encore de beaux jours devant eux avant la pénurie annoncée.


"Petit Coin" au lever du jour
         Mais dans le Sultanat d'Oman comme partout dans le monde, l'automatisation des phares a dû gagner du terrain et notre pauvre gardien a sûrement pris sa retraite à Khasab ou ailleurs. Se souvient-il encore de la foire d'empoigne régnant dans le détroit au début des années 70, décade folle de la course au gigantisme et des premiers chocs pétroliers ? Les armements s'enfièvrent et se font construire à tout va ces nouveaux Léviathans, mastodontes à capacité de manœuvre restreinte s'entrecroisant joyeusement au Sud de Petit Coin puisqu' il n'y avait pas encore de voies montantes ni descendantes régulant le trafic ? Les super tankers Universe de l'armateur Spartiate américain Ludwig, à la silhouette si caractéristique avec leurs tuyaux de poêle haubanés en guise de cheminée et leur minuscule îlot central affublé d'ailerons de passerelle qui n'en finissaient pas, croisaient en se rasant allègrement les moustaches, les pétroliers vert pâle du norvégien Sigval Bergesen, les grenats d'Anders Jahre, les blancs d'Onassis, les Bleus d'A.P Moller/ Maersk ou la foultitude des anonymes noirs et blancs. Sans oublier, de nuit, les boutres sans feux, éclairant au dernier moment leur voile aurique avec une vacillante lampe à pétrole pour signaler leur présence et accessoirement leur route !
       Le gardien de phare d'Ormuz se rappelle aussi ces "hardis" capitaines qui profitaient du lieu pour se faire un petit plaisir et n'hésitaient pas à s'engouffrer dans le "Trou du Diable" (Fakk Al Asad ou Passe du Lion en Arabe) à la barre de leurs tankers sur ballast ou chargés de 20.000, voire 30.000 tonnes de crude ! Choix risqué même si la passe était accore de chaque bord car si un autre pétrolier arrivait en face ou un boutre toutes voiles dehors, pas décidé à changer sa route, il y avait du souci à se faire. Il fallait réagir diablement vite !..

       Aussi mon souhait de revoir Ormuz fut totalement exaucé lors d'une participation à la pose d'un câble sous marin entre Mascate, Khasab, Dubaï et Doha à bord du câblier français "Ile de Sein" de LDA (Louis Dreyfus/Alcatel) en Octobre dernier. Son tracé avait la bonne idée d'effleurer, à moins d'un mille Petit Coin et Grand Coin, entre la voie descendante du DST en place dans le Nord et les rochers mythiques marquant l'entrée du détroit ! Vitesse programmée : 0.4 nœuds. Allure paresseuse, à peine plus vite que Stop, particulièrement bien choisie, non pas pour avoir le temps d'admirer le paysage tout en sillonnant la mer mais parce qu'il fallait aussi sillonner le fond du détroit, le câble devant être ensouillé contractuellement à 1 mètre de profondeur en tirant une charrue de 30 tonnes !

       Aurons-nous pour autant un jour le Mérite Agricole, nous les Marins qui relient les Hommes, les laboureurs de la mer qui la sillonnons en surface et dans les profondeurs jusqu'à 1.500 mètres ?! Dès le début de la pose à Al Seed près de Mascate, un faucon prend possession du mât avant. C'est de bon augure, il écartera tous les oiseaux de malheur qui pourraient s'approcher de trop près et jeter un mauvais sort sur notre pose. Coïncidence, cette dernière n'a-t-elle pas FALCON pour nom de code ! De toute façon, c'était couru d'avance, la Baraka ne pouvait nous quitter durant notre périple puisqu'à Hitachi au Japon où le câble a été fabriqué, le navire et sa cargaison avait été bénis par un prêtre suivant les rites Shintoïstes dans le but de calmer les forces de la Nature et pour que tout se déroule bien (c'est le cas de le dire pour un câblier !) durant son transit vers le Golfe et la pose qui s'ensuivrait. Superbe tradition qui mériterait d'être copiée au poste de chargement de l'usine Alcatel de Calais ! Nous avions bien besoin de l'attention divine puisqu'un petit malin peu superstitieux mais très provocateur, avait cru bon d'afficher en passerelle une photo de la "Bête aux Grandes Oreilles" !

       Dans l'Ouest de Ras Al Kuh (côté Iranien), l'entonnoir se resserre, le pétrolier français "Provence" nous talonne et nous laissera sur place en route vers Kharg Island. On le recroisera 4 jours plus tard, les cuves pleines, à destination de Ningdao en Chine. L'Empire du Dragon n'arrête pas de se réveiller et a un appétit insatiable de matières premières, minerai de fer et pétrole brut. Cette boulimie de l'Empire d'Essence ( !..) fait le bonheur de tous les armateurs et chantiers de constructions navales, et c'est tant mieux. Pourvu que cela dure !

       A chaque rencontre avec le "Provence", son nom, ses relèvement et distance se sont affichés sur l'écran de l'A.I.S (Automatic Identification System) déclinant son identité et sa position en Latitude et Longitude ainsi que ses relèvement / distance par rapport à l' "Ile de Sein". Ce merveilleux appareil est une petite révolution sur les passerelles, la plus importante depuis l'avènement du Radar. Il peut en dire beaucoup plus sur le navire rencontré, une touche à enfoncer et toutes les données apparaissent : Latitude, Longitude, indicatif international, numéros IMO & MMSI, longueur, largeur, tirant d'eau, nature de la cargaison, type de navire, destination, provenance, jauges nette et brute, route, vitesse, ETA etc. Il ne manque plus que l'âge du Capitaine ! Quoique..., on pourrait l'avoir en envoyant un texto à l'officier de quart si tant est qu'il le sache ! Un buzzer le préviendrait d'un contact sélectif en cours ... L'AIS peut aussi être interfacé avec le Radar et le lecteur de cartes ECDIS, donnant ses données sur l'écran radar ou / et sur la carte électronique. Lors d'une situation rapprochée entre deux navires, on imagine l'atout majeur d'une telle identification mutuelle et précise qui permet aux officiers de quart des deux navires de convenir par VHF d'une route de dégagement en cas de risque de collision. Ce qui n'empêche pas d'entendre encore à la VHF ce genre de message angoissé: " The ship on my port bow, please, what is your intention ? "...

       Sans oublier que l'AIS peut diffuser, ce qui est aussi très important et une de ses missions premières, les messages Sécurité pour avertir les navires à la ronde de votre incapacité de manœuvre même restreinte ce qui est le cas d' un câblier en opération de pose tirant une charrue.

       A ce propos, il n'est pas inutile de rappeler que l'AFCAN, bien dans son rôle de proposition, avait imaginé un tel système d'identification mutuelle au tout début des années 80. La Presse s'en été faite, timidement, l'écho dans de nombreuses revues. L'AIS est obligatoire depuis le 1er Juillet 2003 pour les navires à passagers, obligation échelonnée jusqu'en 2007 pour les autres types de navires. Les Capitaines l'ont rêvé, l'OMI l'a fait !

       Un léger bémol pour tempérer cette euphorie : selon ses détracteurs, l'AIS pourrait servir à de potentiels terroristes pour sélectionner une cible de choix, sur rade, dans un port, au passage d'un détroit, voire en pleine mer. Je ne pense pas qu'ils aient vraiment besoin de l'AIS pour perpétrer leur attentat. De toute façon le commandant a toujours la possibilité de stopper sa balise émettrice s'il estime que le risque est majeur quand le Security Level (du code ISPS) de son navire est 2 ou 3 ! Un débat s'est installé en début d'année quand l'OMI voulait faire taire le site Web AISlive.com mis sur pied par le Lloyd's Register & Fairplay qui diffuse les données AIS transmises par les navires à leurs passages dans les ports et les détroits. Il faut préciser que c'est un site payant, à 1.900 Euros l'adhésion.

       Est-ce vraiment dangereux ? A moins de sombrer dans la paranoïa, le seul inconvénient pourrait être le suivi exact de votre navire par l'affréteur ou encore par des concurrents. Par contre si une épouse soupçonneuse s'abonne à AISlive elle pourra "pister" son long courrier de mari durant ses pérégrinations hauturières ! Dernière éventualité qui peut être un peu plus gênante dans certaines situations...

       Les Anciens se souviennent qu'au passage de Gibraltar, le Lloyd ayant un représentant on the Rock, "attaquait" au scott systématiquement tous les navires transitant dans le détroit. Et si vous lui répondiez, votre passage était mentionné la semaine suivante dans la revue périodique du Lloyd. C'est un peu la même chose qui se passe avec AISlive, en plus moderne, il faut bien évoluer et s'adapter ! Les US Coast Guards, eux, vont plus loin, l' "après 11 Septembre" oblige et sans doute aussi en prévision du remplacement du célèbre AMVER, ils ont en projet le lancement d'une constellation de satellites géostationnaires pour traquer les signaux AIS. Projet, au nom de code "Eyes-in-the-sky" déjà surnommé Sea Spy par ses détracteurs, qui couvrirait le large approche de leurs côtes sur une bande de 2.000 milles nautiques de large ! Ainsi ils espèrent acquérir les données AIS de tous les navires croisant dans les parages à destination ou non des USA et suivre leurs déplacements dans cette zone déclarée ultra sensible. Est-ce possible techniquement ? Un satellite doit être lancé dans les mois à venir pour tester la faisabilité de ce système. L'OMI suivra-t-elle le mouvement initié par la Forteresse Amérique à la recherche d'un bouclier supplémentaire pour se protéger ?


moutonnier "Al Kuwait"
         Mais revenons à nos moutons et c'est le cas de le dire : rencontre le lendemain, en route de croisement, avec une "vieille connaissance", un vieux pétrolier transformé en moutonnier, le koweiti S.S (Sheep Ship...) "Al Kuwait", qui était amarré près de nous à Mascate/Port Sultan Qaboos en ce début d'Octobre ; sa première touchée en provenance de Fremantle avec à son bord 54.000 moutons ! Ou peut-être un peu moins car les pauvres bêtes souffrent énormément de la chaleur, entassées en pontée ou à fond de cale! Qu'ils sont loin le bush et les grands espaces australiens ! Pas besoin de corne de brume sur ce type de navire ! Encore heureux qu'ils aient été tondus avant de partir car cette toison ne serait vraiment pas de saison par 40° à l'ombre... Le pire est à venir, les prochaines escales dans le golfe seront éprouvantes, la chaleur y étant plus torride. Les "bergers" philippins ne viendront pas nettoyer à la lance à incendie leurs parcs exigus de crainte de faire monter le thermomètre de quelques degrés par l'humidité ajoutée, l'eau de mer étant déjà à 33° ! Beaucoup de ces pauvres moutons deviennent aveugles du fait des forts dégagements d'ammoniaque de leurs urines et excréments. Il est facile d'imaginer l'hécatombe quand le voyage a lieu en plein mois d'août, au Golfe par 50° !
       Le lieutenant Philippin de l' "Ile de Sein" qui avait fait un embarquement de 10 mois sur un navire identique me disait que sur le "Cormo Express", pendant un voyage sur Djedda, les autorités sanitaires Saoudiennes refusèrent la "cargaison" déjà trop mal en point. Une interminable attente sur rade en plein mois d'Août 2003 et une errance de plusieurs semaines en Mer Rouge s'ensuivirent. Le résultat fut catastrophique : 5.000 moutons succombèrent au Heat Stress et à ces conditions épouvantables de transport. Leurs carcasses furent jetées par dessus bord, avant de trouver enfin des clients au Soudan et en Egypte acceptant ces pauvres bêtes ! Leur martyr dura 80 jours au lieu des 20 habituels !..

       Suite à cette hécatombe survenue à bord du "Cormo Express", une association australienne de protection et de défense des droits des animaux a réagi en ameutant l'opinion public. Elle l'a fait de bien belle façon : cette association avait imaginé de donner des aliments à base de porc aux 57.000 moutons en quarantaine avant embarquement à Portland (Etat de Victoria, Australie) sur le livestock carrier "Al Shuwaikh". La sanction fut immédiate : l'importateur Saoudien, musulman, refusa le troupeau ! A 50 $ le mouton, la perte fût importante et cette affaire fit grand bruit en Australie. Mais elle n'arrêta pas pour autant l'exportation de ces animaux. En 2003 près de 6 Millions de moutons furent transportés de la côte Sud et Ouest d'Australie vers le Moyen Orient. Depuis de louables efforts ont été menés pour diminuer le taux de mortalité chronique de ces transports de bétails, il est tombé fin 2004 de 1,34% à 1.05%. Bon an mal an, cela fait quand même plus de 600 moutons qui décèdent à chaque voyage ! La nuit suivante nous apporte de bonnes nouvelles du gardien de phare d'Ormuz : il est toujours en activité! Le Rocher est habité, si on en juge du moins par les nombreuses lumières visibles au pied du phare masquant presque ses deux éclats blancs toutes les dix secondes ! Quelle similitude avec le phare du Créac'h, phares jumeaux qui voient passer sous leurs lentilles de Fresnel sensiblement le même trafic maritime. Les seuls différences sont du domaine climatique...l'air est plus pur en Bretagne du côté d'Ouessant, c'est bien connu, et de ce fait la portée du phare du Créac'h semble bien plus longue, contrairement aux indications des Instructions Nautiques qui nous annoncent 40 milles de portée pour Petit Coin et seulement 30 pour Créac'h bien que ce dernier soit plus haut de 10 mètres !

       Petit Coin et Grand Coin appartiennent au Sultanat d'Oman. Ces rochers situés à un endroit aussi stratégique, sont convoités, on s'en douterait, par le grand voisin Iranien. Ce qui explique qu'il y ait en permanence une petite garnison militaire sur Petit Coin. On ne sait jamais, il faut marquer son territoire, des fois que la poudrière du Golfe s'embraserait une nouvelle fois ! Un radar de surveillance complète l'équipement mais aucun appel à destination des navires n'émane de ce centre de contrôle de poche. Dispose-t-il seulement d'un récepteur AIS, y a-t-il une surveillance et le radio goniomètre est-il toujours opérationnel ? Apparemment il laisse faire les contrebandiers qui tous les matins à bord de plusieurs embarcations légères de 7 mètres de long environ, en aluminium, propulsées par deux puissants moteurs hors-bord traversent à plus de 30 nœuds le détroit, venant d'Iran et allant à vide vers Khasab en Oman. Pour quels trafics ? En tous genres sans doute, ils reviennent à la nuit tombée, la barcasse "aux marques" ! Intrigués par notre vitesse d'escargot, ils se sont même déroutés pour tourner autour de l'"Ile de Sein" ! Leur approche était inquiétante, on se souvenait tous à bord des circonstances de l'attaque du pétrolier "Limburg". Mais fort heureusement "nos" contrebandiers cagoulés étaient néanmoins très amicaux, nous faisant signe de la main ! On imagine les réactions à bord d'un navire de guerre US en patrouille dans le Golfe, si leurs routes venaient à se croiser ! Dans le doute les Yankees ont la gâchette facile, un de leurs destroyers, l' USS "Cole" ne fût-il pas lui aussi la cible de terroristes dans le port d' Aden en Octobre 2000 ? ...

       Ormuz c'est encore le souvenir d'une relève mémorable, en boutre, pour rejoindre le pétrolier "Franche Comté" de la Société Française de Transports Pétroliers le 17 septembre 1971 ! Nous étions une quinzaine d'officiers et de marins à embarquer. Après avoir atterri à Bandar-Abbas (Iran), l'agent nous conduisit au port où, ô surprise, n'était pas amarré le "Franche Comté" ! Par contre un superbe boutre de 15 mètres nous attendait ! On comprit tout de suite que nous allions effectuer une relève peu banale : une "croisière" de 40 milles en boutre, pour rejoindre notre pétrolier en attente au large de Grand Coin, en plein détroit d'Ormuz et tout cela aux frais de la princesse ! Il fallait l'oser, la SFTP l'a fait.


coucher de soleil sur "Grand Coin"
         Sitôt éloigné de la côte, le mousse du bord plongea dans la cale sur ordre du Nakhuda, capitaine barbu et enturbanné, et revint avec une boite en fer blanc qui contenait le compas magnétique ! Pas de gyro et encore moins de GPS ! La voile fut hissée près de l'Ile d'Ormuz qui donne son nom au détroit, pour profiter d'un petit vent portant de secteur Nord. Le thé à la menthe fut servi aux marins Bretons assis sur des tapis Persans.. L'hospitalité Iranienne n'est pas un vain mot. Trop rapidement la silhouette du "Franche Comté" se profila à l'horizon, nous tirant de nos rêveries Monfreidiennes. Nous aurions bien continué sur notre lancée profitant de la mousson de NE naissante, pour cingler vers Zanzibar, Djibouti, Massawa ou Diego Suarez ! La sirène du "Franche" nous ramena à la dure réalité d'un embarquement de cinq mois qui commençait quand même sous les meilleurs auspices. Il nous fit découvrir entre autres escales sympathiques, le port de Whangarei en Nouvelle Zélande avec ses verts pâturages parsemés de moutons et son bord de mer "infesté" d'ormeaux gros comme une main de bosco. A cette époque les Newzies n'avaient même pas idée de les manger et encore moins de les exporter vers le Japon. Les Paimpolais du bord ne se sont pas faits prier pour prélever leurs quotas !..
       Mais on ne quitte pas le Golfe sans une petite escale à Dubaï la magnifique ! Fantastique Dubaï, à défaut d'être fantasque ! Eh oui, les marins en escale doivent regagner leur bord avant minuit !.. Est-ce une dérive de l'ISPS code ? Dubaï, la Perle du Golfe, l'oasis de toutes les extravagances où l'or et l'argent coulent à flots. Nouveau paradis fiscal dont la réputation n'est plus à faire. Une centaine de gratte-ciel a émergée au cœur du désert, là où autrefois il n'y avait que dunes, dromadaires, chèvres et bédouins ! Cinquante (50...) d'entre eux sont en construction simultanée près de Djebel Ali, gigantesque port et nouveau HUB à conteneurs ! Cela bétonne dur en front de mer ! Et dire qu'autrefois Dubaï n'était réputé que par son chantier de construction de boutres. Les temps changent, le complexe de réparation navale de Port Rashid, édifié en 1978, comporte 3 énormes cales sèches :
N°1 - 370 x   69m, pour les navires de 350.000 dwt.
N°2 - 525 x 103m, pour les tankers de 1.000.000 dwt.
N°3 - 415 x   83m, pour les tankers de 500.000 dwt.
       Lors de notre escale, les bassins de radoub étaient bien remplis, pétroliers, cargos et la plate forme de pose de pipe-lines Castoro Sei etc. Il y a quelques années, un pétrolier en manœuvre devant une des cales, a raté son entrée au bassin et a heurté violemment la porte du bassin suivant occupé par plusieurs navires ! Sous le choc l'immense porte céda et les navires se retrouvèrent en tas dans le fond de la cale ; il y eut hélas de nombreuses victimes.

       L'Emirat se tourne résolument vers le tourisme de masse, il est visité par près de 6 millions de touristes chaque année ! On vient de Londres en charter faire les Soldes à Dubaï ! C'est d'un chic du côté de Mayfair et de la City ! Les voyagistes ont compris ce nouvel engouement pour ces destinations qui sortent de l'ordinaire, offrant le désert et le luxe : de ce fait, de nombreux paquebots sillonnent les eaux chaudes du Golfe y faisant de multiples escales. Des dizaines de Palaces "5 étoiles" hébergent ces touristes fortunés, dont le célèbre "Burj-Al-Arab" en forme de voile, démontrant que l'Emirat a bien le vent en poupe. Magnifique hôtel, les pieds dans l'eau et dont le mât culmine à 327 m ! La chambre la plus modeste vous est facturée la bagatelle de 10.000 $ la nuit... Ne rêvez donc point, ce n'est pas là que votre agent maritime vous mettra en attente de votre navire !

       Mais derrière tout ce luxe, cette démesure il y a un homme, un homme en blanc : H.H (His Highness) Général Sheikh Mohammed bin Rashid Al-Maktoum, prince de Dubaï, Ministre de la Défense de l'Union des Emirats. Barbu, toujours en tenue de bédouin, regard acéré, aussi noir que celui des faucons qu'il dresse, et lunettes de business man qui le rendent encore plus austère. Malgré la présence à ses côtés de sa magnifique épouse, superbe rose des sables, la Princesse Haya Bint Al Hussein, ce prince des Mille et une Nuits ne sourit jamais dit-on. Par contre tout lui sourit et particulièrement son écurie de course qui rafle tous les grands prix hippiques dans le reste du monde ! Sa compagnie d'aviation Emirates a pris, elle aussi, un bon envol parmi les Majors de la profession et son HUB de Dubaï est devenu une plaque tournante vers le reste du monde.

       La dernière trouvaille de cet infatigable bâtisseur est la réalisation d'un projet pharaonique tout près de l'endroit où se trouve l'"atterrissement" de notre câble.

       Le Cheick Al Maktoum est un moderne visionnaire, redoutablement efficace qui prévoit l'avenir de son Emirat en le tournant résolument vers le tourisme de luxe pour mieux négocier le virage de "l'après pétrole", quand la source des pétro-dollars sera tarie. Si tant est qu'elle le soit un jour... Toujours est-il que le projet Nakheel prend forme. Nakheel veut dire Palmier en arabe puisque le premier tronçon réalisé de ces quatre marinas géantes représente un palmier entouré d'un cercle de six kilomètres de diamètre. Des dizaines de petits immeubles de 2 étages sont bâtis sur chaque branche du palmier ! Le second polder en construction s'appelle "The World" puisqu'il a la forme d'une planisphère de dix kilomètres de diamètre ! Tous ces projets sont édifiés en mer entre Djebel Ali et Dubaï. Pour ce faire, les dragues suceuses de deux compagnies hollandaises aspirent tout le sable des environs marins dans un rayon de 75 km autour de Dubaï pour y bâtir les centaines de lopins de sable constituant "The World". Des villas de rêve, les pieds dans l'eau, y seront édifiées par leurs heureux et fortunés propriétaires. Chaque terrain vaut quand même 10 millions de $ pièce ! Et pas question d'y édifier une cabane de pêcheurs, en bois, au fond du jardin ! Chaque pays de ce planisphère est constitué d'une multitude de petits terrains de sable rapporté. Il en faut par exemple huit pour faire l'Australie. Nicole Kidman, l'actrice Aussie en a acheté un. Les chanteurs pop Rod Steward et Elton John se sont portés acquéreurs de l'Angleterre qu'ils partageront avec le footballeur David Beckham. Le tennisman André Agassi aurait acheté une partie des Etats Unis d'Amérique. Aussi si vous voulez acheter un petit coin de France, n'hésitez surtout pas ! Mais si vous préférez jeter votre dévolu sur l'Antarctique ou l'Alaska, ne vous méprenez pas, il ne fera pas plus frais pour autant au Pôle Sud de Dubaï en plein mois de Juin quand le soleil est au zénith ! Quoique ... tout est possible à Dubaï : un autre projet, lui aussi en cours de réalisation, cherche des acquéreurs pour vivre dans la résidence de luxe "Iceberg" intégrée dans une station hivernale en plein désert, abritée dans un immense Snow Dome ! La neige à Dubaï, skier à Dubaï, vraiment il fallait oser ! Parmi les 7 Emirats de l'Union, Dubaï est certainement le plus dynamique et n'a pas fini de nous surprendre. Le Cheikh en blanc de Dubaï, Prince des sables (le bien nommé...), a fait miroiter à ses sujets ce projet grandiose qui ébahira le reste du monde. Nakheel et The World, loin d'être des mirages, seront visibles de la Lune !..


"Ile de Sein" - atterrissement de Khasab
         Et pour clore ce chapitre sur Dubaï, ce nouveau et surprenant centre du Monde se devait d'avoir la tour la plus haute, of course ! C'est en projet, Burj Dubaï sera construite tout prochainement sur du sable qui ne sera pas mouvant et devrait être terminée en 2008. Elle culminera à huit cents mètres (800m !). Avec ses 160 étages elle dépassera de la tête et des épaules le tout nouveau gratte-ciel Taïwanais de Taïpeh (508 m) et les tours siamoises Malaises de la Petronas à Kuala Lumpur (452 m). Bonne nouvelle quand même, la faune ne semble pas avoir abandonné complètement les fonds sous-marins malgré les passages dévastateurs des dragues suceuses hollandaises, une grosse tortue lyre a été vue quatre quarts bâbord, et la nuit des nuées de petits poissons, attirés par la lumière des projecteurs de la charrue, rendaient parfois la vision par les caméras difficile. Une belle cigale de mer d'un rose sombre s'aventura en surface le long de la coque et de son avancée si personnelle et pataude, réussit quand même à nous doubler ! Sans oublier les serpents jaunes du Golfe qui remontent eux aussi en surface la nuit. Cela fait chaud au cœur de voir que dame Nature reprend ses droits malgré les atteintes de destruction massives à l'écosystème.
       Mais il ne faudrait quand même pas que la belle Victoria "Poshe" Beckham, l'ex-Spice Girl, se fasse piquer par un serpent du Golfe en prenant son bain autour de Beckingham Palace ! Vipère épicée, telle qu'elle est souvent présentée, à tort, dans les tabloïds anglais, contre reptile Arabique, que croyez-vous qu'il arrivera?!...

       Trêve de plaisanterie, un invité surprise, une toute autre merveille du Golfe, se manifeste à l'approche de Doha en ce début Décembre : le Shamal. C'est ce vent de NW qui se forme dans le couloir du Golfe, soufflant fort pendant trois jours en moyenne quand les dépressions venues de Méditerranée s'établissent sur l'Iran alors que les hautes pressions stagnent sur l'Arabie. Après deux mois de franc beau temps, le Shamal nous rappelle que l'hiver prend aussi ses quartiers au Golfe Arabique ! Pourtant qu'il était doux de naviguer à petits pas sous un ciel bleu limpide, étoilé à souhait, à la lueur des torchères, tout en sillonnant une belle mer et des fonds sablonneux ! Toujours est-il que ce Shamal d'hiver retarda passablement notre labour dans les champs pétroliers.

       Et deux mois après avoir lancé l'atterrissement de Mascate nous doublons enfin la bouée "QATAR", par notre travers bâbord à 600 brasses. Son racon émettant la lettre Q en morse inonde nos 2 écrans radar mis sur petites échelles pour détecter les boutres des pêcheurs. Mais grande nouveauté, les boutres n'ont plus de voiles, de puissants moteurs les propulsent. Ils ont même des feux de navigation ! Fini le temps où ils jouaient à cache-cache avec les étraves des pétroliers ! Désormais ils montrent des feux de mâts éclairant sur tout l'horizon ( !..), des feux de côté et je les soupçonne même d'avoir un GPS et peut-être bien un lecteur de cartes ! Nous avons même croisé des boutres en contreplaqué marine ! La construction traditionnelle si caractéristique, avec des planches de bordé en bois de jungle cloutées et dont le calfatage était assuré par du chanvre et de la graisse de chameau, serait-elle définitivement abandonnée ? A quand les boutres en plastique et la reconversion de ces formidables Maîtres Charpentiers de Dubaï ?!.. Fort heureusement la pureté de sa ligne est conservée, quelque soit son mode de construction, avec toujours sa fameuse dunette à l'extrême arrière et son inévitable caca room !

       Que le Golfe m'a paru immense durant cette traversée nostalgique ! Il est vrai qu'en parcourir la moitié jusqu'à Doha avec une vitesse d'escargot de 0,4 nœuds, qui est celle d'un câblier en opération d'ensouillement de câble, et le traverser à 15 nœuds, qui est celle d'un pétrolier, voire à 23 nœuds pour un porte-conteneurs, il y a une énorme différence qui fausse l'appréciation des distances et qui dilue la notion de temps ! Mais peu importe, trente ans après, ce retour dans le large sillage des pétroliers géants avec les Marins qui relient les Hommes fût un régal réveillant tant de bons souvenirs.

Cdt M. Bougeard
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