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Résilience de la communauté maritime française face aux crises et menaces.
Rencontre Marine - Armateurs français, 3 novembre 2020  

Cette rencontre prévue à l'ENSM du Havre s'est finalement déroulée en vidéoconférence du fait du récent re-confinement.

Jean-Emmanuel Sauvée, président d'Armateurs de France, a ouvert la conférence par un rappel historique sur ce qu'il a appelé le destin lié des deux marines, marchande et militaire. Il a insisté sur la nécessité de maintenir cette communauté des «Français qui vont sur les mers» et qui ont en commun de faire flotter le pavillon français. Pour souligner cette coopération entre les deux marines il a détaillé deux exemples : la coopération du bataillon des marins pompiers de Marseille dans la mise en place de protocoles Covid-19 pour les navires et l'intervention de la Marine nationale lors de l'acte de piraterie contre le Ponant en 2008. M. Sauvée s'est dit fier et heureux d'être Français, expliquant qu'on se sent beaucoup moins seul dans ces situations critiques que si l'on avait choisi un autre pavillon. Enfin il s'est dit fervent partisan de passerelles pour les carrières entre la Marine nationale et la marine marchande.

Première table ronde : Crise sanitaire mondiale

Présentation :

Jean-Marc Lacave, délégué général d'Armateurs de France a ouvert cette table ronde en soulignant quatre préoccupations principales : premièrement, la prise en charge et la protection des marins avec beaucoup de questions matérielles à résoudre (fourniture en masque, en gel hydro-alcoolique, la question des tests, l'accès des navires aux pilotes etc.). Deuxième impact, le problème des relèves d'équipage dû à la fermeture des frontières, au manque d'avions et aux problèmes de visas. Ceci amenant à la troisième préoccupation, l'impact social et moral sur les marins avec pour certains le sentiment d'être dévalorisé, ce qui entraîne une baisse de l'attractivité du métier qu'il faudra contrebalancer. La dernière préoccupation est l'impact économique avec le secteur de la croisière à l'arrêt, les ferries très fortement réduits (7 navires sur 11 arrêtés pour Brittany Ferries par exemple). Le secteur des conteneurs a subit un gros choc lors de la fermeture des usines chinoises mais bénéficie maintenant d'un retour à la normale. Le secteur du vrac quant à lui souffre de taux de fret très volatiles et d'un manque de visibilité.

Selon M. Lacave tous les enseignements de cette crise n'ont pas encore été tirés et il est nécessaire de mettre en place des hubs portuaires pour les relèves et de permettre l'accès aux tests rapides.


Guichet unique du RIF :

Stéphane Garziano, chef du guichet unique du RIF, a ensuite détaillé les mesures prises pendant la crise. La survenance de la Covid-19 a soudainement rendu les relèves très difficiles pour les raisons déjà évoquées précédemment, un exemple très marquant de l'ampleur du problème est que, Air France, au plus fort de la crise, n'assurait plus que 30 vols quotidiens contre plus de 1 000 en temps normal. Dans un premier temps les armateurs ont négocié avec leurs marins des extensions d'embarquement. Des recommandations sanitaires ont été mises en place : augmentation de la dotation médicale embarquée, protocole sanitaire pour les relèves. Un centre d'aide psychologique a été mis en place. Des dispositions pour le maintien des visites périodiques d'aptitude médicale (notamment la mise en place pour la première fois de téléconsultations) ont été prises.

Un dispositif a été mis en place pour faciliter la circulation des marins avec notamment : la reconnaissance des marins comme travailleurs essentiels, la mise en place de hubs de relève en France et de corridors pour passer du navire à l'avion et inversement en toute sécurité. L'exemple le plus marquant est à la Réunion où les relèves ont été possibles rapidement malgré la crainte des populations. 1 150 relèves ont été effectuées au bénéfice de 13 600 marins de toutes nationalités.

Une cellule de crise a été mise en place au sein du guichet unique du RIF. Elle reçoit les demandes d'appui des armateurs et elle les oriente vers le bon interlocuteur (consulats, ambassades, police aux frontières). Cette cellule a permis 600 interventions pour faciliter des relèves partout dans le monde. M. Garziano rappelle que la situation peut s'aggraver rapidement avec des ports qui s'ouvrent puis se referment. Il y a un travail important en cours avec l'OMI pour convaincre un maximum de pays de déclarer les marins comme travailleurs essentiels ce qui n'est malheureusement pas encore le cas partout.

Pour conclure, le chef du guichet unique tire trois enseignements majeurs : premièrement la réactivité forte et rapide de l'administration. Deuxièmement les armateurs ont réagi et mis les moyens pour faciliter les relèves. Il nous indique par ailleurs que cette crise nous a rappelé les atouts de la France notamment ses outre-mers et son réseau diplomatique. Enfin dernier enseignement : la nécessité de donner de l'espoir et des perspectives aux marins coincés en mer pour éviter le désespoir.

Compagnie Ponant :

Jean-Baptiste Bories pour la compagnie Ponant a rappelé leur décision brutale d'arrêter l'exploitation des navires en mars pour se mettre en sécurité. Grâce à d'excellentes relations avec les affaires maritimes ils ont ensuite pu construire un protocole sanitaire. Le décret du 11 juillet 2020 a ensuite permis la reprise avec 60 croisières pour 3 500 passagers cet été. Il y a eu peu d'infections et elles ont été maîtrisées. Aujourd'hui avec l'arrivée de la deuxième vague il y a une augmentation des cas à bord et une baisse de l'activité. Cette crise a selon lui permis de tirer beaucoup d'enseignements : la résilience de Ponant qui n'a pas baissé les bras, le bon partenariat avec les autorités. La compagnie est maintenant en préparation de la phase post seconde vague, avec une grande capacité d'adaptation. Le protocole sanitaire en est à sa version numéro 25 ce qui prouve qu'il y a beaucoup d'adaptations au jour le jour.

Secrétariat général de la mer :

Le capitaine de frégate Florence Wagner, directrice du centre opérationnel de la fonction garde-côte au SGmer, a souligné l'importance de la Cellule interministérielle de crise dans la gestion de la situation. Le partage des rôles entre les différents acteurs est primordial notamment entre les préfets maritimes et les préfets des départements côtiers. Elle a rappelé l'historique de l'arrivée de la pandémie à bord de navires : fin janvier le premier cas est rapporté sur le Costa Smeralda, en février 600 cas sont déclarés sur le Diamond Princess. Il a fallu suivre et assister 3 types de navires de croisière : ceux sous pavillon français, ceux battant un autre pavillon mais ayant des ressortissants Français à bord (pour ceux-ci il est à noter qu'il a été très difficile d'avoir des informations fiables sur le nombre exact de ressortissant Français se trouvant sur chaque navire), et enfin les autres navires susceptibles de se tourner vers la France, notamment dans les Caraïbes.



Le SGmer a également eu un rôle important pour la préparation du déconfinement. En effet de nombreuses questions ont nécessité des réponses, certaines importantes d'autres plus anecdotiques telle que la possibilité pour les douaniers de porter leur arme par-dessus la combinaison Covid.

Force d'action navale :

Le capitaine de vaisseau Yves Wemaere a décrit la réaction de la Marine nationale face à la pandémie. Tout d'abord la phase de confinement pendant laquelle l'activité a été réduite au minimum. Le 11 mars, 60% de la flotte était à la mer (environ 50 navires), ce qui est une situation normale. 15 jours plus tard seulement 20% de la flotte était à la mer. Toutes les activités proches des ports ont été reportées (principalement des exercices). Les activités opérationnelles ont été maintenues à l'exception du golfe de Guinée. La problématique logistique a été importante pour assurer le maintien des opérations. La Marine nationale a la chance (par rapport à la marine marchande) de bénéficier de la logistique militaire avec ses propres bases, ses propres avions etc. La possibilité de ravitailler les bâtiments en mer avec des navires de soutiens logistiques existe également mais n'a finalement pas été utilisée. Les navires se sont ravitaillés au port, découvrant ainsi, selon les mots du capitaine de vaisseau, «les escales marine marchande» c'est-à-dire 12 heures à quai et on repart. Ceci amène la problématique humaine avec la difficulté des équipages à tenir.

Après le déconfinement, l'activité normale a repris avec une gestion au cas par cas, pas de doctrine générale mais une gestion du risque mission par mission, navire par navire. En effet il a été noté que les navires modernes étaient plus résilients que les navires anciens (certains vieux bâtiments ont des dortoirs à 30 personnes quand les navires plus récents ont des cabines à 4 ou 6). Il a donc été décidé de mettre les navires modernes sur les missions au plus loin des points d'appuis. Dans la mesure du possible la Marine nationale essaye de garder ses navires à 72 heures des points d'appui sanitaires d'où l'importance de la cartographie de ces points d'appui avec notamment l'utilisation de bases navales alliées. Les équipages ont été dans la mesure du possible confinés (15 jours puis 7 jours maintenant) avant d'embarquer. Les gestes barrières sont appliqués à bord et si le navire va loin, une quatorzaine en mer est mise en place. Par exemple un navire qui va passer Suez fera 15 jours de patrouille en Méditerranée avant de passer le canal. Ensuite tout est fait pour maintenir la bulle. Si un cas se déclare à bord il est isolé du mieux que le permet la configuration du navire. La gestion des quelques cas qui se sont déclarés a été bonne, la preuve en est que mis à part le cas du porte-avions Charles de Gaulle personne n'en a entendu parler dans la presse.

En conclusion, le capitaine de vaisseau souligne deux problématiques : la première étant le problème de l'attractivité du métier de marin embarqué, la seconde est un changement de paradigme, en effet dans cette crise la menace vient de l'intérieur et non de l'extérieur. Il est nécessaire de repenser la conception des navires avec des zones de quarantaine équipées de sas et une gestion différente de la ventilation par exemple.

Questions :

Un intervenant a posé la problématique de la reprise chez Ponant avec la nécessité de faire embarquer environ mille marins en une seule fois. M. Garziano a confirmé que la cellule de crise du RIF restera ouverte le temps nécessaire pour aider. Il a d'ailleurs indiqué qu'elle continuait aujourd'hui à recevoir des demandes et à agir.


Actualité des opérations de la Marine

Le contre-amiral Gilles Boidevezi a présenté les opérations aéro-maritimes françaises. Il a rappelé qu'à de rares exceptions près (golfe de Guinée) les opérations ont été maintenues durant la crise, notamment la dissuasion et la présence dans le détroit d'Ormuz. Il a insisté sur l'importance du partage de l'information maritime avec le rôle très important du MICA center (Maritime Information Cooperation and Awareness), du MDATGOG (Maritime Domain Awareness and Trade, Gulf Of Guinea) et du MSCHOA (Maritime Security Center Horn Of Africa), tous localisés ensemble à Brest.

La lutte contre les trafics illicites qui avait diminué durant la crise pour éviter les contaminations a maintenant repris un niveau normal.

La France reste très impliquée dans les alliances et coalitions, notamment au sein de l'OTAN avec la prise de commandement de la VJTF (Very high Joint readiness Task Force) en 2021.

Concernant le golfe de Guinée il y a aujourd'hui deux unités sur place et un progrès notable de l'Union européenne avec un essai de présence maritime coordonnée, gérée depuis une cellule à Bruxelles, en soutien au processus de Yaoundé.

La protection dans le détroit d'Ormuz est assurée par une frégate française et une frégate danoise dans le cadre de l'opération Agenor. Je confirme personnellement ce point ayant été contacté et escorté par la frégate française lors de mes transits dans le détroit d'Ormuz avec un gazier ces derniers mois.

Le contre-amiral a ensuite rapidement évoqué deux autres opérations : le soutien à l'Île Maurice suite à l'échouement du Wakashio et l'opération Amitié au Liban suite aux explosions dans le port de Beyrouth.

Seconde table ronde : Comment briser les différents modèles de piraterie ?

Présentation :

Morgane Carré, chargée de mission Sécurité des espaces maritimes au ministère des Armées a indiqué que l'on constatait un regain d'intérêt international significatif pour la zone du golfe de Guinée. Il est donc maintenant nécessaire d'éviter de s'éparpiller et de bien coordonner les forces.

MICA center :

Le capitaine de corvette Gilles Chehab, commandant du MICA center, a présenté le bilan de la piraterie dans le golfe de Guinée. On dénombre, du 1er janvier au 1er novembre de cette année, 80 incidents contre 76 en 2019 sur la même période. En sachant que les mois de novembre et décembre sont généralement très actifs, en 2019 on dénombrait 35 attaques et 73 otages sur ces seuls deux mois. Il y a eu une importante opération nigériane dans le delta du Niger ce qui a eu pour effet une baisse du nombre d'actes au Nigeria par rapport à 2019 mais une augmentation des attaques au large et une dilution vers le Ghana à l'Ouest et vers la Guinée Equatoriale au Sud. Le Joint War Commitee a d'ailleurs étendu la «Listed Area» qui s'étend maintenant bien plus au Sud incluant l'île de Bioko. A noter également la publication cette année d'un BMP (Best Management Practice) spécifique Afrique de l'Ouest sur le modèle de celui que l'on connaît pour le golfe d'Aden. Une lettre commune des Shipping Associations a également été publiée, rappelant les recommandations notamment pour la période de la fin d'année, propice aux actes de pirateries dans cette région.

Assurances :

Pierre Chevalier (Maritime et Logistique chez Bessé) a présenté le secteur de l'assurance des risques de guerre et assimilé qui couvre les dommages et pertes liés à la guerre civile, à la guerre entre États, aux rebellions, aux grèves, aux sabordages, aux abordages volontaires (Sea Shepherd), aux mines etc. Cette assurance doit être souscrite par l'armateur et fonctionne avec un système d'exceptions. C'est-à-dire qu'il y a des cartes décrivant les HRA (High Risk Area) et les Breach Zones. Dans ces eaux où la couverture est exclue, l'armateur, s'il veut la maintenir, doit payer une surprime et le navire doit prendre des mesures de protection. Les cartes sont proposées par le JWC (Joint War Commitee) qui regroupe les principaux assureurs du marché de Londres (qui concentre la majorité de ce marché). Du fait de la confidentialité, il est difficile d'avoir des informations concrètes et donc d'évaluer précisément le risque. Les points chauds sont actuellement le détroit d'Ormuz, l'océan Indien avec le golfe d'Aden (en dépit d'une une forte amélioration, la zone est toujours considérée comme HRA) et bien sûr le golfe de Guinée. La tarification est très variable selon l'offre et la demande. A titre d'exemple un VLCC (Very Large Crude Carrier) venant de Chine, chargeant dans le golfe Arabo-persique et repartant vers l'Extrême-Orient payera au taux actuel 180,000 $ de surprime pour ce voyage (avec deux tarifications, l'une pour la zone de l'océan Indien et l'autre pour le golfe Persique). Outre ces aspects financiers les assureurs ont, selon M. Chevalier, un impact sur le terrain par l'incitation du suivi des procédures par les navires.

Mozambique :

Yan Giron a présenté la situation au Mozambique où une dizaine d'attaques a eu lieu récemment. Il s'agit de l'extension en mer d'une insurrection à terre. La situation est à surveiller car elle est très évolutive. L'inquiétude se concentre autour d'installations gazières nouvelles en travaux et la venue prochaine de navires de plus en plus gros.

Film sur la piraterie au Nigeria :

Bertrand Monnet, professeur à l'EDHEC, a réalisé le film «Pirates : Menaces sur le commerce mondial» dont il nous a passé de courts extraits. Pour ce faire, il a été au contact des pirates dans le delta du Niger. Il y a dix groupes dans la région de Warri et d'Escravos, tous liés à l'ancienne rébellion. Ils sont très déterminés, vivent dans la mangrove et attaquent les cibles présentes, principalement les supply boats. Ils étaient spécialisés dans le siphonage en mer de petits tankers de produits raffinés. Ils attaquent maintenant tous types de navires visant la prise d'otage d'occidentaux. Ils attaquent avec 2 à 3 embarcations rapides de 7 à 8 m de long, avec 7 à 8 hommes à bord. Ils sont sous l'emprise de l'alcool et de stupéfiants (cocaïne, crac, captagon). Pour un occidental, la rançon peut s'élever à plusieurs centaines de milliers d'euros, la mise en œuvre des attaques entraîne une importante corruption notamment pour passer les check points, il s'agit de leur premier poste de coûts. Le BMI (Bureau maritime international) indique une augmentation de 40% des actes de piraterie en 2020.

Clôture de la table ronde :

Nelly Grassin animatrice de la réunion pour Armateurs de France demande à ce qu'il y ait une présence militaire permanente dans le golfe de Guinée car la majorité des actes se fait maintenant dans les eaux internationales ce qui permettrait à nos marines d'intervenir.

Jacques Gérault président du comité Sûreté/Sécurité chez Armateurs de France a conclu cette rencontre. Concernant la covid-19, il a insisté sur la solidarité, la fluidité des échanges public/privé et l'intérêt de la cellule interministérielle de crise au sein du RIF. La crise sanitaire a permis aux différents acteurs de mieux se connaître. Il reste cependant des points à améliorer : continuer l'intégration par un maximum de pays des marins comme travailleurs essentiels, augmenter le nombre des hubs de relève d'équipage, mettre en place et perfectionner des corridors port/aéroport. Concernant les relations avec la Marine nationale, il a dit souhaiter multiplier les formations communes, notamment concernant la cyber sécurité. Il a rappelé le problème commun aux deux marines de la fidélisation des marins. Concernant la piraterie il n'a pas caché son pessimisme devant la dégradation de la situation et a réitéré la demande d'une présence réelle des marines de guerre dans le golfe de Guinée.

Conclusion :

Cette rencontre Marine-Armateurs était très intéressante et la présence de l'AFCAN bienvenue. Tous les acteurs ont une vision réaliste de la situation et une bonne conscience de problèmes. J'ai notamment été agréablement surpris par le niveau de conscience et de prise en compte de la détresse des marins coincés en mer par la crise du Covid-19. Si la France a été, il faut le souligner, bien plus réactive dans sa gestion de la crise que bien des États, la situation n'est pas pour autant redevenue normale, et l'arrivée de la seconde vague en Europe risque d'apporter de nouvelles difficultés. Concernant la piraterie, le constat d'échec est global, la situation empire et il est nécessaire que les choses soient prises en main rapidement et efficacement. On ne peut pas laisser le golfe de Guinée avec plus de 100 attaques et plus de 100 otages par an sans réagir. Espérons donc que les autorités auront entendu le cri d'alerte des armateurs.
Cdt P. Blanchard
Président de l'AFCAN


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