La publication du communiqué de presse de l'American Bureau of Shipping au sujet du pétrolier
PRESTIGE met à mal quelques idées reçues imprégnant l'opinion publique internationale. La notion de
"navire poubelle" est certainement à revoir, et la gestion de la crise à repenser.
(voir la rubrique dossiers/accidents)
Sur les causes du naufrage :
Le rapport de l'ABS est très net: lorsque le navire est parti à la gîte, la manœuvre de
redressement a pulvérisé les limites de contraintes fixées par le constructeur : entre 140 et 160% du
maximum admissible à la mer. Il fallait donc que le navire soit particulièrement solide pour encaisser
cela sans casser pendant six jours de très mauvais temps.
Les déclarations de membres de l'équipage font état d'un choc dû à la rencontre d'une épave, qui
aurait donc été de dimensions conséquentes, et en toute logique, signalée aussitôt par le capitaine.
Le PRESTIGE faisant route, la probabilité d'avaries majeures induites par un choc traversier est très
faible. En dehors d'un abordage par un autre navire, le choc ne pouvait se produire qu'à l'avant, qui
est protégé par la cloison d'abordage, destinée précisément à limiter les conséquences frontales d'un
tel choc. Toutefois, les prises de vues du naufrage ne font pas apparaître d'avaries sur l'avant. Le
naufrage ne peut donc pas raisonnablement être imputé à un choc causé par un objet flottant non
identifié.
Le PRESTIGE comportait des moyens permanents de ballastage. Une avarie au circuit de
ballastage est envisageable, mais en général, les effets même importants, sont relativement lents. Il
faudrait alors une négligence très grave pour qu'elle passe inaperçue. Reste l'éventualité d'une
erreur de manipulation. A l'erreur humaine peut s'ajouter la dissimulation, phénomènes récurrents chez
les marins fournis par les marchands d'hommes qui sous traitent la responsabilité des armateurs en la
matière. La malheureuse affaire de l'abordage entre le CISTUDE et le BOW EAGLE est là pour le rappeler,
et montrer qu'il faut en plus y ajouter le plus parfais mépris humain.
En ajoutant une bonne dose d'incompétence professionnelle, tous les éléments nécessaires à la
catastrophe sont réunis.
Sur la gestion de la crise :
Jusqu'à présent, l'expérience a toujours montré que la moins mauvaise solution consiste à jeter
un navire à la côte lorsqu'il est sur le point de couler. Pourquoi a-t-on refusé d'appliquer ce
principe aussi bien pour l'affaire de l'ERIKA que pour celle du PRESTIGE? Pourquoi a-t-on préféré
traîner le PRESTIGE au large, et le laisser couler par plus de trois mille mètres de fond, ou il est
peu probable qu'on puisse récupérer sa cargaison, même à prix d'or. Il faut un courage politique
certain pour décider une pollution sévère sur un point précis de la côte, mais que l'on peut choisir
dans une certaine mesure, et surtout y préparer le matériel nécessaire au confinement de la marée
noire. Il est certain que le PRESTIGE pouvait être remorqué en l'espace d'une journée vers un port ou
une baie, ce qui a été rigoureusement refusé. Le pétrolier, même gravement avarié, ne se serait pas
cassé, puisqu'il a survécu six jours avant de sombrer. Et surtout, il était possible de récupérer sans
difficultés la majeure partie de la cargaison.
QUE FAIRE POUR EVITER DE TELLES CATASTROPHES?
Jusqu'à une époque récente, une loi française obligeait les compagnies pétrolières à transporter
80% de la consommation nationale sous pavillon Français. Le protectionnisme, si dommageable soit-il,
avait au moins le mérite de maintenir à bord des pétroliers des équipages français, dont la
qualification, certifiée par l'État et la fidélisation à l'armateur assurait le maximum de sécurité.
Sans revenir au protectionnisme commercial, il faudrait peut-être penser au protectionnisme
environnemental, et garantir réellement la compétence des équipages en recourant sinon à des nationaux,
au moins à des européens dûment estampillés. Mais il faudra faire vite, car l'espèce est en voie
d'extinction. Cela suppose une nouvelle politique de recrutement, de salaires, et de charges fiscales
et sociales. Que de courage politique nécessaire!
Il faut cependant tenir compte des risques inhérents au transport maritime. De même que pour le
transport aérien, le risque zéro est une asymptote. Il est impératif de préparer à temps la
méthodologie de gestion d'une crise comparable à celle survenue avec le pétrolier PRESTIGE, et
repenser tout ce qui a été fait jusqu'à présent. Cela part du choix de zones ou ports d'accueil
spécialisés pour les navires en difficultés, jusqu'aux moyens techniques nécessaires pour contenir
puis récupérer les pollutions engendrées.
Nous sommes très loin de compte. Il faut approvisionner des monceaux de pelles et de seaux en
attendant de pouvoir espérer régler sereinement les risques de marées noires.
Cdt F.X. PIZON
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