La compagnie du Ponant a fêté son trentième anniversaire en 2018. Créée par Jean-Emmanuel Sauvée, ancien élève de l'Ecole nationale de la marine marchande de Nantes, et son ami Philippe Videau, associés à plusieurs de leurs camarades de l'école de Nantes, la compagnie des îles du Ponant a vu le jour le 1er avril 1988. Ont participé à sa création les actionnaires suivants : l'armateur Guy Chambon (5%), la compagnie financière Edmond de Rothschild (10%), Althus Finance (filiale de Thomson-CSF) (10%) et les officiers de la compagnie (75%).
Un cadre juridique adaptéLe but des fondateurs de la nouvelle société était de créer une compagnie de paquebots de croisière. Désireux de maintenir leurs futurs navires sous pavillon français, mais conscients du coût du pavillon français (contraintes et rigidité du code du travail maritime, coût excessif de l'ENIM), il leur fallait d'abord trouver un cadre juridique adapté. |
![]() |
le régime de l'ENIM étant facultatif. Ce «socle» juridique particulier était conforme aux conventions internationales du droit du travail maritime, la couverture sociale pouvant être assurée par une assurance privée payée par l'armateur. C'est ainsi que leur premier navire, le Ponant, sera en 1991, le premier paquebot à être immatriculé au registre des îles de Wallis et Futuna.
des croisières en mer au départ de Pointe-à-Pitre. Les premiers clients embarqueront en Guadeloupe le 13 mai 1991 pour un circuit dans les Caraïbes. Par la suite, l'exploitation du Ponant sera partagée entre les Caraïbes l'hiver et la Méditerranée l'été, puis à partir de 1995 la compagnie proposera des destinations plus variées : l'Amérique centrale, puis l'océan Indien(2). Les bons résultats enregistrés permettront à la compagnie de racheter le Ponant à ses copropriétaires, cinq ans après sa mise en exploitation.
Restait à financer un navire de plus de 100 millions de francs, sans disposer du moindre apport. Ce problème sera résolu grâce à la combinaison d'un système quirataire (exploitation du navire en copropriété) et des facilités offertes par la loi Pons de 1986. Les futurs armateurs, après agrément de l'administration fiscale et obtention d'un visa de la Commission des opérations de bourse, ont pu lancer un appel public à l'épargne en vue de constituer une copropriété de navires. Une somme de 115 millions de francs sera réunie auprès de 220 souscripteurs qui permettront la construction du Ponant, premier navire de la compagnie.
Commandé le 30 juin 1989 aux chantiers navals de Villeneuve la Garenne, le Ponant est mis à l'eau en novembre 1990. Long de 88 mètres, il s'agit d'un magnifique voilier à trois mâts, portant 1 500 m2 de toile et disposant d'un moteur de 1 600 kW, qui peut embarquer 66 passagers avec un équipage de 32 marins. Construit sur le modèle du Phocéa (ex Club Méditerranée du navigateur Alain Colas), le voilier offre tout le confort et le luxe discret propices à des croisières de rêve.
Pour son exploitation, l'idée initiale d'Emmanuel Sauvée était d'organiser
Le 31 décembre 1996, la Compagnie des îles du Ponant lance un deuxième appel public à l'épargne pour financer la construction, aux chantiers Alstom-Leroux de Saint-Malo, de son second navire. Le Levant est livré en novembre 1998, pour un coût de 235 millions de francs, réunis auprès de 280 copropriétaires. Grand yacht à moteur (3 000 kW) de 100 mètres de long, il dispose de 45 cabines et de 55 hommes d'équipage. Sa petite taille lui permettra de remonter l'Orénoque et l'Amazone et de sillonner les Grands lacs américains.
Mais le Levant n'était pas dimensionné pour affronter la navigation en milieu polaire, le nouvel enjeu de la compagnie. En 2003, celle-ci rachète le Song of Flower (1974) qu'elle rebaptise Diamant. C'est un paquebot classique haut de gamme de 124 mètres de long et pourvu de 113 cabines, disposant de 120 hommes d'équipage. Sa coque sera renforcée pour le rendre capable de naviguer au milieu des glaces.
En juillet 2004, la Compagnie des îles du Ponant intègre le groupe CMA CGM. Elle transfère alors son siège social de Nantes à Marseille et abrège son nom en Compagnie du Ponant. Sous l'impulsion de son nouveau propriétaire, Jacques Saadé, la compagnie lance en 2007 le projet de construction du navire de croisière idéal. Jean-Emmanuel Sauvée et son équipe lui soumettent un business plan sur trois ans qui proposera la naissance de deux paquebots atypiques, d'un coût de 100 millions d'euros chacun.
![]()
![]()
Ces deux sister-ships, le Boréal et l'Austral sont lancés respectivement en 2010 et 2011. Construits dans les chantiers italiens de Fincantieri, ce sont des navires élégants, longs de 142 mètres. Ils disposent de 132 cabines, chacune avec un balcon privé et sont armés par un équipage de 146 marins(3). Ils sont propulsés par deux moteurs diesel-électriques d'une puissance de 2 300 kW chacun, permettant une vitesse de quinze nœuds.
Conçus pour la navigation polaire, ils sont dotés d'une coque renforcée et possèdent le certificat 1 C qui les autorise à naviguer dans des conditions de glace légère (épaisseur jusqu'à 0,4 m). Ainsi, depuis l'hiver 2012, le Boréal et l'Austral embarquent leurs passagers vers l'Arctique et l'Antarctique pour des expéditions «cinq étoiles».
Dotés de systèmes respectueux de l'environnement, les nouveaux navires ont reçu le label «Green Ship». On y trouve notamment :
- un système de positionnement dynamique pour « éviter d'avoir à mouiller dans des zones de fonds protégés »,
- une propulsion électrique, à la fois silencieuse et économique, utilisant notamment des moteurs diesel fonctionnant au MDO (Marine Diesel Oil) moins lourd et moins polluant,
- un traitement avancé de traitement et récupération des eaux usées, et de triage et conservation des déchets de façon à n'occasionner aucun rejet en cours de navigation.
Entre-temps, le groupe CMA CGM abandonne la croisière en août 2012 et cède la compagnie du Ponant à la société d'investissement Bridgepoint. C'est une nouvelle étape pour Jean-Emmanuel Sauvée, dont l'ambition est de devenir le n°1 de la croisière de luxe. Bridgepoint lui offrira «les moyens de financer de nouveaux navires, d'ouvrir de nouveaux bureaux en Australie et en Chine, d'acquérir aux Etats-Unis une structure leader des croisières culturelles sur le marché américain», a-t-il déclaré.
La troisième unité, le Soléal est livré en juillet 2013. Il est le premier navire français à avoir franchi en septembre suivant le mythique passage du Nord-Ouest(4).
Il est suivi du Lyrial en avril 2015, version plus haut de gamme avec la réduction du nombre de cabines (122) et l'intégration de suites, ainsi qu'un design intérieur plus luxueux.
Le Levant et le Diamant sont vendus en 2012.
En 2014, la société a été rebaptisée «Ponant».
Trois ans après, à l'automne 2015, Ponant rejoint le groupe Artémis, holding de la famille Pinault, le fonds Bridgepoint se retirant avec deux ans d'avance sur son calendrier initial grâce aux très bons résultats de sa filiale. Jean-Emmanuel Sauvée commente ainsi l'arrivée de ce nouvel actionnaire :
«Ces trois dernières années, nous avons lancé et financé de nouveaux navires. Aujourd'hui, nous entrons dans une nouvelle phase avec un actionnaire long terme qui partage notre vision et nos ambitions pour Ponant en tant qu'acteur haut de gamme mondial du marché de la croisière. Artémis poursuivra la stratégie d'innovation et d'excellence qui a permis à Ponant de faire de sa flotte le symbole du raffinement et de l'art de vivre à la française».
Le fonds Artémis du milliardaire François Pinault apporte à Ponant non seulement de l'argent frais, mais aussi un partenariat fait pour durer : 900 millions d'euros sont investis pour six paquebots conçus pour l'expédition et un brise-glace de croisière.
Le Lapérouse, premier de la série des six navires de la classe Ponant Explorer, a été réceptionné par Ponant le 15 juin 2018 et baptisé dans le port islandais d'Hafnarfjörd. La cérémonie s'est déroulée devant une centaine d'invités, dont une dizaine d'anciens ministres(5), de personnalités telles qu'Yves Coppens, Jean-Louis Etienne et Olivier de Kersauzon, et des cadres de Ponant et d'Artémis.
Confiée aux chantiers norvégiens Vard, filiale du groupe Fincantieri, la construction du La Pérouse commencée en Roumanie pour la coque a été achevée en Norvège. Long de 120 mètres et large de 18 mètres, le paquebot dispose de 92 très belles cabines et suites.![]()
Il est notamment équipé, en première mondiale, d'un salon sous-marin «Blue Eye», imaginé par l'architecte Jacques Rougerie(6).
Le constructeur a tenu compte de toutes les imperfections de la série précédente, et des leçons tirées d'incidents tel l'incendie en salle des machines à bord du Boréal(7). Ainsi, le service des constructions neuves applique au Lapérouse la norme édictée par l'OMI «Safe return to port», dont l'objectif est de permettre aux passagers et à l'équipage, après une avarie majeure, de rester à bord, le navire se dirigeant vers un port en toute sécurité. La norme implique que le navire doit être conçu avec un appareil propulsif et des systèmes essentiels redondants, autrement dit, le doublement de la salle des machines(8).
Le Lapérouse est aussi le premier navire de la compagnie à être équipé d'un système catalytique sélectif permettant d'atteindre le seuil Tier III des émissions d'azote des moteurs. Comme les navires de la série précédente, il est alimenté au gas-oil désoufré.
Le Champlain sera livré en octobre 2018, Le Bougainville et Le Dumont d'Urville en 2019, Le Bellot et Le Surville en 2020.![]()
A ces commandes s'ajoute le futur brise-glace de croisière de la compagnie Ponant qui constitue, au-delà du débat sur la pertinence environnementale d'un tel projet, un challenge technique de premier plan. Livrable au second trimestre 2021 par Vard, ce navire d'une valeur de 270 millions d'euros est le plus cher de l'histoire des chantiers norvégiens. Il portera le nom de Commandant Charcot.
D'une longueur de 150 mètres pour 28 mètres de large et d'une jauge de 30 000 GT, il peut briser une épaisseur de glace allant jusqu'à 2,5 mètres.
caméras infrarouges pour éclairer la route du navire à travers la banquise.
Conçu selon des standards spécifiques répondant à la norme Polar Code, la coque du navire intègre le design DAS (Double Acting Ship) sur la base du principe dit de «double action», visant à faire de la poupe un élément clé que le navire utilisera dans des conditions de glace les plus extrêmes pour se frayer un passage en marche arrière.
Les générateurs présentent la particularité s'être «dual-fuel», c'est-à-dire qu'ils peuvent fonctionner aussi bien au diesel qu'au GNL, celui-ci permettant de diminuer les rejets de CO2, tout en éliminant les émissions de SOx et de particules fines et en réduisant ceux des NOx. La navigation se fait prioritairement au GNL. Appelé à naviguer en été dans l'Antarctique et l'hiver dans l'Arctique, le navire dispose d'une cuve à membrane d'une capacité de 4 500 m3. En plus de sa propulsion au gaz, il est équipé de batteries dont l'utilisation constitue une véritable source d'économie d'énergie.
Pour la navigation, en plus des instruments de navigation classiques, seront installés un radar optimisé pour la détection des glaces et des![]()
Concernant la conduite du navire, l'équipage devra suivre des formations spécifiques telles que la formation et la qualification pour la navigation dans les glaces, comme l'exige la réglementation actuelle(9), ou la formation à l'exploitation d'un navire propulsé au GNL.
Le Ponant Icebreaker devrait entrer en service à l'été 2021. Il commencera par naviguer en Arctique, proposant des croisières jusqu'au pôle nord géographique, après plusieurs mois de navigation à travers la banquise. Pendant l'hiver, il sera repositionné à Ushuaia d'où il emmènera ses passagers au-delà de la péninsule antarctique. Il devrait atteindre l'île Pierre, située en mer de Bellingshausen, très difficilement accessible car entourée d'un imposant front glaciaire.
Cependant, si ce projet est techniquement aussi complexe qu'exceptionnel, la mise en service d'un paquebot brise-glace capable de s'enfoncer dans la banquise et d'atteindre des sites naturels uniques et fragiles jusqu'ici inaccessibles ne fait pas l'unanimité. La compagnie aurait fait savoir qu'elle ne dépasserait pas «certaines limites» dans l'exploitation touristique, attentive à ce que ce projet soit «le plus vertueux et irréprochable possible».
A l'heure où les records de commandes de navires de croisière atteignent un niveau jamais atteint, l'essor des paquebots géants n'est pas le seul à susciter des interrogations. A l'autre bout du marché, il en va de même pour les petits navires d'expédition. La croisière de luxe est une niche qui attire de plus en plus de candidats. Avec les cinq Explorer de Ponant et le brise-glace restant à livrer, 29 petits paquebots de moins de 200 passagers sont actuellement en commande.
La plupart sont conçus pour des croisières polaires, la fonte des glaces, conséquence du réchauffement climatique, permettant une intensification de la navigation polaire. Mais celle-ci est particulièrement à risques tant pour les hommes que pour l'environnement, fragile et disposant d'une très faible capacité de résilience.
Ces navires seront amenés à évoluer dans des régions hostiles où les conditions de navigation sont difficiles : glace, vents, température, gel, météos changeantes, mauvaise couverture satellite, eaux peu ou mal cartographiées, éloignement… Cela nécessite des équipages qualifiés disposant d'une solide expérience, ce dont la compagnie ne manque pas.
Mais l'atout majeur dont dispose Ponant est la chance de bénéficier de la compétence du constructeur norvégien Vard sur le marché de la croisière, épaulé par sa maison mère italienne Fincantieri. Le chantier a marqué des points en livrant dans les temps son premier navire d'expédition.
Mais on ne sait si les navires actuellement en commande seront de qualité et livrés en temps et en heure. Le constructeur norvégien Kleven, pourtant réputé, butte sur la réalisation des deux paquebots d'Hurtigruten et accuse un an de retard. De même, le croate Uljanik a cinq mois de retard pour le premier navire destiné à l'australien Scenic.
En tout cas Ponant ne peut que se réjouir des bons résultats obtenus en 2017, année où elle a accueilli 30 500 passagers et réalisé un chiffre d'affaires de 184 millions d'euros.![]()
Ponant travaille aussi sur d'autres projets, la mise au point avec les chantiers STX de Saint-Nazaire d'un futur grand voilier. Ce concept avait été imaginé en 2016. Les réflexions au sein de la compagnie sont en cours, mais pour le moment, selon les mots de Jean-Emmanuel Sauvée, «Ponant doit digérer l'important plan d'investissement qu'il est en train de conduire».
Le projet n'est pas fixé, il dépendra des études et expérimentations menées en ce moment, notamment les essais d'un nouveau type de voiles solides développées par les chantiers de Saint-Nazaire. Une voile de 300 m2, encore à l'état de prototype, doit être installée sur le voilier Ponant.
Ce navire, symbole de la compagnie, approche la trentaine, et il faudra un jour le remplacer. Bon nombre de passagers qui ont connu le voilier à ses débuts y sont très attachés, aussi le patron de la compagnie n'a-t-il pour le moment aucune intention de s'en séparer.
La compagnie maritime Ponant compte aujourd'hui 6 navires, auxquels s'est ajouté le 10 juillet dernier le premier Explorer. A l'horizon 2021, elle comptera 6 nouveaux navires, les 5 Explorer en commande et le navire brise-glace.
Pour accompagner cette croissance, Ponant recrute en France et à l'international. Une cinquantaine de postes seront pourvus à terre cette année. Fin 2018, on comptera 350 sédentaires en France et à l'étranger, présents au sein des 6 bureaux de la compagnie (Marseille, Mata Utu, Sydney, Hambourg, New-York, Shanghai, et Paris). Il s'agit de postes au sein du service commercial, à la réservation, sur des fonctions support, marketing et à l'armement à terre.
Les contrats proposés sont essentiellement des CDI, d'une part pour suivre la croissance de la compagnie, étant donné ses projets à long terme, pourvoir à l'arrivée de cinq autres navires, d'autre part pour pérenniser les équipes.
De même, 112 membres d'équipage ont été recrutés pour armer le Lapérouse. Il en est attendu autant pour le second Explorer qui entrera en service à l'automne. En mer, l'effectif à la fin de l'année 2018 atteindra environ 1 000 personnes : officiers et équipages pont et machine, accueil, hôtellerie/restauration, équipe médicale et animations. Le personnel sur les navires est recruté par des sociétés de manning.
Pour les officiers, l'armement n'annonce pas de préférence entre les polyvalents et les monovalents, bien qu'une majorité d'officiers de 1e classe fasse partie de l'effectif des navires. La sélection s'effectue principalement sur l'expérience et la motivation pour le type de navigation que la compagnie opère, les expéditions ou la navigation polaire. Pour les postes de commandant ou chef mécanicien, la promotion interne a été anticipée depuis plusieurs années. Les officiers qui ont été formés ces dernières années sur les navires de la compagnie vont pouvoir bénéficier de promotions rapides, mais il restera des postes à pourvoir, tant au pont qu'à la machine.
Concernant la nationalité des équipages, Ponant va conserver la proportion actuelle de ses navires, soit 40 % de personnels navigant français au total en incluant les personnels hôteliers, dont 90 % d'officiers français à l'ENIM.
Comment ne pas conclure en rendant hommage à la ténacité et à l'ambition de Jean-Emmanuel Sauvée et de ses associés, qui ont permis de maintenir la tradition de la croisière française ? A l'opposé du tourisme de masse , avec ses paquebots géants , le type de tourisme marin qu'ils ont développé et qui utilise des navires de petite taille, fait assaut de luxe à leur bord et offre à leur clientèle un panel exceptionnel de destinations prestigieuses, assure un succès mérité et pérenne à leur compagnie.