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AVEC LES PIRATES, QUE FAIRE ?



       Pour avoir, en mission sismique, subi les tirs de navires de pêche ou de défenseurs zélés du territoire inviolable du Vietnam, je sais qu'être coincé à deux nœuds dans un gréement de travail sous le tir des mortiers est encore plus stressant qu'avec la possibilité de manœuvrer au large. Mais sur un pétrolier, après 270° d'évolution, de toute façons, on se retrouve à deux nœuds, dans la superbe situation de la tortue sur le dos, ce que j'ai fait dans le détroit de la Sonde sans trop savoir ce qui a dissuadé de poursuivre son action l'inconnu qui avait quitté son groupe de pêcheurs pour nous rallier à vingt nœuds. Le projecteur ? Les lances incendie ? Le fait que nous ne dormions pas ?

       Tous, nous avons ce genre d'expérience après un tant soit peu de navigation au long cours. Car cela dure depuis très longtemps. Parfois l'attaque va jusqu'à son terme, qui se solde par la montée à bord, les hurlements, les menaces, les moulinets de machettes, de pistolets, souvent les coups… Heureusement, cela va rarement plus loin. Mais, lassés de nos coffres de plus en plus vides, des équipages qui ne cachent plus dans leurs cabines un an de salaires et d'heures supplémentaires, les pirates s'attaquent maintenant au "corps et biens", le navire et sa cargaison. Une opération autrement plus lucrative, ce qui lui vaut d'accéder au premier plan des médias et d'exiger une solution immédiate. En son temps, il en avait été ainsi au golfe persique lorsqu'une une attaque anecdotique mais médiatisée avait déclenché l'arrivée d'un porte-avions après six ans de tirs de missiles sur les pétroliers.

L'histoire se répète, grâce au Ponant. C'est une trop belle histoire pour laisser indifférent, tous les ingrédients sont là pour un magnifique roman d'aventure maritime : de vrais "bons" efficaces et clairvoyants (chapeau collègue !), de vrais "méchants", maladroits, presque touchants mais pas sanguinaires, l'arrivée de la cavalerie.
 


       Il ne manquait que les journalistes, furieux de se faire chiper la vedette par d'obscurs employés de bateau. Mais il y a eu une séance de rattrapage grâce à Thalassa. Les journalistes sauveurs du monde sont intervenus et une armada mondiale déferle dans le golfe d'Aden.

Envoyer les navires de guerre ?

       Les états européens dépensent l'argent des contribuables à agiter leurs canons pour une bonne cause et c'est vrai, cela soulage quand on passe là bas avec la trouille au ventre. Vu la taille de la zone on n'est pas pourtant pas au bout de nos peines. Et après ? pour un pavillon RIF qui n'apporte vraiment pas grand chose à la communauté nationale, combien de temps pourrons-nous nous payer ces superbes danseuses? Poursuivant dans la voie actuelle, tôt ou tard les pirates pourront se procurer des armes leur permettant de s'attaquer efficacement à la frégate de surveillance dotée d'un armement réduit pour mettre au pas ces va-nu-pieds. Et puis jusqu'ici, cela n'a calmé les attaques qu'à la marge.

Mettre des troupes à bord ?

       Connaissant la constante ladrerie armatoriale, ils trouveront, après les très chers Gurkas, de moins chers pieds plats à la Bob Denard, puis d'encore moins chers paysans chinois ou pakistanais ravis et fiers de porter les armes pour un bol de soupe. Admettons même que personne à bord ne se tirera une balle dans le pied ou ailleurs, qu'une rafale malheureuse ne viendra pas perforer un pont de pétrolier ou qu'aucun commandant un peu "inspiré" ne lancera une croisade dévastatrice à bord. Car c'est le pacha, obligatoirement, qui aura le doigt sur la détente, car on ne peut attendre de réveiller une quelconque "personne chargée" dans ces moments là.

       Mettre des armes à bord, même avec du personnel sensé savoir s'en servir, c'est d'abord un gros danger, peut être une solution à un moment donné, mais un moyen d'intervention à un coup. Demain, après avoir repoussé brillamment l'assaut, (ou piteusement amené le pavillon comme les 3 repêchés du Biscaglia montrés par Thalassa!) les pirates arriveront, plus nombreux, mieux armés et nous serons revenus au problème précédent, à un niveau d'engagement supérieur, donc avec davantage de risques de casse.

On peut penser réinventer les Q-ships,

       Les navires pièges du premier conflit mondial, cargos armés en guerre et déguisés en paisibles navires marchands, poivraient les sous-marins arraisonnant poliment en surface les cargos avant de les couler. Le résultat, après quelques succès, a été que les sous marins ont torpillé sans préavis tout ce qui flottait. Les marins marchands y ont-ils gagné ?

Toutes ces solutions de violence ne sont que des soins palliatifs, de l'aspirine sur un cancer.

       La montée en intensité de ce genre de conflit ne peut servir que les intérêts des marchands d'armes ou de mercenaires et des groupes fanatiques qui sont à l'affût de tout ce qui peut être utilisé contre le monde moderne et mondialisé, vu à tort ou à raison comme la cause du marasme du tiers-monde musulman. L'avantage de ces gens qui réclament des sous, c'est qu'ils ne se livrent pas trop aux voies de faits et aux destructions, au contraire des fous d'un dieu ou l'autre, prêts à tuer tout ce qui bouge pour avoir raison. Faisons vite pour ne pas avoir à les confondre un jour.

       Ces problèmes enquiquinent la marine marchande depuis joyeuses lurettes, même si les médias ne s'en occupent que récemment. Une bonne part de la piraterie est le fait de populations pauvres et sans perspectives, qui se lancent dans des activités illégales leur permettant de s'assurer un revenu. Les navires de commerces se sont présentés très tôt comme des mines d'or aisément accessibles que ce soient les porte-monnaie des équipages à peine plus riches qu'eux, ou maintenant les cargaisons. Encore une intense négociation ramène-t-elle le prix d'un navire et de son équipage à des valeurs sans commune mesure avec la réalité. Mais que faire de 300 000 t de brut au Puntland ?

       La piraterie croît et prospère sur le terreau des sociétés amorales et sans justice. "Qu'est-ce qu'un état sans justice, sinon un vaste brigandage ? (Saint Augustin) Et l'empire romain est davantage mort de l'incroyable cupidité des collecteurs d'impôts à leur propre service, que des exploits guerriers des tribus germaniques, hunniques contre qui aucune population n'avait plus aucun intérêt à se battre, car elles représentaient un monde plus juste et plus civilisé que la foire aux ambitions du bas empire.

La solution contre la piraterie n'a jamais été en mer, mais à terre.

       César et Pompée l'avaient compris, mais il n'est plus trop envisageable de descendre à terre avec des troupes, de raser toutes les infrastructures et de pendre toutes les populations suspectes (ou de flinguer tout pêcheur qui approche.....). L'attitude de la marine chinoise sera intéressante. Utiliseront-ils les mêmes méthodes qu'au Tibet, ou des mesures plus policées ?

       Pendant les opérations sismiques en zone "grise" (une bonne part de l'Indonésie, les Spratly et plus généralement tous les pays où la corruption est consubstantielle à l'administration), il y avait un "chargé de mission" qui nous précédait à terre pour désamorcer les embrouilles, revenant périodiquement à bord avec des "représentants" que nous nourrissions et abreuvions généreusement. Il y avait aussi des (grosses) valises de billets verts d'où nous sortions du "laissez passer" pour le village de l'île suivante, des douaniers non-payés, le toit du marché à refaire, mais aussi les réparations des dégâts supposés avoir été commis par la mission sur les engins de pêche locaux.

       Je me suis fait tirer dessus par des gens que l'on aurait pu traiter de pirates, mais qui n'étaient que des pêcheurs ne voulant pas perdre leurs engins de pêche. Les ayant rencontrés, ils m'ont semblé être tout à fait identiques à des armoricains moyens. J'ai aussi rencontré en Corée des pêcheurs syndiqués qui cherchaient et obtenaient l'abordage sans trop de gravité pour se faire payer un bateau neuf....Nul n'est parfait, et toute généralité est fausse à la marge. Ayant réussi sa vie, irait-on promener sa Rolex dans un bidonville ? C'est pour une bonne part notre attitude inconsciente tous les jours en franchissant certains détroits.

Il reste un acteur, discret et efficace: l'assureur.

       Même s'ils n'assurent pas exactement des choses identiques, assureurs et P&I se retrouvent en cas de prise d'otages. J'ose supposer que dans un souci d'efficacité ils travaillent de concert à une solution commune. Ce seront eux qui discuteront et qui régleront la note. Rassurez vous, ils en feront part aux armateurs lors des négociations de primes ou de surprimes en certaines zones. Il n'en demeure pas moins que c'est par leur intermédiaire que se constitue un évènement après l'autre, une caste "diplomatique" de représentants de la piraterie qui donne un visage à cette mouvance fantomatique.

       Inconvénient, les assureurs ne sont pas vraiment gênés par la piraterie, ce n'est même qu'une manière élégante d'augmenter leur chiffre d'affaire. Les rançons ne sortent pas de leur poche, ce ne sont pas eux qui stagnent des mois sur un navire saisi, ce ne sont pas leurs familles qui attendent des mois, des années pour certains, un signe de vie d'un époux, d'un père.

Alors rêvons.

       Je sais aussi que tout se termine un jour par la discussion. Autant que ce soit le plus tôt possible.

       Le pas suivant devrait être, rapidement espérons-le, la mise en place d'une prévention. Par exemple, une taxe au tonnage reversée par les canaux de négociation déjà constitués, et surtout pas par la représentation officielle du pays qui nous montre tout les jours sa remarquable efficacité cause de tout ce gâchis, et qui s'empresserait de siphonner sur un compte en Suisse de l'argent qui devrait être utilisé par les populations concernées. Vous dire que tout serait idyllique, certainement pas. Il y aura comme toujours les uns et les autres. Mais pendant qu'ils discuteront de l'attribution des aides, puis des bonnes places, ils nous laisseront en paix.

       On peut même envisager aussi, pourquoi pas, un "pilote du golfe d'Aden" qui symboliserait les navires ayant payé la dîme à l'organisation des pilleurs locaux. Cela aurait en plus l'avantage d'éviter les "petits malins" sous pavillon inavouable, dont l'état n'a évidemment pas de flotte actuellement en capacité de les défendre, et qui se collent aux "bateaux gris" pour profiter de leur protection, chèrement acquise par les impôts des autres. Le commerce international, peut-être épaulé par quelques ONG, aurait vraiment l'occasion de participer développement économique de la région. Le Lloyds acteur du co-développement de la corne de l'Afrique, ça aurait plus de gueule que l'actuelle foire aux stock-options.

       Dans le golfe de Guinée, la situation est encore à peu près gérable au commerce, et franchement casse-gueule pour les supply ou pour les pêcheurs. De brillants avocats qui gagnent en une journée le salaire d'un mois de commandant pourraient peut-être envisager de désamorcer en amont le désespoir des morts de faim. Certaines compagnies pétrolières majors le font, discrètement, pour leur installations.

       Et puis au Brésil, là encore des morts de faim, donc accessibles.

       Aux Caraïbes la situation est différente, les actes réels de piraterie sont un des supports du trafic de drogue.

Les objections :

       Il est dangereux de donner raison à des pirates, et cela ne peut que favoriser les vocations en ce domaine. Certes, mais pas davantage que les parachutages actuels de conteneurs de billet verts qui ne viennent qu'après l'acte, qui est rappelons-le, ce qu'il faut éviter. L'histoire nous apprend aussi que l'existence des pirates est à l'origine de bien des grandes marines d'aujourd'hui. Même renommés corsaires (et encore pas toujours), la différence était bien mince pour le pauvre équipage civil molesté, emprisonné, voire assassiné en cas de résistance.

       Est-il choquant de payer pour passer en presque haute-mer ? Assurément. Mais il est aussi choquant (oh combien !) de se faire tuer pour mille euros dans un coffre-fort. Et puis, le pourcentage extorqué par les banques sur les utilisations de cartes bleues en Europe me choque aussi et ressemble très fort à de la piraterie, même si c'est très policé.

       On s'y habitue c'est tout, l'honneur des Capitaines dût-il encore en prendre un coup.

       Bonne route à tous mes confères navigants,
Cdt J.P. Côte



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