Il n'est pas impossible de se passer de pilotes dans le canal de Suez
Le 13 septembre 1956, l'amiral René Emile Godfroy écrivait dans «Le Monde» :
«A propos du canal de Suez on a dit, et l'on dit encore, par ignorance, beaucoup de bêtises sur les pilotes. N'écrit-on pas couramment que, pour assurer l'usage du canal, Nasser chercherait à recruter, ici ou là dans l'univers des «pilotes» ?
Pourquoi des «pilotes» ? Croit-on vraiment qu'un pilote d'un port quelconque serait plus qualifié pour pratiquer sur le canal de Suez qu'un marin venant de n'importe où ailleurs?
En réalité, les pilotes de Suez pourraient être remplacés par quiconque sait comment on gouverne un navire, donc par n'importe quel officier de marine marchande qui aurait eu le temps de s'initier aux consignes, conventions de navigation et signaux d'avertissement en usage de Port-Saïd à Suez (ce n'est pas long à apprendre).
Au surplus, personne ne connaissant mieux un navire que son commandant et ses officiers, n'importe quel commandant digne de sa fonction doit être capable, avec l'aide des cartes et documents nautiques dont il dispose d'entrer dans n'importe quel port ou franchir n'importe quel canal.
Alors pourquoi un pilote ? A quoi sert un pilote ?
Le pilote est l'homme au courant des choses locales qui peuvent changer d'un jour à l'autre sans que tous ceux qui naviguent aient eu le temps d'en être prévenus par les instructions nautiques et les avis aux navigateurs. Il est là, par commodité, pour indiquer la place que le navire doit occuper dans un port, ou bien dans le cas du canal de Suez, les limitations de vitesse prescrites pour éviter l'érosion des berges par les lames de sillage ou la signification des signaux de «voie libre ou non» hissés auprès des «gares» devant lesquelles on passe, toutes choses qu'on a bien vite fait d'apprendre.
Le commandant maître à son bord et seul responsable, le reste toujours avec ou sans pilote. S'il est vrai que beaucoup de commandants laissent prendre aux pilotes un rôle qui n'est pas le leur, en abandonnant la manœuvre d'un navire que ce pilote connaît beaucoup moins qu'eux, il n'en est pas moins vrai que – sauf peut-être pour d'immenses pétroliers qui raclent le fond et doivent tenir compte des réactions de celui-ci et des berges sous l'effet du courant, dans certaines courbes, - il n'y a pas de difficultés majeures dans la traversée du canal de Suez pour un marin digne de ce nom , même dans les rares courbes, d'ailleurs de très grands rayons et de faible importance angulaire, qu'on y rencontre».
La première traversée du canal
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Le matin du 17 novembre 1869, jour de l'inauguration, le yacht impérial l'Aigle entreprend la traversée du canal de Suez. Ferdinand de Lesseps et ses ingénieurs sont sur la passerelle. Pour eux, le succès de la traversée ne fait aucun doute. Des essais de navigation avaient eu lieu deux mois auparavant et avaient été concluants.
L'Aigle est suivi par une cinquantaine de navires de toutes nationalités. Toute cette flotte arrive à Ismaïlia le 18 au matin. Elle repart le 19 pour mouiller en rade de Suez le 20. Le 21, elle appareille pour regagner Port-Saïd, où elle arrive le 22 novembre.
Le navire de plus fort tonnage qui ait traversé le canal lors de son ouverture a été le Peluse, navire de 1 800 tonnes des Messageries impériales, d'un tirant d'eau de 4,90 m et d'une longueur de 76 mètres. Plusieurs navires se sont ensablés, mais tous ont pu se remettre à flot avec un faible retard.
Les rapports de l'époque signalent, sans donner de détails, la présence de pilotes à bord le jour de l'inauguration. Comment naquit cette spécialité ?
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Les premiers pilotes
En 1856, au moment où l'on étudiait les caractéristiques à donner au canal, les navires destinés à le franchir devaient être des voiliers dont le passage serait réalisé par le touage ou le remorquage. L'apparition des premiers vapeurs changea l'aspect du problème. Un bâtiment à vapeur pourrait-il progresser seul dans le canal ?
Les officiers professeurs du
Borda, consultés dès 1863, avaient émis l'avis qu'un bâtiment à vapeur ne pourrait gouverner dans le canal et s'échouerait très souvent. Cet avis avait incité les dirigeants de la Compagnie à croire que la solution serait dans le remorquage de tous les navires transitant.
En 1866, la compagnie du canal inaugure un service de transport de marchandises avec des chalands tirés par de petits remorqueurs de 30 CV. Au fur et à mesure des travaux d'approfondissement du canal, un personnel marin se forme, les capitaines et patrons de ces navires deviennent familiers du parcours et de sa configuration sous-marine. Interrogés par les ingénieurs de la compagnie sur les difficultés de gouverne dans le canal, ceux-ci estiment que les bâtiments à vapeur plus grands pourraient transiter seuls sans avoir à être remorqués.
En 1869, il est décidé que, de toutes façons on mettrait à bord de chaque vapeur un pilote, ce dernier conseillant le commandant. Ils seraient recrutés parmi ceux qui avaient déjà la pratique du canal, c'est-à-dire les patrons des petits remorqueurs et des dragues les plus habiles. Seraient-ils capables de diriger ces grands bâtiments à vapeur dont on escomptait la venue et pour lesquels les avis étaient si partagés.
Le canal fut divisé en trois zones de pilotage, de façon à éviter de trop grandes fatigues à ces pilotes et leur permettre de connaître à fond un secteur. Il serait fait appel, par la suite, à des officiers ayant déjà manœuvré de grands bâtiments en pleine mer, c'est-à-dire principalement à des capitaines au long cours.
Ceci explique que les premiers pilotes du canal, choisis parmi le personnel marin déjà en place, furent des Italiens, des Austro-Hongrois, des Grecs et quelques Français, surtout des Corses. Leur effectif devait être de trente-cinq au moment de l'ouverture du canal.
Le règlement de navigation sur le canal
Le premier règlement de navigation sur le canal date du 17 août 1869. Il subira de nombreuses modifications par la suite.
Le tirant d'eau maximum autorisé est de 7,50 mètres. Les navires à vapeur peuvent naviguer avec leurs propres machines, les navires à voile de plus de 50 t doivent se faire remorquer. La vitesse de transit est de 10 km à l'heure. La navigation n'a lieu que de jour, les navires devront s'amarrer pour la nuit dans des gares échelonnées le long du canal. Ces gares, au nombre de dix, sont des encoches pratiquées dans la berge, de 300 m de long et 5 m de large.
Tout navire qui a terminé ses mouvements de marchandises et les formalités administratives peut s'engager aussitôt dans le canal. Les croisements de deux navires venant à contre-bord étant donc inévitables, la règle prévoit que celui qui se trouve le plus près d'une gare s'y arrête. Les liaisons entre gare se font par téléphone.
Le pilotage est obligatoire pour tous les navires en transit de plus de 100 t, mais le capitaine du navire reste toujours responsable de la marche et des manœuvres, le pilote ne donnant que des conseils pour la manœuvre du navire.
Cet article du règlement, relatif à la responsabilité du commandant n'a jamais été modifié et a toujours été aussi formel : «Le capitaine reste responsable de la marche de son navire, le pilote mettant à sa disposition son expérience et sa pratique du canal».
La première année de pilotage
La première année d'exploitation ne vit que 486 navires dont le transit ne fut pas sans histoire. 157 s'échouèrent au cours de leur traversée et la durée moyenne d'un échouage était de quinze heures.
Les pilotes débutant doivent faire leur apprentissage dans des conditions difficiles. Le tonnage moyen des navires est déjà de 1 500 t, et l'on voit passer dès cette première année des navires de plus de 100 m de long, de 13,50 m de largeur et de 4 000 t de jauge.
La grosse difficulté de pilotage, commune à tous ces navires, réside dans le manque de souplesse de la machine et de la barre à bras. Pour mettre celle-ci en action, trois ou quatre hommes sont nécessaires sur certains bâtiments. Toute embardée est extrêmement difficile à arrêter.
Quand un navire s'échoue, et ne peut se déséchouer par ses propres moyens, il faut prévenir la gare la plus proche, qui alerte à son tour par télégraphe une agence. Les remorqueurs arrivent et commencent leurs manœuvres.
La durée du transit variait selon les arrêts obligatoires ou accidentels. Pour cette première année, elle est en moyenne de quarante-huit heures.
Malgré le pourcentage élevé d'échouages, évalué à 32 %, il ne faut pas oublier que cette première année était une année d'apprentissage pour tous et que l'expérience de ces douze mois allait commencer à porter ses fruits.
Malgré la réticence de certains commandants des Messageries Maritimes à demander conseils à des pilotes dont les titres leur semblent insuffisants, et qui s'estiment capables de conduire eux-mêmes leur navire, la Compagnie fit confiance à ses pilotes.
L'année suivante, le pourcentage des échouages tombe à 19 % et leur durée moyenne à dix heures. Le séjour moyen dans le canal est réduit à 42 heures.
La période héroïque n'est pas encore terminée, mais le corps des pilotes était né.
A Port-Saïd, sept pilotes sont affectés aux entrées et sorties de bâtiments : ce furent les pilotes de rade. Les autres, dits pilotes du canal, constituent la brigade de Port-Saïd, la brigade d'Ismaïlia et la brigade de Suez. Les pilotes de la brigade de Suez assurent, dès ce moment la relève des convois venant de Port-Saïd ou de Suez.
Les particularités de la navigation dans le canal
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En quoi les conditions de navigation dans le canal diffèrent-elles des conditions de navigation à la mer ?
En mer le navire compense les effets du vent, de la houle et des courants en agissant sur sa route et sa vitesse par l'entremise de la barre et des machines. Dans le canal, le problème de la gouverne, c'est-à-dire les moyens de maintenir le navire entre deux bouées assez rapprochées, devient capital, étant donné qu'une embardée qui ne peut être arrêtée aboutit à un échouage ou une collision avec un autre bâtiment. En 1869, les particularités de cette navigation sont pratiquement inconnues.
Quelles que soient les raisons d'une embardée, le pilote n'avait, et n'a toujours eu, pour l'arrêter que l'action sur la barre et les machines. La manœuvre rapide de la barre a donc toujours été primordiale. Or, en 1869, la presque totalité des navires en transit gouvernent à la barre à bras, lente et fatigante à manœuvrer. Alors qu'à la mer, il suffit de deux hommes, sur le canal il en faut beaucoup plus. Au moment où le pilote donne un ordre pour corriger une embardée, il faut compter un temps mort de plusieurs secondes avant que l'évolution ne s'amorce.
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Ceci explique le nombre considérable d'échouages des deux premières années. L'invention du servo-moteur apporta une amélioration considérable dans la gouverne.
La tâche des pilotes de la compagnie n'est dons pas des plus faciles. «Ils doivent tout d'abord reconnaître à quel navire ils ont à faire et comment ils doivent le conduire. Il leur faut posséder, outre une connaissance approfondie des différentes régions du canal, des qualités sérieuses de calme, de sang-froid et de coup d'œil, et un rapide esprit de décision».
D'après la statistique des accidents «en 1905, le nombre des échouages et accidents de navigation dans le canal a été de trente-cinq, ce qui donne une proportion de 0,58 %».
Les phénomènes hydrauliques de la navigation sur le canal
Que se passe-t-il dans la masse d'eau du canal quand un navire progresse dans une ligne droite ou dans une courbe et quand il fait certaines manœuvres spéciales au canal ?
Le bâtiment avançant est semblable à un piston et est obligé de «creuser sa place». La masse liquide d'eau repoussée par le navire ne pourra s'épanouir librement comme en pleine mer. Lorsque le navire se déplace parallèlement à la berge et à proximité de celle-ci, son avant est soumis à une force de répulsion (effet de coussin) et son arrière à une force d'attraction vers la berge (effet de succion), du fait que l'écoulement entre sa carène et cette berge se trouve ralenti à l'avant et accéléré à l'arrière. Il en résulte un moment tendant à écarter l'avant et rapprocher l'arrière de la berge, et le navire ne peut maintenir sa route qu'avec un certain angle de barre du côté de cette berge.
Dans un canal, les deux berges font naître des forces de même nature mais antagonistes, et donc qui se neutralisent si le navire est exactement dans l'axe.
Mais tout écart de position par rapport à cet axe créé un déséquilibre qui ira en s'accroissant à mesure que l'écart augmente, de sorte que la position du navire dans l'axe est instable, et l'instabilité s'accroît rapidement lorsque la largeur du canal diminue.
Au fur et à mesure que le navire avance dans le chenal, on constate un abaissement du plan d'eau sur les berges. L'eau qui les borde se met en mouvement et s'écoule vers le milieu du canal, les découvrant sur une certaine hauteur. Aux environs de 10 km à l'heure, vitesse maximum fixée à l'époque par la Compagnie, le mouvement de l'eau dans la dépression autour du navire était assez rapide et assez important pour qu'on ait l'impression de voir les bords du canal se vider, et celui-ci se rétrécir sensiblement.
En même temps que cet abaissement du plan d'eau, le navire s'enfonce avec le phénomène du squat, qui est la résultante de l'abaissement du niveau de l'eau, de l'enfoncement du navire et de son changement d'assiette. Cet enfoncement est plus fort à l'arrière, dès que le navire est en marche. Les premières mesures effectuées par les ingénieurs de la Compagnie devaient montrer que cet enfoncement pouvait atteindre de 0,50 m à 1 mètre, suivant la vitesse du navire.
Dans la pratique, la navigation dans les parties droites est relativement simple. Il suffit de rester dans l'axe du canal pour que les effets de berges soient symétriques et égaux, et de faibles angles de barre (5 à 10°) seront normalement suffisants pour gouverner. Il est d'ailleurs assez facile de regagner l'axe si pour une raison quelconque (effet du vent par exemple) on l'a quitté : sous l'effet de la vague d'étrave, l'avant étant repoussé vers le milieu du canal, le navire prendra une embardée que l'on contrôlera en mettant de la barre vers la berge près de laquelle se trouve le navire, ce qui aura pour effet d'éloigner aussi l'arrière de la berge. Il faudra pour contrôler cette embardée d'autant plus de barre que l'on est plus près de la rive. Il arrive un moment où les effets de berges sont supérieurs à ceux du gouvernail, et le navire est alors incontrôlable.
A l'approche d'une courbe le pilote pourra au contraire quitter volontairement l'axe pour se rapprocher de la berge extérieure. Les actions combinées de la vague d'étrave et de la succion de l'hélice tendent à tourner le navire dans la bonne direction, la barre utilisée généralement dans ce cas vers la berge et avec de petits angles servant seulement à contrôler l'abattée. Si le navire était au contraire plus près de la berge intérieure, les effets de berge auraient tendance à le faire tourner dans le sens opposé à celui de la courbe à prendre, et il faudrait alors utiliser de grands angles de barre, voire toute la barre pour négocier la courbe.
Une des manœuvres les plus délicates est le croisement des navires. Le canal étant du type à voie unique, deux navires venant en sens inverse doivent se croiser dans la largeur du canal. L'un d'eux se gare pour laisser le maximum de passage libre à l'autre. Le navire amarré va être soumis aux effets suivants. Tout d'abord, lorsque l'avant du navire en route arrive à sa hauteur, la compression de l'eau repousse son avant vers la berge, et cette poussée se maintiendra jusqu'au moment où il atteindra son milieu. A partir de cet instant, c'est l'arrière qui sera poussé vers la berge.
En même temps, la masse liquide mise en mouvement par le navire en route, qui s'écoule en sens inverse de sa marche, entraînera le navire amarré et le fera aller de l'avant.
Lorsque le navire en route aura dépassé l'arrière du navire amarré, celui-ci est au contraire attiré par la dépression qu'il aura produite. Le mouvement en avant s'arrête et est remplacé par un mouvement en arrière. Tout se passe comme si le navire amarré essayait alors de suivre le navire qui le croise.
Cette action, même avec la vitesse réduite imposée au navire en route, entraînerait normalement la rupture des amarres du navire garé, si l'on ne prenait soin de les mollir. La pratique courante consiste, en même temps que l'on mollit les aussières, à mettre la machine en arrière ou en avant à une vitesse suffisante pour empêcher le navire garé de prendre de l'erre, c'est-à-dire de se déplacer en avant ou en arrière.
Les phénomènes hydrauliques qui se produisent lors du passage d'un navire, que ce soit le contre-courant, l'abaissement du plan d'eau, l'enfoncement, ont une cause unique : le fait que le navire se déplace dans une cuvette étroite avec peu d'eau sous la quille et peu d'eau également sur les côtés. L'hélice et gouvernail placés à peu de distance travailleront dans de mauvaises conditions.
Le pilotage dans un canal étroit nécessite, outre la connaissance de la manœuvre des navires, la connaissance de ces phénomènes hydrauliques particuliers, qui donnent au pilotage du canal son caractère spécial.
Les pilotes jusqu'en 1914
De 1870 à 1880, la moyenne annuelle des traversées passe de 950 à 1 540, et le tonnage brut des navires croît de 1 700 à 2 100 t.
Dans le même temps, l'effectif des pilotes reste inchangé, trente-deux dont onze à Port-Saïd, onze à Ismaïlia et dix à Suez.
En 1881, l'effectif des pilotes s'avère insuffisant, non seulement du fait de l'augmentation des navires mais aussi en raison des dispositions quarantenaires imposées par le Conseil sanitaire d'Egypte qui immobilisaient des pilotes pendant plusieurs journées. Chaque fois qu'un pilote venant du sud était mis en quarantaine, le pilote qui avait fait le transit devait purger lui-même une quarantaine de sept jours à Port-Saïd.
Devant les embouteillages provoqués par une telle situation, Ferdinand de Lesseps décide le 2 mars 1882 d'augmenter l'effectif des pilotes du canal. En 1884, le tableau d'effectif des pilotes mentionne 97 pilotes dont 17 sont affectés à la rade de Port-Saïd, et 80 au canal. Parmi ceux-ci, 18 Français, 23 Italiens, 17 Austro-Hongrois, et pour la première fois 6 Anglais et 4 Maltais. 78 % des pilotes sont d'origine méditerranéenne. L'ensemble faisait un milieu assez coloré. Un état établi en 1883 donnait les langues parlées par les pilotes ; on y mentionnait le français, l'anglais, l'italien le slave, le serbe, le russe, l'espagnol, le portugais, le turc.
A partir de 1900, la compagnie instaure une politique de recrutement des pilotes qui tient compte de l'importance des pavillons représentés dans le trafic. Les Anglais voient leur effectif passer de 10 à 22 à la veille de la première guerre mondiale. Les pilotes français passent de de 16 à 25. Un Américain est recruté en 1904. Les pilotes allemands font leur apparition la même année, ils seront 6 en 1914.
Jusqu'en 1914, l'effectif des pilotes se maintient entre 95 et 100.
Les pilotes de rade, en majorité Grecs, habitent Port-Saïd, les pilotes du canal sont répartis dans les trois agences de Port-Saïd, de Suez et d'Ismaïlia qui est un lieu d'existence très agréable.
Un problème important se posait pour les pilotes quand ils avaient terminé leur pilotage, aucun moyen de locomotion terrestre n'existait. Les mouvements de rapatriement des pilotes se faisaient par les canots à vapeur de la compagnie. En 1891, un tramway à vapeur relie Ismaïlia à Port-Saïd, il sera remplacé en 1902 par une ligne de chemin de fer.
Le 1er mars 1887, une amélioration considérable se produit dans le pilotage : les navires peuvent transiter de nuit, après avoir embarqué un projecteur électrique placé à l'avant du navire. Le séjour dans le canal passe de 24 heures en 1890 à 18 heures 30 en 1900.
Dans le même temps le canal n'est évidemment pas demeuré à ses dimensions de 1870. L'élargissement à 37 m au plafond et l'approfondissement à 8,50 m sont terminés en 1898. L'élargissement de tout le canal permet le croisement à n'importe quel endroit. Il améliore le pilotage puisque la section mouillée est plus grande et les effets de berge sont moins sensibles.
Le canal jusqu'en 1939 et la deuxième guerre mondiale
Au moment de la déclaration de guerre, l'Egypte avait demandé aux Anglais d'assurer la défense de l'Egypte et du canal. En octobre 1914, devant des menaces d'attentat suscitées par des Allemands, les sujets allemands et austro-hongrois résidant en Egypte sont arrêtés. Parmi eux les six pilotes allemands et les douze pilotes austro-hongrois de la Compagnie. Tous les autres pilotes sont mobilisés sur place.
Le trafic diminue sensiblement en 1917 et 1918, et reprend en 1919. Aussi conserve-t-on le même nombre de pilotes, soit une centaine, jusqu'en 1929, date à laquelle l'augmentation du trafic oblige la Compagnie à porter l'effectif à 120, dont un pourcentage élevé de pilotes britanniques (en 1930 on note 45 pilotes anglais, 35 français et 45 de nationalités diverses dont un pilote allemand). Cet effectif se maintiendra jusqu'à la déclaration de guerre de 1939.
L'élargissement du canal à 60 m facilita le pilotage tant que les dimensions des navires restèrent les mêmes qu'avant. Les croisements dans le canal se faisaient toujours avec un navire garé au moment du passage de l'autre à contre-bord. Toutefois dans le cas de deux grands navires dont la largeur totale dépasse 46 m, le croisement dans le canal était interdit et ne pouvait avoir lieu que dans le grand lac.
Toutes ces améliorations permirent de réduire la durée du transit total des navires de 16 h 30 à 13 h, soit un gain de 3 h 30 en vingt ans, ce qui était un résultat remarquable.
Lorsque la deuxième guerre mondiale éclate, l'effectif total est alors de 111 pilotes, dont 38 Français et 40 Britanniques. Le seul pilote allemand, engagé en 1929, a disparu.
Le 17 août 1940, une grande partie des ingénieurs, des pilotes et du personnel français de la compagnie demande à rallier la France libre. En première urgence, il s'agit de réarmer les bâtiments de commerce français stationnés dans les eaux du canal. Après le départ de leur ancien personnel ayant demandé à être rapatrié en France, les équipages sont complétés par des volontaires français. Les états-majors sont prélevés sur les officiers des cadres du canal rendus disponibles par la diminution du trafic.
Sont ainsi réarmés par les pilotes, le Président Doumer, le Félix Roussel, le Cap Saint Jacques et l'Espérance.
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Le Président Doumer, transformé en transport de troupes, commandé par le pilote français Jean Mantelet, capitaine de corvette de réserve, est torpillé en 1942 alors qu'il naviguait en convoi. Fidèle aux traditions de la mer, il reste à son poste de commandement et coule avec son navire. Son nom a été donné à une pilotine de la Compagnie à Port-Saïd.
Le trafic journalier décroît rapidement et ne dépasse pas neuf navires.
La situation va être profondément modifiée à la suite de l'entrée en guerre de l'Italie, qui lance le 10 mai 1940 sa première attaque aérienne contre le canal. Le balisage lumineux est aussitôt éteint et la navigation de nuit interdite : les navires s'arrêtent à la nuit, soit dans les lacs, soit dans les encoches des km 22 et 40.
Le 30 janvier 1941, une attaque aérienne allemande a lieu contre le canal. Un des observateurs d'un avion n'est autre que l'ancien pilote allemand de la Compagnie. Les appareils survolent le secteur entre Suez et Ismaïlia et larguent dans les eaux du canal leurs bombes et 11 mines parachutées. Plusieurs navires sautent et coulent. Le 3 février toutes les mines sont relevées et la navigation est reprise.
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Cinq pilotes furent blessés, soit au cours des raids, soit lors du naufrage des navires coulés.
Le recrutement des pilotes et les améliorations du canal de 1945 à 1956
Les hostilités terminées, les pilotes qui avaient rejoint les Forces Alliées ont repris leur service. Seuls les pilotes italiens et le pilote allemand n'ont pas regagné le canal.
Au 1er janvier 1945, l'effectif se monte à 100 pilotes dont 42 Britanniques et 32 Français. Après la chute du trafic pendant les années de guerre, celui-ci ne tarda pas à reprendre.
En 1945, la Compagnie, pour pallier l'augmentation du trafic et l'accroissement de la taille des navires, cherche à recruter de nouveaux pilotes. Tous les nouveaux stagiaires sont capitaines au long cours et ont en moyenne 15 ans de navigation au long cours. Beaucoup avaient commandé des navires et certains avaient des titres de guerre remarquables, ce qui permit une sélection sévère. Ils étaient tous de nationalité non-égyptienne, sauf deux. L'effectif des pilotes atteint 130 au début de 1948.
Or la Compagnie, une fois son choix fait sur des candidats pilotes, était obligée de demander au gouvernement égyptien un visa de séjour. Elle était néanmoins prête à accepter des pilotes égyptiens à condition que ceux-ci satisfassent aux conditions générales demandées.
Devant la lenteur et les difficultés des pourparlers au sujet des pilotes non-égyptiens, la Compagnie fut amenée à signer le 7 mars 1949 une Convention qui l'obligeait à engager en priorité 20 pilotes égyptiens. Il fut toutefois impossible de trouver des Egyptiens qualifiés, et entre 1949 et 1953, pour 45 pilotes non-égyptiens engagés, la compagnie ne put prendre que 10 pilotes égyptiens.
A la fin de 1955, le trafic journalier atteint 41 navires, les pilotes ne sont plus assez nombreux. Le recrutement des pilotes égyptiens était pratiquement arrêté, le ralentissement des pilotes non-égyptiens se faisait également sentir. Un Gentlemen's Agreement conclu le 3 mars 1956 permit d'engager alors 26 pilotes étrangers pour 32 Egyptiens.
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Le principe des convois de navires est adopté en mai 1948, aboutissant au système de deux convois journaliers, s'engageant à Port-Saïd et à Suez, se croisant dans les grands lacs et vers Kantara. Pour pallier les difficultés liées au problème de croisement notamment à Kantara, le principe d'une dérivation ou «branche Est» du canal est retenue. La nouvelle dérivation, baptisée Canal Farouk, est inaugurée en 1951. Utilisée par les convois du sud, elle permit le passage de 12 000 navires, contre 4 000 trente ans auparavant.
Le système des convois a incontestablement apporté des facilités dans le pilotage en supprimant les risques très graves d'une collision lors des croisements à hauteur de Kantara.
Dans un convoi, les bâtiments marchent les uns derrière les autres à une certaine distance. Cette distance doit être telle que chaque navire du convoi, dans le cas où son matelot d'avant se trouve brusquement immobilisé par suite d'échouage sur la berge, puisse lui-même ralentir et casser son erre avant d'arriver au contact de celui-ci.
Le navire étant à sa vitesse de transit, tout ralentissement brutal entraîne une déstabilisation de son cap, du fait que le système des vagues important qui l'accompagne rattrape celui-ci par l'arrière.
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Il s'ensuit une diminution de l'efficacité du gouvernail et, pour le pilote, une grande difficulté à maintenir une bonne tenue de route, de sorte que le navire au contact de la berge a une vitesse élevée.
En conséquence, pour garder le contrôle du navire, la machine ne doit pas être stoppée immédiatement, et encore moins mise en marche arrière, mais sa vitesse doit être réduite de façon très progressive. Au-dessous de 9 à 8 km/h, la machine peut être stoppée. Toutefois, pendant cette dernière phase, le navire étant très peu manœuvrant, il est nécessaire d'employer de grands angles de barre et de relancer la machine en avant dans de brefs intervalles par à-coups pour profiter de l'effet de «coup de fouet» sur le gouvernail.
Enfin à 4 km/h, le navire échappe à tout contrôle et la machine est mise en «arrière toute» pour assurer l'arrêt, le navire approchant une berge en position plus ou moins oblique.
Les intervalles entre navires en convoi ont été définis en 1948 par la Compagnie du canal. Des tableaux d'affichage placés tous les 10 kilomètres informent le pilote de l'heure à laquelle est passé en ce point le navire qui le précède immédiatement. Il peut ainsi augmenter ou diminuer l'allure en conséquence.
La distance et l'intervalle de temps varient de 1 km et 5 mn pour deux navires ordinaires, de 2 km et 10 mn pour un navire ordinaire et un pétrolier de moins de 14 000 t, et de 3,5 km et 16 mn pour un navire ordinaire et un pétrolier chargé de plus de 14 000 t.
Le système des convois sous-entend l'application d'un horaire minutieusement suivi pour être rentable. Le croisement dans les dérivations doit s'accomplir de façon que le dernier navire entrant dans la dérivation ait dégagé le canal lorsque le premier navire de l'autre convoi sort, lui, de l'autre branche de la dérivation. L'appareillage de Port-Saïd ou de Suez doit donc se faire entre des heures limites.
La nationalisation de la Compagnie du Canal de Suez et sa répercussion sur le pilotage
En réponse au retrait par les Etats-Unis de l'offre de lancement du haut barrage d'Assouan, le président Nasser annonce de façon spectaculaire, le 26 juillet 1956, son intention de nationaliser la Compagnie universelle du canal maritime de Suez.
Ce matin-là, la police et l'armée s'emparent sans coup férir des locaux de la Compagnie et occupent toutes les positions-clés le long du canal, à Ismaïlia, à Port-Saïd et à Port-Tewfik. L'Egypte se place ainsi dans une position stratégique des plus favorables. Elle possède un atout maître : la possession d'une voie d'eau qui n'a pas d'équivalent. Pour autant, le gouvernement égyptien se trouve placé devant une inconnue : réussira-t-il à assurer le trafic par le canal, trafic réputé si délicat, et garder à leur poste les employés de la Compagnie, et en particulier les pilotes ?
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De son côté, la Compagnie jouit dès sa naissance d'un statut exceptionnel. Enregistrée comme société égyptienne, elle dispose d'un siège social à Paris, d'un conseil d'administration composé en majeure partie de Français et d'Anglais et d'un capital réparti entre des actionnaires en majorité français et anglais. Le personnel qualifié est composé de 525 européens sur un total de 910. Sur 167 pilotes, 38 seulement sont de nationalité égyptienne. Elle se considère comme « internationale » dans la mesure où elle assure la libre circulation sur le canal de Suez. Mais elle n'en pas néanmoins le canal qui appartient à l'Egypte. L'acte de nationalisation frappe la seule société et non le canal.
Une fois nationalisée, la Compagnie essaie par tous les moyens d'être rétablie dans ses droits. Mais son espoir d'être soutenue par les gouvernements intéressés par la libre navigation sur le canal, et en particulier les gouvernements anglais et français, va très vite se réduire à néant. Lors de la Conférence de Londres en août 1956, les gouvernements occidentaux décident d'abandonner la Compagnie à son sort.
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Privée d'appui, la Compagnie va en être réduite à des combats d'arrière-garde, comme celui d'intimer à son personnel au lendemain de la nationalisation l'ordre de cesser le travail. Un retrait des pilotes anglais et français à ce moment aurait eu un effet certain.
Pareille objurgation n'était d'ailleurs pas sans danger dans la mesure où le président Nasser avait interdit au personnel de déserter son poste sous peine d'emprisonnement. Mais cette mesure sera déconseillée par les gouvernements français et anglais pour ne pas gêner l'approvisionnement de l'Europe en pétrole.
Les gouvernements français et anglais autorisent pourtant la Compagnie à recourir à cette mesure le 11 septembre, lorsqu'ils se rendent compte que toutes les chances d'amener le président Nasser à «lâcher sa proie» sont nulles et qu'un prétexte devient nécessaire pour lancer l'expédition punitive qu'ils sont en train de préparer. Or quel meilleur prétexte peut se présenter que l'impossibilité du gouvernement égyptien d'assurer la libre circulation à travers le canal ?
Le président Nasser ne met aucune opposition au départ des 133 pilotes, qui répondirent aux ordres de l'ancienne compagnie : tous les pilotes anglais, français, belges et danois quittèrent l'Egypte par avion le 15 septembre, suivis de 7 norvégiens sur 12 et de 12 hollandais sur 14.
Malheureusement, cette mesure, qui aurait eu un effet spectaculaire quelques heures après la nationalisation, n'en aura plus aucun six semaines plus tard. Pendant ce laps de temps, le président Nasser s'est efforcé par tous les moyens d'attirer des pilotes étrangers en Egypte et a fait procéder à la formation accélérée de pilotes égyptiens : 47 d'entre eux sont envoyés à l'Ecole de pilotage de la Compagnie entre le 26 juillet et le 15 septembre. A l'appel du gouvernement égyptien (des petites annonces sont même insérées dans le New York Times) 15 pilotes soviétiques, 4 Yougoslaves et un Allemand de l'Est arrivent en Egypte dès le début septembre. Entre le 15 septembre et le 9 octobre, 15 Soviétiques, 11 Polonais et 5 Allemands de l'Est arrivent encore, suivis de 6 Américains le 26 septembre. Ils prennent la place des pilotes de l'ancienne compagnie qui, en masse avaient quitté leur travail à partir du 15 septembre.
Après le départ des pilotes européens, le bruit a couru que les Egyptiens ne pourraient pas faire passer les navires dans le canal. Malgré un effectif réduit, les pilotes égyptiens, leur amour-propre aidant, mirent tout en œuvre pour réussir à assurer un trafic sans encombre. Rien ne fut modifié dans l'organisation du système des convois, qui restèrent fixés à trois, deux du nord et un du sud, si ce n'est qu'un seul pilote faisait tout le transit, au lieu de piloter sur un demi parcours comme avant, ce qui représentait de douze à quinze heures de passerelle.
Entre le 15 septembre et le 1er novembre 1956, date de l'arrêt des convois et du sabordage du canal après l'agression de la France, de la Grande-Bretagne et d'Israël, dite «guerre de Suez», le recrutement des pilotes s'est poursuivi.
Après la réouverture du canal à la navigation le 10 avril 1957, le pilotage est dès lors assuré de façon normale. Durant la période de fermeture du canal, l'organisme de gestion a eu le temps de former de nouveaux pilotes. De toutes façons, les pilotes égyptiens formés par la Compagnie constituent l'ossature du nouveau corps des pilotes, et assurent à l'organisme de gestion une marge de sécurité suffisante.
Pendant la guerre de Suez, le canal a été fermé pendant une courte période. A partir de juin 1967, la fermeture de la voie d'eau est beaucoup plus longue. Elle va durer huit années. C'est d'abord la «guerre des six jours», suivie en 1973 par la «guerre du Kippour».
Le 5 juin 1975, le canal est enfin officiellement rouvert, mais de façon limitée. Les travaux de modernisation du canal sont repris en 1978 après les accords dits de «Camp David».
Un agrandissement du canal destiné à maintenir sa compétitivité
Pour renforcer l'attractivité du canal et rappeler des trafics évaporés sur des navires à fort tirant d'eau, les autorités égyptiennes décident en 2014 de créer une nouvelle voie d'eau creusée sur 35 km (entre les PK 60 et 95) et à l'approfondissement/élargissement sur 37 km des zones de croisement du Grand lac Amer et du by-pass d'El-Ballâh.
Il devrait en résulter une réduction de 18 à 11 heures du temps de traversée, et de 11 à 3 heures du temps d'attente des convois Nord-Sud, du fait de la suppression des arrêts intermédiaires inévitables pour laisser passer le convoi Sud-Nord. L'élargissement du canal y autorisera une navigation croisée et non plus alternée, grâce au dédoublement du canal à l'est, sur la section allant du PK 50 au PK 122, soit sur 122 km.
Les conditions de transit sur le canal
Le transit des navires est désormais direct et se fait en convois alternés (Nord-Sud, et Sud-Nord), au rythme de deux convois vers le Sud (southbound) et d'un convoi vers le Nord (northbound) par jour. Les heures de départ de Port-Saïd et de Suez sont fixées par le règlement de l'Autorité du Canal de Suez ainsi que l'ordre de la formation des convois, en fonction de la taille et du chargement des navires.
La présence à bord d'un ou de plusieurs pilotes est obligatoire pour tous les navires en transit dans le Canal. Chaque navire embarque successivement au moins quatre pilotes : le premier pour le chenal d'accès Nord au Canal, le second entre Port-Saïd et Ismaïlia, le troisième d'Ismaïlia à Suez et le dernier pour le chenal d'accès Sud. Le premier et le dernier pilote sont des pilotes de port qui ne font pas partie de la société du canal.
La présence d'un deuxième pilote est obligatoire pour les navires de plus de 80 000 tonnes (Suez Canal gross tonnage), les porte-conteneurs de 4e génération, les porte-conteneurs de 3e génération de plus de 60 000 tonnes et les navires de TE de 53 pieds et plus.
Le capitaine (ou son second) doit être présent sur la passerelle pendant toute la durée de la traversée du canal. Il doit informer le pilote de toute particularité de son navire de façon à ce que le pilote puisse en tenir compte pour donner ses conseils de manœuvres. Le rôle des pilotes est seulement de donner des conseils de navigation aux capitaines. Ils mettent à la disposition du capitaine leur expérience et leur connaissance pratique du Canal, mais comme ils ne peuvent connaître les défauts ou difficultés de la manœuvre de chaque navire, la responsabilité en incombe entièrement au capitaine. Ils n'ont, par contre, aucune responsabilité en cas de dommages ou d'accidents résultant d'un accident de navigation.
Les ordres de manœuvre sont donnés au capitaine qui est seul responsable du navire. Le capitaine prend en compte les indications données par le pilote pour donner les ordres de barre ou de machine. Dans certains cas, pour faciliter la rapidité des manœuvres, le capitaine peut, sous sa responsabilité, laisser le pilote donner lui-même ces ordres.
Les pilotes doivent aussi s'assurer qu'est respecté l'ordre des navires qui a été fixé pour le convoi et qu'il passe en temps et en heure au niveau des différents sémaphores (ou stations) installés le long du canal.
Tous les pilotes du canal sont égyptiens (en plus de leurs effets personnels, le sac à dos de certains d'entre eux contient un tapis de prière qu'ils déroulent à la passerelle lorsqu'un muezzin lance l'appel à la prière d'un des innombrables minarets situés au bord du canal).
Une cabine est mise à leur disposition lors du mouillage dans les Lacs Amers ou de l'amarrage le long des berges du canal.
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La présence à bord de plusieurs lamaneurs (trois à six suivant la taille du navire) et de leurs canots, appartenant à la Suez Canal Mooring Co, et d'un ou deux électriciens est obligatoire pour tous les navires en transit dans le Canal. Une, voire deux cabines dites «cabines de Suez» leur sont systématiquement réservées.
Les canots des lamaneurs restent pendus contre la muraille du navire durant tout le temps du transit, prêts à être affalés s'il y a nécessité d'envoyer les amarres à terre. Si les lamaneurs n'ont pas à intervenir, ils peuvent toujours vendre à bord quelques «souvenirs pour touristes», tels papyrus «authentiquement faux», vraies fausses montres Rollex, tee-shirts etc.
Par ailleurs, en plus d'un certain nombre d'aussières aux caractéristiques imposées par le règlement du Canal, chaque navire doit être équipé d'un projecteur capable d'éclairer l'axe du canal sur 1 800 m à l'avant du navire. Les projecteurs latéraux doivent également être allumés pour éclairer les berges du canal et lors du mouillage.
En guise de conclusion
Le jeudi 30 août 1956, le journal suisse «l'Impartial», paraissant à la Chaux-de-Fonds, faisait paraître à l'occasion de la nationalisation du canal de Suez l'article suivant intitulé :
Sans les pilotes expérimentés de la Compagnie, le Canal de Suez verrait son trafic interrompu.
«Le pilote qui prend en charge le navire à l'entrée du Canal a une écrasante responsabilité. Il ne peut relâcher son attention un seul instant, il doit «sentir» le bâtiment qu'il a pris en charge, prévoir la tendance du navire à se désaxer et agir en conséquence. La route ne doit pas varier de plus d'un degré dans la partie droite, sinon le navire qui, à 14 km à l'heure parcourt 230 m en une minute, toucherait la berge.
Si les incidents sont rares sur le Canal de Suez malgré les difficultés de la navigation, c'est bien grâce aux prouesses chaque jour renouvelées des pilotes.»
Malgré les assertions de l'ancienne Compagnie du canal sur l'incapacité des pilotes égyptiens d'assurer le transit des navires, la bataille des pilotes a été gagnée par l'Egypte. Le 16 septembre, 42 navires franchissaient le canal ce jour-là, preuve que les conditions de navigation à travers le canal n'exigeaient pas des aptitudes ni des connaissances exceptionnelles.
Références
Le canal de Suez, les dimensions d'une voie de passage stratégique, étude publiée en 2018 par Marie Christine Doceul et Sylviane Tabarly
Pilotes de Suez, commandant Parfond, éditions France-Empire, 1957
Le nouveau Canal de Suez, commandant Jean-Marie Pujo, Le Long Courrier, bulletin n° 115, décembre 2015
L'Egypte et la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, revue française de science politique, article de Nicole Deney, 1967
Shallow Water and Bank Effects, Port Revel Shiphandling
Rules of navigation, Suez canal Authoritty, Arab Republic of Egypt, documentation commandant Hubert Ardillon
La fabuleuse histoire du Canal de Suez, article René TYL, Afcan Informations n°128, décembre 2020
Note : L'amiral Godfroy est célèbre pour avoir commandé en juin 1940 la force X mouillée à Alexandrie. Recevant un ultimatum, il négocie avec l'amiral britannique Cunimgham l'internement pacifique de son escadre, conduisant à l'accord du 7 juillet.
René TYL
membre de l'AFCAN
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