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Peur réelle ou accusation gratuite ?


      Depuis quelques temps il me semble assister de plus en plus à un phénomène, certes pas nouveau, mais plus que raisonnablement amplifié : l'accusation sous toutes ses formes des navires dès qu'un incident (ou non) survient dans un port.
      Être sur un navire, en être le commandant n'a jamais été facile, mais le temps et les événements récents de pollution et d'accidents ont aggravé d'une manière assez significative la suspicion que les gens des ports entretiennent vis-à-vis des navires.
      Quelques exemples, mais je suis sûr que mes collègues en auraient encore plus à raconter, montreront que ce sont toujours les bords qui sont accusés en premier:
      Tout d'abord une traversée du canal de Suez, chose qui pourrait et devrait se passer assez "tranquillement", même en tenant compte de la réputation de "Marlboro canal" de l'endroit.
      A ma dernière traversée, un des pilotes me demande de mettre une aussière supplémentaire sur la plage arrière, 2 réglementaires ne lui suffisaient pas, il en voulait une 3ème, pour rien bien sûr, mais bon ! Pour la sortir du local barre où les aussières sont entreposées, il faut démarrer la centrale hydraulique arrière, laquelle est réfrigérée par la pompe incendie. Nous démarrons donc la pompe incendie, ce qui nous donne, ship design, une sortie à la mer à bâbord arrière largement au dessus de la flottaison. Peu de temps après le remorqueur qui nous suit appelle le pilote et lui signale, le tout en langage local bien sûr, que nous polluons à l'arrière. Celui-ci m'en fait la remarque, nous allons vérifier d'abord sur l'aileron et là je lui fait remarquer que ce qui "pollue", c'est la pompe incendie qui prend l'eau du canal pour la rejeter dans le canal, et qu'à priori il n'y a aucune trace de gras sur l'eau. Mais il nous a fallu quand même stopper la pompe incendie car le pilote avait tendance à s'énerver, et donc finir de monter notre aussière, qui évidemment n'a jamais servi, avec une hydraulique arrière sans réfrigération, au risque d'endommager le système.
      Deuxième exemple : Manœuvre d'amarrage à Kharg Island - Iran - dans le fond du golfe persique où comme chacun le sait les eaux sont pures.
      Pendant la manœuvre le remorqueur arrière signale au pilote que le navire est tranquillement en train de vidanger sa cale machine à la mer. Le pilote me le signale et me demande en premier de tout stopper dans la machine. Préférant d'abord aller voir, je m'aperçois qu'effectivement une grande traînée rouge rouille flotte dans le sillage du navire et sur son côté bâbord arrière. Puis me retournant je vois la même chose vers l'avant ainsi que dans le sillage des 2 autres remorqueurs tournés à bâbord avant. J'en fais la remarque au pilote car il paraît évident que la machine ne peut refouler sa cale à l'avant du navire, mais celui-ci persiste dans sa demande de stopper tout transfert à la machine. J'obéis et demande à la machine de stopper tout transfert, ce à quoi on me répond qu'aucun transfert n'est en cours, ce qui me paraît évident. Je le signale au pilote et lui fait encore remarquer que des "boues rouges" à l'avant ne sont pas forcément un signe de pollution venant de la machine située à l'arrière d'un pétrolier de plus de 300m de long. Ma réponse ne le convainc pas cependant il considérera dans sa grande mansuétude l'affaire terminée puisque j'ai fait stopper des transferts qui n'existaient pas. Évidemment les traces n'ont pas disparu mais cela suffisait au bonheur du pilote.
      Troisième exemple : Un port de déchargement en France, navire branché on peut commencer à décharger. Le second capitaine dispose son circuit, accord de terre pour démarrer, allons-y !
      Après quelques instants, nous avons une pompe en route, pression de refoulement, pression au manifold mais "ça ne passe pas au manifold". La terre qui attend toujours son produit nous dit que rien n'arrive. On lui répond que ça arrive jusqu'au manifold puisqu'on a de la pression, que le manifold en question est ouvert et que à bord tout est disposé. La preuve que c'est bien disposé c'est que nous avons de la pression. Pendant une demi-heure le terminal nous demandera de vérifier nos circuits, temps pendant lequel on ne peut rien faire de plus. A la fin de ce temps, nous avons dit au terminal que nous allions arrêter la pompe car elle commençait à chauffer et que quelqu'un pouvait venir vérifier nos circuits. Ce n'est qu'à ce moment là que le terminal a décidé d'inspecter ses vannes, pour en trouver une qui ne s'était pas ouverte.
      Pas d'excuse bien sûr et presque une heure de perdue sur le déchargement parce qu'on a d'abord accusé le navire sans vérifier le côté terre des circuits. Pour la petite histoire, on n'a bien sûr pas changé l'heure de début de déchargement et c'est par conséquent le débit moyen du navire qui s'en est trouvé affecté, pas l'attente due au terminal.
      Quatrième exemple : Déchargement aux Antilles néerlandaises, navire branché on peut commencer le déchargement. On commence par une pompe et un manifold, après quelques temps tout semble ok, on peut augmenter et donc démarrer une 2ème pompe pour le 2ème manifold branché.
      Aussitôt le démarrage de la pompe le bras connecté à ce manifold se détache, grosse pollution sur le pont, aussi dans l'eau. On arrête bien sûr tout le déchargement, puis je vais aux manifolds me rendre compte. Arrive une personne du terminal qui commence par me dire que j'avais de la chance car on était dans l'endroit le moins strict pour la pollution dans les Caraïbes. Un peu abasourdi je lui fais remarquer que de mon côté tout a l'air clair puisque je peux prouver que le pétrole arrive bien jusqu'aux manifolds, mais qu'en revanche après mes manifolds il y a certainement quelque chose qui gêne le passage. Du coup cette personne me prend de haut et me menace de convoquer tout ce que l'île a comme représentant de l'ordre. Tout en organisant le nettoyage, j'insiste et lui signale que le déchargement ne reprendra pas tant que la situation ne sera pas vraiment éclaircie. Il aura fallu attendre plus d'une heure pour voir revenir cette personne sur l'appontement et la voir enguirlander sérieusement 2 manœuvres et leur faire ouvrir une vanne.
      Encore une fois on a d'abord accusé en premier le navire alors que la faute était à terre.

Autres choses :
      Nous chargeons un produit qui contient une haute teneur en H2S. Au port de déchargement, le terminal nous demande d'arriver sans H2S dans la partie atmosphère des citernes de cargaison. Il nous faut donc balayer au gaz inerte, et s'apercevoir dans la minute qui suit que le taux d'H2S est toujours le même puisqu'il fait partie du liquide.
      Mais on ne peut pas l'expliquer autrement que par une mauvaise volonté de la part du navire qui n'a certainement pas fait correctement ce qu'on lui demandait.

      Et combien de fois un terminal pétrolier a-t-il demandé au navire quelle était sa séquence de déchargement souhaitée (dans le cas de plusieurs produits) pour ensuite faire exactement l'inverse de ce qui était demandé. Et donc obliger le bord de vite changer son plan de déchargement (qu'un inspecteur peut vérifier à tout moment) et de bidouiller avec son ballast pour ne pas avoir d'efforts trop importants !
      Passage de Bab el Mandeb de golfe d'Aden à la mer Rouge : 4 heures avant le détroit à 3 heures dans la nuit, le navire de la marine nationale sur zone nous contacte pour le rapport habituel (position, cap, vitesse, cargaison, et autres données diverses). Le militaire demande à mon lieutenant bulgare de pouvoir parler à un officier français. Malheureusement tous les lieutenants sont bulgares et celui de quart répond qu'à cette heure les Français dorment. Qu'à cela ne tienne il lui demande d'appeler un officier français mécanicien, il doit bien y en avoir un de quart. Mais comme on est AUT, il se voit encore répondre que les mécaniciens dorment tous. Alors en désespoir il lui demande de réveiller le commandant. Ce qui fut fait. Donc contact à 3h30 en VHF en français pour m'entendre dire que le navire sur zone va me contacter en Inmarsat. Ok, j'attends. Passons sur le fait qu'une demi-heure plus tard il me rappelle sur VHF pour que je confirme mon numéro de téléphone (comme cela les éventuels pirates / terroristes de la zone connaissent même mon numéro maintenant), puis il fini par m'appeler pour me demander de le contacter à la sortie du dispositif de séparation de trafic, ce que j'ai fait vers 9hrs30. Pour information on a passé Bab el Mandeb vers 6h30, j'étais à la passerelle, réveillé et depuis un bon moment avant le détroit.
      Je ne vois pas en quoi ce message n'aurait pas pu être confié à un lieutenant bulgare!
      Encore un point: quelqu'un peut-il m'expliquer pourquoi en France avec un navire français Kerguelen les pilotes donnent-ils toujours leurs ordres en français alors que ni les lieutenants ni les barreurs ne le comprennent. De plus ils voient bien que systématiquement je traduis les ordres en anglais. Alors ?

      Tout cela pour dire qu'il est facile d'accuser les autres en premier surtout quand l'autre est un navire donc suspect de tous les maux de la terre, pardon de la mer !

      Ah que les ports seraient agréables et tranquilles s'il n'y avait pas de navires !!


Cdt H. ARDILLON
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