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Le monde maritime confronté aux bobards ("fake news")
Cas de l'Olympic Bravery et de l'Amoco Cadiz.
 

Depuis bien des décennies le monde maritime moderne est continuellement la cible de bobards, ces nouvelles infectes qui traînent dans la boue bon nombre de capitaines pris pour des boucs émissaires idéaux.
Tordons le cou à ces informations mensongères les plus diffamantes. Et plus particulièrement celles concernant les échouements de l'Olympic Bravery et de l'Amoco Cadiz. Ces fausses informations ont la vie dure et perdurent encore, plus de quarante années après !
Alors remontons le temps et rappelons tout d'abord l'odyssée du supertanker grec, l'Olympic Bravery au début de l'année 1976.
Flambant neuf, le pétrolier quitte les Chantiers de l'Atlantique de Saint-Nazaire qui l'ont construit et escale à Brest. Hélas pas d'affrètement en vue. Aristote Onassis, son armateur retarde au maximum la livraison puis décide de le désarmer dans un fjord norvégien, en attente de jours meilleurs, plus rentables.
L'Olympic Bravery appareille du port du Ponant en soirée du 23 janvier 1976 après relève d'équipage complète. Gros temps en mer d'Iroise, vent mauvais de noroît force 7 à 8 Beaufort, mer très forte à grosse. Le géant de 330 mètres de long est lège, vide de toute cargaison, mises à part 1 200 tonnes de fuel lourd nécessaires à sa propulsion. Cette dernière a des ratés en cours de route. Suite à des alarmes de niveaux bas dans les chaudières Foster-Wheeler, de nombreux black-outs se produisent. La progression du supertanker est ralentie.
Puis c'est la panne totale en s'engageant de nuit dans le dispositif de séparation du trafic tracé à seulement cinq milles nautiques de l'île d'Ouessant.

 

Vents et courants drossent rapidement l'Olympic Bravery à la côte. Et au lever du jour, quelle ne fut la stupeur du gardien du sémaphore du Créac'h, en ouvrant ses volets, de découvrir ce grand bateau blanc, comme accosté, sans gîte, au pied du grand phare ouessantin !
Un mot terrible circula aussitôt dans les médias : baraterie ! L'insinuation, l'infamie suprême pour un marin, selon lesquelles le commandant Stirios aurait, de son plein gré, sur ordre de son armateur, dirigé son navire sur les roches pour escroquer l'assurance ! Cette nouvelle infecte perdure encore, quarante-deux ans après le naufrage !...
La leçon ne fut pas retenue et le pire allait venir... Le rail d'Ouessant, si proche de la côte, ne fut pas reculé, alors que cette même année les Sud-Africains, confrontés eux aussi à de nombreuses marées noires, écartaient leur rail à douze milles du cap des Aiguilles. De plus les autorités sud-africaines mettaient en alerte permanente au Cap et à Durban, deux puissants remorqueurs de 18 000 chevaux : le John Ross et le Wolraad-Woltemade
Rien ne bougeait pour autant au large de la Bretagne, si bien que deux années plus tard, un remake de «L'Odyssée de l'Olympic Bravery» était en tournage dans la même zone, au large d'Ouessant. A pleine charge cette fois-ci, pour corser le scénario...
Il fait un temps de chien en mer d'Iroise le 16 mars 1978 : vent de noroît 8/9 Beaufort, rafales à 10, creux de 8 à 10 mètres. Coefficients de marée : 45/38, mortes-eaux. Le superpétrolier libérien, équipage italien, Amoco Cadiz aborde en matinée le dispositif de séparation de trafic d'Ouessant, en route de Kharg-Island (Iran) à destination de Rotterdam via Lyme bay (GB) pour allégement.
Le tanker tombe en panne de gouverne à la sortie du rail à 12h25. Il dérivera pendant une dizaine d'heures et, à la nuit tombée, s'éventrera sur les roches de Portsall, vomissant 227 000 tonnes de crude arabo-persique échappées de ses cuves, créant la marée noire du siècle.

 

  Il fallait bien sûr un responsable pour masquer l'extrême passivité des autorités maritimes françaises ce jour-là. Le bouc émissaire de choix était tout désigné : ce fut Hartmut Weinert, capitaine courageux du remorqueur de haute mer allemand Pacific qui tenta toute la journée de passer la remorque au pétrolier en avarie dans des conditions de mer dantesques, une fois par l'avant, elle cassa à 17h29, puis par l'arrière du navire. En vain. Le Simpson de 16 000 chevaux, du même armement, appelé de Cherbourg à la rescousse, arrivera trois heures trop tard sur les lieux du naufrage.

Une rumeur sournoise se répandit alors, lourde de conséquence : le commandant du remorqueur Pacific aurait volontairement retardé la prise de remorque à l'approche des roches ! Il aurait de plus réduit volontairement sa force de traction dans le but de faire monter les enchères et obtenir un meilleur contrat d'assistance. Bobard, l'infecte information.
Quelle infamie pour ce capitaine qui avait tout fait, avec les moyens dont il disposait, sans perdre de temps, pour éviter la catastrophe ! Tous les rapports le confirment. Dans cette situation de détresse, en pleine tempête, le contrat standard de sauvetage «Lloyd Open Form» allait de soi en la matière. Il s'imposait sans discussion d'aucune sorte : «No cure, no pay», pas de résultat, pas de paiement.!

 

Il faudra quand même attendre quinze années pour voir Hartmut Weinert innocenté définitivement de ces accusations mensongères, scandaleuses. Mais le mal était fait : les bobards se diffusèrent, s'ancrant profondément et hélas définitivement dans l'opinion. On peut encore le vérifier, quarante ans après.
Le commandant Weinert vivra d'une manière très douloureuse non seulement l'échec des tentatives de remorquage de l'Amoco Cadiz mais sera tout autant accablé par l'odieux traitement médiatique dont il fut victime.
Il n'en tint pas rancœur aux Bretons qu'il avait tant appréciés lors de nombreuses et longues stations passées dans le port de Brest, à la barre soit du Héros ou du Pacific de la renommée compagnie de remorquage de sauvetage Bugsier-Reederei und Bergungs A. G. de Hambourg.
Hartmut Weinert décéda en novembre 2013. Ses dernières volontés révélèrent une demande pour le moins surprenante : il souhaitait que ses cendres soient dispersées dans le Chenal du Four. Et plus précisément à une encablure de la balise de la Grande Vinotière, face au Conquet. Ce qui fut fait par sa fille Christina, le 1er avril 2014, embarquée pour l'occasion à bord du canot de la SNSM «Notre Dame de Rocamadour ».
Respect, capitaine ! Vous méritiez que l'on vous rende cet hommage. Puissent ces lignes rétablir la vérité, définitivement, et laver votre honneur bafoué par cette accusation ignoble de marchandage entre le remorqueur et le remorqué.
Notons que le Pacific s'était distingué le 14 octobre 1976, portant secours aux membres d'équipage du pétrolier Est-allemand Boehlen chargé de 9 000 tonnes de boscan, en perdition après avoir talonné sur la chaussée, mal pavée, de l'île de Sein puis coulé en mer d'Iroise. Il n'y eut que 7 survivants sur les 32 membres d'équipage.

Fort heureusement toutes ces catastrophes serviront enfin d'électrochocs à terre. Les bonnes mesures furent prises au large des côtes de Bretagne :
  • Construction de la tour du Stiff, surmontée à 136 mètres au-dessus du niveau de la mer (72 mètres du sol), d'un radar à longue portée permettant la surveillance du rail d'Ouessant dans sa globalité par le Cross Corsen.
  • Premier recul du rail dans la précipitation fin 78 : large de 6 milles, la voie montante du dispositif dédiée aux navires transportant des marchandises dangereuses est éloignée à 27 milles. Cette mesure paraît de bon sens mais un problème surgit : on s'aperçoit très vite que la route des superpétroliers, gaziers, chimiquiers, remontant en Manche vers le Pas-de-Calais vont couper la voie descendante de tous les navires à 60 milles dans l'ouest de Jobourg ! Ce qui constitue un risque d'abordage considérable.
    Il faudra attendre 2003 et les conseils avisés et efforts de persuasion des capitaines de l'AFCAN pour aboutir à une bonne synchronisation, cohérente, des deux dispositifs de séparation du trafic d'Ouessant et des Casquets. La voie montante d'Ouessant, tous navires confondus cette fois-ci, sera reculée à 24 milles des côtes. C'est le schéma actuel. Définitif, semble-t-il.
  • Affrètement par l'Etat français d'un puissant remorqueur des Abeilles Internationales, en station permanente à Brest, avec 205 tonnes de traction au lieu des modestes et ô combien insuffisantes 60 tonnes du Pacific. Un deuxième remorqueur occupera la station de Cherbourg. Plus tard un troisième remorqueur de sauvetage sera positionné dans le Pas-de-Calais, partagé avec les Britanniques. Un quatrième remorqueur suivra en Méditerranée, basé à Toulon.
L'Organisation Maritime Internationale (OMI) ne sera pas en reste. Des mesures de bon sens marin furent prises la décennie suivante après l'échouement du supertanker Exxon Valdez en Alaska en 1989 suite à une erreur de navigation. L'Oil Pollution Act 90 obligera les pétroliers fréquentant les eaux et ports US à avoir une double-coque. Cette mesure sera étendue par l'OMI à tous les tankers sillonnant la planète bleue.
Adoption aussi du dispositif de remorquage d'urgence sur les tankers de plus de 20 000 tonnes de port en lourd. Un bémol quand même : aucune obligation d'installation de ces smit-brackets sur les plages avant et arrière des porte-conteneurs géants ou de ces paquebots-barres d'immeuble de quinze étages ! Notons quand même que certains armements sérieux et prudents les installent à bord de leurs grands navires.
Après ce résumé non exhaustif des mesures prises on ne peut que regretter qu'il faille attendre de grandes catastrophes maritimes pour réagir efficacement. Et toujours pas de Garde-côtes européenne... Dommage !

P.S : N'oublions pas non plus de rappeler que notre association fut créée en 1979. Les capitaines français s'unirent pour la sécurité en mer.
Cdt Michel Bougeard
Membre de l'AFCAN


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