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Mer Rouge et golfe d'Aden, simples troubles ou guerre ?

Préambule : Ce qui suit est à jour au moment de l'écriture de ce document (24 février). Cependant, les choses évoluant assez rapidement et soudainement, il n'est pas exclu que le texte devienne aux yeux lecteur quelque peu obsolète.

Depuis octobre 2023, les rebelles Houthis du Yémen attaquent des navires de commerce dans le sud de la mer Rouge, et dans le golfe d'Aden.
Le 19 novembre, il y a eu un acte de piraterie envers le car carrier Galaxy Leader, - désolé pour les juristes pointilleux mais je ne vois pas d'autres mots pour désigner cet acte - suite à un envahissement du navire par des individus en armes venus par hélicoptère. Le navire a été détourné, les membres d'équipage pris en otage. Une opération réussie, surtout côté média, car l'attaque a été filmée aussi bien que si cela avait été une mise en scène pour un film d'action, très réaliste.
En réaction, CESMA, sous l'impulsion de son président, a envoyé un courrier à la Commission européenne aux Transports pour demander que le maximum soit fait afin que les équipages transitant par la mer Rouge ne soient pas confrontés à de telles exactions. De son côté, IFSMA et ICS ont fait une déclaration commune à l'OMI sur le même sujet. Ces deux textes sont parus dans le dernier numéro d'AFCAN Informations daté de décembre 2023.
Le 19 février 2024, soit trois mois après le piratage du Galaxy Leader, les 25 membres d'équipage étaient toujours retenus en otage. Un équipage composé de Bulgares, Roumains, Mexicains, Ukrainiens et 17 Philippins qui ne sont que d'innocentes victimes collatérales de ce conflit qui ne porte pas de nom. Ou comment on revient quelques années en arrière à l'époque faste des pirates somaliens.

Puis on a changé de paradigme. Assez rapidement, des navires de commerce ont été attaqués par drones et/ou par missiles. Tout d'abord, si le navire avait, de près ou de loin, un quelconque rapport avec des intérêts israéliens. Puis, rapidement, et en représailles de tirs effectués par les USA et la Grande-Bretagne vers les bases terrestres houthis, il suffit que le navire ait un rapport avec des intérêts US ou britanniques pour qu'il soit attaqué, le pavillon du navire n'ayant alors, aucune influence sur le fait de subir ou non une attaque. Depuis, et jusqu'à ce jour, il ne se passe pas deux jours sans qu'une nouvelle attaque (ou plusieurs) soit enregistrée.
Bien sûr certains Etats ont dépêché une partie de leur flotte de guerre, USA, Royaume-Uni, France et autres, sous le label de Task force européenne ou pas.
Ceci pour protéger les navires de commerce de tous pavillons faisant l'objet d'attaques.
Enfin, des réunions (de crise ?) ont permis de finaliser les zones mer Rouge et golfe d'Aden comme zones de guerre ou zones à haut risque avec certaines conditions de traitement concernant les marins transitant par ces zones. La figure ci-dessous montre comment était alors évaluées les zones dans ces régions.


En date du 22 décembre 2023

La zone hachurée noire représente la zone dite de guerre (warlike area) correspondant aux 12 milles nautiques de la côte yéménite, soit les eaux territoriales yéménites, donc sans passage excepté les navires devant faire escale dans un port yéménite. On peut aussi se poser la question des îles Hannish, font-elles ou non partie du territoire du Yémen ?
Il est également permis de se demander ce que vient faire la zone à haut risque (hachurée rouge) à l'est de Bab el Mandeb, alors que le reste du golfe d'Aden n'est même pas considéré comme zone à haut risque !

Les différences de traitement des marins :
  1. ITF Warlike Operations Area12 nm. off the mainland Yemeni coast, including all ports, excluding Recommended Security Corridor (RSC) in the Red sea
    • bonus equal to basic wage, payable for 5 days minimum + per day if longer;
    • doubled compensation for death and disability;
    • right to refuse sailing, with repatriation at company's cost and compensation equal to 2 month's basic wage;
    • Mandatory requirement to increase security arrangements equivalent to ISPS level 3.

  2. ITF High Risk AreaCommencing from the ITF Warlike Area above in the Red sea, stretching across to the Eritrea coast and down to the Bab El Mandeb strait excluding the excluding Recommended Security Corridor (RSC)
    • bonus equal to basic wage, payable for the actual duration of stay / transit;
    • doubled compensation for death and disability;
    • mandatory requirement to increase security arrangements equivalent to ISPS level 3.
La différence principale, l'autre n'étant après tout qu'une histoire de jours de double paye, c'est le droit de refuser de naviguer dans la zone de guerre, et le fait que le marin peut demander son débarquement au frais de l'armateur ou du manager du navire. D'un autre côté, je ne vois pas trop où la relève pourrait avoir lieu, sachant que si l'on débarque un marin l'ayant demandé, il faut en embarquer un autre au même poste, en lui ayant auparavant expliqué où il risque de naviguer et qu'il l'accepte alors qu'il est chez lui à terre dans une région plus calme pour lui, du moins on peut l'espérer.

A la suite de cela, l'AFCAN a adressé une lettre à l'administration française, avec copie à la presse spécialisée française :



Cette lettre, traduite en anglais, a également été envoyée à la Commission Européenne aux Transports, à IFSMA, ETF, Nautical Institute, ainsi qu'aux associations de capitaines adhérentes de CESMA. Associations auxquelles il a été suggéré, si elles le souhaitaient, de faire parvenir cette lettre, éventuellement traduite dans la langue nationale, aux autorités maritimes des pays concernés.
Il faut bien avouer que la lettre n'a pas généré beaucoup de réponses, voire d'accusé de réception.

Le 16 février 2024, presque deux mois après le premier accord, un nouvel accord entre en vigueur. La zone mer Rouge / golfe d'Aden évolue comme suit :


En date du 16 février 2024

Quant aux différences de traitement des marins elle évolue aussi comme suit :
  1. IBF Warlike Operations Area12 nm. off the mainland Yemeni coast, including all ports and excluding the Maritime Security Transit Corridor (MSTC) in its entirety
    • bonus equal to basic wage, payable for 5 days minimum + per day if longer;
    • doubled compensation for death and disability;
    • right to refuse sailing, with repatriation at company's cost and compensation equal to 2 month's basic wage;
    • mandatory requirement to increase security arrangements equivalent to ISPS level 3.

  2. IBF High Risk AreaSouthern Section of the Red sea and the gulf of Aden, boundary commencing from the IBF Warlike Area off the Yemeni coast, stretching across to the Eritrea coast. Area encompassing the Bab El Mandeb strait including the Maritime Security Transit Corridor (MSTC) in its entirety and the gulf of Aden
    • bonus equal to basic wage, payable for the actual duration of stay / transit;
    • doubled compensation for death and disability;
    • mandatory requirement to increase security arrangements equivalent to ISPS level 3;
    • right to refuse sailing, with repatriation at company's cost and compensation equal to 2 month's basic wage.
Désormais, il devient possible à tout marin le désirant de demander son débarquement avant d'entrer en zone à haut risque (mer Rouge et golfe d'Aden), ce que l'on peut appeler « le verre à moitié plein ». La différence restante n'est qu'une histoire de nombre de jours avec paye double.
Mais on peut tout de même noter que la zone de guerre est maintenue pour uniquement les 12 milles nautiques à partir de la côte yéménite (ce que l'on peut appeler « le verre à moitié vide », alors que des navires ont été touchés par des missiles à 60 milles nautiques d'Aden, et pas le long de la côte yéménite !
Ce n'est donc bien qu'une histoire de gros sous et certainement pas du sujet dont on ne parle plus en ce moment, à savoir le bien-être des gens de mer. Parce que psychologiquement, se retrouver sous la menace d'un drone armé ou d'un missile, même si ça ne fait pas forcément de dégâts physiques parmi l'équipage, ça en fait forcément dans la tête. Je n'oublie pas qu'à la suite de l'attentat subi par le Limburg en 2002, presque 50% des membres d'équipage ont arrêté la navigation, soit au long cours soit complètement. Cela représente bien un traumatisme psychologique subi.

Jusqu'au 22 février, il n'y a eu que des dégâts matériels. Cela est déjà très traumatisant pour l'équipage, surtout si le résultat de l'attaque se transforme en incendie à bord. C'est ce qui s'est passé ce jour-là lorsque le navire Islander a été attaqué par deux missiles, à environ 70 milles nautiques au sud-est d'Aden (pas vraiment les eaux territoriales de 12 milles !). Cette fois-ci, l'attaque a causé des « dégâts mineurs » au navire, ayant tout de même provoqué un incendie, et l'attaque a surtout fait un premier blessé (léger) parmi des membres d'équipage.

Il est également rapporté que plusieurs navires, dans le but louable de ne pas se faire attaquer, indiquent sur leur AIS que le navire possède un équipage musulman, sans aucun lien avec Israël, etc. Pas sûr que cela soit suffisant.

En attendant, d'autres navires, tel le vraquier Rubymar, ont été abandonnés par leur équipage pour cause de voies d'eau ou d'incendies non maîtrisés.

En 2004, le code ISPS a été mis en application sur les navires – avec entre autres l'obligation d'un AIS – et dans les ports (même s'il a fallu attendre un peu plus longtemps pour que ceux-ci soient en conformité). Donc cette année on va « fêter » les vingt ans du code ISPS. Notons qu'on n'oublie pas de préciser dans les accords que le navire doit passer en niveau ISPS 3 dans les zones à haut risque, et zones de guerre bien sûr. Voilà qui nous fait une belle jambe !
Pensez ! un drone ou un missile en approche, mais on est au niveau ISPS 3! Le drone ou le missile n'a qu'à bien se tenir, à bord les lances incendie sont connectées et en pression, on ne va pas se laisser faire ! Attention la riposte…

C'est triste, mais cela donne l'impression que le marin, on s'en fiche. Par contre le prix du conteneur, depuis que certaines grosses compagnies ont décidé, sagement à mon humble avis, de faire le tour de l'Afrique plutôt que de transiter par le canal de Suez, a été multiplié par 6. Toujours et encore une histoire d'argent.

Mais nous, capitaines, sommes aussi un peu responsables, ou irresponsables comme on veut : un capitaine, dont je tairais le nom et la nationalité mais tout de même européen, rapportait dans un journal :
En permanence, nous étions tendus et sous un sentiment désagréable. Nous avions imaginé différents scénarios, et nous étions bien préparés et entraînés mentalement. Les navires américains et alliés assurent la sécurité dans le golfe. Une autre option, le tour de l'Afrique, serait un itinéraire beaucoup plus long et beaucoup plus coûteux pour les compagnies.
Alors la compagnie a pris un risque. Tous les navires qui se trouvaient à ce moment à cet endroit étaient bien sécurisés par des gardes de sécurité armés embarqués avant le passage. Au moment le plus critique, les gardes de sécurité avaient leurs armes prêtes… Aujourd'hui, nous avons échappé au danger. Le navire est un cargo vraquier, et nous attendons maintenant le transit du canal de Suez et la mer Méditerranée. L'équipage estime être en sécurité pour le reste de la navigation en mer Rouge.


A moins que lesdits gardes armés soient montés à bord avec des missiles anti-missiles, je n'arrive pas à comprendre comment ils pourraient repousser des attaques aériennes ou par mer de drones armés (et suicidaires si on peut dire). Les gardes, c'est bon pour les pirates, somaliens ou autres, même armés (et encore pas tout le temps), mais là… On peut avoir une pensée pour cet équipage, et d'autres dans le même cas, dont les membres de leur famille doivent se poser beaucoup de questions et probablement avoir un sentiment non pas désagréable mais terrifié par rapport à ce qu'on leur oblige à vivre.

Alors faire le tour par le cap de Bonne-Espérance (quel joli nom), les rebelles Houthis ont trouvé des supporteurs. En effet, même si la route remontant vers le cap des Palmes passe très au large, il semblerait que les pirates du golfe de Guinée pensent sérieusement à étendre leur zone d'activité…

En conclusion, et pour en revenir au titre de ce billet d'humeur, il n'y a pas vraiment de guerre en mer Rouge ni dans le golfe d'Aden. Juste quelques escarmouches envers des navires de commerce dont les intérêts financiers ne correspondraient pas aux idées politiques des rebelles Houthis. Quand on est sur un navire sans lien avec leurs ennemis US, UK et Israël, on peut penser être assez serein, à la condition toutefois que la base de données sur les navires de commerce soit à jour, les navires changeant si facilement de propriétaire donc d'intérêts financiers et de pavillon. Faisons confiance à internet.
Après tout, ce n'est pas si grave que cela. Il suffit, en ne se faisant pas attaquer, de ne pas devenir une statistique.

Cdt Hubert Ardillon
Vice-président de l'AFCAN
Secrétaire général du CESMA

Addendum daté du 9 mars

Depuis le 24 février, les évènements n'ont pas vraiment évolué favorablement pour les navires et les marins dans cette zone mer Rouge et golfe d'Aden.

Le 6 mars au matin, le vraquier True Confidence, pavillon Libéria, était attaqué à 54 milles au sud-ouest d‘Aden, donc pas loin de Bab el Mandeb, par un tir de missile balistique antinavire. Trois marins ont été tués : deux Philippins et un Vietnamien, et plusieurs autres ont été blessés dont trois dans un état critique. Personnellement, et peut-être parce que ne passant pas mon temps à écouter les informations, je l'ai appris par la presse spécialisée, principalement anglophone. Rien, en tout cas pour moi, dans les médias français, hors presse maritime.
Une parenthèse tout de même, « True Confidence », il ne vous a pas échappé que le navire, en français, s'appelerait « Vraie Confiance ». Il fallait vraiment l'avoir pour aller naviguer avec sérénité dans ces parages.

Le vraquier Rubymar, touché par deux missiles le 18 février, a fait naufrage. Et là, le traitement de l'information est sidérant. Cette attaque n'a engendré aucune victime parmi l'équipage, mais ce qui est retenu du naufrage, c'est qu'en coulant, ou avec ses ancres à la suite de l'attaque, c'est encore à déterminer exactement, le Rubymar a endommagé fortement un ou plusieurs câbles sous-marins de communication. Plusieurs commentateurs, radio et télévision, ont déploré le fait que cette attaque ait mis en péril le commerce mondial, les liaisons internet avec l'Inde et des pays de l'Est Africain étant rendues plus difficiles. Ce qui est certainement vrai. Mais j'aurais bien aimé entendre des commentaires, même moins passionnés, sur l'attaque du True Confidence qui, comme évoqué plus haut, a vu les premières victimes civiles (et innocentes) de ce conflit qui ne porte pas son nom. A noter quand même, qu'il y a aussi une pollution causée par l'attaque du Rubymar, et qu'on en a entendu parler. Ce qui est normal, mais mon propos était surtout de mettre l'accent sur la différence de traitement entre la vie humaine et le commerce international.
Cdt Hubert ARDILLON
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