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Pourquoi les marins ne sont-ils pas en grève ?

A la fin du printemps il a beaucoup été évoqué la possibilité d'une grève générale des marins pour forcer les Etats à autoriser les relèves d'équipage pendant cette période de pandémie.

Traduction libre par le Cdt H. Ardillon d'un éditorial de Justin Stares – The Maritime Watch.



Pourquoi les marins ne sont-ils pas en grève ?

Entre 150 000 et 400 000 marins sont bloqués sur leurs navires. Cette fourchette très large reflète aussi l'absence de statistiques fiables (d'ailleurs certains prétendent que ces chiffres sont gonflés). Même aux Philippines, où la navigation est une industrie clé représentant près de 10% du PIB, il n'y a que des estimations du nombre d'hommes et de femmes qualifiés et disponibles pour être déployés à bord.

Cependant, une chose est certaine : ceux qui sont coincés à bord aujourd'hui passent un mauvais moment. Lors d'un forum sur internet organisé par l'OMI, et programmé le 25 juin, «day of the seafarer», on a parlé du sort de ceux auxquels on a refusé la possibilité de débarquer et de rentrer chez eux, au mépris des droits fondamentaux.

La fatigue et le stress sont les moindres de ces maux. Toujours lors de ces échanges, il a été rapporté que des marins se sont vu refuser l'accès à des traitements médicaux vitaux, qu'il y a eu des suicides, même si beaucoup n'ont pas été signalés.

Malgré une certaine augmentation de l'intérêt des médias, une grande partie de ce qui se passe à bord se déroule dans un monde « souterrain »; les marins sont souvent considérés comme des « créatures spirituelles » qui vont et viennent sans être vues ni entendues.

Alors pourquoi ne font-ils pas la grève? L'ITF fait pression depuis des mois sur les États du pavillon, les États du port et les organismes internationaux. Des accords conçus pour résoudre le problème ont été négociés puis ignorés par des Administrations qui restent inflexibles. Selon Stephen Cotton, des centaines de marins écrivent «chaque jour» à leurs syndicats.

Une grève générale déclencherait des pénuries alimentaires et énergétiques. Une menace de grève pourrait même déclencher des achats de panique. Alors pourquoi ne pas montrer au monde à quel point les gens de mer sont essentiels?

The Maritime Watch a demandé une explication à M. Cotton. Sa réponse a été honnête: une action revendicative est sur la table, a-t-il dit, mais nos membres sont divisés. Certains syndicats d'officiers veulent intensifier la lutte par tous les moyens disponibles. Mais l'objectif global de l'ITF, du moins pour le moment, reste de continuer à assurer les relèves des gens de mer de et vers leur domicile sans perturber la chaîne d'approvisionnement.

« C'est la première fois de ma vie à l'ITF [que] l'ITF est encouragée à mener davantage d'actions revendicatives », a déclaré M. Cotton. « Et nous examinons toutes les options ». « Il est cependant préférable de travailler en collaboration que de mettre fin à une industrie lorsque tout le monde a besoin du soutien économique fourni par le transport maritime ».

Une partie de la réticence à faire grève peut provenir d'une puissance de négociation faible. Les gens de mer Philippins, par exemple, considèrent leur profession comme un moyen vital de se procurer des dollars américains. De nombreux membres d'équipage sont le seul soutien de leur famille. La succursale de Manille de Stella Maris, l'organisation caritative maritime mondiale, soutient déjà 750 familles avec une aide alimentaire d'urgence. Ces gens de mer peuvent-ils se permettre de faire grève?

Cette faiblesse de négociation s'explique facilement. Revenons à l'Europe des années 1970, période pendant laquelle de nombreuses fois, les syndicats de marins ont exigé et obtenu de meilleurs salaires et conditions pour les équipages. Une législation favorable aux syndicats, à l'époque, exigeait dans certains cas un double effectif : pour chaque marin embarqué, un autre était au repos. Les armateurs étaient alors assis sur un baril de poudre; les syndicats n'avaient pas peur de les amener au bord de l'insolvabilité si leurs demandes n'étaient pas satisfaites.

L'histoire jugera si les syndicats ont trop exagéré. Mais les dépavillonnements et la montée en puissance des registres internationaux ont-ils été déclenchés suite à leur intransigeance? Quelle qu'en soit la cause, le fait de dénoncer le pouvoir des syndicats en Europe a permis aux armateurs d'employer des non-Européens, réduisant ainsi la masse salariale et augmentant la compétitivité.

Les syndicats de l'époque étaient souvent basés sur la nationalité du pavillon. Les équipages d'aujourd'hui n'ont jamais été aussi diversifiés. Une action revendicative à l'échelle mondiale exigerait une coordination rendue difficile par la faiblesse de la langue commune comme par le faible accès à Internet.

Les syndicats maritimes n'ont jamais été aussi faibles, avait admis le Secrétaire général de l'ETF en 2015. Après avoir brisé leur pouvoir (des syndicats) en mer, les gouvernements européens ont entrepris la même chose dans les ports, un processus avec lequel la Commission européenne a récemment mis fin avec l'aide de la Cour européenne de Justice.

Le vent peut-il tourner à nouveau? Comme les soignants de première ligne ou les employés d'entrepôt, peut-être que les marins pourront utiliser le virus pour s'en faire un nouveau pouvoir de négociation.

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