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légiférez, sécurisez, légiférez, sécurisez…
Suite à l’article paru dans le Marin du 19/03/2004, voici (encore) un billet de mauvaise humeur :
Qu’on parle de l’accident, qu’on en recherche les causes, que celles-ci soient publiées, notamment
et tout d’abord aux professionnels de la mer, je suis d’accord.
Que l’on fasse paraître un article à sensation et que l’on accuse à tour de bras en faisant du
catastrophisme racoleur sous prétexte que le cargo est turc, je ne suis pas d’accord.
La réaction de la Prémar relatée dans l’article me semble tout à fait à la hauteur de
l’événement ! Désolé, mais pour une fois, il faut même saluer cette attitude ! Le catastrophisme n’a pas sa place et
toute latitude a été laissée au capitaine pour se sortir de ce mauvais pas. Belle manœuvre, bonne gestion de la crise, tant
pis pour les jaloux ! En effet, il n’y a pas lieu de supputer un quelconque chargement de poison anti-breton, car sauf fausse
déclaration à l’entrée dans le dispositif d’Ouessant, tout a été déclaré plusieurs heures à l’avance…et le
déroulement a été logique sauf, bien entendu cet imprévu fâcheux. Mais bon, cela fait partie de notre formation de savoir y faire
face, non ?
Alors sécuriser la baie de Douarnenez. C’est quoi ? Mettre un pilote, des autorités portuaires,
une agence, bien évidemment pour coordonner le tout, donc de la paperasse, qu’il va falloir remplir dans l’immédiat, vu que la
décision de relâche s’est faite au dernier moment. Bref, du boulot en plus pour le capitaine, des sous en moins pour l’armateur.
Total, autant faire escale dans la rade de Brest. Autant de raisons qui pousseront la prochaine fois le brave capitaine à prendre un
peu plus de risques et à rester en mer. Aura–t-on, en "sécurisant" ainsi la baie, résolu la question de la fatigue que les
«spécialistes» disent, avant les conclusions de l’enquête, être la cause de cet échouage ?
Va-t-on se faire virer des mouillages abri (ça a commencé : Groix, Belle-Isle (l’été)…) comme on
s’est fait virer des chenaux raccourcis (Four, Fromveur, Raz de Sein, Blanchard, etc., …) malgré d’aussi bons alignements qu’avant, de
meilleurs radars, le DGPS et des machines plus fiables ? Ou comme on s’est fait virer des manœuvres portuaires avec pléthore de
remorqueurs obligatoires (particulièrement pour les pétroliers)? Tous les commandants (particulièrement ceux qui ont commencé sur les
petits navires) ont sous leur casquette une bonne quantité d’abris mémorisés tout au long de leur navigation mondiale.
Alors, on va légiférer. Les experts, au passé maritime hypothétique, et à la carte de visite
rutilante de titres ronflants qui n’ont rien à envier aux faux brevets des marins à bas prix, surtout dans le danger qu’ils
représentent, vont aller courtiser le portefeuille et la crédulité des ronds de cuirs de l’administration et des nouveaux gérants
d’armement, fantoches ignares de la chose maritime, issus des écoles de commerce, placés là par les banquiers, et qui gèrent leurs
navires non pas comme des outils de travail mais comme des casinos.
Les capitaines, issus d’un autre milieu, dont le savoir et l’expérience dérangent les idées
simplistes acquises à la va vite, seront dénigrés, assimilés à des agitateurs, voire emprisonnés (au moins on est sûr qu’ils seront
inoffensifs). Si on avait laissé faire le capitaine du Prestige et si son Armateur l’avait écouté dès le début, on n’en serait peut-
être pas là !
Alors on légifère et on simplifie (soi disant) en grignotant petit à petit les attributions du
capitaine (routes, gestion nautique, gestion technique, gestion de l’équipage, chargement, manœuvre, rapport de mer…etc.) sous des
arguments fallacieux de confort en sous entendant que le capitaine a d’autre chose à faire (faire de la paperasse, dont 95% est d’une
inutilité navrante,… et payer les amendes ou aller en taule) et finalement ne sait plus faire grand-chose !
C’est ainsi qu’après le GPS, les communications par satellite, l’Internet, les dispositifs de
séparation de trafic, les remorqueurs devant, derrière et sur les cotés dont découle la suppression progressive des pas variables et
propulseurs (simplification des machines), on est passé à l’ISM qui a permis de mettre sur fiches perforées et sous forme de cases à
cocher nos dernières connaissances utiles qui permettront aux ignorants en col blanc et aux marins à bas prix de communiquer entre eux
dans un langage commun, pour en arriver au RIF.
On coûte alors trop cher parce qu’on ne sait plus utiliser notre savoir-faire. La dérive n’a
jamais pu être corrigée, les équipages français ont récemment mouillé les 2 pioches en faisant 2 grèves, pour ralentir le mouvement.
Reste à espérer, du coté des représentants syndicaux, que l’échouage inexorable de notre métier ait lieu plutôt sur la plage que sur
les cailloux.
Alors légiférez, sécurisez, légiférez, sécurisez…
Cdt B. ANDRIEUX
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