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IN MEMORIAM



Le commandant Jean Dervout était un homme chaleureux, sympathique et généreux, il nous a quittés à l'âge de 88 ans.



       A ta mémoire, Jean...

       En 1976, j'embarquais comme lieutenant à bord du LUCHON, commandant Jean Dervout, et la dictature militaire était au pouvoir en Argentine.

       Au cours de notre escale à Buenos Aires, Jean Dervout vint me voir sur le pont, et me désignant discrètement deux hommes d'une vingtaine d'années cachés au coin d'un hangar, il me dit: "Carlos, ce sont deux Chiliens recherchés par la police militaire. Débrouilles-toi pour les embarquer en douce, je ne veux pas savoir comment tu vas procéder". Parlant espagnol, je me suis approché d'eux, et je leur ai demandé de charger sur leurs épaules deux filets de séparation de cale (paillaisses), et de me suivre en cachant le plus possible leur visage.

       Nous avons passé la coupée, puis je suis parti les enfermer dans le local barre, en leur recommandant de ne pas faire de bruit tant que le bateau ne serait pas en mer. Peu après, j'allais voir le commandant pour lui signifier que la mission était accomplie. Jean me regarda, et me dit " Quelle mission ?". Je n'insistai pas. Durant le reste de l'escale, la nuit, j'apportais à manger aux deux Chiliens, qui me racontèrent leur fuite du Chili et la terrible répression qui frappait les étudiants pro-Allende.

       Enfin vint l'appareillage et la nuit suivante j'ouvris le local barre. Au petit matin, le nettoyeur, un dénommé Perrot, découvrit les deux clandestins et vint immédiatement les signaler au commandant. J'étais sur la passerelle avec lui, et Jean déclara candidement : "Quoi, encore deux clandestins, Carlos tu parles espagnol, va me les chercher". S'ensuivit un interrogatoire épique pendant lequel, bien sûr, le commandant se garda bien de leur demander comment ils étaient montés à bord. Finalement, d'escale en escale, nous sommes arrivés en Italie. Jean ne pouvant les déclarer en Europe, il les accompagna à terre, prit un taxi avec eux, et leur donna de son propre argent, afin qu'ils puissent se débrouiller. Ces deux-là doivent une fière chandelle à Jean, et croyez-moi, quand on me parle de générosité et de droiture, je pense toujours à Jean.

       J'aimerais juste ajouter, à propos de Jean Dervout, que le propre d'un grand commandant est de savoir dévier de sa route quand il s'agit d'aider les autres... Ce qu'il a fait.

Cdt Charles Claden


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