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La fabuleuse histoire du canal de Suez
 


Placé à la jonction de trois continents, l'Asie, l'Afrique et l'Europe, le canal de Suez est une route majeure du commerce maritime international. Il s'étend entre Port-Saïd du côté de la Méditerranée, et Suez côté Mer Rouge. Long de 162 km, il est constitué de deux sections principales, la première entre Port-Saïd et Ismaïlia est longue de 78,5 km, la seconde entre Ismaïlia et Suez mesure 83,5 km. Les deux tronçons du canal sont très différents. Au nord, un trait presque rectiligne à travers le désert, au sud, Ismaïlia, un lot de verdure à l'occidental et les lacs Amers. Inauguré il y a plus de 150 ans, sa création fut une fabuleuse et périlleuse aventure qui permet de nos jours le transit de navires toujours plus gros.

Un canal quatre fois millénaire

 
L'aventure du canal de Suez commence il y a quatre mille ans. C'est au pharaon Sesostris III que revient l'idée de relier le Nil à la mer Rouge en creusant un passage maritime du nord du Caire aux lacs Amer.
Cette première voie navigable à faible profondeur, creusée vers 1850 avant notre ère à travers le désert, a été utilisée pendant près de deux mille ans. Mais devant être désensablée régulièrement, elle est définitivement abandonnée au VIIIe siècle de notre ère.
Avec les temps modernes, la nécessité d'un nouveau canal nord-sud à travers l'isthme de Suez reliant les deux mers se fait sentir. Au XVIe siècle, pour lutter contre l'influence du Portugal dont le commerce emprunte la voie océanique passant par le sud de l'Afrique, les Vénitiens puis l'Empire ottoman élaborent des projets qui n'aboutissent pas.
Dans le cadre de sa guerre contre l'Angleterre et afin de s'assurer le contrôle de la Méditerranée et de la mer Rouge, le Directoire décide en avril 1798 d'envoyer Bonaparte en Egypte à la tête d'une expédition de soldats et de savants.
Il s'agit d'ouvrir à la France une nouvelle route des Indes, et à cet effet de «couper l'isthme de Suez», en reliant les deux mers par un canal. Bonaparte charge l'ingénieur Jacques-Marie Le Père, directeur des Ponts et Chaussées, de cette mission et de procéder à une étude technique. Si Le Père avait conclu à « la possibilité de rétablir l'ancien canal et de rendre continu, par eau, la communication entre la mer Rouge et Alexandrie », il détermine une différence de niveau de plus de 9 mètres entre les deux mers.

Un homme de génie, Ferdinand de Lesseps

 
En 1832, Ferdinand de Lesseps, jeune diplomate de carrière, arrive à Alexandrie pour y occuper le poste de vice-consul.
Trente ans auparavant, son père, alors envoyé extraordinaire de Bonaparte au Caire, avait soutenu Mehemet Ali dans son accession au pouvoir, et celui-ci reportera sur le fils l'amitié qu'il avait pour le père.
Lesseps améliore ses connaissances d'arabe, s'intéresse au passé de l'Egypte, à ses coutumes et à ses ressources, et devient le familier du fils de Mehemet Ali, Saïd Pacha. Il découvre les projets des ingénieurs de Bonaparte concernant l'ouverture d'un canal, et fait la connaissance de Linant de Bellefonds, un ingénieur français autodidacte, arrivé en Egypte sur la frégate Cléopâtre comme élève de la Marine, et auquel Mehemet Ali avait confié en 1818 la construction dans le delta d'un barrage sur le Nil.
En 1833 celui-ci lui montre un projet de canalisation entre les deux mers qu'il a élaboré après avoir établi la carte de l'isthme de Suez. Une version du projet prévoit des écluses, une autre les exclut en tenant compte de la différence de niveau trouvée par Le Père.
Mais ce n'est qu'à partir de 1847 que les travaux de nivellement, auxquels Linant participera, montreront que la différence de niveau entre la Méditerranée et la mer Rouge est pratiquement nulle. Lesseps s'enthousiasma pour ce canal.
En 1849, Ferdinand de Lesseps quitte la carrière diplomatique. Retiré dans sa propriété du Berry, il apprend que Saïd Pacha est devenu vice-roi d'Egypte. Il lui adresse une lettre de félicitations, et celui-ci, l'invite immédiatement au Caire. Il lui expose son projet de canal reliant la mer Rouge à la Méditerranée et réussit à le convaincre. Le 30 novembre 1854, Saïd Pacha donne son accord au projet de creusement du canal. Il en donne la concession à la Compagnie universelle du canal, société de droit égyptien domiciliée à Alexandrie dont le siège administratif se situe à Paris. La direction de la Compagnie est confiée à Ferdinand de Lesseps, et la durée de la concession est fixée à quatre-vingt-dix-neuf ans à partir du jour de l'ouverture du canal des deux mers. Son financement est assuré à 44% par l'Egypte, à 52 % par les porteurs français et 4 % par divers actionnaires.

 
Lesseps s'emploie avec Linant de Bellefonds à établir un premier projet du futur canal. Le tracé définitif est établi en 1859. La profondeur du canal est fixée à 8 mètres, la largeur entre les deux berges à 58 mètres et la largeur du fond correspondant à la partie utilisable du canal à 22 mètres, ce qui est suffisant pour le croisement des navires. Long de 162 km, ce canal, percé en plein désert, a nécessité l'évacuation de près de 75 millions de mètres cubes de déblais, l'équivalent de 1 600 km de voie ferrée. 25 000 fellahs, arrachés de force à leurs champs, ont été réquisitionnés chaque mois par Saïd Pacha pour le creusement du canal. Cette pratique esclavagiste, appelée «la corvée» sera abolie en 1863.
En 1862 naît le premier tronçon du canal. Il faudra sept années pour le terminer. Le 15 août 1869 a lieu la cérémonie de la jonction des eaux de la mer Rouge et de celles de la Méditerranée.

Une inauguration internationale

 
Pour l'inauguration du canal, le khédive Ismail voit grand, il lance des invitations à de nombreuses têtes couronnées, comme l'impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, l'empereur François-Joseph d'Autriche, le prince royal de Prusse, le prince et la princesse des Pays-Bas, le prince de Hanovre et l'émir Abdel Kader. Aux ambassadeurs des différentes puissances s'ajouteront près de 900 invités, savants, artistes, écrivains, journalistes. La délégation française réunira plus de 270 personnes.

Au matin du 17 novembre 1869, jour de l'inauguration, le yacht impérial l'Aigle entreprend la traversée du canal de Suez, à la tête d'une armada d'une cinquantaine de navires de toutes nationalités. A son bord, l'impératrice Eugénie. Ferdinand de Lesseps et ses principaux ingénieurs sont sur la passerelle. Pour eux, le succès de la traversé ne fait aucun doute.

La flotte des «transiteurs» arrive à Ismaïlia le 18 au matin. Elle en repart le 19 pour mouiller en rade de Suez le 20. Le 21, elle appareille pour regagner Port-Saïd où elle arrive le 22 novembre.

A part six échouages légers, les navires franchissent avec succès le canal, ce qui prouve qu'on peut avoir toute confiance dans cet ouvrage audacieux et que des navires encore plus gros peuvent l'emprunter. Le navire du plus fort tonnage qui est traversé le canal est, à part l'Aigle (2 000 tonnes), le Péluse, des Messageries Impériales (qui deviendront les Messageries Maritimes en 1871), d'un tirant d'eau de 4,90 mètres et d'une longueur de 76 mètres. La Notice to Mariners, en date du 10 décembre 1869, prévoit que «les navires d'un tirant d'eau de 5,29 mètres peuvent donc passer facilement, et quand on aura supprimé l'obstacle de Serapeum, le canal sera ouvert aux navires calant 6,10 mètres».

L'évolution du trafic du canal

 
Le premier règlement de navigation du canal date du 17 août 1869. Le tirant d'eau maximum autorisé est fixé à 7,50 m. Les navires à vapeur peuvent naviguer avec leurs propres machines, les navires à voile de plus de 50 t doivent se faire remorquer. La navigation n'a lieu que de jour, les navires devant s'amarrer la nuit dans des gares échelonnées le long du canal.
Le pilotage est obligatoire pour les navires de plus de 100 t, mais le commandant du navire reste toujours responsable de la marche et des manœuvres, le pilote ne donnant que des conseils pour la manœuvre du navire. Sur les 486 navires qui ont emprunté le canal au cours de la première année d'exploitation, 157 se sont échoués. La durée de la traversé subit le contrecoup de ces arrêts obligatoires ou accidentels. En 1870, elle est en moyenne de 48 heures.
Pour 17 heures de marche effective, il faut compter en plus 17 h 40 de garage de nuit, 5 h 20 de garage pour croisement et 17 h d'échouages.

De 1870 à 1880 la moyenne annuelle des traversées passe de 950 à 1 540, et le tonnage brut des navires croît de 1 700 à 2 100 t. Les dimensions maximum augmentent également. Le paquebot anglais Oceanic, qui transite en 1875 mesure 128 mètres de long, et le paquebot Austral 144 mètres.

A partir du 1er mars 1887, les navires peuvent transiter de nuit, après avoir embarqué un projecteur électrique placé à l'avant du navire.
Dans le même temps le canal n'est évidemment pas resté à ses dimensions de 1870. L'élargissement du canal à 37 m au plafond et son approfondissement à 8,50 m sont terminés en 1898. En 1908, l'approfondissement à 9,50 m correspond à un tirant d'eau maximum de 28 pieds (8,53 m).
Cette année-là, quatre navires de plus de 12 000 t traversent le canal, dont l'un a 171 m de long et 24 m de large. En 1912, il y aura 66 « transiteurs » de plus de 12 000 t.

 
En 1934, on termine les travaux du 6e Programme de 1921. La largeur du canal, au plafond de 10 m, atteint 60 m, et les dragages faits jusqu'à 13,50m permettent un tirant d'eau maximum de 34 pieds (10,36 m).
Toutes ces améliorations permettent de porter le transit total des navires de 16 h 30 à 13 h, soit un gain de 3 h 30 en vingt ans, ce qui est un résultat remarquable.
Entre les deux guerres, le plus fort tonnage est atteint en 1931 par le paquebot anglais Empress of Britain, avec 42 745 t et 230 m de long. Pendant cette période, plusieurs navires passeront le canal avec un tirant d'eau égal au tirant d'eau maximum autorisé : 9,45 m en 1922, 9,75 m en 1925, 10,06 m en 1930 et 10,26 m en 1937 (le TE des plus gros pétroliers qui passèrent en 1956 était de 35 pieds soit 10,67 m).
Lorsque la deuxième guerre mondiale éclate, la plupart des pilotes sont mobilisés dans les Forces Alliées. Le trafic journalier tombe rapidement et ne dépasse pas neuf navires.
Le 10 mai 1940 a lieu la première attaque aérienne contre le canal. En mai 1941, les Allemands débarquent en Crète qui devient une plate-forme idéale pour les attaques contre Malte et l'Egypte. En juin 1941, les Alliés abandonnent la route de la Méditerranée pour leurs transports et ceux-ci reprennent la route du Cap. Les navires venant de la mer Rouge déchargent leur cargaison à Suez, certains sont obligés d'aller jusqu'à Port-Saïd, et regagnent aussitôt Suez.

Le nombre des « transiteurs » tombe à deux ou trois par jour. Les attaques aériennes allemandes se multiplient dans l'année 1941. Les appareils larguent dans les eaux du canal des bombes et des mines parachutées. Plusieurs navires sautent et coulent. Mais après la victoire de Tobrouk en décembre 1941, l'aviation allemande n'a plus les moyens de disposer d'avions pour attaquer le canal.

Le système des convois

 
En 1948, pour diminuer la durée de traversée du canal, on adopte le principe de deux convois journaliers, s'engageant à Port-Saïd et à Suez et se croisant dans les grands lacs et vers Kantara. Cette solution oblige cependant à revenir au principe du garage à l'endroit où a lieu le second croisement.
Après avoir étudié plusieurs solutions, le principe d'une dérivation, ou « branche Est » du canal s'étendant du PK 51 au PK 61, et empruntée par le convoi sud, est retenue. La nouvelle dérivation, baptisée canal Farouk, inaugurée en 1951, facilite considérablement le passage de 12 000 navires la même année.

Le système des convois a incontestablement apporté des facilités dans la navigation sur le canal. Il a notamment supprimé les risques graves d'une collision lors des croisements à la hauteur de Kantara.
Dans un convoi, les bâtiments marchent les uns derrière les autres, à une certaine distance et doivent suivre un horaire minutieux.

Le croisement dans les dérivations doit s'accomplir de telle façon que le dernier navire entrant dans la dérivation ait dégagé le canal lorsque le premier navire de l'autre convoi sort, lui, de l'autre branche de la dérivation. L'appareillage de Port-Saïd ou de Suez doit donc se faire entre des heures limites.

La nationalisation du canal de Suez

Rendre le canal à l'Egypte, la revendication n'a cessé d'agiter les gouvernements égyptiens depuis la fin du XIXe siècle. Le 26 juillet 1956, sous le prétexte du refus du financement du haut barrage d'Assouan par la BIRDD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement), le colonel Nasser décide d'en assurer le financement par la rente du canal et annonce la nationalisation de la Compagnie du canal de Suez.
La Grande-Bretagne et la France, considérant que le contrôle du canal soulève trop d'enjeux pour que sa nationalisation soit considérée comme ordinaire, se concertent pour élaborer une opération dont l'objectif est de s'emparer du canal.

 
Les Etats-Unis s'y opposent formellement et proposent de placer la voie d'eau sous une administration internationale. Nasser refuse cette solution.
Le 11 septembre, la Compagnie, avec l'accord de Londres et de Paris, retire ses pilotes pour empêcher la navigation dans le canal, espérant montrer l'inaptitude de l'Egypte à gérer cette infrastructure. Le plan échoue, les pilotes égyptiens, aidés de pilotes des pays de l'Est, parviennent à faire passer les navires.
Mais le 29 octobre, les Israéliens envahissent l'Est du canal, suivis par les Français et les Britanniques qui parachutent et débarquent leurs troupes à Port-Saïd. Mais les coalisés sont obligés de battre en retraite le 6 novembre sous la pression des Etats-Unis et de l'Union Soviétique. Juste avant le débarquement, Nasser a ordonné le sabotage du canal. Dans le port de Port-Saïd, 26 navires ont été envoyés par le fond, et 17 ont été sabordés dans le canal.
Aussitôt après le débarquement, un groupe franco-britannique de déblaiement est créé pour ouvrir le canal jusqu'au km 25. Après le départ des troupes franco-britanniques, l'ONU prend en main le relevage.
Le 10 avril 1957, le canal est rouvert à la navigation.

La fermeture du canal pendant les guerres israélo-arabes

Les guerres israélo-arabes, qui durent de 1967 à 1974, vont entraîner la fermeture du canal.
Ainsi l'un des principaux axes du commerce mondial sera paralysé pendant huit ans, bouleversant notamment le transport des hydrocarbures qui vont reprendre la route du Cap, rallongeant les approvisionnements de 70 %. C'est aussi le boom de la construction navale et la course à la taille des navires.

 
En juin 1967, Israël mène une grande opération, qualifiée de préventive, contre les forces égyptiennes et envahit le Sinaï jusqu'aux rives du canal. C'est la « Guerre des six jours », à l'issue de laquelle l'Etat hébreu conserve la péninsule égyptienne et la rive orientale de la voie d'eau qui reste bloquée.

En octobre 1973, l'Egypte et la Syrie attaquent Israël par surprise, c'est le début de la « Guerre du Kippour ». L'armée égyptienne franchit le canal et pénètre profondément dans le Sinaï avant que les forces israéliennes ne reprennent le dessus et franchissent la voie d'eau à leur tour. Une force de maintien de la paix de l'ONU est déployée jusqu'en 1974.

Après 15 mois de travaux et de déminage du canal et de ses abords, avec l'aide des marines américaines, britanniques et françaises, le canal est officiellement rouvert par le président Anouar el Sadate le 5 juin 1975, mais de façon limitée.

Ce n'est qu'après les accords dits de «Camp David» en 1978 qu'un accord est trouvé entre Israël et l'Egypte.

Les travaux de modernisation du canal sont repris en tenant compte des mutations technologiques et économiques.

Un nouveau canal

La fermeture du canal a en effet amené les pétroliers à s'en passer. L'allongement des rotations par la route du Cap nécessite plus de capacités : des navires plus gros sont donc construits. Le canal suit cette évolution, passant de 16 m de tirant d'eau (150 000 t) en 1980 à 20 m (240 000 t) en 2010. Mais un tiers de la flotte pétrolière de plus de 20 m de tirant d'eau est obligé de contourner l'Afrique, à moins de se décharger d'une partie de sa cargaison à l'entrée du canal d'où celle-ci est transportée par oléoduc jusqu'à la sortie. Pour les autres navires, les armateurs font un calcul de rentabilité : si le pétrole est bon marché, le détour par le cap de Bonne Espérance peut se révéler rentable.


Pour renforcer l'attractivité du canal et récupérer des trafics évaporés sur des navires à fort tirant d'eau, les autorités égyptiennes décident de créer une nouvelle voie d'eau creusée sur 35 km (entre les PK 60 et 95) et de procéder à l'élargissement et à l'approfondissement sur 37 km des zones de croisement du Grand lac Amer et du by-pass d'El-Billâh.
L'objectif est d'arriver à une réduction de 18 à 11 heures du temps de traversée, et de 11 à 3 heures du temps d'attente des convois Nord-Sud, du fait de la suppression des arrêts intermédiaires inévitables pour laisser passer le convoi Sud-Nord. L'élargissement du canal y autorisera également une navigation croisée et non plus alternée. Les Egyptiens pensent ainsi obtenir d'ici 2023 une augmentation du trafic, le faisant passer de 47 à 97 navires par jour, dont 45 dans les deux sens sans arrêt intermédiaire, sans toutefois renoncer au système des convois.

Le chantier placé sous l'autorité de Canal de Suez (CSA) débute le 6 août 2014. Son coût est évalué à 60 milliards de livres égyptiennes (8,4 milliards de dollars). Le financement des travaux est obtenu via une souscription nationale dont 85 % des certificats d'investissement ont été placés auprès de simples citoyens égyptiens qui ont vu dans leur contribution un acte patriotique.
En dépit d'estimations initiales qui fixaient la durée des travaux à trois ans, le président égyptien a ordonné de les mettre à terme en moins de douze mois. A cette fin, 400 entreprises privées et 25 000 ouvriers ont été mobilisés et ont travaillé d'arrache-pied sous la responsabilité de l'Armée.
Le nouveau canal a été inauguré en août 2015.
Le gouvernement égyptien table sur une augmentation des recettes de 259 %, passant des 5 milliards de dollars actuels à 13,2 milliards de dollars.

Les nouvelles règles de navigation

Dès l'ouverture du nouveau canal l'Autorité du canal de Suez (SCA) a établi un nouveau règlement de navigation. Le transit des navires est désormais direct et se fait au rythme de deux convois, l'un vers le sud, l'autre vers le nord. Le premier part de Port-Saïd à 3 H 30, le second quitte Suez à 4 h, l'heure limite de formation des convois étant fixée à 23 h. Il existe néanmoins des dérogations, moyennant le paiement d'une surtaxe, pour les navires arrivant après 23 h.
L'ancien canal à l'ouest est dédié au trafic nord-sud, le nouveau canal à l'est au trafic sud-nord.

 
Le passage du canal s'effectue à la vitesse de 9 nœuds (16 km/h), et sa durée est de 11 heures.
Pour être autorisés à transiter par le canal, les navires doivent respecter certaines dimensions maximales (Suezmax). Aucune limitation de longueur (il n'y a pas d'écluse), mais une longueur maximum de 245 pieds (74,6 m), sauf dérogation. De nombreuses autres restrictions existent, portant par exemple sur le tirant d'eau en charge ou sur ballast, ou qui sont décidées en fonction de l'état du temps. En 2017, le tirant d'eau maximum des navires était de 66 pieds (20,12 m). Le tirant d'air des navires est limité à 223 pieds (68 m) par le pont d'El Kantara.
Les droits de péage sont calculés en fonction de la «jauge nette Suez» des navires, selon un tarif dégressif en fonction des tranches de jauge et suivant que le navire est chargé ou navigue lège. Ils sont payables d'avance, avant chaque transit.
Les tarifs de transit sont établis par l'autorité du Canal. Ils sont calculés pour maintenir sa compétitivité aux yeux des armateurs.
Pour les conteneurs, la redevance du transit moyenne par EVP s'élève à 102 dollars pour un navire de 1 000 EVP, contre 56 pour les plus gros porte-conteneurs : par exemple un porte-conteneurs de 18 000 EVP paie environ 800 000 dollars chaque passage de l'isthme.

Une rentabilité fragile

Une hausse du nombre de navires a été enregistrée, 18 880 en 2019 contre 17 483 en 2015. Quant au tonnage, il a progressé pour atteindre le niveau record de 1,031 milliard de tonnes en 2019, avec un revenu de 5,8 milliards de dollars, en progression toutefois par rapport aux 5 milliards de 2016. On est cependant loin des 13,2 milliards de dollars que le gouvernement égyptien espèrait atteindre en 2013 pour amortir ses travaux d'agrandissement du canal.
Pour tenir cette promesse, il doit considérablement augmenter la fréquentation du canal, qui ne dépend pas que de la seule qualité de ses infrastructures. L'amélioration des qualités du passage ne suffit pas en effet à augmenter la fréquentation du canal. Celle-ci est avant tout fonction de paramètres économiques :
  • la stagnation des échanges mondiaux et la difficulté de l'économie européenne n'ont pas favorisé la croissance du trafic ;
  • le prix du pétrole influe sur le choix des routes maritimes.

Quand le prix du baril est bas, les navires ont tendance à passer par la route du Cap pour éviter les redevances de Suez. L'agence danoise d'analyse du marché des conteneurs a montré que dans ce cas la route du cap de Bonne-Espérance était plus rentable pour la plupart des lignes Asie-Europe du Nord et Asie-côte Est des Etats-Unis. En effet, si le contournement de l'Afrique allonge le trajet de quelques 6 000 milles, il a pour vertu d'éviter les droits de passage du canal de Suez, qui selon les tonnages, sont estimés entre 500 et 800 000 $.
Si le prix du baril remonte, les pétroliers et les porte-conteneurs toujours pressés, repasseront par Suez où les temps d'attente sont désormais réduits.

Le niveau des redevances est en effet un élément clé de l'équation. L'Autorité du canal de Suez (SCA) doit d'ailleurs régulièrement ajuster ses tarifs. En 2016 et 2017, elle avait accordé une réduction jusqu'à 45 % aux grands pétroliers ainsi qu'une réduction de 3 à 50 % pour les porte-conteneurs.
En mars 2020, pour pallier le «détournement» des navires pour la route du Cap, que le prix historiquement bas du pétrole rend particulièrement attractive, SCA accorde une réduction de 6 % pour les navires en provenance d'Europe du Nord et de Méditerranée vers les destinations asiatiques. Ces rabais ne s'étant manifestement pas révélés suffisants pour endiguer la désertion de la clientèle, elle accorde en juin des ristournes allant jusqu'à 75 % pour les unités se dirigeant vers l'est à partir de la côte Est de l'Amérique du Nord, et une réduction de 17 % aux navires transportant du vrac liquide en direction de l'Asie à partir de l'Europe du Nord.
Malgré ces récents rabais, le nombre de pétroliers passant par le canal de Suez en octobre 2020 a diminué de 27 %. En revanche, les passages de vraquiers ont augmenté de 24 % au cours des dix premiers mois de l'année, alors que ceux des porte-conteneurs sont en repli de 14,4 %.

De 1869, date de son inauguration officielle, à nos jours, le canal de Suez a évolué en fonction des normes des navires et de la mondialisation croissante des échanges qui ont conduit à un accroissement de ses capacités. Il était encore, dans les années 1970, au gabarit de 60 000 tonnes de port en lourd (Tpl). A partir de sa réouverture en 1975, il a été adapté aux nouvelles conditions du trafic maritime mondial : des pétroliers de plus en plus volumineux, puis des porte-conteneurs aux capacités croissantes.


Ainsi, le 25 octobre 2020, le CMA CGM Jacques Saadé, le plus grand porte-conteneurs du monde, propulsé au gaz naturel liquéfié, a traversé le canal de Suez en provenance de Singapour à destination de Malte et de l'Europe du Nord. Long de 400 m, large de 62 m, il transportait 20 723 conteneurs, un record mondial de conteneurs transportés sur un navire.
René TYL
membre de l'AFCAN

Sources

Le canal de Suez, les dimensions d'une voie de passage stratégique, étude publiée en 2018 par Marie-Christine Doceul et Sylviane Tabarly
La rénovation du Canal de Suez s'achève, commandant Lucien Békourian, le Long Courrier, bulletin n° 114, octobre 2015
Le nouveau Canal de Suez, commandant Jean-Marie Pujo, Le Long Courrier, bulletin n° 115, décembre 2015
20 ans de mutations des routes maritimes, ISEMAR n° 190, mai 2017
La fabuleuse et périlleuse aventure du canal de Suez, La Croix, 3 avril 2018
L'Epopée du Canal de Suez, éditions Gallimard, 2018
Le canal de Suez, voie incontournable depuis 150 ans, Le Marin du 14 novembre 2019
Journal de la Marine marchande, 19 juin 2020
Le Marin, 3 mai 2020, 19 octobre 2020
Mer et Marine, 6 mai 2020
Marininfos, 16 octobre 2020

Annexe

La traversée du canal de Suez par Henri Landier

Henri Landier, peintre et graveur célèbre, après avoir navigué dans les années 1950 comme pilotin chez Schiaffino, a été élève puis lieutenant à la Société Maritime Shell. Dans son ouvrage «En mer avec Henri Landier(1)», il évoque les temps forts de ces cinq années de navigation, et en particulier la traversée du canal de Suez qui compte parmi les plus étranges qu'un marin puisse accomplir.

«…Enfin on arrivait à Port-Saïd, entrée du canal de Suez. Ce dernier étant trop étroit pour que des navires s'y croisent, on y arrivait en convois organisés dont les horaires sont calculés de telle sorte qu'ils se rencontrent au niveau des lacs qui occupent la partie centrale de l'isthme de Suez : Timsah et le lac Amer. A Port-Saïd on se mettait donc au mouillage sur un coffre, dans l'attente d'instructions. C'est alors qu'on mesurait à quel point Port-Saïd marque le passage entre l'univers méditerranéen celui de l'Orient, un monde fait de sensualité et d'une autre façon de vivre. En quelques instants, le navire était pris à l'abordage par une foule bigarrée. On avait pris auparavant la précaution de tout fermer à clé car les ponts, les coursives et jusqu'aux salles des machines allaient se transformer en un gigantesque souk où se presseraient les vendeurs de loukoums et de thé, les marchands de pacotille, les artisans comme ces tailleurs qui prenaient alors vos mesures et livreraient le costume à l'escale de retour… Tous ces gens parlant le français, la situation n'en paraissait que plus étrange. Et comme avec la nuit la brise soufflait du rivage, l'air tiède s'alourdissait de parfums épicés.


Au matin, chaque navire embarquait un pilote, car la navigation dans le canal est particulièrement délicate. Du fait qu'il n'existe pas d'écluse entre la Méditerranée et la mer Rouge, les différences de niveau et de température entre les deux mers produisent des courants violents et soudains. C'est au point qu'à certains endroits – qui ne sont pas toujours les mêmes – des mouvements d'eau subits empêchent le bateau de répondre à la barre, avec un temps de retard. Même si le pilote était là pour anticiper le problème, aucun commandant ne franchissait jamais l'isthme de Suez sans une petite inquiétude, car, même si un intervalle de 11 minutes était maintenu entre deux navires, il fallait parfois contrer des mouvements d'eau imprévisibles.
Le canal de Suez est aussi le premier contact avec l'univers minéral qui caractérise la péninsule arabique. Le canal ayant été creusé dans le sable qui revient sans cesse, les fonds restent réduits bien que les dragues travaillent en permanence. Depuis chaque aileron de passerelle, hormis quelques fellahs au travail sur quelques terres irriguées, on ne voit que le désert - du sable et de la poussière -, à l'infini. Au bout de 4 ou 5 heures de route le pétrolier atteint les lacs. Les convois se croisent et on s'observe à la jumelle d'un bord à l'autre en quête de connaissances. Puis on repart, et après encore une demi-douzaine d'heures apparaît Suez, la porte de la mer Rouge. Alors commence l'interminable voyage autour de la péninsule arabique ».

Nota :
Comme le dit Henri Landier dans la dédicace de son ouvrage, nous aurions pu nous rencontrer sur les pétroliers de la Shell sur lesquels il a navigué tandis que j'étais lieutenant puis second capitaine sur ces navires à la même époque, mais pas en même temps.
René TYL

Source : En mer avec Henri Landier, par Dominique Le Brun, éd. Omnibus, 2004

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