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La solitude d'un capitaine au Long Cours
par Anne Lasserre-Vergne


 



« JE SUIS UN VIEUX CAPITAINE CHINOIS ».

      Ainsi se présente Antoine Victor Gaurier (1831-1879) qui sillonnera les mers du globe jusqu’à sa mort. Il commerce avec l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Inde, l’Asie du Sud-Est, l’Indonésie, la Chine, en ayant conscience de vivre une période de transition, d’assister à « l’agonie des voiliers ». Ses lettres témoignent d’une époque où les voyages au long cours s’apparentaient à des expéditions aventureuses.
 

Arrière-arrière-petite-fille d’Antoine Victor Gaurier, Anne Lasserre-Vergne hérite un jour d’une malle au trésor renfermant de nombreux documents dont un cahier sur lequel était inscrit « Copies de Lettres ». L’exploitation détaillée de cette correspondance de Gaurier à ses armateurs et consignataires nous fait découvrir l’organisation du commerce maritime international au XIXe siècle : le remarquable service du courrier, les maisons de commerce, la préoccupation constante des frets, les marchandises embarquées, les relations avec l’équipage, les travaux permanents d’entretien, les contrôles du jeune Bureau Veritas, le rôle d’homme-orchestre d’un capitaine au long cours et la mer...
Sa dernière lettre met fin à la découverte d’une aventure humaine dont la grandeur n’a d’égale que la solitude poignante.

Extrait de l'introduction

« En ce dimanche 24 août 1879, l’Asie-Mineure, un trois-mâts barque entièrement chargé de riz, file vers Belle-Île-en-Mer. La nuit est sombre, le capitaine veille. Il rédige son testament d’une écriture large, affirmée, déterminée. Ses jours sont comptés. Le médecin consulté à Sainte-Hélène vient de le lui confirmer. Dans la pénombre de sa cabine, la plume crisse sur le papier.
[...]
Le capitaine Gaurier a posé sa plume. Il songe à son île, à ce coin de terre battu par l’océan Atlantique, coupé du continent, où sa famille est installée depuis le XVIIe siècle, au moins. Tous, sans exception, ont été ou sont marins de père en fils. Que faire d’autre sur l’île d’Oléron, quand on n’est pas saunier ? Et pourtant, nul n’ignore que la mer a des colères aussi violentes qu’inattendues et qu’elle n’épargne personne, ni ceux qui s’adonnent au petit cabotage, ni ceux qui, comme lui, sont capitaines au long cours.
[...]
Le capitaine Gaurier n’a pas peur de la mort, mais il aurait aimé, même de loin, voir grandir sa fille Laure-Marie, son fils Michel Ludovic dont le premier prénom, donné par son parrain, n’a jamais été en usage. Comme pour lui d’ailleurs. On l’appelle Victor ; il signe Victor. Il n’a que quarante-huit ans, et c’est bien jeune pour mourir. Dans sa cabine éclairée par une lampe à pétrole, munie d’un grillage antidéflagrant, et dont il peut monter ou descendre la mèche cylindrique au moyen d’une molette, il songe à son dernier anniversaire, passé une fois de plus si loin des siens. Où était-il le 5 février de cette année 1879 ? Quelque part entre Bangkok et l’île de Hainan dont les côtes basses n’offrent que des ports bien médiocres. Il n’avait atteint Hoihow, dont la baie est ouverte à tous les vents du nord et de l’ouest, que le 12 mars, après avoir subi toutes les contrariétés possibles. La traversée avait pourtant bien commencé. Le 26 décembre, il avait laissé la rade de Bangkok, poussé par un grand vent du nord-nord-est. Et, dès le troisième jour, il doublait Poulo Obi, au sud du cap du Cambodge. Mais le bateau fut alors pris par des vents violents venant de l’est-nord-est ; pendant une semaine, l’Asie-Mineure dut affronter une mer furieuse, alors que les pompes du navire étaient engorgées par du paddy, ce riz non décortiqué, qu’on avait chargé en grenier... »


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