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Demain : l'économie de la mer
Demain, plus que jamais, tout se jouera sur et sous la mer. C'est par elle que transitera l'essentiel des marchandises. On pourra y transporter encore longtemps bien plus de marchandises, et de façon moins risquée, que par la terre ou par les airs. De nouvelles routes verront le jour. De même, la quasi-totalité des données numériques circulera dans l'avenir par les grands fonds, au détriment de l'espace. C'est aussi en mer que se trouvera l'essentiel des ressources futures. Enfin, si la mer est un lieu de puissance, elle est aussi menacée, et il est important de la protéger.
L'avenir du transport maritime et de l'économie maritime
Le transport maritime mondial n'a cessé d'augmenter année après année, et devrait continuer sa croissance. D'après l'OCDE, la masse acheminée par voie maritime devrait passer de 10 milliards de tonnes en 2016 à 15 milliards en 2030. L'économie maritime, incluant toutes les activités liées à la mer, aura doublé d'ici quinze ans, passant de 1 500 milliards de dollars annuels en 2016 à 3 000 milliards de dollars annuels en 2030. A n'en pas douter, le maritime va être le principal moteur de l'économie mondiale.
On devrait assister à une forte augmentation de vracs solides (minerais, charbon, phosphates, céréales…) et de vracs liquides (produits raffinés, gaz), à l'exception du pétrole brut dont les volumes transportés devraient reculer à partir de 2030. On peut aussi s'attendre à une croissance des échanges par conteneurs qui devraient passer de 1,66 milliards de tonnes en 2015 à 4 milliards en 2050 ; seul le nombre de navires pétroliers devrait augmenter moins vite que par le passé, en raison de l'actuelle surcapacité de ce type de navires.
Par ailleurs, toujours d'après l'OCDE, on peut prévoir d'ici à 2035 un quasi-triplement du nombre de passagers de navires de croisière, passant de 19 à 54 millions de personnes. Et donc du nombre de navires nécessaires pour les satisfaire : 75 paquebots sont actuellement en commande pour des livraisons jusqu'en 2025.
Les grandes entreprises du monde maritime
Près de 90 % des échanges mondiaux s'opèrent par voie maritime, transportés par plus de 48 000 navires qui naviguent sur les mers du globe. Secteur vital et stratégique, le transport maritime est le maillon essentiel d'une chaîne dans laquelle le conteneur, outil de la mondialisation depuis le début des années 60, joue un rôle essentiel.
Selon Alpha Liner, la capacité mondiale de transport par navires porte-conteneurs avait atteint début 2016 près de 20 millions d'EVP à bord de 5 000 navires. Les vingt premiers armateurs dans le transport conteneurisé cumulaient une capacité de 17,2 millions d'EVP, soit une part de marché de 87 %.
- A.P. Moller-Maersk, société danoise basée à Copenhague, est la première entreprise danoise, la première compagnie maritime et le plus grand armement de porte-conteneurs du monde. Elle possède la plus grande flotte mondiale, 1 595 navires et plates-formes pétrolières, dont 604 porte-conteneurs de capacité de plus de 3 millions de conteneurs, et 35 en commande.
- Mediterranean Shipping Company (MSC), société italo-suisse basée à Genève, est la deuxième compagnie maritime mondiale : 500 porte-conteneurs de capacité de 2,6 millions d'EVP. La compagnie MSC Croisières, quatrième compagnie de croisières au monde, possède 12 paquebots et va commander 10 navires de nouvelle génération qui entreront progressivement en service d'ici 2026.
- Le français CMA CGM, numéro trois du transport maritime de conteneurs, possède une flotte de 462 navires d'une capacité de 2,2 millions d'EVP. L'armement dispose de 600 agences dans le monde, de 420 ports d'escale dans 160 pays et plus de 200 services maritimes.
- China Cosco Holdings, premier armateur chinois, basé à Pékin, est le quatrième mondial avec 550 navires dont 130 porte-conteneurs.
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La course au gigantisme
S'il est un secteur où les économies d'échelle se concrétisent de façon spectaculaire, c'est bien le secteur maritime. Depuis plusieurs décennies, une course au gigantisme oppose les principaux transporteurs mondiaux de passagers ou de marchandises. Avec, pour effet principal, la mise en service de navires toujours plus longs, plus larges et plus hauts : en clair, plus volumineux, afin d'y concentrer davantage de conteneurs ou de croisiéristes que la génération précédente.
Dernier exemple en date : la commande de deux paquebots géants au chantier allemand Meyer, en Finlande, par la compagnie italienne Costa Croisières. Ces deux navires, qui seront livrés en 2019 et 2021, devraient mesurer 337 mètres de long et accueillir 6 000 passagers.
De son côté, l'armement MSC Croisières vient de commander au constructeur italien Fincantieri deux paquebots de la série Seaside EVO (pour «évolution») livrables en 2019 et 2021. Ces navires de 339 mètres de long auront une capacité totale de 5 646 passagers, soit 7 280 personnes avec l'équipage.
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Du côté marchandises, CMA CGM a créé l'évènement en commandant en septembre neuf porte-conteneurs de 400 mètres de long et 61,30 mètres de large capables de transporter 22 000 EVP, taille encore jamais vue. Ils seront construits dans un chantier naval chinois, et seront livrés en 2020.
L'armement MSC aurait l'intention de commander une dizaine de gigantesques navires d'une capacité de 23 500 EVP. Ces navires devraient être construits en Corée chez Daewo (DSME). Ils seront destinés à remplacer à l'horizon 2019-2020 sur les lignes Asie-Europe des porte-conteneurs de 13 000 à 14 000 EVP qui arriveront en fin de charte.
Du côté minéralier, on prête au groupe minier brésilien Vale l'intention de commander une trentaine de minéraliers de 400 000 tonnes de port en lourd.
Enfin, un armateur belge vient de prendre possession du plus gros roulier du monde capable de transporter 550 remorques réparties sur 8 000 mètres linéaires. Il devrait être suivi de 12 nouveaux navires identiques.
Tous ces opérateurs obéissent au même mot d'ordre : massifier au maximum le transport maritime afin d'en réduire les coûts, la massification diminuant les coûts au conteneur transporté. Mais cette course au gigantisme devrait connaître des limites, tant au point de vue des capacités d'accueil dans les ports, les infrastructures nautiques et portuaires n'étant pas extensibles, que sur le plan de la sécurité.
Les caractéristiques de ces paquebots géants compliquent singulièrement la tâche des équipages et des sauveteurs, notamment dans le cas d'évacuation et de récupération de près de huit mille personnes à des centaines de milles de la côte. De même, à l'exemple d'un exercice réalisé en Manche, le remorquage d'un de ces énormes porte-conteneurs qui tomberait en avarie par mer difficile n'est pas sans problème.
Le risque de constituer de nouvelles capacités n'est pas non plus à négliger. Que se passera-t-il en effet si cet afflux de navires coïncide avec un fléchissement de la demande ? N'oublions pas qu'à force de commander des navires plus nombreux et plus imposants, les armateurs se sont retrouvés avec des capacités bien supérieures aux besoins et ont provoqué naguère l'une des crises les plus violentes du secteur.
Rappelons aussi qu'il y a une trentaine d'années prévalaient certaines théories en faveur de pétroliers d'un million de tonnes. Les considérations économiques ont fait que ce cap ne fut jamais atteint et que les trois navires de 550 000 tpl construits à cette époque furent assez rapidement envoyés à la casse.
De nouvelles technologies de transport maritime
Une étude sur les gaz à effet de serre (GES), réalisée en 2014 par l'Organisation Maritime Internationale (OMI), avait montré que les émissions de CO2 du transport maritime comptaient pour 2,2 % des émissions mondiales. Si rien n'est fait, le taux de ces émissions pourrait augmenter de 50 % et davantage d'ici 2050 selon les scénarios de croissance du trafic maritime. En octobre 2016, l'OMI a adopté une résolution visant à réduire la teneur en soufre du carburant marin à partir du 1er janvier 2020. Le plafond de la teneur en soufre du fioul marin passera (hors « zones de contrôle des émissions) de 3,5 % à 0,5 %. A l'intérieur des zones de contrôle des émissions, dites «SECA», le plafond de la teneur en soufre des carburants marins est déjà fixé à 0,10 %, depuis 2015.
Devant les incertitudes liées à la mise en application de cette résolution, les raffineurs ne pouvant vraisemblablement pas satisfaire la totalité de la demande en fioul à 0,5 % en soufre en 2020, deux grandes solutions techniques s'imposent pour faciliter la conversion énergétique des navires, l'électricité et le gaz carburant.
La propulsion au GNL
Le GNL présente l'intérêt de préserver la qualité de l'air en émettant une très faible quantité de SOx, de NOx et de particules fines, et en réduisant les émissions de CO2 d'environ 25 %.
Depuis les années 2000 et la mise en place des zones SECA en 2015, le panel des navires utilisant du GNL comme carburant a tendance à s'étendre, d'abord aux navires gaziers, puis aux ferries, aux navires de soutien offshore, aux remorqueurs portuaires et maintenant aux navires à passagers. La flotte fonctionnant au GNL n'a cessé de croître, notamment en Europe du Nord, mais aussi aux Etats-Unis et au Canada, soumis eux aussi à de nouvelles normes environnementales. Selon la société de classification DNV, le nombre de navires, hors méthaniers, utilisant le gaz comme carburant, s'élève aujourd'hui à 195 : 100 en service, 89 en construction et six en reconversion.
Concernant les ferries, le premier fonctionnant au GNL a été le Viking Grace, livré à la compagnie finlandaise Viking Line par le chantier de Turku en 2012.
Du côté français, Brittany Ferries a annoncé le 20 juin 2017 la mise en chantier d'un nouveau navire propulsé au GNL. Premier navire français utilisant ce mode de propulsion, il porte le nom de «Honfleur» et sera mis sur la ligne transmanche entre Ouistreham (Caen) et Portsmouth. La compagnie s'est associée avec Total pour mettre en œuvre une solution originale d'avitaillement au moyen de conteneurs spéciaux. Ceux-ci seront remplis au terminal de Loon plage (Dunkerque), puis chargés sur des camions à destination de Ouistreham où ils seront mis à bord du navire et serviront de cuve à combustible.
Les deux paquebots commandés par Costa Croisières (voir supra) disposeront de moteurs hybrides alimentés avec du GNL, fournissant 100 % des besoins énergétiques.
Seuls quatre porte-conteneurs naviguent actuellement au GNL. CMA CGM réalise une première en équipant d'une motorisation au GNL ses futurs navires de 22 000 EVP (voir supra). Les cuves de GNL, d'une capacité de 18 000 m3, seront situées sous les aménagements avant. Pour un navire de 22 000 EVP qui vaut environ 138 millions de dollars, le surcoût du GNL est estimé à 26 millions de dollars.
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La question du soutage, qui a longtemps résidé dans la capacité à ravitailler les navires, est désormais au centre des attentions. Le groupe CMA CGM s'est engagé dans un véritable partenariat avec les ports et les fournisseurs de GNL afin de mettre en place des chaînes d'approvisionnement nouvelles, efficaces et adaptées tout en assurant une sécurité optimale. Sur la tournée Nord-Europe en provenance d'Asie, trois grands ports ont une offre GNL, grâce à leurs terminaux de regazéification.
La propulsion électrique
La solution qui consiste à utiliser des moteurs diesel comme génératrices pour produire l'électricité nécessaire à la propulsion du navire connaît actuellement un renouveau à la faveur des nouvelles générations de batteries à durée de vie et de cycles de charge-décharge bien plus importante aujourd'hui.
Installées il y a à peine dix ans à bord de vedettes à passagers légères, les batteries se retrouvent aujourd'hui sur des navires bien plus grands, tels les deux nouveaux ferries hybrides de 169 mètres de long réalisant la liaison entre l'Allemagne et le Danemark.
On dénombre actuellement 27 navires à passagers à avoir opté pour des batteries : dix-sept sont en service, dix en construction. Pour ces navires, au-delà de l'utilisation d'une source d'énergie complémentaire sans rejet d'émission polluante dans l'atmosphère, l'absence de bruit et de vibration est le premier bénéfice recherché dans le cas de la propulsion hybride parallèle.
De nouvelles routes
Dans une dizaine d'années, la majorité des échanges par la mer se feront entre les pays d'Asie, et entre eux et le reste du monde. Afin de réduire le temps de trajet, de nouvelles routes maritimes verront le jour d'ici à 2040.
D'abord l'initiative chinoise, «One Belt, One Road (projet OBOR)» a pour ambition de relier la Chine de Guangzhou à l'Afrique de l'Est et à l'Europe par une «route de la soie maritime» longeant l'océan Indien jusqu'à Nairobi et traversant la mer Rouge pour aboutir en Méditerranée. Ce projet concerne 68 pays, 4,4 milliards d'habitants et 40 % du PIB mondial. L'investissement est énorme : plus de mille milliards de dollars. A cela s'ajoute une «route de la soie terrestre», de 6 500 km desservant l'Asie centrale, les pays à risque du Moyen-Orient pour se terminer à Venise, et «une route terrestre ferroviaire» reliant l'Est de la Chine jusqu'à Londres. Ces trois routes sont esquissées et partiellement en service.
Le réchauffement climatique du haut- Arctique a permis la création de deux nouvelles routes en débloquant des itinéraires jusqu'alors interdits, le «Passage du Nord-Ouest» à travers les chenaux de l'archipel canadien, ou le «Passage du Nord-Est» aux confins sibériens.
Le Passage du Nord-Est, rebaptisé «Route maritime du Nord» (R M N) est désormais une route nouvelle qui relie l'Europe à l'Asie en réduisant les distances d'un tiers. Longeant la côte Nord de la Sibérie, il emprunte le cap Nord, le détroit de Kara et aboutit au détroit de Bering. C'est ensuite, pour les navires, la plongée vers Vladivostok et les mégapoles asiatiques.
En empruntant le passage du Nord-Est plutôt que le canal de Suez, le trajet d'un cargo se réduit de 10 900 à 7 200 milles. La durée et les coûts sont tout aussi significatifs : 21 jours de mer par la RMN contre 40 par Suez et des économies en fuel évaluées à un million de dollars. Pour autant, la voie n'est ouverte que 9 mois par an. Malgré de nombreuses contraintes, navigation difficile, frais d'un brise-glace d'accompagnement, surcoûts induits (coque renforcée, coûts d'assurance prohibitifs…), le trafic de la RMN a doublé entre 2016 et 2017, passant de 20 à 40 transits. Chiffre à comparer à celui du canal de Suez qui a enregistré 17 500 transits en 2017 !
Le GNL provenant de la première ligne de production du gigantesque projet Yamal construit dans l'Arctique russe sera évacué vers l'Ouest par gazoduc et par méthaniers tout au long de l'année vers l'Europe du Nord, et vers l'Est et l'Asie lorsque les routes sont praticables.
Dernièrement, en juillet 2018, le méthanier brise-glace Christophe de Margerie, parti du gisement gazier de Snothuit en Norvège, a rejoint en 15 jours le port de Boreyong en Corée du Sud par la route du Nord-Est.
Plus récemment, le porte-conteneurs Venta est arrivé à Saint-Pétersbourg après avoir franchi l'Arctique par le Nord depuis l'Extrême-Orient russe. Parti le 23 août de Vladivostok, le navire a effectué la route arctique en cinq semaines.
Le transport des données numériques passe par la mer
Depuis le premier câble télégraphique posé en 1858, la transmission de l'information téléphonique et internet passe pour l'essentiel par des câbles sous-marins. Pour circuler, les données numériques empruntent, à plus de 90 %, des câbles optiques sous-marins posés sur le fond des océans sur près d'un million de km par des navires câbliers. Ces câbles, d'un diamètre moyen de seulement 2,5 cm, étaient au nombre de 428 début 2017, dont seulement 17 relient l'Europe à l'Amérique du Nord.
Les Etats-Unis sont le pays le plus avancé en matière de transport de données sous-marines et en câbles sous-marins à venir. Microsoft et Google viennent récemment de mettre en fonction un nouveau câble sous-marin en fibre optique de 6 600 km de long reliant l'Etat de Virginie et la ville de Bilbao en Espagne. Ce câble disposera de huit paires de fibres et aura une capacité initiale de 160 térabits par seconde ; c'est la plus importante capacité de transport de données entre les deux continents.
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De son côté, Google avec l'aide de cinq autres entreprises, soutient un projet visant à relier le Japon et les Etats-Unis en très haut débit.
L'intérêt des géants du numérique pour ces câbles sous-marins est de plus en plus important. Ces liaisons intègrent des buts stratégiques très divers, notamment lorsqu'il est question de sanctionner un ennemi étatique ou une entreprise privée, de collecter des données ou de donner une possibilité de négociation aux Etats.
Ces câbles, aussi essentiels à l'économie que les approvisionnements en eau potable le sont aux populations, sont cependant extrêmement vulnérables. La rupture des communications, surtout la coupure d'internet, peut être catastrophique pour un Etat du XXIe siècle. Les coupures de câbles sous-marins peuvent avoir plusieurs origines : chalutiers, mouillage des navires, courants de turbidité, morsures de requins etc. En 2015, une ancre fut à l'origine de la coupure d'un câble qui priva presque toute l'Algérie d'internet pendant deux semaines. Et pourtant, il existe moins de 10 navires câbliers dans le monde capables de les réparer.
Les flux maritimes, aussi bien physiques que numériques, sont devenus nourriciers, au sens propre et figuré, de nos sociétés, de notre mode de vie, de notre développement. Or leur efficacité repose sur leur stabilité, laquelle est aujourd'hui menacée. La grande question n'est pas ces accidents mineurs, mais plutôt le contrôle de ces câbles, qui sont des sujets de convoitise. Depuis les révélations de l'ex-agent de la NSA Edward Snowden, on sait que les services de renseignement sont capables d'intercepter plus du quart des données transmises mondialement par ces câbles. Pour les protéger, les puissances envoient leurs marines de guerre dans les parages.
A côté de ces câbles, les satellites prennent peu de place ; ils ne représentent que quelques pour-cent des revenus globaux du transport des données. Les communications par satellites sont aux câbles sous-marins ce que le transport aérien est au transport maritime. Elles servent surtout à ceux qui ont besoin d'un accès téléphonique en des zones dispersées, c'est-à-dire à l'intérieur des Etats-Unis, de l'Afrique et en mer.
Les ressources sous-marines seront bientôt disponibles
La mer contient des ressources immenses en énergie et matériaux rares, de plus en plus nécessaires. Leur exploitation ne fait que commencer, mais rien ne garantit qu'elle sera écologiquement supportable.
En 2017, les réserves d'hydrocarbures en mer étaient évaluées à environ 650 milliards de barils (20 % des réserves mondiales connues de pétrole et 30 % des réserves de gaz). Mais de telles ressources ne devraient jamais pouvoir être utilisées d'une part pour protéger les fonds marins, et d'autre part pour ne pas émettre du CO2 en consommant ces énergies.
Les océans contiennent aussi des réserves inexploitées de métaux rares, sous forme de sphères d'une dizaine de centimètres, des nodules, composées d'oxyde de fer et de manganèse, de cuivre, de cobalt, de nickel, de platine, de tellure et d'autres métaux rares comme le lithium et le thallium. On estime qu'il y aurait 34 millions de tonnes de nodules, contenant trois fois plus de cobalt, de manganèse et de nickel, et 6 000 fois plus de thallium que la totalité des ressources connues hors des océans.
Dans les océans se trouvent aussi des sulfures hydrothermaux contenant du cuivre, du zinc, du plomb, de l'argent et de l'or ainsi que des éléments rares (indium, germanium, sélénium). Mais l'exploitation de ces nodules et sulfures sera très compliquée techniquement et écologiquement. De plus, les zones contenant ces nodules sont aussi des réservoirs de vie d'une exceptionnelle biodiversité.
La mer, ce sont aussi plusieurs réservoirs importants d'énergies renouvelables : le vent, les marées, les courants. On estime la capacité énergétique des marées et des courants à 160 gigawatts (soit 160 réacteurs nucléaires) ; celle des vagues à entre 1,3 et 2 térawatts (soit de 1 300 à 2 000 réacteurs nucléaires) ; celle des gradients thermiques à 2 000 gigawatts et celle des gradients de salinité (dus à la différence de concentration en sel au lieu où les fleuves rencontrent la mer) à 2 600 gigawatts. On ne sait pas encore comment les récupérer de façon significative et durable.
Au total, la mer restera au moins la deuxième activité humaine, devançant le secteur agroalimentaire.
La mer, un lieu de puissance, source de confrontations futures
Les nations dominantes seront vraisemblablement toutes situées autour du Pacifique. Elles voudront toutes, et d'abord les Etats-Unis et la Chine, maîtriser l'ensemble de cet océan. Et en particulier, y contrôler l'accès aux matières premières et les réseaux de transport de leurs marchandises.
Elles s'affronteront aussi dans les zones de passage des grands navires, qui conditionnent leurs approvisionnements et leurs exportations ; dans les zones déterminant de vastes réserves de matières premières ; et aussi aux points de passage des câbles sous-marins.
On peut nommer ces zones potentielles de conflit dans un ordre de probabilité décroissante :
- La mer de Chine méridionale, intense lieu de passage par lequel transitent 90 % du commerce extérieur de la Chine et 30 % du trafic mondial. Le trafic y est trois fois plus important que celui du canal de Suez et cinq fois plus que celui du canal de Panama ;
- La mer de Chine orientale où se trouvent les cinq plus grands ports mondiaux, et où circulent 20 % du commerce mondial ;
- L'océan Indien par lequel passe la quasi-totalité des importations et des exportations chinoises :
- La mer Rouge reste essentielle, par laquelle passe 20 % du commerce mondial des produits manufacturés et pétroliers ;
- Le golfe Persique où se trouve 60 % des réserves de pétrole mondiales dont on exporte la moitié ;
- La Méditerranée garde aussi une importance stratégique majeure. Par elle passent 30 % du commerce mondial ; 130 000 navires, dont 20 % des pétroliers et 30 % des cargos, y circulent. Ses côtes forment la première région touristique de la planète. Face aux 500 millions d'habitants de sa rive riche survivent 1 milliard d'habitants (bientôt 2 milliards) sur sa rive pauvre. Plus de 360 000 migrants l'ont traversée en 2016. Des bateaux de plus en plus grands transportent chacun jusqu'à 900 personnes. D'où la présence renforcée de nombreuses flottes de guerre.
- Enfin l'Atlantique, longtemps si convoité, n'est plus un enjeu pour le moment. Seul l'Atlantique Sud est encore surveillé, parce qu'il est une route du commerce international de la drogue entre l'Amérique latine et l'Afrique, et parce que le golfe de Guinée contient de grandes ressources pétrolières et de vastes réserves de pêche.
Les détroits reliant ces mers sont aussi exceptionnellement stratégiques, source de conflits :
- Par le détroit de Malacca passent chaque année plus de 65 000 navires, avec près de 20 % du trafic maritime mondial. L'étroitesse du détroit en fait une cible privilégiée de la piraterie et du terrorisme, qui pourraient bloquer toute l'économie mondiale. Il suffirait d'y couler trois navires.
- Par le détroit d'Ormuz passent chaque année 2 400 pétroliers transportant chaque jour 17 millions de barils de pétrole et 30 % du commerce mondial de pétrole.
- Par le détroit de Bab-el-Mandeb transitent tous les navires qui vont de la mer Rouge à l'océan Indien.
- Par le canal de Mozambique circulent de très nombreux navires. Sous la mer, il y a beaucoup de pétrole.
L'Arctique recèle d'énormes réserves de pétrole et de gaz enfouies dans cette région, sans oublier d'importants gisements de minerais. Il n'est pas protégé des convoitises nationales par un traité spécifique, comme l'est l'Antarctique, mais seulement par les règles générales du traité de Montego Bay de 1982. Aussi tous les riverains, le Danemark (avec le Groenland), l'Islande, la Norvège, la Russie, le Canada et les Etats-Unis (avec l'Alaska), réclament-ils le droit de s'y approprier des zones économiques exclusives (ZEE) et d'y faire transiter leurs navires par les passages décrits précédemment.
Or ces revendications sont contradictoires, car leurs ZEE se recouvrent (Norvège et Russie, Canada et Etats-Unis, Canada et Russie, Danemark et Russie) et les conflits potentiels sont donc très nombreux.
Pour gérer ces menaces, des marines de guerre
Face à ces menaces, à la fois pour attaquer et pour se défendre, toutes les armes seront nécessaires : la marine, l'aviation, l'armée de terre et les satellites pour surveiller. En particulier, les marines de guerre vont prendre des proportions gigantesques.
A l'avenir, la course aux armements se jouera d'abord en mer, et entre les Etats-Unis et la Chine.
Les Etats-Unis disposent aujourd'hui de 50 sous-marins nucléaires d'attaque (SNA), de 14 sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), de 11 porte-avions et de plus de 275 navires de guerre. En 2034, l'US Navy devrait compter au moins 300 navires de guerre, dont 3 nouveaux porte-avions embarquant des avions de chasse.
La Chine qui possède aujourd'hui 183 navires de guerre dont la plus importante flotte de sous-marins d'attaque au monde (65 contre 50 aux Etats-Unis), accélère considérablement le développement de sa marine de guerre. En 2030, sa flotte de guerre sera supérieure à celle des Etats-Unis.
Le Japon, l'Inde et l'Indonésie, le Vietnam et l'Australie disposent aussi d'importantes flottes de guerre.
Au total, en 2030, la Chine, le Japon, Taiwan, la Corée, le Vietnam, Singapour, l'Inde, le Pakistan, l'Indonésie et la Malaisie auront plus de la moitié des sous-marins du monde et presque autant de porte-avions que le reste de la planète.
La Russie, pays profondément continental, commence à se positionner sur la mer et à être présente sur tous les océans.
Le Royaume-Uni disposera en 2030 de la plus puissante flotte navale de son histoire, grâce à deux nouveaux porte-avions, 4 SNLE et au moins 7 SNA.
La France a vu sa marine très largement réduite. Dans 20 ans, elle disposera de nouvelles frégates et d'un nouveau porte-avions. On peut craindre, si elle ne fait pas de la mer une priorité stratégique, qu'elle doive se résigner à abandonner la protection de tout ce qui n'est pas son territoire métropolitain et ses DOM/POM dans le Pacifique et l'océan Indien. En particulier, elle n'aura pas les moyens de protéger l'ensemble de sa ZEE, qui devrait pourtant constituer le cœur de son patrimoine futur.
Enfin, le terrorisme maritime pourrait devenir une nouvelle forme de guerre de l'avenir. On peut imaginer bien des formes qu'il pourrait prendre : utiliser des sous-marins et des drones, précipiter des bateaux-suicides sur des navires de croisière ou sur des ports, ou encore briser des câbles sous-marins.
Sauver la mer
Si l'on s'intéresse à ce qui menace l'humanité, et à toutes les promesses de l'avenir, tout ramène à la mer. Sur le terrain des menaces, les huit principales contraintes planétaires dépendent toutes de la mer et des agressions qu'elle subit :
- La concentration de CO2 dans l'atmosphère,
- La proportion d'ozone dans l'atmosphère,
- Le degré d'acidité dans l'océan,
- La proportion de phosphore rejeté dans les océans par l'agriculture et les eaux usées,
- La proportion d'azote dans l'atmosphère et dans les sols,
- La disponibilité d'eau potable,
- La disponibilité de terres cultivables,
- Le maintien de la biodiversité.
A l'inverse, les promesses de la mer sont tout aussi considérables :
- Elle contient tout ce dont l'homme a besoin pour respirer, boire, se nourrir, échanger,
- On y trouve aussi des richesses minérales et énergétiques de toutes sortes,
- Elle représente une valeur économique considérable, estimée à 24 000 milliards de dollars, et une production annuelle de biens et de services estimée à 2 500 milliards, ce qui en ferait la 7e puissance économique du monde,
- C'est aussi le cadre principal du transport de biens et de données,
- C'est encore un lieu d'innovations et de création de produits nouveaux très prometteurs pour l'humanité, notamment en matière de santé et d'alimentation.
C'est par la mer que passera une part essentielle de notre richesse future. Il faut donc la protéger, et agir, à tous les niveaux.
En conclusion, il convient de prendre conscience que l'avenir des nations appartient à ceux qui sauront mettre en œuvre une réelle stratégie maritime et côtière. Non pour continuer à piller la mer mais pour la valoriser et protéger cet incroyable trésor pour le plus grand profit des générations futures (Jacques Attali).
René TYL
membre de l'AFCAN
Sources
Histoires de la mer par Jacques Attali, librairie Arthème Fayard, 2017
Le Marin
Mer et Marine
L'Antenne
Marine et Océans
Coup de sifflet bref (Hydros)
La Provence du 30/9/2017
Dossier de presse 2017 CMA CGM
IFP, Energies nouvelles 13/2/2018
Le Figaro
Alpha Liner
OCDE, l'économie de la mer en 2030
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