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Souvenirs de capitaine :
Deux élèves in Dixie Land.


       C'était fin juin 1946, dès que nantis du diplôme d'EOLC, mon camarade G.M. et moi embarquèrent sur le Libertyship «Samuel de Champlain» prêté à la France par les USA.

 
       La destination était Charleston, Caroline du Sud, où il nous fallut attendre près de deux mois avant d'embarquer le plein de charbon prévu…

       Deux mois à Charleston cela marque évidemment. Nous nous demandions d'ailleurs pourquoi nous attendions sur rade avant d'aller charger sous les spouts alors que les autres navires, et pas seulement sous pavillon US, y accostaient sans trop de délais, ce qui indiquait qu'il n'y avait pas pénurie de marchandise. Si quelques hypothèses furent avancées, il n'y eu toutefois pas d'explication officielle.

       Si la majorité de l'équipage trouvait le temps long faute de devises à dépenser et aussi de pratique de la langue, ce n'était pas notre cas. En effet, nous n'avions pas à nous plaindre de notre séjour car ayant en ce qui concerne G.M. une très bonne et pour moi une petite connaissance de la langue anglaise, nous avons pu nous débrouiller et établir des contacts assez rapidement et ce, surtout grâce au «Seaman Club» local.

       C'est ainsi que nous fûmes invités à des pic-nics dominicaux auxquels, pour pallier nos moyens financiers extrêmement limités, nous participions en apportant du vin de cambuse que nous mettions en bouteille pour une meilleure présentation. De toute façon le «french wine» était alors apprécié d'office.

       Une anecdote mettant en œuvre le «cambusar» me revient en mémoire. Nous avions fait, était-ce via l'agence ou le Seaman Club, la connaissance d'un vieux gentleman qui se trouvait être l'oncle de Margaret Mitchell, l'auteur de «Gone with the wind» (Autant en emporte le vent). C'était une figure typique du vieux Sud, roulant en Packard (c'était plus chic qu'une Cadillac) avec chauffeur et gratifiant d'un cigare le «coloured» qui venait lui ouvrir la portière.

       Toujours est-il qu'un samedi soir, il nous avait invités à terre et que, une fois de plus pour ne pas arriver les mains vides, nous descendîmes avec quelques bouteilles de vin. Ce geste fut apprécié, plus qu'à sa juste valeur même, mais le hic fut de pouvoir déguster notre présent. En effet, la Caroline du Sud était un «État sec» durant le week-end. Qu'à cela ne tienne et nous voilà embarqués dans la Packard en route vers la Géorgie voisine qui n'appliquait pas les mêmes règles restrictives. C'est ainsi que nous avons atterri dans un club privé où, tout en dégustant du «fried chicken», nous avons partagé l'objet du voyage avec des amis de notre hôte, eux aussi «old southerners» semblant sortis tout droit d'un film d'époque. Même si le poulet était ma foi assez délectable, c'est surtout l'ambiance générale qui m'a marqué d'autant plus que je venais de lire «Gone with the wind» en anglais dans les mois qui précédaient.

       Une autre anecdote, sans connotation œnologique celle-là, m'a assez marqué pour que je m'en souvienne encore. J'ai indiqué que G.M. était fort à l'aise en anglais, ce qui lui valut d'être un jour convié à faire une causerie sur la France dans un collège de jeunes filles de la bonne société locale. Je l'avais accompagné en cette occasion mais m'étais assis dans la salle (on the floor) alors que lui était évidemment placé sur l'estrade (on the stage). Position qui se révéla assez inconfortable lorsque, son brillant exposé étant terminé, la responsable de l'école fit lever l'auditoire et lui demanda d'entonner la Marseillaise, ce à quoi nous fûmes évidemment très sensibles. Tout au moins jusqu'à la fin du premier couplet, le seul qui nous fut familier. Mais ce n'était pas fini car les suivants étaient également connus de ces charmantes jeunes filles. Cela allait encore pour moi qui était installé en fond de salle et dont les à peu près ne purent être remarqués, du moins je l'espérais, mais était bien plus délicat pour G.M. qui ne pratiquait pas le «play back», technique d'ailleurs sans doute encore inconnue à l'époque. Enfin il s'en sortit, me semble-t-il, avec élégance à son accoutumée.

Cdt Jean Chennevière.

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