Savoir où l'on est.
Avec l'aimable autorisation de la SNSM, nous publions l'article de M. Jean-Claude Hazera paru dans le numéro 154 de la publication des Sauveteurs en mer : "SAUVETAGE", qui passe en revue les nécessités pour la navigation de plaisance, qui d'ailleurs, sont les mêmes pour la navigation commerciale : rigueur et bon sens.
Début août. Une quinzaine de milles à faire entre Concarneau et Port Manec'h pour ramener un voilier après carénage. Deux personnes à bord. Même pas une « vraie navigation » dans l'esprit du skipper. Principaux risques identifiés : avoir très chaud et pas de vent. Approvisionnements en crème solaire et en essence vérifiés. Surprise ! À peine sorti des passes de Concarneau, le bateau se trouve pris - avec bon nombre d'autres - dans une brume de chaleur à couper au couteau, qui va durer trois bonnes heures.
ÉCHOUEMENT ÉVITÉCet épisode, vécu cet été par l'auteur de ce dossier, mérite un retour d'expérience en raison de sa grande banalité. Banal parce que l'erreur humaine est banale. Banal parce que la majorité des interventions des Sauveteurs en Mer pour la plaisance s'opèrent par beau temps près des côtes (en 2019, la moitié ont eu lieu par mer belle, à une distance moyenne de la station de sauvetage de 3,5 milles). Banal, enfin, parce que plus de 15 % des interventions sont motivés par des échouements.Que s'est-il passé ? Pressé de ne pas laisser son équipière trop longtemps seule face au brouillard, ayant peu pratiqué la carte marine récemment, le skipper s'est mélangé les crayons en reportant trop vite ses minutes de latitude sur la carte. Le bateau n'était pas encore là où il l'avait positionné. Deux «carrés» d'écart et il a viré trop tôt vers la côte, avant la pointe qu'il voulait passer. Ce qui nous a épargné l'accident ? Ne pas nous en être remis à une seule méthode de positionnement. Le sondeur nous a pré-alertés et, surtout, la veille visuelle nous a sauvés, même dans le brouillard. Ajoutons que, en cas d'accident et de message de détresse, la radio VHF ASN (les nouvelles VHF numériques), étant couplée au GPS, aurait transmis automatiquement la bonne position du navire, sans erreur de lecture possible. Ce qui nous a manqué, en plus d'un skipper moins étourdi ? Disposer de méthodes de positionnement redondantes. L'hélice du loch n'avait pas été remise en place, donc tenir une estime de distance parcourue sur la carte n'était pas envisageable. Et le skipper, vieux jeu, n'a pas assez profité de la navigation électronique. Sans même parler de traceur, d'ordinateur ou de tablette à bord, une simple cartographie marine de base sur le smartphone l'aurait alerté quant à l'erreur de positionnement sur la carte. Même Google Maps aurait fait l'affaire, notamment en version image satellite. Avant d'explorer les ressources de la navigation électronique, écartons cependant l'idée que ce quasi-accident s'explique uniquement par l'utilisation d'un moyen de navigation vétuste - la carte papier -, et que tout va pour le mieux dans le monde merveilleux du numérique.
Troisième mise en garde, connaître sa position est essentiel pour éviter l'accident, mais aussi pour la transmettre aux secours en cas de difficulté. On est toujours étonnés du nombre d'appels qui ne mentionnent qu'une position approximative, souvent erronée, qui va retarder considérablement les sauveteurs, voire les empêcher de vous localiser. On le comprend un peu quand il s'agit d'un kitesurf ou d'une très petite embarcation, encore que l'on dispose désormais de moyens simples de se situer et de donner l'alerte avec une position précise (comme, par exemple, DIAL - voir encadré page 33). On ne le comprend plus quand il s'agit d'une vedette à moteur de 14 mètres, échouée par temps calme en baie d'Aigues-Mortes, qui communique une position fausse aux sauveteurs de Port Camargue en août dernier. CHOISIR SA CARTOGRAPHIE ET SON EQUIPEMENTCet hiver, grâce au Père Noël peut-être, vous vous équiperez en moyens de positionnement électroniques. N'achetez pas de matériel sans vous poser la question du logiciel et de la cartographie. Il est recommandé de s'assurer, par exemple, de la disponibilité de cartes de détail dans les zones où vous aimeriez naviguer. Toutes les cartes ne sont pas compatibles avec tous les matériels.Voici quelques exemples
Comment utiliser les cartographies électroniquesLe mouillage de l’île du Loch et l’île Cigogne dans l’archipel des Glénan sur Google Maps (version image satellite) et sur la carte raster du Shom. Maps peut apporter un complément d’information intéressant dans certains cas. Quelques précautions de base sont utiles, quand on prend en main un bateau de location, par exemple. Avant le départ. Que fera-t-on en cas de panne d'électricité ? Dispose-t-on d'un petit GPS portable, d'une carte papier, d'un compas et d'un crayon pour se positionner ? Si l'on compte sur son smartphone, affiche-t-il bien sa position en degrés, minutes et secondes ? Des applications gratuites le font. Donne-t-il toujours une position s'il ne capte plus le réseau GSM ? Vérifiez que les cartes ou guides papier ne datent pas trop et sont bien calés sur le repère géodésique qui est celui des GPS : WGS 84. Sinon, avant le départ, évaluez, au port ou au mouillage, le décalage entre GPS et carte. Cette précaution correspond à un adage beaucoup plus général : assurez-vous régulièrement de la concordance entre le virtuel et la réalité. «Une fois en route, vérifiez que l'image du bateau bouge bien sur la carte et vous situe à un endroit vraisemblable», ajoute Thomas Colin, à la direction de la formation des Sauveteurs en Mer. Une perte de signal GPS est toujours possible. Conservez une marge de sécurité. GPS et carte électronique donnent envie de visiter des anses et des mouillages où l'on ne se serait pas risqué sans. Les GPS sont d'une précision de plus en plus extraordinaire, parfois supérieure à celle des cartes, surtout si l'on est dans des eaux exotiques. Donc, attention au rase-cailloux. Regardez dehors : la réalité ! C'est ce que répètent sans cesse Antoine Breton, responsable de la formation des sauveteurs embarqués à la SNSM, et son équipe de formateurs, aux futurs patrons de navires de sauvetage. La hauteur d'eau mesurée par le sondeur est-elle cohérente avec la position sur la carte ? Un phare, une jetée, une pointe sont autant d'occasions de relèvement pour surveiller sa position. Un truc simple suggéré par le journaliste Sébastien Mainguet dans Voiles et Voiliers : consultez Google Maps version image satellite. On y voit souvent bien l'image des fonds, même si l'on ne connaît pas exactement l'heure de la marée à laquelle est passé le satellite, ni quand l'image a été mise à jour. Plus on s'approche des cailloux, plus l'un d'entre eux a pu être oublié ou positionné de manière imprécise sur la carte. Il y a quelques années, munis d'un excellent guide de navigation anglo-saxon et de ses croquis, nous posâmes tranquillement l'ancre dans un charmant mouillage de l'île de Minorque. Une fois à l'eau avec son masque, le skipper réalisa que le gros caillou autour duquel il taquinait les poissons n'était pas mentionné sur le super croquis du super guide et culminait près de la surface, pas loin du bateau. «Plus on rase la côte et les cailloux, plus il faut confronter la réalité avec cartes et GPS» Entrez toujours doucement dans un mouillage en écarquillant bien les yeux sur les vrais cailloux. Et profitez de l'hivernage pour lire un petit document à télécharger gratuitement sur le site du Shom, dont le titre dit tout : L'hydrographie, les documents nautiques, leurs imperfections et leur bon usage. Si vous demandez au super logiciel de votre choix de suggérer automatiquement une route d'un point à un autre, prenez le temps d'étudier ce qu'il vous propose. Les waypoints doivent respecter une bonne marge de sécurité. Lisez les instructions nautiques ou le guide pour savoir comment se comportent la mer et le vent au passage de tel cap ou de tel détroit, ou sous le vent de telle île escarpée. Lors du tour du monde en équipage en 2014, le Team Vestas Wind est monté sur un récif corallien.
Un problème de zoom sur la carte électronique vectorielleQuant aux problèmes de zoom sur les cartes électroniques, on peut lire des histoires qui résument bien la question. Par exemple, celle de Team Vestas Wind, superbe voilier de course engagé dans le tour du monde en équipage, qui, en novembre 2014, dans le nord-est de l'île Maurice, est monté tout droit à pleine vitesse sur un récif corallien. Le navigateur avait tracé sa route idéale en faisant certainement très attention à la météo. Mais, utilisant une carte vectorielle (souvent les seules disponibles dans des parages lointains), il avait omis de zoomer sur les détails qui lui auraient révélé l'existence du récif dangereux. Depuis, les logiciels ont fait des progrès.«Sur la dernière version de TZ, si ça ne passe pas, la route change de couleur et devient rouge», décrit Thomas Colin. Mais il explique aussi les dangers de l'«over zoom», que l'on ait recours à une carte vectorielle ou raster (voire une carte papier !). Si l'on ne s'intéresse qu'aux détails à 50 mètres du bateau et qu'en plus on ne lève pas les yeux, on risque de ne pas voir le haut-fond situé droit devant. Pensez aux mises à jourHormis sur les grands bateaux et dans la Marine nationale, rares sont les marins exemplaires en matière de mise à jour des cartes. Rares ils étaient du temps des cartes papier. Trop rares ils restent avec les cartes électroniques, que l'on peut pourtant actualiser en quelques clics pour quelques euros. Les sauveteurs eux-mêmes ne prétendent pas toujours à la perfection. Mais les patrons connaissent extrêmement bien leur zone.Au moment de choisir, pensez à cette fonction. On note des différences importantes en matière de mises à jour (fréquence, prix, etc.) ; avec parfois un cadeau qui peut se transformer en piège : les cartes qui restent accessibles même si vous n'êtes plus abonné aux mises à jour. Ayez au moins conscience de ce qui peut vous manquer, en imaginant le pire (nuit noire, brouillard).
Jean-Claude Hazera
SNSM |