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Vers des navires et des aéronefs sans équipage ?
Colloque à l'École Militaire du 9 et 10 décembre 2019, à Paris
Compte-rendu par le Cdt Pizon, vice-président de l'AFCAN
L'Académie de l'air et de l'espace et l'Académie de marine se sont associées pour étudier cette problématique, qui présente de nombreux points communs entre ces deux domaines. L'objectif du colloque est de parcourir les diverses facettes de l'automatisation et de l'autonomie en mettant en perspective les similarités et les différences entre le maritime et l'aéronautique, en tenant compte de la maturité des concepts et des ensembles normatifs respectifs.
Après une présentation des perspectives technologiques, les attentes des exploitants et des constructeurs ont été examinées dans une table ronde mettant en relief les tendances communes. Ensuite, une session a été consacrée aux objectifs de sécurité et de cybersécurité et aux cadres réglementaires et normatifs associés. Ceux-ci devront évoluer significativement pour une automatisation poussée, avec une attention particulière sur les méthodes à utiliser pour la conception et la validation des systèmes d'information et de communication, qui sont au cœur de l'automatisation et qui présentent des défis particulièrement ardus de sécurité et de sûreté. La table ronde suivante a mis l'homme au centre du dispositif en traitant notamment de l'emploi, de la formation et de l'acceptabilité sociétale, faisant intervenir des spécialistes de ces domaines, des opérateurs embarqués et opérateurs des centres de supervision et contrôle. Les questions juridiques, touchant notamment des questions de responsabilité d'assurances, ont enfin été évoquées en fin de colloque.
Les perspectives technologiques
Les progrès spectaculaires de la technologie dans les domaines du recueil, du traitement et de l'exploitation des données numériques ouvrent la perspective d'automatismes intelligents et plus ou moins autonomes et conduisent à envisager l'exploitation de navires et d'aéronefs sans équipage embarqué. La session a éclairé sur l'état actuel de la technologie et sur les ambitions de la recherche européenne en matière d'automatisation et d'autonomisation des transports maritimes et aériens.
- Une vision européenne par M. Andréa GENTILI, chef adjoint d'unité, Industries à faibles émissions du futur, DG recherche et innovation, Commission européenne.
- Galileo, an essential tool for autonomous ship and aircraft opérations, par Simon PLUM, project manager for Galileo service operator at Spaceopal GmbH.
- L'intelligence artificielle, bases, évolutions et risques par Claude ROCHE, vice-président de l'Académie de l'air et de l'espace, ancien vice-président Grands systèmes de Matra Défense Espace.
Risques basiques de l'IA :
- Les buts du système construit ont été insuffisamment bien définis: ils ne sont pas complets ou bien contradictoires (la machine HAL de 2001, l'Odyssée de l'espace)
- Les données d'apprentissage et/ou de test n'ont pas été représentatives des situations possibles, ou ont oublié des situations exceptionnelles importantes. Quid de l'inattendu ?
- La construction de l'apprentissage profond n'a pas été mené jusqu'au bout
- Par définition, les systèmes IA auront toujours un taux d'erreur non nul
L'IA forte du futur lointain, qui aura des capacités pour proches de celles de l'humain, aura les mêmes défauts dans les mêmes 4 cas, et pour les mêmes 4 raisons, l'humain de même!
- Automated and connected waterborne transport par M. Benoît LOICQ, director Technical and Environmental Affairs, SeaEurope.
- L'automatisation des passerelles par M. Jean-Michel HUBERT, lead system architect, iXblue.
La tendance de fond concernant la navigation maritime est la réduction des équipages pour des raisons de coûts. Cette réduction des effectifs passe par une automatisation des systèmes de navigation. La phase ultime de cette automatisation passe par l'ajout de l'intelligence nécessaire pour prendre des décisions qu'un navigant prendrait. Ceci suppose que le drone de surface ou USV soit capable de capter son environnement, évaluer la situation nautique, respecter les COLREG, prendre en compte la météo, être capable de naviguer seul où à plusieurs de façon collaborative...
Plus les drones deviennent intelligents, plus le nombre de failles potentielles en termes de cyber sécurité augmente.
- Le démonstrateur de drone de combat furtif nEUROn par M. Eric BOUCHARD, architecte système, Dassault Aviation.
Pour un drone de grande taille comme le démonstrateur nEUROn, la définition de la place de l'homme dans le contrôle de la machine constitue un axe essentiel de la conception. L'absence du pilote à bord, les caractéristiques du lien entre sol et bord, ainsi que les contraintes réglementaires ont conduit à des choix de définition de ce qu'est l'autonomie de la machine. Autonomie qui permet de laisser la machine s'auto-gérer jusqu'à un certain point. Mais aussi autonomie « impérative », absolument nécessaire pour démontrer la conformité aux exigences réglementaires et de sécurité. Le drone évolue dans un volume prédéfini, dont la sortie éventuelle entraîne le retour automatique et le poser à son point de départ.
- La vision d'un organisme de recherche par Dr-lng. Christian ESCHMANN, Programmstrategie Luftfahrt, DLR (Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt).
Les attentes des exploitants face à l'offre des constructeurs.
Au cours de cette table ronde, les intervenants ont dialogué sur la façon dont les offres technologiques en matière d'automatisme et automatisation répondent aux attentes des exploitants.
- L'offre pour les navires par M. Olivier DOUCY, président de SIREHNA, filiale de Naval group.
- L'offre pour l'aviation d'affaires par M. Bruno STOUFFLET, Académie de l'air et de l'espace, vice-président Recherche et développement, Dassault Aviation.
- L'offre pour les avions de transport par M. Pascal TRAVERSE, général manager Autonomy thrust, Airbus.
- Les attentes d'un opérateur maritime par M. Frédéric MOULIN, vice-président Operational innovation, Bourbon
- Les attentes d'un opérateur maritime par M. Antoine PERSON, secrétaire général de Louis Dreyfus Armateurs.
Louis-Dreyfus Armateurs exploite différents types de navire, chacun nécessitant un examen particulier pour leur autonomisation. L'activité essentielle pour Louis-Dreyfus est celui du transport de vrac. La masse salariale représente 1% du coût d'exploitation. L'entretien du navire s'effectue pendant les traversées et la réduction ou la suppression de l'équipage obligerait à arrêter le navire pour effectuer l'entretien, ce qui entraînerait une perte d'exploitation notable.
- Les attentes d'une compagnie aérienne par M. Marc ROCHET, président, French bee.
La sécurité et la cyber-sécurité.
Navires et aéronefs sans équipage, ou avec équipage réduit, dotés d'une automatisation poussée, devront satisfaire aux exigences réglementaires de sécurité tant vis-à-vis des personnes transportées qu'aux personnes et aux biens au sol. Les objectifs de sécurité dépendront des missions, qu'il s'agisse de transport de passagers sur longue ou courte distance, ou encore de transport de fret. Les problématiques de cyber-sécurité ont également été abordées.
- Quelles adaptations pour la réglementation aéronautique ? par M. Georges REBENDER, former head of Aircrew & médical department, AESA (Agence européenne de la sécurité aérienne).
- Comment certifier les systèmes automatisés des navires ? par M. Jean-François SEGRETAIN, directeur technique du Bureau Veritas.
- Quels objectifs de sécurité, pour quelles missions ? par M. Alain GARCIA, ancien vice- président de l'Académie de l'air et de l'espace, ancien directeur général technique d'Airbus avions commerciaux.
- Le conseil cyber pour le transport aérien (CCTA), une instance partenariale pour adapter le transport aérien aux menaces cyber par M. Guillaume COUNIO, chargé de mission Cybersécurité à la Direction du transport aérien de la DGAC.
- Moins d'hommes pour plus de sécurité ? par M. Bertrand de COURVILLE, Académie de l'air et de l'espace, ancien commandant de bord d'Air France.
Il y a 30 ans beaucoup pensaient impossible de faire progresser la sécurité en raison de la part prise par les erreurs des pilotes dans les accidents. Or, cette sécurité n'a cessé de progresser depuis.
On attribue souvent ces progrès à la seule introduction de nouveaux automatismes mais c'est un meilleur fonctionnement des hommes avec des interfaces et des automatismes plus adaptés qui a permis ces progrès.
Le transport aérien n'a jamais été aussi sûr alors que les vols “autonomes” n'existent toujours pas. Les décisions importantes pour la sécurité en vol sont toujours prises et mises en œuvre par deux pilotes et plus de 99 % des atterrissages sont encore réalisés manuellement.
Alors, pourquoi avons-nous aussi peu d'accidents aujourd'hui ? Et dans ces conditions, peut-on raisonnablement espérer faire mieux avec un pilote en moins, voire sans pilote ?
La dimension humaine : emploi, formation, acceptabilité sociale.
Au cours de cette table ronde, acteurs de première ligne et formateurs ont exprimé leur vision des évolutions possibles de leur métier et des adaptations nécessaires en matière de formation.
- Quelles conséquences pour la formation des pilotes d'avions ? par M. Jean-Michel BIGARRÉ, head of Worldwide training, Airbus Training Service.
- L'évolution du métier des contrôleurs aériens par M. Marc BAUMGARTNER, coordonnateur SESAR/contrôle aérien, IFATCA.
- Quelles conséquences pour l'emploi maritime ? par M. Nicolas SINGELLOS, chef de bureau de l'emploi et de la formation maritime au ministère de la Transition écologique et solidaire.
- Quelles adaptations pour la formation maritime ? par M. Hervé BAUDU, de l'Académie de marine
- Le point de vue d'un pilote maritime par M. Jean-Philippe CASANOVA, président de la Fédération française des pilotes maritimes (FFPM).
- La formation des pilotes de drones par M. Nicolas MARCOU, directeur de programme drones, Direction générale de l'aviation civile.
Aspects juridiques et responsabilités.
Cette session a abordé les questions nouvelles posées par l'autonomie des véhicules en matière juridique et fixation des responsabilités civiles, notamment vis-à-vis des assurances. La question des responsabilités pénales a également été abordée.
- Assurance de navire autonome par M. Frédéric DENÈFLE, directeur général du CESAM.
- Assurance d'aéronef autonome par Mme Sophie MOYSAN, directrice juridique et sinistres, la Réunion Aérienne.
- La question des responsabilités civiles par M. Philippe DELEBECQUE, de l'Académie de marine, professeur de droit, Université de Paris Sorbonne I.
Définition du navire et jurisprudence : « engin capable d'affronter les périls de la mer ». Code des transports, art. L. 5000-2). C'est un bien meuble original ayant un état civil (nom, domicile, nationalité).
Avec le navire sans équipage, il y a disparition du capitaine, ce qui entraîne une évolution des conventions internationales et l'apparition d'une première réglementation, le code du transport, article L. 5121-3.
Le navire sans équipage et la responsabilité contractuelle : quelle est la responsabilité en cas d'affrètement à temps et au voyage, que deviennent l'obligation de bonne navigabilité et l'exonération pour faute nautique ?
Le navire sans équipage et la responsabilité extra contractuelle en cas d'abordage et d'autres dommages à qui imputer la faute ? à qui attribuer la garde du navire ?
Navire sans équipage et la réparation des dommages : que devient la limitation de responsabilité ? (Convention de Londres de 1976), comment sera-t-elle mise en œuvre, et à qui imputer la faute inexcusable ?
On serait tenté d'établir le navire sans équipage en personne juridique, ce qui n'est pas possible car il s'agit d'un bien.
- La question de la responsabilité pénale par M. Simon FOREMAN, de l'Académie de l'air et de l'espace, cabinet Courrégé Foreman.
Le droit s'est toujours adapté aux évolutions sociales et technologiques. Il s'adaptera sans aucun doute aux nouveaux risques qui accompagneront le développement de la technologie des véhicules autonomes, que ce soit par l'action du législateur pour incriminer de nouveaux comportements ou par l'intervention du juge.
Cette technologie lance un défi particulier au droit pénal en modifiant les rôles de chacun, le rôle du pilote, du conducteur ou du capitaine qui n'est plus seulement tenu par une personne, mais parfois aussi par la machine elle-même, dotée d'une intelligence artificielle. Qui pourra-t-on sanctionner pour les fautes de la machine, sinon son concepteur et son fabricant ?
- La responsabilité d'un organisme certificateur de navires par M. Julien RAYNAUT, directeur juridique, Bureau Veritas.
- Le point de vue d'un avocat par Maître Alain BENSOUSSAN, avocat au barreau de Paris.
Les navires, comme les installations portuaires ne sauraient échapper à l'autonomie et à l'intelligence artificielle. Ainsi, la technologie des navires intelligents, couplée à des outils de contrôle et de régulation à terre, entraîne l'application des nouvelles technologies de l'information et de la communication aux transports fluviaux et maritimes. Elles sont utilisées pour optimiser l'exploitation économique, énergétique des bâtiments et améliorer la sécurité des trafics et en minorer l'empreinte écologique. Une chose est certaine : la technologie des navires et ports dits intelligents connaît un développement croissant et est, comme pour toute technologie émergente, confrontée à des problématiques juridiques spécifiques qu'il convient de maîtriser.
Conclusions pour le spectateur :
On assiste à une remise en question d'un certain nombre d'à-priori sur la présence d'un équipage, soit parce qu'il est déjà très réduit en aéronautique, soit parce que le coût de sa réduction ou suppression dépasserait de loin l'économie réalisée dans l'exploitation du navire. Enfin, l'impact commercial n'est pas le même suivant le type d'exploitation. Il suffit d'imaginer la réaction de la clientèle à bord d'un paquebot de croisière autonome.
Pour les concepteurs, l'enthousiasme est là, et la technologie suivra. Mais c'est basé sur un postulat suivant lequel la disparition de l'être humain dans la conduite est inéluctable.
Pour les opérateurs, il y a des doutes, voire des impossibilités notamment dans le transport de vrac. L'économie réalisée sur la masse salariale crée des surcoûts dans l'exploitation en raison des immobilisations du navire pour l'entretien qui ne sera plus effectué à la mer.
Pour les juristes, c'est un monde nouveau qui s'ouvre, où le droit reste à imaginer.
Pour les assureurs, pas de problème, ils continueront à assurer, mais avec l'addition d'un nombre élevé de restrictions qu'ils mettront en place.
Pour le spectateur, il n'a pratiquement jamais été question du coût de la suppression de l'élément humain sur le plan technique, celui des assurances, ainsi que pour les risques juridiques.
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