Pour l'instant seuls sont autorisés à se déplacer prudemment sur la rade, en suivant les chenaux délimités par des bouées, les bâtiments de faible tonnage et de petit tirant d'eau, tels que Landing craft tanks (LCT) et Landing craft mechanized (LCM), barges et radeaux, chaloupes et camions amphibies.
Les photos prises par les services américains du Signal Corps nous montrent cet après-midi-là un LCT, l'US 524, accosté à couple du premier Liberty ship. Comme les autres bâtiments de sa catégorie ce dernier n'arbore pas son nom sur la coque, et porte son seul numéro de série MT 297, la série MT étant spécialement conçue pour le transport des véhicules et des engins mobiles. Ce numéro est bien visible, côté bâbord, au sommet de la superstructure près de la cheminée. Selon des sources complémentaires, le nom du navire serait celui de Nathaniel Bacon.
La poupe du Liberty ne comporte aucune inscription, contrairement aux usages de la marine. Elle est surmontée d'une plate-forme circulaire équipée d'un canon anti-aérien.
Les nombreux et puissants mâts de charge surplombant les panneaux de cale avant et arrière permettent au cargo de se décharger par ses propres moyens. Ils donnent aux Liberty ships leur silhouette très reconnaissable.
Le LCT dispose d'une porte avant conçue pour s'abaisser à l'horizontale lorsqu'il s'accoste face à une grève en pente douce, formant ainsi une rampe qui permet aux véhicules transportés de débarquer par leurs propres moyens. Les LCT peuvent transporte aussi bien dix-huit chars d'assaut que vingt camions ou encore des bulldozers, des engins de terrassement, des grues sur chenilles. Ici, les grues sur chenilles seront débarquées en premier lieu, elles seront tout à l'heure indispensables pour les opérations de transfert au sol entre les dukws (*) et les camions de transport. (*) Les dukws sont des véhicules amphibies destinés à décharger les cargos en l'absence de port. Ils ont très vite pris le surnom de duck (canard). Déplaçant 6 tonnes et demie, longs de 9,50 m, ils disposent de 3 essieux moteurs et d'une hélice marine. Le duck peut transporter 2 à 3 tonnes de matériel divers. Seul l'un des plus gros mâts de charge surpuissants, dénommé Jumbo, de 50 tonnes de capacité (le cargo en possède deux de ce type) est apte à soulever les lourdes grues chenilles. Le LCT, après avoir chargé quatre de ces grues, va gagner, non la nouvelle plage (future « plage Napoléon », car située au bas de la place où figure la célèbre statue de Napoléon), qui, ne se prêtant guère à l'atterrissage des LCT, est réservée aux camions amphibies, mais la base aéronavale toute proche dont le littoral fait l'objet d'un aménagement à cette fin. |
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A partir de l'arrivée des premiers Liberty ships, les évènements se bousculent : la montée en puissance du port de Cherbourg, malgré sa carence en équipements et le danger des mines subsistantes, est aussi soudaine que stupéfiante.
En grande rade, la navette des camions amphibies jusqu'aux Liberty ships au mouillage se poursuit sans désemparer depuis le 16 juillet. Sur la rade, ce ne sont pas moins d'une quinzaine de navires de tous types, dragueurs, remorqueurs LCT, barges, caboteurs, qui se croisent et s'affairent déjà. Dès le 19 juillet, à l'extrémité ouest de la grande rade, des niveleuses sont à l'œuvre pour aménager les futures pistes du terrain d'aviation de Querqueville, où les américains comptent faire atterrir au plus vite leurs bimoteurs chargés d'approvisionnements prioritaires à destination du front, apportés jusqu'à Cherbourg par les cargos. La grande offensive doit débuter à brève échéance, et il faudra en soutenir le rythme, les à-coups et les accélérations. Dans deux semaines, les premiers postes d'accostage de la digue du Homet seront prêts, avec leurs voies ferrées pour charger directement les wagons de munitions. |
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Le 18 juillet, un convoi de navires, accompagné de dragueurs, amenant de Southampton à Cherbourg les 328 et 335 Harbor Craft Companies, s'égare dans la brume et dévie de sa route. Parvenus à proximité des îles Anglo-Normandes, toujours occupées par la Wehrmacht, plusieurs navires sont pris sous le feu des batteries allemandes. Le remorqueur ST 75 est incendié et coulé. Deux dragueurs mines, criblés d'obus, sont secourus par les escorteurs canadiens qui recueillent les rescapés.
Le 20 juillet, une sinistre série noire a lieu dans la partie occidentale de la grande rade : successivement, en moins d'une heure, un remorqueur américain, puis une drague anglaise et enfin un chaland et sa cargaison de matériel dont un bulldozer, et un autre petit remorqueur sautent sur trois mines sous-marines et coulent immédiatement. Le 30 juillet, au cours du dégagement de Saint-Vaast-la-Hougue, le dragueur américain YMS 304 saute sur une mine acoustique et sombre en l'espace d'une minute. A quelques mètres de lui, le YMS 370 est tellement endommagé par trois autres mines qu'il sera retiré du service. Le mouilleur de bouées britannique Sir Gerant est également atteint par une autre mine acoustique. |
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«De la folie pure et simple». Telle était l'appréciation que formulaient les experts commerciaux civils lorsqu'ils eurent connaissance de la prétention de l'armée américaine à décharger le contenu de cargos entiers par des navettes de camions amphibies, de chalands de débarquement et de radeaux. Ils eurent beau représenter les innombrables aléas d'une entreprise aussi insensée, rien n'y fit : l'US Army persista dans son projet, elle n'avait pas le choix.
Il est difficile d'imaginer la disproportion entre la dizaine de milliers de tonnes que représente le contenu de la cale d'un Liberty ship et le modeste camion amphibie d'une capacité de deux tonnes et demie au plus, qui devait constituer, du moins au début, le moyen principal de déchargement. Ceux-ci devaient parcourir la distance de traversée de huit km aller et retour qui séparaient le mouillage des cargos, entre les filets anti-sous-marins et les balises qui délimitaient les champs de mines, et les principaux points de débarquement des cargaisons maritimes. |
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Le 4 septembre (D + 90) : à Cherbourg, 48 000 tonnes d'approvisionnements ont été déchargées par les navettes de camions amphibies, 113 000 t par les cargos à quai, 163 000 t par les barges et rhino ferries opérant en rade.
Le 7 septembre (D + 93) : les Liberty ships accostent enfin aux premiers bassins de l'arsenal dégagés de leurs épaves et de leurs mines. Débarquement à Cherbourg du premier contingent important de 23 000 hommes de troupe arrivant directement des Etats-Unis ; faute de quais disponibles, ils sont mis à terre par allèges et bâtiments de service, landing craft tanks et radeaux. Le 14 septembre (D + 100) : le chiffre requis de 20 000 t journalières débarquées, fixé par principe à l'objectif D + 100, est en voie d'être atteint. Le 16 septembre (D + 102) : il faut toujours plus de bois pour réhabiliter sommairement les installations portuaires de Cherbourg et mettre en service de nouvelles longueurs de quais. Après le bois français épuisé, puis le bois flotté de Grande-Bretagne insuffisant, on doit faire appel à l'Office canadien des Forêts. Une seule solution, celle des Liberty ships, qui continuent leurs navettes à travers l'Atlantique. Le 17 septembre (D + 103) : le 9e dragueur de mine depuis la libération du port, saute sur une mine dans la rade de Cherbourg. |
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