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En passant par les passerelles, 1951
Pierre-Eugène de Caplane, 1951 : Une escale culturelle
J'étais alors embarqué sur le «Pierre-Eugène de Caplane». Nous étions à Livourne pour décharger un plein de charbon embarqué à Rotterdam.
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La surveillance de la manutention de ce produit mobilisant moins de monde que celle des divers, les officiers pouvaient s'arranger pour avoir du temps libre et profiter de cette escale en Toscane. C'est ainsi que le radio et moi prîmes une journée pour aller, en train, jusqu'à Florence où du pont sur l'Arno, au Dôme et au musée des Offices nous essayâmes de visiter un maximum de choses dans le temps qui nous était imparti. Mais il n'y avait pas qu'architecture, sculptures et peintures à admirer et c'est là que se place une anecdote pas toute à notre honneur.
Nous étions jeunes et quoi de plus normal que de remarquer et d'apprécier non seulement les formes des statues mais aussi celles des jolies femmes que nous pouvions croiser. Admiration parfois ponctuée de commentaires formulés sans trop de discrétion puisque, émis en français, nous pensions qu'ils ne pouvaient être compris de celles qui en étaient l'objet.
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C'est ainsi que voyant venir devant nous une jeune femme fort charmante et vêtue de façon attrayante et printanière nous ne manquâmes pas d'échanger des commentaires qui tout en restant dans les limites de la bienséance n'en étaient pas moins quelque peu directs. Quelle ne fut pas notre vergogne quand, alors que nous arrivions à sa hauteur, elle s'adressa à nous en demandant si nous étions Français comme elle ! Mais elle avait sans doute l'esprit aussi aimable que le physique et ne nous tint pas rigueur de notre franchise, peut-être avait-elle été flattée, et la conversation s'engagea, trop courte hélas car il ne nous restait que quelques minutes pour rejoindre la station où, pour suivre le programme que nous nous étions fixé, nous devions prendre un autocar à destination de Pise. Là, nous disposions d'à peine plus d'une heure pour contempler la Tour penchée et le Baptistère avant de prendre le chemin du retour vers le bord, à nouveau en train si mes souvenirs sont bons.
Cette escale était de toute façon à marquer d'une pierre blanche tant sont rares celles qui permettent de telles occasions d'enrichissement dans le domaine artistique.
DE LA MÉDITERRANÉE A L'ATLANTIQUE ET RETOUR
Après cette escale italienne le navire fut affrété par un armement méridional et placé sur une ligne qui par une longue boucle nous faisait partir de la Méditerranée puis y revenir en étant passé par les deux rives de l'Atlantique, périple dont la simple énumération des escales suffit à faire ressentir la diversité et le charme : Marseille, Barcelone, Valence, Alicante, Séville, Cadix, Lisbonne, Leixões, New-York, Philadelphie, Wilmington, Baltimore, Casablanca, Tanger, Alexandrie, et retour Marseille, avec à chaque fois, une escale assez longue, transport de marchandises diverses, non "unitisées" à l'époque, oblige.
Ces voyages n'avaient rien de monotone et étaient riches en souvenirs tels, entre autres, que ceux évoqués ci-dessous.
C'était mon premier embarquement au retour du service militaire et j'étais certainement encore marqué par l'Indochine et le Fleuve, si l'on en juge par ce qui suit. C'était en sortie de Séville et nous descendions la rivière en négociant ses nombreux méandres, en général au mieux mas pas toujours. Ainsi au détour d'un de ceux-ci, le navire au lieu de venir sur la gauche partit tout droit beacher sur la berge. J'étais sur la passerelle et ne trouvais rien de mieux que de crier « ouvrez la porte ! », ayant sans doute confondu Marisma et rizière. Evidemment mon intervention fut assez mal prise par le commandant mais peut- être était-ce parce qu'il n'avait pas compris le sens de mon propos !
Autre image que je garde en tête du Guadalquivir c'est celle de ce cavalier monté sur un superbe cheval andalou et suivi de deux chiens genre lévriers, chevauchant parallèlement à nous. On aurait pu se croire dans le roman éponyme de Joseph Perré.
Avant de quitter le chapitre espagnol de cet embarquement je mentionnerai une habitude de vie qui nous surpris fort, celle concernant les heures de repas. Ainsi un jour que nous étions en escale décidâmes-nous d'aller à terre après la mise bas des marteaux, c'est à dire vers cinq heures de l'après-midi. En ville vers six heures nous fûmes surpris de voir aux terrasses des clients en train de boire des cafés. Ignorants des usages locaux nous avons d'abord cru que les gens devaient ici dîner fort bonne heure puisqu'ils en étaient déjà au café. Mais notre déduction était totalement fausse car c'était en fait le café d'après repas de midi qu'ils sirotaient !
C'est au cours de la tournée ibérique que j'eus l'occasion de constater quel sens marin, doublé peut-être de culot, possédaient certains de nos anciens. Ainsi le commandant E. escalait-il à Leixões pour la première fois de sa carrière, cela avec un navire sans radar et doté d'un sondeur dont la lecture des résultats sur écran cathodique était sujette à caution et en tout cas peu précise, et nous atterrîmes de nuit et par brume, l'entrée n'étant prévue que dans la matinée suivante. On aurait pu rester faire des ronds dans l'eau par des fonds assez importants pour pallier les risques d'erreur du sondeur, les seuls repères étant les sirènes en place aux extrémités des jetées. Mais que nenni ! Le matin lorsque la brume se leva nous étions au plus près, presque entre ces jetées, E. ayant pris son mouillage aux sons des cornes de brume !
Cdt J. Chennevière
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