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Et si une autre cause sous-marine était à l'origine du naufrage du Bugaled Breizh ?
Oui, et si le SEA-ME-WE 3 (prononcez : «si-mi-oui trois») était en cause dans le naufrage du chalutier bigouden «Bugaled Breizh» au sud du Cap Lizard le 15 janvier 2004 ? Sept années déjà et toujours aucune explication à cette tragique énigme. Que s'est-il vraiment passé ? Le saura-t-on un jour ?
Et, ultime question que je me posais en janvier 2007 soit trois années après cet accident de mer : un câble sous-marin a-t-il pu être à l'origine de ce drame ?
Hypothèse qui en vaut une autre, reposant sur une coïncidence troublante. Ne va-t-elle pas aggraver la confusion générale qui entoure cette affaire aux rebondissements multiples ? Sans doute mais mon devoir de marin m'incita à faire part de ma découverte aux enquêteurs. Ce qui fut fait fin février 2007, d'une façon très officielle.
Reprenons les faits qui me concernent : J'ai eu entre les mains, par hasard et dès sa parution fin 2006, le rapport du Bureau Enquête Accident Mer (BEAmer), organisme placé auprès du Ministère des Transports, en charge de l'enquête sur ce douloureux événement de mer.
A sa lecture, la présence évoquée d'un câble sous-marin a attiré mon attention de professionnel des télécommunications sous-marines. Curieux de nature j'entrepris alors une investigation toute personnelle pour en savoir plus dans la connaissance de ce dossier devenu très sensible et médiatisé à l'extrême.
La traque du minéralier Seattle Trader jusqu'en Chine, via le Canada et le canal de Suez, accusé d'abordage et prenant la fuite, avait fait grand bruit et m'avait personnellement fortement interpellé. C'eut été assurément le coupable idéal. Un voyou des mers de plus… Qui aurait trouvé à redire ? Haro sur le méchant cargo !
En lisant le rapport j'eus de nombreuses interrogations, notamment à la lecture d'une partie du rapport de mer du patron de l'Eridan et des conclusions du BEAmer, (page 33 sur 184) :
«A 13H25 (TU+1), le Bugaled Breizh m'appelle en VHF en me disant : «on chavire, viens vite, on chavire, fais vite» ceci à trois ou quatre reprises. Je lui demande ce qu'il lui arrive, il me répond la même chose. Je lui demande la position, qu'il donne par 49°12N 005°10W (Note du BEAmer : il s'agit de 49°42N.). Sa voix n'est pas la même que d'habitude. Je lui dis de larguer ses bombard, que l'on arrive. Je descends en vitesse dans le poste d'équipage prévenir les gars en disant : «il faut aller virer, vite, le Bugaled chavire». Je remonte en passerelle, reprends de suite le contact VHF avec le Bugaled Breizh, il me répond qu'il chavire, le VHF grésillant de plus en plus, je perds le contact radio. Mon second vient d'arriver en passerelle, j'ai toujours le combiné VHF à la main mais plus de réponses provenant du Bugaled Breizh. Cela fait tout juste une minute que j'ai reçu le premier appel du Bugaled Breizh».
Ce témoignage montre que les conditions de mer étaient difficiles mais pas exceptionnelles, d'ailleurs les deux patrons avaient relâché à Newlin pour s'abriter d'un coup de vent avant de reprendre la mer. Il dénote l'état de surprise et d'incompréhension du patron du Bugaled Breizh devant un événement soudain et sans cause apparente. L'intervalle entre les deux contacts VHF correspond au temps mis par le patron de l'ERIDAN pour descendre de la timonerie au poste d'équipage, prévenir ses hommes alors au repos et remonter. Compte tenu de la configuration et des dimensions de l'ERIDAN, il a dû s'écouler au maximum une minute trente à deux minutes. Il est impossible de savoir si le patron du Bugaled Breizh a parlé à la VHF à ce moment pour expliquer sa situation ou s'il a appelé son équipage pour évacuer le navire».
12H36, l'Eridan envoie un message relais de détresse par INMARSAT standard C et prend contact avec le CROSS GRIS NEZ en phonie par le système par satellites IRIDIUM pour lui signaler le sinistre. Les conditions sur zone sont : vent de Sud-Ouest 25 à 30 nœuds, pluie, visibilité 2 à 3 milles».
Pour moi la thèse de l'abordage ne tenait pas, j'avais du mal à comprendre pourquoi, dans ce cas, le patron du Bugaled Breizh n'aurait pas précisé dans ses messages qu'il était victime d'une collision. Il lui aurait été aisé de crier, par réflexe «Nous sommes abordés, viens vite», durant le temps, aussi court soit-il, où il conversa avec son collègue du chalutier Eridan en pêche dans le même secteur.
Pourtant ce dernier lui demanda plusieurs fois ce qui lui arrivait !
Il eut pourtant le temps d'appeler son collègue au secours plusieurs fois, de donner sa position, d'attendre que le patron de l'Eridan descende en vitesse de sa timonerie réveiller son équipage (à ce propos n'il avait-il pas d'alarme générale capable d'être déclenchée de la passerelle ?) avant de reprendre la conversation VHF pendant quelques secondes supplémentaires avant qu'elle ne devienne inaudible, lui donnant juste le temps d'affirmer une nouvelle fois qu'il était en train de chavirer ! Puis ce fut la perte du contact radio !
Ces réactions telles qu'elles sont rapportées dans le rapport d'enquête technique me laissèrent perplexe.
N'ayant pas accès au dossier, secret de l'instruction oblige, il me fut impossible d'en savoir plus. Je devais me contenter de ce qui était écrit dans le rapport du BEAmer et dans les nombreux articles de presse traitant le sujet.
Après divers contacts, recherches d'informations, de documents officiels, recoupements et d'innombrables vérifications des positions de tout ce qui avait été retrouvé sur le fond lors du relevage de l'épave, il n'y avait pour moi plus aucun doute : le chalut du Bugaled Breizh venait effectivement de passer sur le tracé d'un câble sous-marin quand il a sombré !
Surprenante coïncidence, plus que troublante ! Il avait-il une relation de cause à effet ? Il me fallait continuer mon enquête pour tenter de le savoir. Ce que je fis.
Surtout que ce n'était pas n'importe quel câble que celui qui se trouvait là, à approximativement trente mètres du cul du chalut ! Nous avions affaire au SEA-ME-WE 3, et plus particulièrement son segment S10.1.
Le South East Asia-Middle East-Western Europe, troisième du nom, est la plus longue autoroute en fibre optique du monde, reliant 4 continents, l'Europe, l'Afrique, l'Asie et l'Australie !
Ce câble sous-marin est en service depuis la fin de l'année 1999. Le navire câblier «Vercors» eut le grand honneur de poser près d'une dizaine de milliers de kilomètres de ce câble ainsi que l'épissure finale du système en mai 1999, en mer de Chine !
SeaMeWe3 est doté de deux paires de fibres optiques, de grosse capacité à haut débit numérique accru récemment à 20 Gigabits/s par paire de fibres, tout au long des 40.000 kilomètres de son parcours posés en seulement un an et demi ! Ce réseau sous-marin peut véhiculer des millions de voix (télécommunications traditionnelles), toutes les données Internet, et autre multimédia.
Le SeaMeWe3 relie Keoje dans la lointaine Corée du Sud à Norden en Allemagne. Il comporte 40 points d'atterrissement connectant 35 pays sur son trajet.
Au cours de son périple transocéanique, ce câble «atterrit» en Bretagne à la station terrestre de Penmarch pour repartir de cette même station vers la Grande Bretagne, plus précisément à Goonhilly près de Falmouth en Cornouaille britannique.
Il traverse donc la Manche. Dans la zone du naufrage, le tracé du câble est pratiquement perpendiculaire au trait de chalut qu'effectuait ce jour là le bateau de pêche Guilviniste.
En août 1997, l'étude de la nature des fonds dans cette zone, effectuée préalablement avant la pose du câble en recherche du tracé idéal le plus court et le plus favorable, révèle notamment l'infaisabilité de l'ensouillage sur cette petite portion du segment S10.1, notamment au kilomètre 299 (à partir de Penmarch).
Ce type d'étude très spécialisée détermine donc un possible enfouissement de la liaison. Ce survey est effectué préalablement à toute pose, du point d'atterrissement, puis par petits fonds et sur les plateaux continentaux, jusqu'à une profondeur maximum actuelle de 1.500 mètres. Le poisson se faisant rare, les chalutiers sont amenés désormais à travailler jusqu'à ces profondeurs «abyssales» !
La reconnaissance bathymétrique, puis la détermination de la nature du fond et la définition du profil géomorphologique tout au long du tracé choisi, donnent des informations capitales en vue du choix du meilleur tracé, sans risque pour le câble, et de procéder à l'enfouissement de la liaison si tant est qu'il soit possible. L'ensouillage est une opération longue et coûteuse qui mettra le câble à l'abri des agressions par chalutage ou mouillage intempestif d'ancres de navires.
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La lecture de la carte de survey en question révèle qu'à ce kilomètre 299, la profondeur est de 88 mètres avec toutefois une bosse de 4 mètres de haut sur 80 mètres de long modifiant ce profil plat. Il s'avère que malheureusement le navire-câblier «Cable Installer» dévia très légèrement de sa route et posa le câble sur le sommet de cette élévation du fond alors qu'il aurait dû être au pied de cette bosse. Ce qui ne veut pas dire pour autant que le câble présente des «suspensions» susceptibles de favoriser une croche potentielle par un chalut ou une ancre.
De plus, l'étude indique que dans cette zone, la nature du fond est plutôt rocheux ou constitué de sédiments très durs recouverts d'une fine couche de sable.
Ce qui incita les responsables du survey à préconiser dans leur rapport une pose classique sur le fond dans cette portion du tracé plutôt qu'un ensouillage trop aléatoire.
Ainsi, pour éviter qu'il ne soit endommagé par la croche d'un chalutier, une double armure en acier à haute résistance assure la protection du câble devenant un «Rock Armored Cable» (voir photo ci-contre).
Ce type de câble armé de 50 mm de diamètre extérieur, pesant 7 kilogrammes au mètre, résiste à une tension de 40 tonnes avant de se rompre !
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Les experts (BEAmer) ont établi, dixit leur rapport, en tenant compte de la stabilité initiale du Bugaled Breizh et des conditions météorologiques du moment, qu'une force de traction de 15 tonnes sur bâbord suffisait à faire prendre au chalutier une gîte préoccupante.
Toujours selon leur rapport, la mer du vent est forte ce jour là, du secteur arrière, avec des creux de 3,50 mètres avec une houle traversière de NW, le vent est du secteur arrière (SSW) de force 6 Beaufort. Le navire chalute cap au Nord Est roulant bord sur bord. Des paquets de mer embarquent par bâbord, constituant des carènes liquides diminuant la réserve de stabilité. Tous ces facteurs aggravants qu'ils décrivent dans leur rapport, amènent les experts BEAmer à conclure à une perte totale de stabilité suite à l'enfouissement soudain du train de pêche dans le sable. Croche molle qui pour eux est le facteur déterminant du naufrage.
La thèse d'une croche sur le Sea-Me-We 3 est exclue prématurément du fait que ces mêmes experts du BEAmer se trompent quant à la localisation du câble sous-marin ! D'après eux le chalut avait dépassé le tracé du câble de près de 150 mètres dans l'Est quand le bateau de pêche a sombré. Or il n'en est rien, le cul du chalut n'est seulement qu'à 30 mètres de la position théorique de pose du câble. Cette erreur est sans doute due à un positionnement mal rapporté dans un des deux systèmes géodésiques en vigueur sur les cartes marines, WGS84 et ED50. En effet, par une latitude Nord de 50°, lorsqu'une position obtenue grâce à un récepteur GPS est transférée sur une carte apportée au système européen compensé Euro Datum (1950), la latitude du point doit être augmentée de 0,006 minute de latitude et sa longitude diminuée de 0,09 minute de longitude vers l'Est. Ce dernier écart correspond à peu près à une valeur de 150 mètres et cette correction, troublante coïncidence, est exactement le décalage constaté entre la position du SeaMeWe3 selon le BEAmer et la position précise de ce câble au kilomètre 299. Comme si les enquêteurs du Bureau Enquête Accident avaient transféré un point satellite directement sur une ancienne carte en ED50 sans prendre soin d'y apporter une quelconque correction !
Cette mauvaise localisation incita les enquêteurs à écarter sur le champ la possibilité d'une croche ave un câble sous-marin !
Précisons qu'il est extrêmement courant dans notre métier de poseur et réparateur de liaisons sous-marines de relever des câbles dont l'armure protectrice extérieure a été fortement endommagée par les trains de pêche des chalutiers. Dans de nombreux cas de câbles sous-marins agressés, «torturés», les mesures ont démontré que la propagation des signaux optiques à travers les fibres et l'alimentation des répéteurs n'avaient pas souffert de tous ces dommages extérieurs. Parfois aucune mise à la masse n'est détectée pas plus que tout autre dysfonctionnement aussi minime et fugace soit-il. Dans de telles circonstances il n'y aura aucun enregistrement de défaut.
Dans d'autres cas plus sérieux, les fibres peuvent être contraintes, entraînant une dégradation du signal. Cette atténuation, si elle n'est pas très importante, peut être rattrapée automatiquement par les lasers placés dans les répéteurs et passer inaperçue du personnel de quart.
Les dysfonctionnements plus sérieux, perceptibles, sont enregistrés par les stations de surveillance.
Il y avait donc nécessité dans le cas qui nous intéresse de vérifier les enregistrements dans les stations de Penmarch et surtout dans celle de Goonhilly, plus proche du lieu du drame (30 kilomètres). De plus il n'y avait qu'un seul répéteur, le R5, (amplificateur des signaux optiques) entre cette position de croche possible et la côte britannique, contre quatre jusqu'à Penmarch. De ce fait, avec moins d'«obstacles» sur le trajet des fibres, un défaut fugace avait plus de chances d'être décelé et enregistré par la station de Goonhilly. C'est pourquoi j'avais préconisé aux enquêteurs de se rendre en priorité en Grande Bretagne pour interroger le directeur et personnel de quart de cette station.
Il est vrai que trois années après le drame il y avait peu de chances que les stations aient conservé des enregistrements probants en archive.
Je fus aussi surpris d'apprendre que British Telecom, propriétaire de la moitié de ce segment S10.1, n'avait pas réagi fin janvier 2004, en avertissant les autorités françaises qu'il y avait un câble sous-marin leur appartenant dans la zone immédiate où le chalutier breton avait coulé mystérieusement. Surtout que ce drame avait été abondamment relaté dans les journaux britanniques pour s'être déroulé tout près de leurs côtes, avec intervention de leurs moyens de sauvetage.
Pour lever le doute et les soupçons qui planaient sur le SeaMeWe3, j'avais aussi conseillé aux enquêteurs de demander dans un deuxième temps aux autorités de maintenance des câbles sous-marins, d'envoyer un navire câblier sur zone pour procéder à un examen du fond et plus précisément suivre le câble SeaMeWe3. Actuellement tous les navires câbliers destinés à la réparation des câbles possèdent un sous-marin embarqué de type ROV, filoguidé. Chaque véhicule est doté de bras manipulateurs, de sonar, de caméras et surtout d'un système TSS de détection de câble.
Cette vérification in situ n'a toujours pas été réalisée ! La priorité actuelle est donc d'aller sur place examiner l'état du SeaMeWe3 sur le fond. S'il apparaît que le câble fut piégeux et a été tiré dans l'Est à cet endroit, le doute quant à une croche prendrait alors de la consistance. Du moins il y aurait de fortes présomptions. Mais cette nouvelle donne ne prouverait pas à 100% que c'est la cause du naufrage. En effet, depuis sept ans, nombreux sont les chalutiers qui ont travaillé dans ce secteur, ratissant les fonds en long, en large et en travers ! A ce sujet le rapport du BEAmer fait état des constatations des plongeurs du «DISCOVERY» navire renfloueur : «…Celles (photos) prises par les équipes du DISCOVERY de STOLT, plus de six mois après, révèlent un relief transformé, avec des ridins conséquents ; elles montrent aussi qu'il y a eu des croches d'autres chaluts, aussi bien sur l'épave que sur le train de pêche» !!!
Par contre, lors d'une nouvelle investigation sur le fond, si jamais le tracé du câble SEAMEWE3 s'avère être parfaitement rectiligne fidèle à son tracé de pose cela voudra dire que le chalut du Bugaled Breizh est passé sur le Rock Armored Cable sans l'accrocher puis le relâcher, ni l'égratigner et ne pourra être tenu pour responsable de cette dramatique fortune de mer.
Il est regrettable que ce travail d'investigation sous-marine n'ait pas été exécuté dans les jours qui ont suivi la découverte de l'épave.
Surfant sur la vague de médiatisation de cette affaire, deux journalistes écrivirent un livre en 2007 au titre accrocheur : «Secrets d'Etat autour d'un naufrage» …Au chapitre V «Des pistes écartées», on peut lire, page 138 :
Alors, que s'est-il passé avec le Bugaled Breizh ?
A-t-il subi une croche avec un élément naturel ?
Le Bugaled Breizh n'a pas «croché» :
- Un rocher ? Le fond est sablonneux…
- Une épave ? Aucune n'est recensée sur zone.
- Un container entre deux eaux ? On retrouve toujours une trace.
- Des câbles sous-marins ? Ils sont nombreux à passer à l'endroit du naufrage. Des câbles utilisés pour la téléphonie, la télévision ou l'informatique, reliant l'Angleterre à l'Europe. Mais tous sont enfouis à une faible profondeur, suffisante toutefois pour éviter qu'un chalut ne les croche.
Grossière erreur, messieurs les journalistes ! En effet, l'erreur est de croire que tous les câbles sous-marins sont désormais ensouillés et ne présentent aucun danger pour les pêcheurs qui chalutent dans ces zones à risques.
Les pêcheurs doivent savoir que la pêche est la première cause des défauts survenant sur les câbles sous-marins. Le navire câblier de réparation «Léon Thévenin» n'a-t-il pas eu une année 2009 très besogneuse ? Il fut absent de Brest 275 jours pour mener à bien 21 réparations sur différentes liaisons dans sa zone d'intervention, endommagées pour un bon tiers par des engins de pêche !
Le segment S10.1 du SeaMeWea 3 a été réparé 6 fois depuis sa mise en service, agressé par les chaluts des pêcheurs et une autre fois, en mars 2007 lors d'une forte tempête d'équinoxe, par l'ancre d'un cargo mouillée malencontreusement dans la tourmente par 100 mètres de fond, au kilomètre 200 (à partir de Penmarch). En relevant son ancre crochée dans le câble, le navire coupa franchement la liaison par arrachement ! Lors de sa réparation, une extrémité du câble fut retrouvée par le N/C «Léon Thévenin», à 7 kilomètres de sa position initiale !
Que dit la règlementation à propos de la protection des câbles sous-marins ? L'article 2 de la Convention Internationale du 14 mars 1884, toujours d'actualité, stipule ceci : «La rupture ou la détérioration d'un câble sous-marin, faite volontairement ou par négligence coupable, et qui pourrait avoir pour résultat d'interrompre ou d'entraver, en tout ou partie, les communications télégraphiques est punissable, sans préjudice de l'action civile en dommages-intérêts».
«…cette disposition ne s'applique pas aux ruptures ou aux détériorations dont les auteurs auraient eu que le but légitime de protéger leur vie ou la sécurité de leur navire après avoir pris toutes les précautions nécessaires pour éviter ces ruptures ou détériorations».
Ces avertissements sont cités dans le «Guide du navigateur», (Volume 3, p.38), la Bible du marin, édité par le Service Hydrographique de la Marine.
Ce qui est dit n'est pas très explicite, il faut bien l'avouer. Disons qu'il n'y a aucun interdit au sens strict du terme, seulement des mises en garde. Cela peut se comprendre, le maillage de câbles sous-marins en Manche et plus particulièrement en Mer du Nord est si serré que les pêcheurs n'auraient plus de place disponible pour pêcher !
Dans le «Guide du navigateur» des recommandations nous rappellent aussi que «Les câbles sous-marins dont la tension de rupture est souvent supérieure à 70 tonnes, sont normalement enterrés à un peu plus d'un mètre sous le fond de la mer. Cependant il existe des lieux où pour des raisons naturelles ou de relief (fonds rocheux, mouvements de fonds, affleurements de roches), le câble sous-marin ne peut être convenablement enterré et devient ainsi exposé.
Les zones soumises aux mouvements de fonds ou à effleurement de roches sont des positions à risques car elles ne peuvent être déterminées avec précision : elles varient avec le temps et l'évolution des fonds sous-marins.
Ceci implique donc une prudence extrême tout au long de la position du câble indiquée par la carte».
Ce même Guide insiste sur «…le risque important de chavirage dû au poids d'un câble sous-marin extrêmement lourd ramené vers la surface par un filet ou un chalut.»
Sur une carte canadienne il était marqué : «Les navigateurs éviteront de jeter l'ancre ou d'effectuer des opérations de fond à proximité des câbles sous-marins»…
Telle autre carte papier, par exemple la française 6941, fac-simile de la carte anglaise GB442 «De Lizard Point à Dartmouth», éditée par le Service Hydrographique de la Marine, édition N°4 de 2004, le danger que représente les câbles sous-marins y est bien spécifié: «Les navires sont tenus de ne pas mouiller ou chaluter à proximité des câbles sous-marins» ou «Mariners are advised not to anchor or trawl in the vicinity of submarine cables». Ces nota ne sont pas des interdits, simplement des mises en garde.
On peut constater que la traduction normale de «Mariners are advised not to…» est la suivante : «Il est déconseillé aux marins de …» ou «Il est recommandé aux marins de ne pas…» or, certaines cartes françaises comportent une traduction différente, plus restrictive à mon sens : «Les navires sont tenus de ne pas…». Il y a une certaine ambiguïté, c'est le moins que l'on puisse dire !
Sur la carte française 6967 (GB 2565) «De Staynes Head à Dodman Point» couvrant la zone où a coulé le Bugaled Breizh, aucun nota spécifique sur le danger des câbles n'y figure. Ce qui est d'une totale incohérence et qui n'incite pas les pêcheurs à l'extrême prudence. J'en ai fait la remarque en 2007 à un responsable du SHOM qui a reconnu l'oubli de cet avertissement sur la carte 6967, m'assurant que cette erreur serait réparée sur la prochaine édition. Effectivement son édition N°4 de 2009 comporte la même mise en garde concernant les câbles sous-marins que celle notifiée sur la carte 6941 ! Il était temps…
Quant aux cartes électroniques qui tendent à remplacer les cartes «papier», elles ne comportent aucune indication de cette nature. Le marin est censé connaître toutes les avertissements donnés par le «Guide du Navigateur»…
En résumé, il est donc fortement déconseillé de chaluter à proximité et sur les câbles sous-marins mais il n'y a aucune interdiction formelle de le faire, sauf dans des zones bien précisées sur les cartes marine, notamment près du rivage et des atterrissements d'une liaison. Par contre il est interdit d'endommager un câble et plus précisément de le couper. C'est la seule obligation… Petite différence qui a son importance. Il est même demandé à un pêcheur qui crocherait un câble, de ne pas tenter de le relever mais de couper ses funes, d'abandonner ses apparaux de pêche sur le fond et de signaler l'incident au propriétaire de la liaison. Ses pertes en matériels lui seront alors remboursées.
A ce sujet le «Guide du Navigateur» rappelle l'article 7 de la Convention Internationale du 14/03/1884, concernant la protection des câbles :
«Les propriétaires des navires qui peuvent prouver qu'ils ont sacrifié une ancre, un filet ou un autre engin de pêche, pour ne pas endommager un câble sous-marin, doivent être indemnisés par le propriétaire du câble».
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Le Guide insiste sur ce fait et précise à la page suivante : «Les navires, en particulier les chalutiers ne doivent pas hésiter à sacrifier leurs engins de pêche (qui leur seront remboursés)».
De plus ces câbles sont alimentés sous plusieurs milliers de volts et il peut s'avérer très dangereux de tenter de les couper une fois à bord du bateau de pêche :
«In all cases care should be taken to avoid damaging the cable. It is obligatory that gear should be sacrified rather than risk such damage.
No attempt should be made to cut the cable. Serious risk exists of loss of life due to electric shock, or at least of severe burns, if any such attempt is made.» (The Mariner's Handbook NP 100 - eighth edition 2004.).
Je me souviens que dans les bars de St John (Terre-Neuve. Canada), havre de paix, port refuge où se retrouvaient les équipages des navires câbliers et les pêcheurs de morue des Grands Bancs de Terre Neuve en escale de détente pour cause de violentes tempêtes au large, les dessous de verres, de bière ou tout autre breuvage qui requinque, étaient très spéciaux ! Au recto et au verso il était demandé aux pêcheurs de prendre soin des câbles sous-marins (voir photo ci-contre).
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En Manche et Mer du Nord ainsi que sur le plateau continental, les câbles tissent une véritable toile d'araignée sur le fond, bien positionnés sur les cartes marine et pratiquement tous ensouillés. Un nouveau câble posé en 2006, dénommé «HUGO» puisqu'il relie la Cornouailles britannique (Porthcurno) à Guernesey, passe à 30 mètres de la position de l'épave du Bugaled Breizh! Ce câble a été ensouillé…ce qui, rappelons-le encore une fois, ne fut pas le cas du SeaMeWe3, pratiquement au même endroit ! Sans doute que les moyens d'ensouillage mis en œuvre en 2006 étaient plus efficaces qu'en 1999.
Le 27 novembre 2009, un arrêt de la chambre d'instruction de la cour d'appel de Rennes a demandé un complément d'expertise concernant l'implication possible d'un sous-marin de l'OTAN en exercice à proximité du lieu du naufrage. Quel sera l'avis de l'expert à l'issue de sa mission fin mars 2010 ? Une bien difficile expertise en vérité, s'il n'y a pas levée totale du Secret Défense OTAN pour bien localiser chaque sous-marin présent sur zone en ce 15 janvier 2004 à 12H25 précises, temps universel. Pourtant tout doit être mis en œuvre pour résoudre cette énigme qui ne doit pas demeurer un mystère.
L'instruction est relancée depuis juillet 2010, le même expert ayant rendu un nouveau rapport fin avril et émis une nouvelle hypothèse toujours en accord avec l'implication possible, à défaut d'être probable, d'un sous-marin. Cette fois le coupable pourrait être un Sous-marin Nucléaire d'Attaque de… l'US Navy !
Son raisonnement est le suivant : comme un cargo, le «Pacific Sandpiper», transportant des résidus nucléaires traités à l'usine de La Hague, devait appareiller de Cherbourg le 19 janvier 2004 à destination du Japon, il se pourrait que les Etats-Unis aient envoyé un de leurs SNA en reconnaissance dans le secteur en Manche Ouest à la mi-janvier, et plus précisément le 15 de ce mois ! Pourquoi ? Tout simplement pour tester et espionner l'escorte militaire de surface et/ou sous-marine déployée par les autorités françaises et/ou nipponnes pour accompagner ce transport méritant une haute surveillance tout au long de son long et périlleux périple jusqu'au pays du soleil levant.
Cette venue en repérage des lieux et observation discrète, constituait une raison objective, motivée, toujours selon l'expert, par le fait que les USA avaient programmé de convoyer en octobre 2004 un chargement de matières fissiles d'ogives nucléaires de fusées balistiques désarmées, des Etats Unis vers Cherbourg.
Toujours est-il qu'au su de cette dernière conclusion de l'expert, les deux nouveaux juges, nommés en juin 2010, ont décidé en novembre de cette même année, qu'il fallait continuer dans cette voie et envoyer des commissions rogatoires internationales vers les USA et d'autres pays encore.
Rappelons aussi qu'il y a toujours des soupçons persistants concernant le SNA britannique «Turbulent» ou le «Dolfjin», sous-marin classique néerlandais.
Notons aussi qu'un amiral qui occupa les plus hautes fonctions à la Préfecture Maritime de Brest quelques mois après le naufrage du Bugaled Breizh, affirmait récemment devant des journalistes qu'il ne croit pas du tout à l'implication d'un sous-marin dans ce drame de la mer ! Il assure aussi qu'il se dit sur les quais du Guilvinec que ce même chalutier avait croché pratiquement au même endroit quelque temps auparavant ! En sait-il plus qu'il ne veut bien le dire ? C'est une bonne question. J'ose espérer qu'il ne s'avance pas à la légère dans ses dires concernant cette dramatique affaire !
Enfin pour être complet, précisons qu'un récent et intéressant article paru dans «Mer et Marine» au début du mois de décembre 2010, intitulé «Que penser de la thèse du sous-marin nucléaire d'attaque ?» s'évertue à démontrer que la responsabilité d'un Sous-marin Nucléaire d'Attaque est jugée très peu vraisemblable, du fait des petits fonds existant dans la zone du naufrage. Pour donner du poids à ses dires, l'auteur s'appuie sur les profondeurs de sécurité réclamées par les manœuvres de tels submersibles. On rappelle que certains pétroliers peuvent avoir des tirants d'eau à pleine charge pouvant être voisins de 25 mètres… Ce qui laisse peu de place au sous-marin qui évoluerait sous un tel mastodonte par 80 mètres de fond !
Il est d'ailleurs surprenant qu'il y ait une zone d'exercice de sous-marins par des fonds aussi faibles et dans une zone très fréquentée par des navires de commerce et de pêche à l'entrée de la Manche !
Quoiqu'il en soit, s'il apparaît, au terme de cette relance de l'enquête, qu'aucun sous-marin, ami ou ennemi, n'était en manœuvre sous le Bugaled Breizh, il serait de bon sens que le BEAmer qui a émis l'hypothèse d'une croche molle du chalut dans du sable, diligente une investigation complémentaire. Il est nécessaire à mon avis de se pencher sur la thèse d'une croche possible avec le SeaMeWe3 arguant du fait que ce bureau d'enquêtes techniques s'est trompé dans la localisation du câble et que ce décalage en longitude peut changer la donne.
Les intimes convictions des uns, les doutes et les certitudes des autres quant aux causes de cette tragédie ne sont pas convaincants. Il faut des preuves concrètes pour étayer les différentes thèses en contradiction.
Les familles qui se sont portées parties civiles, se battent depuis sept longues années pour la recherche de la vérité. On comprend leur légitime douleur. C'est leur droit inaliénable de connaitre la vérité des faits. Pour les aider enfin à faire leur deuil et aussi pour tirer les enseignements susceptibles de prévenir d'autres accidents du même type. Cinq marins ont perdu la vie.
Il serait navrant que la justice décide de classer l'affaire, qu'un non lieu rende ce naufrage inexpliqué sans approfondir la thèse d'une croche de câble sous-marin. On ne peut écarter cette hypothèse sans vérification in situ de l'état du câble sur le fond.
Que le SeaMeWe3 soit en cause ou non dans cet accident de mer, le but de cette réflexion dans la recherche de la vérité peut aussi être une énième occasion de mettre en garde les pêcheurs chalutant dans les zones de câbles sous-marins. Qu'ils sachent que les câbles ne sont pas tous ensouillés et quand ils ne le sont pas, ils peuvent devenir des pièges sournois et fatals dans des conditions météo difficiles.
Cdt Michel Bougeard
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