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500e anniversaire du premier tour du monde

Bilbao 17-19 mai 2022

 


L'anniversaire était organisé par nos collègues de l'AVCCMM (Asociacion Viscaina de Capitanes de la Marina Mercante), et le CESMA a été invité à prendre la parole le dernier jour. Deux représentants du CESMA (le vice-président, le capitaine Mariano Badell et le secrétaire général, le capitaine Hubert Ardillon) ont assisté à certaines présentations, pas toutes car le congrès se déroulait dans deux salles. Le 17, en matinée, historique sur le tour du monde, Magellan, mort d'une flèche empoisonnée pendant l'expédition et surtout Elcano qui a réellement effectué le tour du monde, puis Transport maritime (dans le même temps il y avait des conférences sur la construction navale puis toujours sur l'historique du voyage). Le 17 après-midi, « formation maritime ou continuation de l'historique ». Le 18 matinée, « santé et sécurité en milieu maritime » puis « environnement et changement climatique » ou « administration maritime puis gestion portuaire ». Le 18 après-midi, « sauvetage et sécurité maritime » ou « commerce maritime ». Le 19, en matinée uniquement, « équipage ou la pêche ».
Au nom de CESMA, j'ai présenté un texte intitulé : Ressemblances et différences entre un capitaine du temps de Magellan et un capitaine actuel, texte proposé ci-après.

Devenir capitaine

À l'époque de Magellan et même par la suite, peu de personnes suivaient des études, qu'elles soient scientifiques, maritimes, médicales ou humaines. Devenir capitaine d'un navire dépendait surtout de son nom, de sa naissance ou de sa fortune. De nos jours il est beaucoup plus facile d'étudier, et dans le cas d'études maritimes, de pouvoir embarquer pour compléter sa formation théorique, d'acquérir de l'expérience à la mer, et ensuite d'être promu capitaine sur un navire.
Les conséquences de ce changement de statut, famille/fortune ou éducation, se voient sur les navires. Les gens de mer font désormais partie d'une même communauté maritime, chacun sachant que le collègue a été éduqué pour le rôle qu'il doit remplir. Et donc on sait à bord que le capitaine ne doit pas sa position à sa fortune mais plutôt à ses années d'expérience à la mer. D'où probablement un plus grand respect envers lui. Ceci peut par ailleurs aussi expliquer pourquoi de nos jours il y a peu voire pas de mutinerie à bord. Il est plus facile d'obéir aux ordres d'un capitaine quand on comprend son ordre. Et quand les officiers et les hommes d'équipage ont reçu une éducation maritime, ces ordres sont mieux compris.
Magellan, même en ayant reçu une éducation maritime, venait d'une famille de la noblesse portugaise, et à cette époque cela suffisait à ouvrir des portes. Même si les capitaines actuels sont certainement moins aventureux que pouvait l'être Magellan.

L'équipage : le recrutement

À l'époque de Magellan, à de rares exceptions près, ce sont surtout des bras qui étaient essentiels. Il y avait un grand besoin d'hommes que ce soit pour les voiles, grimper aux mâts, remonter l'ancre, mais surtout pour ne pas poser de questions « techniques ». Beaucoup de ces hommes étaient recrutés dans l'arrière-salle d'une taverne en fin d'après-midi arrosé. Il y avait aussi ceux qui souhaitaient disparaître quelque temps pour échapper à la loi ou à la vindicte d'une famille d'une belle, séduite pour un petit moment. Ces hommes, ne sachant ni lire ni écrire, signaient leur engagement d'une croix. Certains même se réveillaient à bord après l'appareillage, avec évidemment une impossibilité de revenir à terre. Ils n'étaient pas marins, mais allaient soit le devenir, soit décéder assez rapidement. Bien sûr, le capitaine du navire n'était pas directement responsable de l'embauche de ces hommes, il demandait à des hommes de confiance (à bord ou à terre) de lui dénicher ces « bras », mais il connaissait les moyens employés pour le recrutement. Et il avait une autorité, un pouvoir absolu sur ces hommes, même un pouvoir de vie ou de mort selon leur conduite à bord, sans avoir vraiment besoin de rendre compte à qui que ce soit par la suite.
Le capitaine actuel ne recrute pas directement son équipage, surtout au fond d'un bar. Tous à bord doivent être en possession de certificats divers, d'une visite médicale à jour. Tous sont mis à disposition soit par une société de manning soit sont sous contrat avec l'armateur du navire. Chaque membre d'équipage doit avoir reçu une formation maritime, à minima quelques bases de sécurité maritime avant d'embarquer pour la première fois. Mais ce qui n'a pas changé, c'est que c'est toujours le capitaine qui est responsable de son équipage, et donc de sa compétence ou qualité. Il ne peut rien faire à ce sujet, sinon faire du « coaching » et du « teaching », mais seulement après l'embarquement du marin. Ce sont les sociétés de manning qui choisissent et envoient les marins à bord. Mais si un membre d'équipage ne fait pas l'affaire dès son embarquement, faux certificats, faux papiers, la faute en revient quand même au capitaine. Aucun moyen de vérifier au préalable, mais il est responsable. On voit le problème lorsque la relève s'effectue sur une rade « en passant » et qu'au port suivant il y a une inspection PSC ou vetting.

L'équipage, le savoir-faire

Les navires modernes sont largement plus gros que les caravelles ou naos de Magellan. Et a contrario, l'équipage est beaucoup plus restreint.
Cela implique quelques différences.
Chaque membre d'équipage doit être un technicien. Dans sa propre partie, pont, machine, cargaison, passagers. Mais aussi technicien en sécurité, voire sûreté, pour tous. Chacun à bord se doit de regarder, rapporter, comprendre ce qui lui semble anormal ou inhabituel. Cela oblige à posséder des connaissances techniques de base certes, mais plus sûrement avancées.
Magellan partit « à l'aventure ». Avec une idée. La navigation, la manœuvre des voiles, le positionnement parfois plus qu'aléatoire, « la vieille marine », cela suffisait pour partir. Et même si je pense qu'il est toujours utile de posséder ce savoir, de nos jours sur nos navires le capitaine doit avoir des connaissances sur beaucoup plus de choses. Navigation, positionnement bien sûr mais aussi météo, moteurs, vapeur, chimie, médecine, juridique (et pour différents pays), administrative et sociale (heures de travail, salaires, etc.) et désormais l'informatique.
Donc beaucoup plus de connaissances, dans plus de domaines, tout ce qui apporte une aide au capitaine et à son équipage évolue en permanence, et il est possible de se tenir au courant de cette évolution, le bon côté d'internet.

L'équipage, la santé

 

Quelques siècles plutôt, le marin quittait sa terre pour de longs mois, voire d'années, pour de longues traversées océaniques et les courants, les côtes, parfois les vents dominants n'étaient pas forcément bien connus. En clair on savait quand on partait mais pas quand (ou si) on allait revenir. Cela pouvait causer des désertions lorsque le navire faisait escale dans un pays enchanteur. Actuellement des escales dans un pays enchanteur, cela n'existe plus vraiment. Les navires, quand ils sont au port, sont amarrés dans des zones portuaires industrialisées, loin du centre des villes, mais aussi, cela peut-être une escale sur une bouée de chargement au large. Comme en plus les escales sont beaucoup plus courtes qu'auparavant, et que les équipages fonctionnent souvent en quart 6/6 au port, cela laisse peu ou pas d'occasion d'aller à terre. Bien sûr la durée des contrats a diminué, même si parfois ces durées peuvent encore être trop longues, on l'a vu avec les difficultés (pour ne pas dire impossibilité) de relève pendant la pandémie Covid. Avec de moins en moins d'occasions de sorties à terre, la vie du marin a considérablement changé.
Quant à la santé et son suivi, là-aussi la différence avec le passé est importante. La médecine en général a fait d'immenses progrès depuis Magellan. A cette époque il était parfois possible d'essayer un remède, d'en trouver un par hasard, mais il n'y avait aucune connaissance sur les vitamines, les conséquences d'une déficience en vitamine. Par exemple, on pensait que le scorbut était dû à l'humidité, à la promiscuité, à la mélancolie comme on disait alors, et même si on voyait les effets bénéfiques d'une nourriture fraîche sur les malades, on ne comprenait pas pourquoi. Puis il y a la période avec un médecin embarqué, qui faisait ce qu'il pouvait, avec ses connaissances et ses « pauvres » moyens. Maintenant le capitaine et quelques officiers, même s'ils ne sont pas médecins, ont acquis une certaine éducation médicale, et sont entrainés aux premiers secours. Et par-dessus tout, ils ont la possibilité de contacter un vrai médecin, d'en prendre conseil, et d'agir en liaison avec lui. Bien sûr la pharmacie du bord ne contient pas autant de médicaments que celles que l'on trouve à terre, mais grâce à ce contact et à ces avis, il est possible au capitaine de faire des petits miracles.
Traitement médical, petite intervention chirurgicale, déroutement pour débarquer un membre d'équipage le nécessitant, tout cela avec l'assistance d'un médecin à terre, voilà qui est plus sûr. Et l'on parle désormais de la santé psychologique du marin.
Quelle différence ! Avant, on tentait un ou deux remèdes, et si ça ne marchait pas, le patient décédait et son corps était jeté à la mer, si ça marchait, alors c'était un miracle. Plus maintenant. Il y a aujourd'hui quand même beaucoup plus de chance pour un marin de rester en vie à bord. D'abord il y a une visite médicale avant d'embarquer, et s'il y a un malade à bord, le capitaine ou un de ses officiers est capable de lui donner le médicament nécessaire à son rétablissement. Et il est possible de dérouter le navire pour le débarquer. On ne peut pas dire qu'aujourd'hui on ne décède plus en mer, mais nous avons maintenant des outils, et des procédures qui permettent de garder l'équipage dans de bonnes conditions.

Agent commercial

Historiquement, le navire a toujours appartenu à un armateur. Ce peut aussi être un capitaine-armateur. Pour un armateur à terre, le capitaine est son représentant. Mais il est aussi le représentant de l'affréteur du navire. Et lorsqu'auparavant, le capitaine partait à la recherche de cargaisons, connues, même sous contrat d'affrètement, ou au hasard de ce qui pourrait être trouvé, comme les épices. Désormais, dans la plupart des cas, en quittant le port à lège, le capitaine sait où il doit aller chercher la prochaine cargaison, la quantité qu'il doit charger et où elle doit être débarquée. Il n'y a pas vraiment de place pour l'improvisation, le petit extra qui permettrait à l'équipage de commercer pour son compte.
Avant, le capitaine n'était pas seulement le représentant de l'affréteur, il pouvait et devait le remplacer, donc prendre des initiatives commerciales. Maintenant, grâce aux facilités de communications, même s'il est toujours le représentant de l'affréteur, le capitaine ne peut plus prendre aucune initiative. Même sa consommation, sa route sont suivies de près et il n'a aucune possibilité de pouvoir s'écarter de la route qui lui a été ordonnée.

Communications

   

Quel changement important ! Il y a cinq siècles, un navire partait du port. Pour combien de temps ? Personne ne le savait. Puis plus de nouvelles, ou à de rares exceptions. A moins de la rencontre opportune d'un autre navire en route vers ce port de départ. Quelques 285 ans après Magellan, lorsque le roi de France Louis XVI monta sur l'échafaud, sa dernière question fut de demander des nouvelles de monsieur de La Pérouse qui avait quitté la France sept ans plus tôt, et dont les dernières nouvelles dataient de quatre ans.
Donc pas de nouvelles. Dans les deux sens évidemment.
Maintenant, il y a des informations, des nouvelles. Beaucoup. Trop. Le nombre d'emails quotidiennement reçus et envoyés pour et par le navire est éloquent. Chaque partie contractante veut savoir où est le navire, sa route et sa vitesse, la météo sur zone, son ETA, etc. Et permettez-moi une parenthèse, chaque jour le navire doit envoyer le message de position de midi. Un monceau d'informations plus ou moins pertinentes telles que position à midi, route et vitesse sur les dernières 24 heures ainsi que depuis le début de la traversée, état de la mer et du vent, la distance à parcourir et l'ETA, la consommation et la quantité restante de combustible, etc., etc. Alors oui, avec les moyens de communications actuels, ce devrait être un message facile à écrire. Mais en réalité non, car tous, armateurs, managers divers, affréteurs et sous-affréteurs, agents, etc. veulent recevoir toutes ces informations mais dans leur affichage personnalisé. Ce n'est donc pas un même message envoyé à plusieurs destinataires, mais autant de messages que de correspondants, messages contenant pourtant les mêmes informations mais dans un ordre différent. Voilà qui facilite le travail administratif !
Le navire est surveillé, même espionné. Et on peut déjà le « conduire » de terre. Trop lent, trop rapide, trop à droite, trop à gauche, pourquoi le navire est-il stoppé ? Je me souviens de ma surprise un matin au beau milieu de l'océan Atlantique, quand stoppé pour des travaux de maintenance sur le moteur principal alors que nous avions de l'avance par rapport aux jours de chargement prévus, je reçu un appel par satellite du superintendant du navire qui me demanda ce que nous faisions, navire stoppé. Tout est vu instantanément, pas à la fin d'une traversée. La terre est désormais capable de contrôler un navire, et cela le sera de plus en plus. C'est le but des navires autonomes. Une question ne peut pas rester longtemps en suspens. Une réponse immédiate est exigée, vitale. On n'hésite pas à rendre responsable un capitaine pour une petite avarie, un petit problème, dont il n'est peut-être même pas au courant. Imaginez Magellan appelant régulièrement son armateur pour lui dire qu'il va essayer de passer par le détroit qui porte aujourd'hui son nom, ne sachant où il va exactement, ce qu'il va rencontrer, même si ce détroit est ouvert de l'autre côté, combien de temps cela va lui prendre d'aller où ses rêves le mènent.
L'autre aspect de ce changement dans les communications est pour l'équipage. Même si les communications par satellite sont toujours assez onéreuses, la possibilité d'un accès internet pour des emails, ou les réseaux sociaux, est sensationnelle pour ceux qui souhaitent rester en contact avec famille et amis. Être sans nouvelles du navire est assez difficile à vivre pour la famille, et c'est aussi vrai dans l'autre sens. Et recevoir des nouvelles de temps à autre est merveilleux quand il n'y a plus à attendre l'arrivée au port et l'agent avec un éventuel courrier. Toutefois c'est un moyen à utiliser avec modération. Chaque membre d'équipage est à bord pour son travail, l'environnement maritime est dangereux de par sa nature comme bien souvent la cargaison transportée, et il faut donc garder un certain niveau de concentration sur le travail. Avoir beaucoup de nouvelles, trop et sans limite, peut avoir un impact négatif sur la sécurité.

Pour conclure

Le changement le plus important depuis Magellan réside dans les facilités de communications. En conséquence, l'aventure, c'est terminé. À la différence de Magellan, le capitaine actuel est en permanence sous le regard de la terre, on peut dire espionné. La vitesse, la position ont déjà été évoquées. Mais ceci est valable pour toutes les données navire. Il faut envoyer de très nombreux rapports divers, mensuels, hebdomadaires et même quotidiens. Tout est sous contrôle, la navigation bien sûr, mais aussi la maintenance, les rechanges et autres besoins à bord, l'entraînement de l'équipage, la sécurité, les heures de travail et de repos, la santé aussi (où est le secret médical parfois ?), le nombre de cannettes de bières distribuées (quand il y en a à bord), et ainsi de suite. Et il est même possible à la terre de vérifier ces données sans que le navire s'en aperçoive.
Magellan était le capitaine de son navire, de son expédition. Il était celui qui décide de tout, ou presque, à bord. Rien ne pouvait se faire sans son aval. Il était ce que l'on nomme « Maître après Dieu ». Avec bien évidemment la responsabilité incluse dans cette locution.
J'étais capitaine, il n'y a pas si longtemps. La navigation ? sous les ordres d'un affréteur, la maintenance ? sous les ordres d'un manager technique. La sécurité, la sûreté ? j'avais aussi des managers, DPA, pour cela. L'équipage ? je n'ai jamais pu choisir mon équipage, j'étais même dans la quasi impossibilité de débarquer un membre ne faisant pas l'affaire quelle qu'en soit la raison, il y avait aussi un manager pour cela à terre. Et parfois, cela arrive encore, le capitaine peut recevoir, par téléphone bien sûr, jamais de traces écrites, une consigne spéciale à la limite de la sécurité ou de la loi. Pourtant, pour la terre, et principalement pour la presse, j'étais toujours le « Maître à bord après Dieu ». Mais je peux dire qu'entre Dieu et moi, il y en avait du monde, à décider ce qui était le mieux pour le navire. Et sans aucune responsabilité ce monde-là ! Celle-ci reste toujours sur les épaules du capitaine. Et la conséquence est que le capitaine a l'impression d'être considéré comme étant un bouc émissaire.


Cdt H. Ardillon
Secrétaire général du CESMA
Vice-président de l'AFCAN.
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