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Les atouts du Registre International Français (RIF)

En dépit d'améliorations importantes (de l'avis des armateurs), d'enjeux stratégiques (dont tout le monde n'a pas conscience), le registre international français (RIF) des navires peine toujours à convaincre à l'approche de ses 15 ans d'existence, surtout dans la catégorie transport. [Est-ce là encore un autre des paradoxes français à moins que cela soit l'illustration d'une autre exception, celle-là bien réelle ?] (Journal de la Marine Marchande du 24 mai 2019)

La France a créé en 1986 son pavillon bis, dit «pavillon Kerguelen», pour lutter contre la fuite des immatriculations nationales. Elle effectue pour les navires de commerce des immatriculations dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), à Port-aux-Français dans les Iles Kerguelen, et pour les navires de croisière, à Wallis et Futuna.
En 2006, le pavillon des Kerguelen est remplacé par le Registre International Français (RIF). Créé par la loi du 3 mai 2005, entrée en vigueur le 11 février 2006, il a pour objet l'immatriculation de navires de commerce et de navires de plaisance professionnels, afin de développer l'emploi maritime français et la sécurité maritime.
Malgré l'objectif de créer d' encourager la création de nouveaux armements sous pavillon français et le développement des armements existants, l'adoption d'un nouveau registre n'a pas permis d'enrayer le lent déclin du pavillon français dans le transport maritime mondial. Détenteur de la quatrième place au début des années 1970, le pavillon français se situe désormais au 30e rang des flottes mondiales par pavillon.
 
Etienne Vincent commandant du pétrolier chimiquier Hydra (JMM)

Les nombreux atouts du RIF

Le RIF peut compter sur de nombreux atouts tels qu'un registre communautaire reconnu sur le plan international, des garanties de sécurité et de sûreté, des formalités gratuites, des procédures maritimes facilitées avec un seul interlocuteur (le Guichet unique), implanté à Marseille où il regroupe des personnels des douanes et des affaires maritimes.
Pour les armateurs, il présente les avantages fiscaux suivants :
  • le régime d'imposition forfaitaire de la taxe au tonnage (depuis 2003) ;
  • l'acquisition de navires en crédit-bail fiscal ;
  • l'exonération de la TVA et des droits de douane sur le navire lors de son importation – sur les biens d'avitaillement et de taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) – sur les opérations d'entretien, de transformation, de réparation, d'affrètement et de location ;
  • l'exonération du droit annuel de francisation et de navigation ;
  • la réduction de la part patronale des cotisations au régime de protection social des gens de mer (ENIM).
Il faut reconnaître que sur le plan fiscal, «l'administration française a fait montre d'une certaine capacité à adapter le cadres législatif et réglementaire dans le grand intérêt de ses armateurs». Néanmoins, comme le souligne Jean-Marc Roué, président d'Armateurs de France, «il ne s'agit pas de cadeaux fiscaux, mais d'un cadre qui permet au pavillon français de jouer à l'échelle européenne à armes pas trop inégales». Pour les équipages, il présente les avantages suivants :
  • l'exonération de l'impôt sur le revenu pour les marins domiciliés en France et embarqués plus de 183 jours dans l'année fiscale ;
  • la validation des services auprès de l'ENIM (maladie et vieillesse) pour les gens de mer résidant en France ;
  • la validation des temps de navigation pour l'obtention ou le maintien des brevets STCW.
L'équipage résidant en France bénéficie d'un système de protection social très avancé (assurance vieillesse, prévoyance, allocations familiales, assurance chômage). Quant aux membres d'équipage résidant dans un autre Etat (ayant conclu ou non un accord avec la France), ils bénéficient des prestations de protection sociale prévues dans l'Etat d'origine (la France).

Les navires éligibles au RIF

Ce sont les navires de commerce au long cours ou au cabotage international, à l'exception des navires transporteurs de passagers assurant des lignes régulières intracommunautaires, les navires de plaisance professionnelle de plus de 15 mètres, et depuis 2016, certains navires de pêche professionnelle armés à la grande pêche.
Ces navires doivent être conformes à la réglementation technique applicable au type de navire envisagé : navire à passagers, navire de charge ou navire de plaisance professionnelle.
Ils doivent être armés avec un équipage comportant au moins 25 % de ressortissants communautaires sur la base de la fiche d'effectif.
A bord des navires immatriculés au RIF, le capitaine et l'officier chargé de sa suppléance, qui peut être le chef mécanicien, sont ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne, d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen(1). Il faut noter que l'accès à ces foncions est subordonné à la possession de qualifications professionnelles et à la vérification d'un niveau de connaissance de la langue française et des matières juridiques permettant la tenue des documents de bord et l'exercice des prérogatives de puissance publique dont le capitaine est investi.

Le RIF au 1er janvier 2019

Au 1er janvier 2019, la flotte de commerce française comprend 407 navires sous pavillon français.
Elle se décompose en une flotte de transport qui compte 170 navires, et une flotte de services maritimes qui s'élève à 237 navires.
Les 170 navires de la flotte de transport comprennent 41 pétroliers et gaziers, 62 navires de charge (dont 25 porte-conteneurs et 19 rouliers) et 67 navires à passagers (dont 9 paquebots et 41 transbordeurs).
Parmi les 237 navires de services maritimes, on compte 40 navires spécialisés, 59 services offshore et 138 services portuaires et côtiers.
A cette date, 325 navires sont inscrits au RIF, dont :
  • 79 navires de transport représentant 97 % du port en lourd de la flotte de commerce, et seulement 46,5 % de l'effectif (qui compte aussi 55 navires sous registre métropolitain et 36 sous registre d'outre-mer). Le port en lourd du RIF est à 61,6 % affecté à la flotte pétrolière et gazière, et à 38,4 % aux navires de charge ;
  • 179 navires de travaux et services maritimes représentant 40,1 % des effectifs de la flotte sous pavillon français. Par rapport à l'ensemble de cette flotte, 78 % des navires spécialisés, 97 % des navires offshore et seulement 5 % des navires portuaires et côtiers sont sous pavillon Rif ;
  • 67 navires de plaisance professionnelle, dont 29 affichent une jauge brute supérieure à 100. Cette flotte représente 20,6 % des navires inscrits au RIF, mais seulement moins de 1 % de la jauge brute.
Depuis sa création en 2006, le RIF évolue différemment selon que les navires sont de transport, de service ou de plaisance professionnelle. La flotte de transport connaît en 10 ans une baisse régulière.
Cependant en prévision du Brexit(2), l'effectif et le tonnage des navires de charge sous pavillon RIF ont augmenté au cours du premier semestre 2019. En mai 2019, on dénombre 89 navires de charge sous pavillon RIF, soit 10 de plus qu'au 1er janvier.
La flotte de services maritimes a présenté une croissance régulière, mais la courbe s'inverse en 2017 du fait du ralentissement de l'offshore et du sismique. Au 31 mars 2019, elle ne compte plus que 171 navires.
La flotte de plaisance professionnelle est en progression constante, surtout depuis que les navires de plaisance à utilisation commerciale de moins de 24 mètres sont autorisés à bénéficier des avantages du registre.

Le nombre de marins français ou communautaires au RIF a connu la même évolution que celle des registres. De 3 626 en 2009, le nombre des marins est évalué à 3 079 en 2018.



S'agissant de la flotte de transport, le RIF par catégorie de navire concerne au 1er janvier 2019, 8 navires à passagers, 7 rouliers, 25 porte-conteneurs, 7 transports de gaz liquide, 19 transports de produits pétroliers, 11 pétroliers transports de brut et 2 autres navires de charge.

Néanmoins, le RIF, malgré l'endiguement de l'érosion vers les registres d'immatriculation étrangers, reste faible, « trois à quatre fois moins élevé que dans de nombreux pays européens, vingt fois moins que dans d'autres pays du monde ». Selon le rapport du député Arnaud Leroy La compétitivité des transports et services maritimes français, le RIF restera toujours moins compétitif qu'un autre registre européen, en raison notamment du poste de dépense équipage.

Le point de vue de CMA CGM

La flotte CMA CGM comprend 184 porte-conteneurs en propriété ou en affrètement coque nue, dont 24 sous pavillon RIF. En mars et avril, dans la perspective du Brexit, a eu lieu le changement de pavillon des navires sous pavillon britannique, pour continuer à bénéficier du dispositif fiscal de taxe au tonnage validé par l'Europe : 47 porte-conteneurs ont été transférés sous pavillon maltais, et quatre au RIF.



Sa flotte française passe ainsi de 24 à 28 navires, ce qui pose des problèmes de recrutement d'officiers. Compte tenu de l'insuffisance des effectifs, il a été convenu d'armer ces quatre navires en dessous des normes durant une période transitoire d'un an. Il y aura ainsi deux officiers français, au minimum un commandant ou un chef mécanicien. Les affaires maritimes ont autorisé à titre provisoire que ces navires puissent ne pas être armés par un commandant français.
Il est aussi prévu d'embarquer des élèves, à raison de deux par navires. Dès que possible ces navires devraient passer à quatre officiers français au minimum.
CMA CGM a aussi décidé d'immatriculer sous pavillon RIF ses futurs 22 000 EVP propulsés au GNL, dont cinq en 2020. L'arrivée de ces porte-conteneurs va se traduire par le recrutement de nouveaux officiers français. La propulsion du GNL implique un nouveau savoir-faire «très valorisant pour les officiers français», et va permettre «de créer une cohérence dans cette nouvelle compétence».
L'armement, qui emploie 292 officiers français, envisage le recrutement d'officiers polyvalents mais également monovalents, ainsi que ceux issus de la promotion interne.

En décembre 2018, le président de CMA CGM, Rodolphe Saadé, a fait savoir au président de la République «qu'il attendait un soutien de l'Etat pour que son groupe puisse armer un maximum de navires sous pavillon français». Car, si le surcoût du pavillon français est évalué à 700 000 euros par an et par navire, pour le conseiller institutionnel de CMA CGM, Jacques Gérault, les facilités accordées au pavillon RIF ne sont pas suffisantes pour compenser ce handicap financier. Selon lui, «il y aurait encore beaucoup de points à améliorer pour faire du RIF un pavillon de référence au niveau européen».
Ainsi faire bénéficier les marins en formation à terre d'exonérations de charges, si leur destin est bien de naviguer, ou élargir le bénéfice de l'exonération de l'impôt sur le revenu aux marins sous pavillon communautaire, à condition de naviguer plus de 183 jours dans l'année.
Autre demande : arriver à un référentiel par exemple sur la réglementation de classe des navires sur les points de contrôle de l'inspection du travail.
CMA CGM qui va construire en 2020 son propre centre de formation sur le site de l'ENSM de Marseille demande aussi que l'école adapte ses formations avec beaucoup plus de place pour le digital, le GNL ou les scrubbers.
Question cruciale pour l'armateur marseillais, élargir la monovalence à des brevets pour des moteurs au-delà des 7 500 kW actuels.
Jacques Géraut veut aussi une réforme du contrat de professionnalisation «avec la possibilité d'obtenir des aides publiques même en-dessous de six mois à bord, si les élèves officiers ont une promesse de CDD ou CDI». L'armateur a été entendu en ce qui concerne l'aménagement de la francophonie à bord. Le texte de la loi d'orientation sur les mobilités, qui devait être examiné à l'Assemblée nationale à la fin du premier semestre, permettrait d'accorder au chef mécanicien la possibilité de suppléer le capitaine à ses obligations de parler le français.

Le point de vue de Louis Dreyfus Armateurs (LDA)

 

LDA possède une flotte de 60 navires dont 15 sont sous registre RIF. Parmi ces derniers, on compte 4 vraquiers, 6 câbliers, 3 rouliers non spécialisés, et le Marion Dufresne. La compagnie emploie 2 000 marins dont 400 officiers français.
L'armement vient de faire l'acquisition d'un navire de maintenance de champ éolien offshore, le Wind of Change, également sous pavillon RIF. Il sera suivi par le Wind of Pride et le Wind of Hope, toujours sous pavillon RIF. Ces navires offshore seront armés chacun par deux équipages de 20 à 25 marins dont 8 officiers français, soit 16 postes d'officiers français.
L'activité de LDA est répartie entre le vrac et les navires de service. Le RIF n'est pas adapté à la flotte de vraquiers, activité liée au temps d'embarquement et tributaire de la compétition internationale ce qui impose des officiers et marins étrangers. «Le vrac sec est une activité opérée sous son prix de revient. Si vous avez des navires qui coûtent un million de dollars de plus que vos concurrents, ce n'est pas un million de dollars de manque à gagner, mais de pertes supplémentaires» explique le secrétaire général de LDA, Antoine Person.
En revanche, le RIF est parfaitement adapté aux navires de service, à haute valeur ajoutée, qui tous, arborent le pavillon national. «Sur un câblier ou un navire sismique, la moindre panne engage parfois des millions de dollars dès la première minute. L'obligation qu'a ce navire de ne pas tomber en panne et la qualité des équipages embarqués justifient pleinement le surcoût du pavillon français et du marin français». ajoute Antoine Person.
Aussi affirme-t-il «qu'il n'y a pas de sujet, le RIF est compétitif». A titre d'exemple, l'appel d'offres que LDA, encore novice dans l'éolien offshore, a emporté face à 17 compétiteurs, pour le Wind of Change. Bien que les seuls à ne pas avoir de track record (bilan), LDA a obtenu le marché avec le pavillon français.

Les atouts de la filière maritime française

L'attractivité du pavillon français ne se limite pas au RIF, il doit prendre en compte l'ensemble des atouts apportés par la filière maritime française. La France est l'un des rares pays au monde à disposer d'une filière maritime intégrant l'ensemble des acteurs de la filière.
Parmi ceux-ci, il faut mentionner le grand nombre d'experts techniques que l'on retrouve dans le cadre :
  • des sociétés de classification internationalement reconnues telles le Bureau Veritas, qui regroupe 75 000 collaborateurs dont 8 000 en France et dispose de 1 400 bureaux dans le monde, et dont la branche marine et offshore représente 8 % de l'activité du groupe ;
  • du marché français de l'assurance maritime qui bénéficie d'une grande sécurité juridique et de souplesse dans la mise en œuvre des contrats. L'assurance maritime française couvre 4 % de l'assurance mondiale, une part très significative de la flotte internationale ;
  • de nombreux chantiers navals concernant notamment la grande plaisance et les navires de croisière ;
  • du domaine du courtage et de l'arbitrage.

Il y a donc antinomie entre l'excellence du pavillon français et les coûts engendrés qui cadrent difficilement avec la concurrence mondiale. L'Etat aura-t-il la volonté de satisfaire aux concessions demandées par les armateurs et de poursuivre la politique de défense du pavillon français engagée par les nouvelles mesures de la loi Leroy ?

 (1)   La suppression de la préférence nationale pour le capitaine et son suppléant a été jugée en 2008 par la Cour européenne de Justice au motif que la législation française était discriminatoire pour les marins des autres pays de l'Union. Cette décision a été appréciée par les armateurs français dans la mesure où elle pouvait atténuer la pénurie d’officiers français du moment.
 (2)   Le Brexit sanctionne le pavillon britannique en raison de son extra-territorialité et par la même occasion le prive du bénéfice de la taxe au tonnage.
René TYL membre de l'AFCAN
Sources
  • Séminaire organisé le 23 mai par Armateurs de France et le cabinet Gide Loyrette Nouel sur le pavillon français.
  • Le journal de la Marine Marchande du 24 mai 2019.
  • Le Marin (2 mars, 15 mars, 21 mai, 23 mai 2019).
  • Mer et marine du 19 mars 2019.
  • L'Antenne.
  • La flotte de commerce au 1er janvier 2019 (DGITM, DAM, Mission de la Flotte de commerce).
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