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L'ambassadeur, la milice et les commandants.
 
       C'était l'époque, antérieure aux conteneurs, où les escales sur la Côte d'Afrique duraient souvent plusieurs jours ce qui permettait de lier des relations parfois amicales avec des membres de la société locale, surtout des expatriés. Il m'arrivait donc souvent d'être invité à terre ou d'inviter à bord.

C'était le cas à Pointe Noire qui avait quelques agréments, toutefois tempérés dès la nuit tombée car les déplacements pouvaient être perturbés par de fréquents barrages de la milice paramilitaire et « patriotique », chargée d'assurer la sauvegarde du régime alors en place contre des actions d'éventuels trublions. J'ai certainement été arrêté plusieurs fois à de tels barrages en revenant de dîner avec des amis mais en deux occasions cela dépassa le simple contrôle, avec pour la première, le risque d'un incident diplomatique ainsi que l'on va le voir.

Il arrivait à l'ambassadeur de France au Congo, en poste à Brazzaville, de venir passer un week-end balnéaire à Pointe Noire où il était hébergé par le consul. Or un de mes amis, je ne sais comment, avait établi des relations avec notre représentant à qui je fus présenté, au club nautique, ce lieu de bien des rencontres. Le courant passa sans doute, toujours est-il que je l'invitai un soir à dîner à bord en compagnie de quelques autres expatriés. Je ne sais qui avait véhiculé le diplomate à l'aller mais il se trouva, la soirée terminée, ce fut moi, j'avais une voiture de service à disposition, qui me proposai pour le reconduire. Il n'y avait pas loin du port au consulat et quelques cinq minutes eussent dû suffire pour effectuer le parcours si, à mi-chemin nous ne nous étions heurtés à un barrage de la milice avec injonction, plus ou moins appuyée par des gesticulations de Kalachnikov, de présenter les papiers. Pour moi, pas de problème, je possédais le laissez-passer indispensable, mais il n'en fut pas de même pour mon passager. Non seulement notre ambassadeur n'avait pas le sésame de rigueur mais il n'avait aucun autre document, ni passeport ni carte d'identité ni accréditif de quelque sorte que ce soit. Ce qui induisit le milicien chef de poste, sans doute un peu poussé qui plus est par des bières ingurgitées auparavant, à faire preuve d'une suspicion assez agressive, d'où un dialogue que je résumerai :
- Alors qui êtes-vous ?
- Je suis l'ambassadeur de France à Brazzaville.
- Qui me le prouve ? Vous n'avez pas de papiers !
- Ils sont au consulat, je peux aller les chercher.
- Je ne peux pas vous laisser partir.

Je me proposai de rester en otage tant que le suspect ne serait pas revenu de sa quête mais il me fut répondu que si à moi l'on faisait confiance, il ne pouvait en être de même pour mon compagnon.

Et les échanges verbaux de continuer ce qui permit de constater ce que diplomatie voulait dire… chez un diplomate. En effet celui-ci sut conduire le dialogue sans se départir de son calme, en ayant une attitude propre à l'état qu'il déclarait être le sien, mais sans jamais faire preuve de supériorité. Il en arriva à aiguiller les échanges pour en arriver à quelque chose comme ceci :
- Où étiez-vous alors ?
- Je dinais avec le général X (le grand patron des miliciens).
- Parce que vous connaissez le général X ?
- Oui, puisque je suis l'ambassadeur de France.
A ce moment le milicien commença à être convaincu, et par là, à se poser des questions quant à son avenir si l'affaire arrivait aux oreilles d'en haut, et décida de nous laisser aller, non sans avoir demandé :
- Mais lorsque vous verrez le général X qu'allez-vous lui dire à mon sujet ?
- Que vous êtes un militaire consciencieux, appliquant les consignes et je lui demanderai de vous féliciter.
Soulagement du quidam et c'est tout juste s'il ne nous proposa pas une bière avant que nous partions. La moralité de l'affaire est que simple pékin ou haut diplomate, il faut toujours avoir ses papiers avec soi.

La seconde expérience d'un contrôle de miliciens fut plus rapide et plus détendue. Nous revenions d'un dîner en ville avec un collègue commandant un autre navire Delmas à quai lorsque nous vîmes s'agiter devant nous des silhouettes pas forcément identifiables et qui semblaient nous intimer l'ordre de nous arrêter. Par précaution, nous attendîmes d'être à leur hauteur pour être sûrs qu'il s'agissait de véritables miliciens avant de freiner, ce qui fit que la voiture ne s'immobilisa qu'une dizaine de mètres plus loin. Le responsable de la troupe vint à nous et après examen de nos documents nous reprocha de pas nous être arrêtés plus promptement d'autant plus qu'il avait appuyé son ordre à l'aide du sifflet qui lui pendait au cou. Ce à quoi nous rétorquâmes n'avoir rien entendu et, comme il se doit en Afrique, début de la palabre. Etait-ce l'efficacité du matériel, un sifflet à roulette avec bille incorporée, ou la puissance pulmonaire de l'utilisateur de celui-ci que nous mettions en doute ? Au demeurant, rien d'agressif dans le dialogue ce qui permit à mon camarade de suggérer de faire un essai. Tricha-t-il ou pas ? Toujours est-il que faute du roulement à effet comminatoire attendu, on ne put ouïr qu'un faible chuintement. Et l'essayeur d'affirmer qu'il n'y avait plus le petit pois intérieur, indispensable au bon fonctionnement et, se référant à une publicité récurrente à l'époque, « qu'il fallait toujours avoir un petit pois sur soi », ce qui sembla fort divertir notre interlocuteur. Après nous pûmes regagner nos bords respectifs.
Cdt Jean Chennevière


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