COMBIEN COÛTE LE BALISAGE ?Trop souvent, la comptabilité budgétaire ne permet pas de répondre à des questions simples comme celle-là. La quinzaine de millions d'euros par an dont débat le Parlement à ce titre ne recouvre que les achats de l'administration, depuis les ampoules et les sacs de ciment, jusqu'aux nouveaux bateaux de l'armement des Phares et Balises et à leur carburant. Mais il faudrait y ajouter les dépenses de personnel : environ 750 personnes, agents des directions interrégionales de la mer ou des directions de la mer (outre-mer) et marins non fonctionnaires de l'armement des Phares et Balises (environ 280). L'ordre de grandeur serait alors plutôt d'une cinquantaine de millions d'euros. Mais rien d'officiel dans ce chiffre. C'est beaucoup ?C'est peu ? Le budget de la SNSM, qui fonctionne essentiellement avec des bénévoles, n'est que de moitié. D'un autre côté, 50 millions, c'est quasiment une goutte d'eau dans les 386 milliards des dépenses de l'État, et un centième des 5 milliards d'économies qu'il cherche à réaliser cette année. Mais ce sont les petites bouées économisées un peu partout qui finissent par permettre de payer… un porte-avions. POURQUOI NE PAS TOUT SUPPRIMER ?Le jeune plaisancier moderne qui est né avec un ordinateur dans son berceau et découvre la navigation, une carte électronique sous les yeux, peut se poser la question : à quoi servent toutes ces vieilleries ? Pourquoi ne pas économiser en supprimant tout puisque le positionnement par GPS montre exactement où est le bateau sur la carte ? Nous sommes pourtant un certain nombre d'anciens en France, et ailleurs, chez les marins professionnels comme chez les plaisanciers, chez les Sauveteurs en Mer comme aux Affaires maritimes, à penser le contraire. Vincent Denamur, sous-directeur de la Sécurité maritime, comme Caroline Pisarz-Van den Heuvel, chef du bureau des Phares et Balises, tous deux parfaitement au fait des technologies modernes, sont catégoriques : on va chercher à faire mieux avec moins d'argent en adaptant le balisage à la technologie moderne et aux nouveaux usages de la mer, mais il n'est en aucun cas question de le supprimer, car c'est un élément de sécurité indispensable.Imaginez que votre électronique soit en panne, sans pile ni batterie. Au plus mauvais moment, bien sûr, celui où vous cherchez à entrer dans un port que vous ne connaissez pas à travers une zone «mal pavée», émaillée de récifs. |
![]() Optique de phare ou de feux encore équipée d'ampoules classiques. On reconnaît les célèbres lentilles de Fresnel qui focalisent la lumière. |
Les bateaux autonomes, stade suivant de la navigation électronique, vont-ils balayer toutes ces considérations et nous faire basculer dans l'univers du «tout virtuel»? On ne sait pas encore bien sur quels principes fonctionnera leur guidage. Il est peu vraisemblable qu'on s'en remette à un positionnement sans contrôle par rapport au réel. On peut imaginer un contrôle électronique. Une partie des phares et bouées sont déjà équipés d'émetteurs AIS qui confirment leur identification par radio. Mais Vincent Denamur n'exclut pas qu'on maintienne sur les navires autonomes des moyens de contrôle visuel par caméra permettant par exemple à un opérateur à terre de vérifier ce que «voit» le bateau dans un passage délicat. Le balisage physique peut donc contribuer aussi à enrichir le monde virtuel. La preuve, le SHOM, l'organisme responsable de la cartographie marine en France, développe avec les Phares et Balises un projet qui nous permettra, en cliquant sur une carte électronique, de voir l'image de la tourelle, du phare ou de la bouée, ainsi que du paysage autour pour nous aider à faire le lien entre virtuel et réel. ALORS, QU'EST-CE QU'ON SUPPRIME?Reste l'impératif budgétaire : faire mieux avec moins. L'État peut, certes, faire des progrès de productivité. Il investit dans des baliseurs modernes, mais chaque nouveau bateau remplace deux anciens, au moins. Il faudra aussi limiter le nombre d'aides à la navigation et l'entretien qui y est associé.Il n'y a pas de grand plan caché. L'administration réfléchit, consulte et consultera les usagers. Par exemple la commission des Phares et Balises, une très vieille institution qui a été fort prestigieuse à certaines périodes de son histoire, va retrouver toute son importance comme cadre de réflexion stratégique. À la fin de l'été, elle devait par exemple se voir proposer un exercice consistant à partir d'une page blanche sur quelques portions du littoral faisant office de test. On efface tout le balisage existant. Si rien n'existait, comment baliserait-on cette côte aujourd'hui pour assurer la sécurité d'une manière efficace et économique ? Évidemment le poids de l'histoire est énorme. Puisque ce phare ou cette tourelle sont là depuis si longtemps, pourquoi les éteindre ou les abandonner ? Les résistances locales peuvent être considérables. Une simple tourelle au milieu des cailloux, comme celle de Men Grenn, dans la rivière de Lézardrieux, en Bretagne-Nord, peut être plus difficile à éteindre qu'un grand phare comme celui de Beauduc en Camargue. Des commissions locales sont consultées, commissions au sein desquelles les Sauveteurs en Mer sont souvent représentés. |
![]() Pour entretenir ou reconstruire certaines tourelles, il faut amener le béton par hélicoptère. Autant s'assurer avant qu'elles sont toujours indispensables. |
Le trafic de cabotage est beaucoup plus limité qu'avant, et les cargos longeant les côtes sont plus rares, fait remarquer Vincent Denamur. Or le balisage reste souvent double, conçu à la fois pour les cargos, les paquebots, la plaisance et la pêche. Différence entre les deux : le tirant d'eau. Pour un porte-conteneurs, le danger commence à moins de 20 mètres, voire 30 mètres de fond. Pour la plupart des autres bateaux, beaucoup moins de fond suffit par beau temps. Si l'on maintient la signalisation des dangers pour les uns et pour les autres, le nombre et le coût des aides à la navigation augmentent. Pour prendre l'exemple de la baie de Quiberon, très fréquentée par les plaisanciers mais très occasionnellement par des navires plus importants, il est essentiel de très bien en baliser l'accès comme le passage de la Teignouse, mais est-il vraiment fondamental de marquer le banc de Quiberon et ses 6 m de fond au minimum, aux plus grandes marées basses (cf. carte du banc de Quiberon ci-contre)? |
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