Trop de phares, trop de bouées, trop de balises ?
L'État a besoin de faire des économies. Cartes électroniques et GPS peuvent-ils remplacer complètement la signalisation physique? Non. Mais celle-ci va évoluer. Autant s'y préparer. L'AFCAN ayant été récemment consultée sur ce sujet par le ministère des transports, nous reproduisons avec l'aimable autorisation de la SNSM, un article paru dans le n° 145 de la revue "Sauvetage". «Il y a trop de balises en France.» Le directeur des Affaires maritimes, Thierry Coquil, a été sans ambiguïté dans le discours qu'il a prononcé en clôture de l'assemblée générale de la SNSM, le 15 juin à Paris, devant de très nombreux Sauveteurs en Mer. Les Affaires maritimes doivent continuer à remplir leurs missions avec moins de personnes... et en dépensant moins. Y compris pour leurs missions de sécurité (CROSS, Phares et Balises). Le mouvement engagé depuis plusieurs années va continuer. Un rapport de l'inspection générale des Affaires maritimes publié en mars met la pression sur les Phares et Balises. Jusqu'où ce processus peut-il affecter la signalisation qui, non seulement guide les navires, mais aussi, ponctue de phares, bouées et tourelles les côtes de France, qui font partie intégrante du paysage et ont inspiré tant d'écrivains, de photographes, de peintres et de simples navigateurs ? Ah le beuglement d'une bouée sonore appelant le marin dans la brume !... Pour éclairer l'avenir, nous avons souhaité rendre visite à cette administration – héritière de plus de deux siècles d'une glorieuse tradition – dont les agents veillent sur notre sécurité. Certains d'ailleurs y veillent doublement puisqu'ils sont aussi bénévoles chez les Sauveteurs en Mer. « On va là où les autres ne vont pas, près des cailloux, et notre expérience intéresse les sauveteurs », disent, presque dans les mêmes termes, Toussaint Le Calvez, président de la station SNSM de Loguivy de la Mer, qui commande le baliseur de Lézardrieux, et Jean-Yvon Lasbleiz, patron de la station SNSM de Carro et ancien commandant de baliseur. Tous les deux partagent aussi l'impression que cette activité est un peu méconnue, alors qu'ils sont des marins comme les autres, qui contribuent en plus à la sécurité de tous. C'EST COMBIEN, «TROP DE BALISES» ?Le plaisancier français qui quitte la Bretagne pour explorer les lochs écossais ou les mouillages irlandais trouve moins de tourelles, perches et bouées qu'au pays, pour se faufiler entre les cailloux. Plus généralement, quand on navigue à l'étranger, on a souvent l'impression que le balisage y est moins dense.Aujourd'hui, la France compte officiellement 6 112 aides diverses à la navigation (dont 3 250 sont lumineuses), en baisse, déjà, par rapport aux 6 500 d'il y a quelques années. Les bouées sonores précédemment évoquées ne sont plus qu'un souvenir dans bien des endroits, leur efficacité ayant été mise en doute. Sur ce total, 135 ont droit à l'appellation de «phare», ce qui suppose une fonction d'«atterrissage» (ils permettent au bateau qui vient de loin de confirmer sa position quand il approche des côtes), une portée minimale (20 milles nautiques, soit 37 kilomètres), et une hauteur au-dessus du sol de plus de 20 mètres (82,50 m pour le phare de l'île Vierge, le plus haut de France et d'Europe). En fait, 1 512 structures que nous qualifions couramment de phares ne sont que des «feux» pour l'administration. Au Royaume-Uni, les feux sont gérés par une «charity», une association qui fait plus penser à la SNSM qu'à une administration. Trinity House (qui ne couvre ni l'Écosse, ni l'Irlande du Nord) ne règne que sur 60 phares, plus une dizaine de bateaux-feux et 450 bouées, ce qui donne l'impression d'une plus grande frugalité. Cependant Trinity House supervise aussi 11 000 aides à la navigation diverses entretenues par d'autres, ce qui aboutirait à un balisage plus dense qu'en France. Les comparaisons sont donc bien difficiles. L'administration est consciente que les bâtiments des phares, en activité ou pas, constituent un patrimoine auquel beaucoup de Français sont attachés. «Les phares sont en bon état», rassure Caroline Pisarz-Van den Heuvel, la chef du service. Mais l'administration n'a ni les moyens de tous les entretenir à l'avenir, ni ceux de les gérer d'un point de vue patrimonial. Elle est donc ouverte, pour les faire vivre, à toutes les propositions de partenariat (Conservatoire du littoral, collectivités locales, associations...) et à tous les modes de financement (mécénat, financement participatif...). À Cordouan par exemple, le plus vieux phare en activité au monde, le très beau bâtiment a déjà été restauré, mais la chapelle attend toujours un financement. Plusieurs sites de passionnés recensent sur Internet les phares qui se visitent ou peuvent même héberger les randonneurs, comme en Corse. Si vous avez des idées pour entretenir et faire vivre un de ces phares ou feux, une adresse : caroline.pisarz.-.referent-patrimoine-maritime@developpement-durable.gouv.fr Chaque pays reste libre d'assurer comme il le veut l'obligation de sécurisation de ses côtes que lui impose l'Organisation maritime internationale. Les règles qui permettent de reconnaître le balisage partout dans le monde sont communes. Une association internationale de signalisation maritime, basée à Saint-Germain-en-Laye, en région parisienne, émet des recommandations. Mais chaque pays a sa propre politique de balisage.
LA VEILLE VISUELLE EST INDISPENSABLEPlus généralement, l'expérience montre que, pour être en sécurité, il faut regarder autour de soi et ne pas rester les yeux rivés sur un écran. Aller de la carte au réel et du réel à la carte. L'esprit travaille.Quelle est cette bouée? C'est bien celle-là? Non, c'est cette grosse tourelle qui est beaucoup plus loin. Pourquoi l'eau bouillonne-t-elle par là-bas? Ce sont ces rochers. Etc. Le recours exclusif à l'électronique crée une baisse de vigilance dont les sauveteurs constatent régulièrement les conséquences. Pourquoi y a-t-il encore tant d'échouements, alors que les bateaux sont aujourd'hui bardés d'électronique? La remarque vaut aussi pour les professionnels. Trinity House a fait une étude du comportement des bateaux qui montre que l'électronique pousse inconsciemment à prendre des risques en passant trop près des cailloux ou des bancs de sable, ce qui l'a conduit à rajouter quelques bouées. Car il suffit d'un décalage de la cartographie, d'un courant ou d'un vent de travers mal évalué, et c'est l'échouement. Parmi les professionnels qui tiennent à conserver le balisage pour les entrées de port, il y a les meilleurs connaisseurs des passes, à savoir les pilotes, assure Vincent Denamur. Rien de tel qu'un repère visuel pour vérifier rapidement l'importance de la dérive qu'il faut anticiper sur un gros bateau. Il arrive même que l'on construise encore de nouveaux feux, sinon des phares. Par exemple au début des années 2010, celui qui a été installé à l'extrémité du nouveau môle du port d'Erquy, en Bretagne-Nord, après son agrandissement. C'est pourtant un équipement essentiellement utilisé par des pêcheurs professionnels qui connaissent la zone comme leur poche. ET APRÈS DEMAIN?
PEUT-ON BAISSER LA PORTÉE DES GRANDS PHARES ?Les phares «d'atterrissage» portant à 20 ou 30 milles étaient formidablement utiles pour la navigation d'avant les GPS. Maintenant que tous les marins ou presque disposent au moins d'un GPS basique et d'une carte papier, on pourrait faire des économies, plus qu'on ne l'aurait imaginé, en réduisant la portée de ces grands phares à une dizaine de milles (18 km). Non seulement on économiserait de l'énergie, mais on passerait alors d'ampoules classiques, sur mesure, coûtant plusieurs milliers d'euros chacune à des LED beaucoup moins coûteuses. De plus, la fréquence des visites d'entretien et des pannes serait abaissée. Tous les phares sont aujourd'hui automatisés et inhabités.LES CHENAUX RESTENT ESSENTIELSPeut-être pourrait-on faire l'économie de quelques bouées et balises pour guider le marin entrant dans certains ports. La richesse du balisage est telle qu'on ne sait plus parfois où donner de la tête. Mais ce balisage-là reste essentiel. Y compris les alignements visuels. Y compris les chenaux secondaires. Vincent Denamur et Caroline PisarzVan den Heuvel sont sans ambiguïté sur ce point. Cargos ou paquebots n'utilisent que la passe principale. En revanche, pêcheurs et plaisanciers aiment bien les passes secondaires qui, selon les conditions de vent et de courant ou leur provenance, peuvent être plus adaptées.UN NAVIRE DE PÊCHE OU DE PLAISANCE N'EST PAS UN CARGO
BALISAGE DE SÉCURITÉ ET BALISAGE DE CONFORT Toutes les bouées ne sont pas aussi essentielles pour assurer la sécurité des navigateurs. Certaines, qui facilitent la navigation sont pourtant moins indispensables. Des définitions officielles existent pour faire le tri en trois catégories : «vitales, importantes, nécessaires». Chaque direction interrégionale de la mer a commencé ce travail de classification pour sa zone. Les signalisations jugées moins essentielles pour la sécurité sont évidemment celles dont l'éventuelle suppression a plus de chance d'être discutée. À moins qu'elles ne soient prises en charge financièrement par un autre bailleur de fonds : port, collectivité locale, etc. Celui-ci peut alors faire installer et entretenir l'aide à la navigation par un prestataire privé, sous contrôle des Phares et Balises, ou contribuer aux dépenses des Phares et Balises dont le budget comporte déjà 3 à 4 millions d'euros de «fonds de concours». Cas particuliers, bien «balisés» par la loi, ceux des entrepreneurs privés qui créent de nouveaux obstacles à la navigation : parcs d'éoliennes en mer, fermes aquacoles, etc. Le financement du balisage nécessaire leur incombe, les Phares et Balises contrôlant la pertinence et l'efficacité du dispositif proposé. Accessoirement, le balisage d'un parc d'éoliennes peut devenir une source d'économies à terme pour l'État s'il permet de supprimer d'autres signalisations qui deviendraient dès lors superflues. Conclusion, notre paysage visuel de marins va changer.À quelle vitesse? Obtenir l'autorisation d'installer des éoliennes en mer ou une ferme aquacole peut prendre des années. Convaincre toutes les «parties prenantes» qu'on peut supprimer une tourelle peut s'avérer impossible. Conclusion pratique : plus que jamais ayons à bord un «Livre des feux» à jour, parce que la bouée dont nous avions l'habitude finira peut-être par disparaître un beau jour, tandis que nous ne verrons plus que de loin le phare que nous avions l'habitude de voir de très loin.Jean-Claude Hazera
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