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L'odyssée de deux élèves de l'hydro au moment de l'armistice

On n'est jamais à la place d'un autre. Chaque individu est un sujet tellement complexe qu'il est vain d'en prévoir le comportement, davantage encore dans des situations d'exception, et il n'est même pas possible de prévoir son propre comportement.
Primo Levi, les naufragés et les rescapés


Après la Seconde Guerre mondiale, beaucoup d'entre nous se sont demandé quel aurait été leur comportement dans ces circonstances dramatiques. Les évènements de 1940-1945 qui divisent profondément les Français, présentent tous les signes d'une crise générale des valeurs apte à susciter des trajectoires singulières.
Ainsi, dans son ouvrage «Aurais-je été résistant ou bourreau», l'auteur Pierre Bayard, né en 1954, nous donne l'exemple de deux destinées totalement opposées, celle de Lucien Lacombe, personnage principal d'un film de Louis Malle et celle Daniel Cordier illustrée dans son ouvrage autobiographique, Alias Caracalla.
Pour autant, le problème du passage à l'action ne s'est pas toujours posé de façon si ambigüe. Bien souvent, il n'y avait pas d'autre choix. Une exigence irrépressible amena une poignée de jeunes gens, dès l'annonce de l'armistice, à continuer la lutte aux côtés des Anglais. Certains, comme George Ménage ou François Flohic, racontèrent leur expérience des combats auxquels ils participèrent en Atlantique Nord, en Arctique et dans la Manche.
Le problème ne s'est cependant pas posé de la même manière pour les marins qui furent contraints de rejoindre les ports anglais après le désastre de Dunkerque. Ils furent plus de vingt mille pour la marine de guerre et plus de quinze mille pour la marine marchande à s'y rendre. Mais le 27 juin, surlendemain de l'armistice, le maréchal Pétain donne à tous les résidents français présents en Grande-Bretagne l'ordre de rentrer. Moins de deux mille marins, dont quelques centaines seulement pour la Marine nationale, décideront de continuer le combat en juin 1940, considérant qu'il fallait d'abord faire la guerre pour chasser l'ennemi du territoire. Les autres refusèrent de se rallier aux Forces navales françaises libres, estimant qu'il fallait rester fidèles au gouvernement français.

Lacombe Lucien, une crevaison fatale

 
Le film de Louis Malle met en scène un jeune homme au moment précis où il s'interroge sur son attitude face aux évènements de la dernière guerre. Le héros, Lucien Lacombe, jeune paysan frustre de 18 ans, dont le père est prisonnier de guerre, vient voir son ancien instituteur et lui déclare qu'il souhaite s'engager dans la Résistance, ayant entendu dire que celui-ci dirigeait le maquis local. Celui-ci lui répond de façon évasive, il trouve Lucien un peu jeune, mais ne lui oppose pas de refus net. Le lendemain Lucien crève, il est obligé de marcher plusieurs kilomètres. En arrivant à la ville, il aperçoit une maison dont les habitants semblent faire la fête. Parmi ceux-ci, il reconnaît un ancien coureur cycliste avec lequel il sympathise. Celui-ci et ses amis, un groupe de collaborateurs, le font boire afin de soutirer des renseignements sur les maquis de la région. Lucien, qui a livré le nom de l'instituteur, se réveille avec la gueule de bois, et sensible à la sympathie que lui témoigne le groupe de collaborateurs, accepte de participer à leurs actions. Après différentes péripéties, Lucien est abattu par les résistants.

Le cinéaste ne condamne pas le personnage de Lucien qu'il présente cependant comme un parfait «salaud», selon la définition sartrienne. Mais c'est la manière dont il évoque la destinée humaine que le film est susceptible de perturber. La bicyclette est le symbole du rôle qu'y joue le hasard. Sans cette crevaison, Lucien n'aurait pas sans doute rencontré le groupe de collaborateurs et aurait été accepté dans le groupe de résistants de l'instituteur.
L'importance du hasard pourrait laisser croire que le choix de s'engager dans la Résistance ou dans la collaboration n'est pas dû à des convictions idéologiques, mais au simple jeu des circonstances.

Daniel Cordier, le parcours original et paradoxal d'un héros

 
La raison principale qui a conduit Daniel Cordier à s'engager dans la Résistance, plutôt que d'attendre tranquillement la fin de la guerre, est son désaccord idéologique avec la volonté du maréchal Pétain, dans son discours du 17 juin, de cesser le combat. Né à Bordeaux en août 1920, Cordier est, par sa famille, de tradition d'extrême droite, et adhère aux thématiques de Maurras, parmi lesquelles la haine de la République. Sur le plan de la pensée politique cependant, il était prêt à soutenir le gouvernement du maréchal Pétain, mais le destin en a décidé autrement.
Réfugié près de Pau, après avoir tenté de se faire enrôler dans l'armée, il entend l'appel du maréchal Pétain ordonnant de cesser le combat. Il est d'autant plus effondré qu'il a fait campagne, suivant en cela les demandes de Maurras, pour que Pétain se voit confier les pleins pouvoirs. Il se trouve trahi par celui-là même en qui il avait placé toute sa confiance. L'armistice est signé le 22 juin.
Il réunit quelques jeunes gens autour de lui, leur explique qu'il est fondamental de continuer le combat en s'appuyant sur les forces et les territoires de l'Empire français. C'est avec seize camarades, âgés de dix-huit ans pour la plupart, qu'il s'embarque à Bayonne le 21 juin 1940 sur le Léopold II, à destination de l'Afrique du Nord.
Peu de temps après avoir quitté la France, le capitaine du bateau change d'avis et prend la direction de l'Angleterre. Parvenu à cette destination inattendue, Cordier s'engage alors dans la légion de volontaires français dirigée par le général de Gaulle, et ce toujours par fidélité à Maurras dont il sait que de Gaulle est un fidèle lecteur. Il lui faudra longtemps pour comprendre que Maurras a effectivement rejoint Pétain.
Après avoir subi une formation de radio et de saboteur, il est finalement parachuté dans la France occupée en juillet 1942. Chargé de devenir le secrétaire particulier de Georges Bidault, il est très vite recruté par un certain Rex dont il ne connaît pas l'identité : il sera son secrétaire et son radio jusqu'à l'arrestation de ce dernier en juin 1943. C'est seulement en octobre 1944 qu'il apprend le nom de celui qu'il a fréquenté quotidiennement, Jean Moulin.
Les quelques jours qui séparent le discours de Pétain de l'embarquement sur le Léopold II montrent comment Cordier s'est retrouvé à la croisée de son destin. Celui-ci est représenté par sa décision de partir pour Bayonne, puis de quitter la France, quand la plupart de ses camarades font le choix de rester à Pau.

François Flohic et Georges Ménage, deux élèves de l'Hydro de Paimpol

«Qui perd l'occasion est comme celui qui laisse l'oiseau s'envoler de sa main. C'est sans retour» (Saint Jean de la Croix)
Comme Daniel Cordier, deux élèves de l'Ecole d'hydrographie de Paimpol, François Flohic et Georges Ménage ont refusé d'accepter l'armistice promulgué par le maréchal Pétain. Ils ont en commun d'avoir quitté Paimpol pour continuer la lutte en Angleterre.

Georges Ménage, un marin breton

Georges Ménage est né le 2 septembre 1921 à Saint-Brieuc. Son père, capitaine au long cours, était commandant chez d'Orbigny. Dans les années 1930, années de la crise économique, les congés étaient rares. Pour conserver son embarquement son père avait été contraint de ne revenir à la maison que tous les deux ans.
Sa mère et ses grands-parents maternels, tous deux instituteurs, veillèrent à son éducation et suivaient ses études avec attention.
En classe de troisième, il déclare à sa mère et à son grand-père, également atterrés, vouloir abandonner ses études pour être marin, et embarquer le plus tôt possible. A la fin de l'année scolaire 1936/1937 il effectue en qualité de pilotin un voyage complet Europe-Amérique du Sud sur le Pavon de l'armement d'Orbigny. A son débarquement, il n'a qu'un but, réussir le concours d'entrée à l'Ecole d'hydrographie de Paimpol. Reçu en juin 1939 à son baccalauréat avec mention «Assez bien», il prépare l'examen d'entrée à Paimpol qu'il réussit en septembre. Le 3 septembre, la France déclarait la guerre à l'Allemagne.
 

François Flohic, lui aussi

François Flohic raconte qu'en 1945, revenant dans sa famille à Paimpol après plus de quatre ans d'absence, il fut interpellé en gare de Guingamp où il attendait une correspondance, par un bon Breton au fort accent, en ces termes : «Te zou Brezonnec», ce qui lui fit un plaisir immense.
Né le 2 août 1920 à Ploubazlanec, breton issu de plusieurs générations contraintes de chercher sur mer les moyens de leur subsistance, François Flohic, dont l'enfance avait été marquée par la forte personnalité de son grand-oncle Edouard, ancien capitaine des Bordes, avait toujours décidé d'être capitaine au long cours. Sa mère, « femme de marin, femme de chagrin », rappelait-elle, n'aimait pas du tout ce qui l'orientait vers la mer. Néanmoins, elle encourageait son fils à poursuivre ses études, contrairement à l'avis de son père, qui avait débuté sur les bancs de Terre-Neuve à l'âge de quatorze ans et estimait qu'il était temps que son fils gagnât sa vie.
En septembre 1939, il réussit à se faire inscrire au cours d'élèves-officiers de l'Ecole de navigation maritime de Paimpol.

L'Ecole de Paimpol

L'Ecole d'hydrographie de Paimpol était depuis plusieurs années dirigée, plus que fermement, par le professeur en chef d'hydrographie Charles Pacé célèbre par sa personnalité et la qualité de son enseignement.
Georges Ménage évoque le souvenir de concours de calculs nautiques avec quelques studieux camarades, afin d'obtenir les automatismes et la célérité indispensables au succès à l'examen de sortie. Tous les calculs devaient s'effectuer à l'aide des tables de Friocourt en un temps maximum donné.
Bien qu'ils fussent un peu désorientés par l'atmosphère délétère de la drôle de guerre de l'hiver 39-40, marquée par l'outrance des slogans «la route du fer est coupée» ou «nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts», Pacé avait réussi à convaincre ses étudiants de poursuivre leurs études au lieu de s'engager comme certains, dont François Flohic, en avaient manifesté le désir, arguant qu'ils seraient plus utiles à la patrie que de partir comme simples marins. Mais le 13 mai, la «drôle de guerre» est finie, les Allemands franchissent la Meuse et leur offensive se développe. Des flots de réfugiés arrivent de plus en plus nombreux en Bretagne. De «potaches attardés» qu'ils étaient restés, les élèves de l'Ecole prennent conscience du danger.
 
Les examens de fin d'année avaient été fixés aux 17 et 18 juin 1940. Le 17 juin, ils se passent normalement. Le 18 juin, ils seront suspendus.
Le même 17 juin, Georges Ménage en compagnie de quelques camarades, dont François Flohic, écoute le message aux Français du maréchal Pétain. Atterrés, ils refusent l'emprise des Allemands et décident de passer en Angleterre pour continuer la lutte avec les Anglais. Mais comment ? Et les examens ? Et la famille ?

Les bateaux-pilotes de Rouen


Albert Faroult
 
Georges Leverdier
Après avoir participé à l'évacuation de Rouen et du Havre, les deux bateaux-pilotes de la station de Rouen, le Georges Leverdier et l'Albert Faroult quittent le port du Havre le 13 juin vers un port de l'Ouest où il y a peut-être des services à rendre. Saint-Malo est atteint, puis Paimpol où les deux navires qui ont échappé aux mines et aux bombes ne doivent pas tomber aux mains des Allemands. La décision est prise, les deux navires quitteront Paimpol dès que possible pour l'Angleterre.
Dès l'annonce de la suspension des examens, plusieurs élèves demandent qu'on organise leur passage en Angleterre. Le directeur de l'école, Charles Pacé, et l'inspecteur général de l'enseignement Lecoq sont d'avis qu'il faut partir pour l'Angleterre avec les deux bateaux qui doivent appareiller à la marée du soir, et ont l'intention d'en discuter sans attendre avec l'administration de l'inscription maritime.
Parmi ces élèves, Georges Ménage et François Flohic qui avaient rejoint les quais de Paimpol, rencontrent un de leurs camarades, Jean Saliou (voir infra), fils d'un pilote du Havre, qui leur apprend que, des matelots n'étant pas rentrés à temps, l'Albert Faroult recherchait un complément d'équipage. Le bateau-pilote appareillera bien à la marée du soir du 18 juin, lui-même et le fils du patron du Faroult sont assurés de partir aussi.
Ce n'est pas le cas de leurs deux camarades qui devront user d'audaces et de ruses pour pouvoir monter à bord, l'administrateur de l'inscription maritime ayant refusé leur embarquement. Profitant d'une bousculade, ils arrivent à sauter à bord et rejoignent leurs camarades régulièrement embarqués. Un peu plus tard, interrogés par un pilote qui leur demande « ce qu'ils foutent là », ils répondent qu'inscrits maritimes, ils ont été embarqués avec les autres.
Avant de partir sur le Faroult, Georges Ménage avait informé ses grands-parents et sa mère, de sa décision de passer en Angleterre pour rejoindre son père à Liverpool où il venait de prendre le commandement du Macon.
De son côté, François Flohic avait fait ses adieux à ses parents, laissant une mère malheureuse mais résignée et un père qui ne pouvait cacher son émotion. A 17h30, le Faroult appareille pour l'Angleterre avec son nouvel équipage.

La déception de l'arrivée en Angleterre

Après une nuit de navigation, au cours de laquelle les élèves participèrent aux quarts, le Faroult qui a rejoint de nombreux navires, mouilla le 19 juin au hasard en baie de Falmouth, alors qu'il pensait avoir atterri sur Plymouth. Il faut dire que les compas n'avaient pas été compensés après l'installation d'une ceinture magnétique et que la navigation avait été approximative.
Remis dès leur débarquement à l'agent consulaire de France, et présentés comme élèves de l'Ecole de navigation de Paimpol, ils sont logés dans un des nombreux hôtels inoccupés de cette station balnéaire.
Le 23 juin, ils apprennent la fâcheuse nouvelle de la signature de l'armistice.
Le 26 juin, ils prennent le train pour Londres sous la surveillance de la Home Guard. De là, ils sont conduits au Camberwell Refuge Center, centre de tri chargé de repérer les indésirables. Interrogé à plusieurs reprises par différents enquêteurs, Georges Ménage demande que l'on prenne contact avec son père à Liverpool, déclare qu'il refuse l'armistice et réitère sa volonté de se battre avec les Anglais.
Le 27 juin, l'arrivée d'un officier de marine leur apprend la création des Forces françaises libres et la reconnaissance officielle du général de Gaulle par le gouvernement britannique. Mais ils réalisent qu'ils sont prisonniers et se résignent à attendre.
Le 28 juin, Georges Ménage et Jean Saliou n'en reviennent pas d'être autorisés à prendre le train pour Liverpool où ils sont attendus, le premier par son père, le second par des amis de sa famille.

Le choix de Georges Ménage

Le 30 juin, Georges Ménage avait retrouvé, non sans émotion, son père à Liverpool. Celui-ci avait décidé de l'embarquer comme élève-officier sur son navire, le Macon. Il avait proposé la même chose à Jean Saliou, qui préféra s'engager dans la marine britannique. A cette époque, son père était bien décidé à continuer la lutte et ne désapprouvait pas que son fils fût venu en Angleterre.
Le 3 juillet à l'aube, les Britanniques s'emparent, par surprise de tous les bâtiments français présents dans leurs ports. Les équipages sont débarqués de force et envoyés dans des camps. L'affaire se fait presque sans coup férir au prix de trois morts, un Anglais et deux Français.
Le lendemain, les Anglais bombardent la flotte française au mouillage à Mers-el-Kébir, près d'Oran, causant la perte de mille deux cents hommes, coulant le cuirassé Bretagne et mettant hors de combat les cuirassés Dunkerque et Provence, sans compter d'autres bâtiments.
Ces nouvelles ne sont pas faites pour encourager les marins à continuer la lutte aux côtés des Anglais.
Le 5 juillet, l'équipage, commandant en tête, refuse de naviguer sous pavillon anglais et demande son rapatriement. Seuls, l'officier radio et Georges Ménage en décideront autrement, restant discrets au milieu de ces hommes passionnés. Entretemps, ils apprennent que Jean Saliou a réussi à s'engager chez les Anglais.
 
Le 17 juillet, le Macon est placé sous garde militaire. Les jours se succèdent sans que la situation évolue. A bord, un service minimum assure la sécurité et les fonctions indispensables, laissant l'équipage quasi inactif.
Le 10 août, ils sont relevés par des marins anglais et envoyés au camp de Crystal Palace à Sydenham, à environ vingt kilomètres de Londres. Là sont regroupés la plus grande partie des équipages des navires de commerce français saisis dans les ports anglais, soit environ 2 500 hommes.
La décision de Georges Ménage n'a qu'un seul objectif. Jamais il ne rentrera pour se soumettre à un gouvernement qui accepte l'occupation de son pays. Toutefois, Anglais ou de Gaulle, son choix n'est pas encore fait. A la fin du mois d'août, les Anglais décident de séparer les marins et les officiers, ceux-ci se retrouvent dans trois hôtels, dans le quartier d'Euston Station. Londres est bombardé quotidiennement.
Au hasard de ses pérégrinations dans Londres, Georges Ménage prend contact avec les Forces françaises libres et obtient l'adresse du bureau de la marine marchande à l'état-major de de Gaulle, dont il saura plus tard qu'il ne fonctionne que depuis le 12 août.
Le 15 septembre, il se présente au lieutenant de vaisseau Ybert du bureau de la marine marchande, à qui il fait part de son désir de s'engager. Il lui expose la situation particulière dans laquelle il se trouve, la majorité de ses camarades, dont les capitaines sont les plus acharnés, manifestant leur hostilité envers la France libre. Il lui est conseillé de régler au plus vite sa situation personnelle.
L'entretien avec son père le déçoit profondément. Malgré tous les arguments de celui-ci pour un retour en France, il lui déclare qu'il fait de la lutte contre les Allemands une affaire personnelle.
Son père est furieux, ils se quittent fâchés. Georges ne reverra son père que quatre ans plus tard, après le débarquement.
Le 21 septembre, il embarque à Glasgow sur le S/S PLM 27 en qualité de second lieutenant.

Le destin de François Flohic

Le camp de Camberwell (voir supra), où se trouvait aussi François Flohic, était une véritable tour de Babel où toutes les langues de l'Europe étaient parlées. La police britannique avait beaucoup de mal à y faire son tri. Il ne venait pas à l'idée à ce groupe de jeunes bretons, sûrs de leur bonne foi, qu'ils puissent être suspectés. Mais pour les autorités anglaises, ils faisaient partie des milliers de réfugiés civils et militaires dont il importait de s'assurer au plus vite de la véritable identité.
François Flohic et ses amis sont soumis à des séances interminables d'épreuves et de contre-épreuves au caractère fastidieux, entraînant fatigue et irritation.
Cependant, la visite le 29 juin d'un aspirant chasseur d'Afrique de la France libre les convainc de prendre une décision.
Aussi, résolus à sortir de cette espèce de prison, ils déclarent en masse vouloir s'engager dans la France libre.
Le 2 juillet, ils sont transportés dans Londres en bus à deux étages jusqu'à l'Olympia Hall sis à Kensington, immense bâtiment qui commence à accueillir les premiers volontaires de la France libre.

Mais, à peine sont-ils rassemblés sous une autorité française que la nouvelle de l'attaque de Mers-el-Kébir leur tombe dessus. Les faits s'imposaient dans leur brutalité : le 3 juillet, l'escadre de l'amiral Sommerville avait ouvert le feu sur les bâtiments français amarrés à Mers-el-Kébir. Un sentiment d'humiliation s'empare alors de leur groupe de futurs marins, et les commentaires allèrent bon train parmi eux.
Ces tristes évènements ne font néanmoins pas changer leur décision de servir dans les Forces françaises libres aux côtés des Anglais. Pour eux, les Anglais venaient de marquer qu'ils n'épargneraient personne, les Allemands moins que quiconque, dès qu'ils auraient la capacité de leur répondre. Pour l'instant, il leur importait de se préparer à repousser leur invasion, raison de plus pour s'engager au plus tôt.
Le passé étant ainsi réglé, seul ne les intéressait plus que l'avenir.
Le 8 juillet, François Flohic et ses camarades sont embarqués sur le Courbet, vénérable cuirassé de la première guerre, pour y suivre les cours d'élève aspirant.

Il serait trop long de raconter ici l'épopée de Georges Ménage et François Flohic au cours des cinq années de guerre vécues sous le pavillon à croix de Lorraine, non pas en ce qu'elles constituent une exception, mais bien parce que de nombreux de leurs camarades peuvent se prévaloir d'expériences similaires. Ce récit fera l'objet d'un second article.

Rappelons que dernièrement, le 21 avril 2018, la délégation au Souvenir des marins de la France libre a organisé à Paimpol et à Ploubazlanec un hommage aux jeunes gens partis pour l'Angleterre les 18 et 19 juin, et tout particulièrement à Georges Ménage (97 ans) et à François Flohic (98 ans).

Le 15 juin 2018, Emmanuel Macron a élevé Daniel Cordier, l'ancien résistant et secrétaire de Jean Moulin, âgé de 97 ans au grade de Grand-Croix de la légion d'honneur.

Jean Saliou, celui qui a permis l'embarquement de Georges Ménage et de François Flohic

 
Né au Havre le 18 janvier 1920, Jean Saliou est élève à l'Ecole d'hydrographie de Paimpol en 1940, comme ses camarades Ménage et Flohic. Le 17 juin, son père qui était pilote au Havre, téléphone au professeur général d'hydrographie Pacé, directeur de l'Ecole. «Il voulait sauver les deux bateaux-pilotes de Basse-Seine avant l'arrivée des Allemands», nous dit son fils, et lui demandait de partir à bord de l'Albert Faroult. «C'est cet appel qui a tout déclenché», ajoute-t-il.
En Grande-Bretagne, Jean Saliou est admis à la première session de l'Ecole navale anglaise (Royal Naval College Dartmouth) et en sort aspirant le 1er janvier 1941. Il navigue durant neuf mois sur divers unités de la Royal Navy, et le 1er octobre 1941 est nommé Enseigne de vaisseau de 2ème classe.
Il s'engage ensuite dans les FNFL, et participe à la bataille de l'Atlantique sur les corvettes Renoncule et Commandant Detroyat.
Il réussit à sauver son ami Michel Malbert, lieutenant à bord du paquebot de La Salle, qui venait d'être torpillé par un sous-marin allemand.
Promu enseigne de vaisseau de 1ère classe, il est nommé sur sa demande au 1er Régiment de fusiliers marins avec lequel il combat durant la campagne d'Italie. Il est grièvement blessé le 13 mai 1944 lors de la bataille du Garigliano.
Il embarque en décembre 1944 sur l'aviso Commandant Dominé jusqu'en juillet 1945, puis sur le Béarn et enfin sur le porte-avions Arromanches.
Il quitte le service actif le 1er décembre 1947, puis entame une nouvelle carrière comme second capitaine à la Compagnie Générale Transatlantique puis à la Compagnie des Pétroles. Admis au pilotage de la Seine en 1950 où il exerce pendant vingt ans jusqu'en 1970. Il est décédé le 8 février 1999 à Carantec.
Nous conserverons de lui le souvenir d'un excellent camarade, un peu «fort en gueule», mais néanmoins très modeste quant à son passé héroïque, et celui d'un pilote audacieux.
Bibliographie
Pierre Bayard,
Georges Ménage,
François Flohic,
Daniel Cordier,
François Delpla,
Charles de Gaulle,
Winston Churchill,
Georges Blond,
« Aurais-je-été résistant ou bourreau », les éditions de Minuit
« Odyssée d'un marin de la France libre », éditions Récits
« Ni Chagrin, Ni Pitié, souvenirs d'un marin de la France libre, éditions Plon
« Alias Caracalla », nrf Gallimard
« Mers-el-Kébir, 3 juillet 1940 », l'Angleterre rentre en guerre, éditions François-Xavier de Guibert
« Mémoires de guerre, l'appel 1940-1942 », librairie Plon
« Mémoires de guerre, 1919-1941 », éditions Tallandier
« L'Angleterre en guerre, récit d'un marin français », Grasset
René TYL
membre de l'AFCAN


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