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Le navigant à l'international.
Journée d'étude ENSM - Le Havre, 6 avril 2023

Malgré les troubles sociaux prévus ce jour-là, l'AFCAN a pu être représentée à cette Journée d'étude. Notre président, havrais et en congés a assisté à cette conférence, et, l'ENSM ayant donné la possibilité d'y assister en visioconférence, H. Ardillon a également pu suivre les interventions.

Après quelques mots de bienvenue, M. François Lambert a rappelé que l'officier de marine marchande est un expert, et qu'il doit être ouvert sur les évènements partout où il évolue.

Puis M. Aymeric Avisse, de Jeune Marine, a décrit les « deux côtés » du navigant. Le côté le plus simple : vu de la terre, qui se résume à une question de formation, de codes et règlementations genre ISM et de procédures à suivre. Et l'autre, plus important : le côté mer qui est d'abord humain puis technique. Lorsqu'à bord il y a différentes nationalités, religions ou ethnies, l'officier de marine marchande doit s'ouvrir. On entre alors dans le « vivre ensemble ». Parce qu'il faut composer pour mener l'expédition maritime à son terme. Il rappelle aussi que la plus grande cause d'accidents est la communication, ou plutôt son défaut et/ou incompréhension, à bord bien sûr, mais aussi à terre et entre le bord et la terre.
Et il y a aussi le problème de revalidation des brevets et certificats et de leur reconnaissance.

Le premier cycle de cette journée était intitulé : Relations internationales et commerce maritime, un indissociable lien.

Premier orateur, le professeur Jean-Paul Pancracio, Université de Poitiers, a parlé de l'emprise croissante des États sur les mers.
Le contrôle des mers permet d'assurer la possession des territoires. En 1609, l'adoption de la charte « Mare Liberum » correspond à l'apparition de la liberté des mers, tous les États, y compris et surtout ceux ayant de nombreuses possessions outremer, ont compris l'intérêt de liberté de navigation. Avec cependant une limite, dite de mer territoriale, de 21 km, distance à laquelle on peut voir la terre depuis la mer par temps de visibilité normale.
Puis il y a eu la Convention de Montego Bay en 1982, confirmant les 12 milles (en gros 22 km) avec la liberté de transit pour tout pavillon, ce qu'on appelle le libre passage inoffensif, ainsi que des droits souverains (pas de souveraineté) – ZEE de 200 milles – en ce qui concerne la pêche, la pollution et la gestion des ressources. La liberté de haute mer est donc confirmée, ainsi que la liberté de navigation dans les détroits, qui n'ont pas le droit d'être fermés.
Deuxième orateur, M. Xavier Carpentier-Tanguy, enseignant chercheur à la chaire Outre-mer de Sciences Po, Paris
M. Xavier Carpentier-Tanguy a intitulé son propos « Merritoires du Pacifique, contours et conteurs ». Le mot « Merritoires » étant à mettre en relation avec celui de « Territoires des mers » comme espace humain. Le droit est fait pour figer les choses. Faire entrer une idée en droit permet d'affirmer une possession. Exemple de ce qui a été accompli par les USA en ce qui concerne l'archipel d'Hawaï, lorsque des publicités, des reportages, de nombreux films, des montages photographiques ont permis aux mentalités générales de considérer cet archipel comme un des États américains et ce qui permettait surtout aux USA de posséder une base dans le Pacifique. Autre exemple, ce que l'on peut voir actuellement en Chine avec la base de Yulin située à l'extrémité sud de l'île de Hainan.
La France, quant à elle, toujours dans le même océan Pacifique, a été, et est probablement toujours, un acteur contesté à cause des tests nucléaires qui ont été effectués dans la région. Bien que se croyant toujours continentale et européenne, la France est en réalité mondiale et maritime.
Troisième orateur, M. Jan Hoffmann, Trade logistics Branch UNCTAD.
M. Jan Hofmann a évoqué les enjeux commerciaux du développement du commerce maritime.
Le transport maritime suit plusieurs étapes de « production » globale :
En ce qui concerne la vie du navire :
La construction, détenue à 94% du tonnage par la Chine, la Corée du Sud et le Japon.
La propriété des navires, détenue à 41% du tonnage par la Grèce, la Chine et le Japon.
Le pavillon, détenu à 44% du tonnage par le Panama, le Libéria, les Îles Marshall.
L'opération, détenue à 34% concernant la conteneurisation par la Suisse et le Danemark.
La démolition, détenue à 90% par l'Inde, le Bangladesh et le Pakistan.
Les autres points d'intérêt :
finance, classification, assurances : Royaume-Uni, Scandinavie, Singapour en majorité.
Equipages : Philippines, Russie, Indonésie, Chine, Inde et Ukraine pour 49% des marins.
Opérateurs de terminaux conteneurs : Chine, Singapour, Pays-Bas, Émirats Arabes Unis, France.

Après une étude chiffrée, en trois parties : avant, pendant et après la crise du Covid, sur l'évolution du trafic maritime des pays en voie de développement, des USA, sur la taille des navires (PC), des alliances des compagnies de conteneurs, des taux de fret des PC, ainsi que des prévisions pour le futur proche, l'orateur expose quelques raisons d'être optimiste : les réformes entreprises durant la crise covid (telles que l'informatisation et les réformes portuaires), la réouverture de la Chine, un rebond économique plus important que prévu, la demande en tonnes par mille qui augmente) mais aussi d'être pessimiste : inflation, la guerre en Ukraine et ailleurs, crise bancaire, différends commerciaux entre nations.
Enfin le problème de la décarbonation. Il faudrait actuellement un investissement de l'ordre de 2 000 milliards d'euros (ou de dollars) pour arriver à décarboner la flotte mondiale. Demain il en faudra 5 000. A comparer avec les 50 millions injectés CMA CGM, ainsi que l'investissement de 1.20% du besoin émis par les quatre plus importantes compagnies de conteneurs du monde.
Dernier orateur de ce premier cycle, M. Pierre Royer, professeur agrégé d'histoire à Paris.
L'intervention de M. Pierre Royer avait pour thème : Enjeux géostratégiques du développement du commerce maritime.
Pour remplacer un PC de 5 000 EVP, il faudrait un train de 20 km de long mais il n'existe pas de gare adaptée à cette longueur de train. Le transport maritime est donc plus capable que le transport terrestre. Il faut donc des marins, mais aussi et surtout une culture maritime. Or, dans toutes les régions, le marin est plutôt en minorité, l'être humain est avant tout un paysan.
Il cite sir Walter Raleigh (1550-1618) : « Qui tient la mer tient le commerce du monde ; qui tient le commerce tient la richesse ; qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même ». Mais il ne faut pas confondre puissance navale et puissance maritime.



Il revient sur l'amiral chinois Zheng He, commandant de la marine mondiale la plus importante dans le premier tiers du XVe siècle, et dont la Chine prend exemple pour déterminer une prédominance mondiale dans le maritime.


Le deuxième cycle de cette journée était intitulé : Une politique maritime stratégique.

Premier orateur, M. François Lambert, directeur général de l'ENSM : administrer la mer.
Administrer, c'est gérer en faisant valoir, trois fonctions qui sont : protéger, connaître et faire grandir. Le Prémar a trois rôles : commandant de la zone maritime – commandant de l'arrondissement – organisateur de la police en général.
La France a le deuxième domaine maritime mondial, mais n'est pas la deuxième puissance maritime.
Deuxième orateur, M. Frédéric Rouvillois, professeur de droit public à l'Université de Paris
M. Rouvillois donne l'exemple d'une ville marchande maritime : la République de Venise.
Le professeur a fait un véritable cours d'histoire sur la République de Venise, de ses débuts à sa fin avec force détails historiques, dont la cérémonie de bénédiction de la mer par le Doge sur le Bucentaure.


détail du tableau de Francesco Guardi, Louvre
Troisième orateur, capitaine de vaisseau Yann Briand, chef du bureau Stratégie et politique au cabinet du CEMM.
Les enjeux navals face au basculement du monde.
La mer, source d'opportunités. Pour la géographie, les ressources et les échanges de ressources, transport, recherche, biotechnologies marines, énergies vertes, cyberespace.
La dégradation du contexte géostratégique. La mer est un sanctuaire contesté, trafics en tous genres et illicites, pollution, surpêche, guerre. Nous assistons actuellement à une remise en cause de l'équilibre mondial, et on est encore loin d'atteindre le prochain équilibre. La mer est un lieu de compétition pour les États et on assiste donc à une course au réarmement naval. Y compris en Méditerranée, des pays tels que l'Égypte prévoyant une augmentation de leur flotte militaire de 170%, et de 166% pour Israël entre 2008 et 2030.
L'invasion de l'Ukraine a entrainé une dimension nucléaire accrue dans les relations entre puissances, le besoin d'alliances robustes, ainsi que la reconnaissance du rôle essentiel des flux maritimes dans l'économie.
Le principal défi est la multiplication des zones de tensions, ce qui entraîne d'autres défis, industriels, technologiques, mais aussi humain.
Comment répondre à cela : de nouveaux bâtiments sortent pour remplacer les anciens devenus obsolètes. La marine nationale s'est considérablement modernisée, et les marins sont tous formés à des métiers divers. Comme le dit la publicité : Une Marine de tous les talents. Il faut aussi renforcer nos alliances, en créer de nouvelles si nécessaire, au sein d'organisations (UE, OTAN) ou bilatérales.
En cas de crise, l'officier de marine marchande a un rôle important à jouer, il faut donc connaître, observer et reporter informer le MICA Center dès que jugé opportun. Donc renforcer l'éducation en ce sens, donner les moyens pour le faire. La marine marchande possède le savoir-faire ainsi que la maîtrise des fonds marins (pose de câbles et recherche), elle pourrait aussi servir comme navires ateliers pour la marine nationale. C'est un rôle éminent à jouer, tout en espérant ne pas en avoir besoin.
Dernier orateur de la journée, M. Olivier Guyonvarch, ambassadeur de France en Jamaïque et représentant permanent auprès de l'Autorité internationale des fonds marins.
M. Olivier Guyonvarch a fait le point sur les débats en cours en Jamaïque sur l'exploitation des fonds marins. Cette exploitation concerne principalement trois types de gisements : les nodules polymétalliques, les sulfures polymétalliques et les encroûtements cobaltifères. La France s'oppose à une telle exploitation mais a tout de même demandé deux permis à des fins de recherche. Ces discussions juridiques devraient peu impacter les marins qui naviguent en surface. Sauf si une exploitation était lancée ce qui impliquerait des marins pour opérer les navires sur les champs de prélèvement.

Conclusion

Une journée intéressante pour les amateurs d'Histoire, voire de connaissances générales sur le monde maritime, commerce, stratégies, etc. la journée a été enrichissante.
Par contre, à notre avis, on n'a pas ou quasiment pas parlé du marin de commerce à l'international. C'était une présentation de ce qui a existé dans le monde maritime et qui permet de comprendre que la mer est internationale. Mais on n'a pas évoqué le marin navigant sous pavillon étranger, avec un équipage multinational, les problèmes humains, sociaux, administratifs et de travail que cette situation engendre de facto. Peut-être la prochaine fois.

Cdt Pierre Blanchard, président de l'AFCAN
Cdt Hubert Ardillon, secrétaire général du CESMA,
vice-président de l'AFCAN.
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