28e journée d'information du CEDRE à Paris-La Défense le 21 mars 2024 :
Le risque chimique en mer Le CEDRE organisait sa 28e journée d'information à la Défense – Tour TotalEnergies. Le thème en était : Le risque chimique en mer, l'actualité sur la convention HNS. M. Christophe LOGETTE, directeur du CEDRE, après quelques mots de bienvenue, précisait que la journée porterait sur la Convention HNS, (Hazardous and Noxious Substances), et qu'il fallait y englober les nouveaux carburants d'énergie de propulsion. Le CEDRE a reçu mission de l'EMSA et de ce fait, est devenu le point focal de lutte et d'études des HNS. Ce fut tout d'abord M. François CECCALDI, représentant le SG Mer, qui a rappelé que les pollutions chimiques n'étaient pas nouvelles. Il a cité en exemple les IEVOLI SUN et RUBYMAR, même si, contrairement au pétrole, il n'y a pas eu de grosses pollutions. Le transport et l'utilisation de produits chimiques conduisent à se poser quatre questions :
M. Frédéric HEBERT, EMSA, a fait une présentation succincte de l'EMSA, sécurité, prévention, pollution, sûreté. Tous les navires transportent des HNS, en quantité plus ou moins importante. L'action de l'EMSA, fut d'abord de créer un réseau d'experts afin de pouvoir produire des informations sur les HNS : MAR-CIS (pour MARine Chemical Information Sheets), banque de données pour les intervenants, les autorités portuaires et garde-côtes en cas de pollution. MAR-CIS, c'est actuellement 257 pages de données, dont 20 nouvelles depuis le début 2024. C'est aussi le réseau MAR-ICE (pour MARine – Intervention Chemical transport Emergencies), réseau inspiré du réseau ICE existant pour les accidents terrestres. Il comprend 247 experts capables de répondre aux Etats de l'Union européenne. Le CEDRE est le point de contact du réseau MAR-ICE. C'est donc un groupe d'experts provenant de différents pays, formant un groupe technique consultatif avec pour objectif l'échange d'informations et la formation entre Etats membres. Trois besoins existent :
M. Teemu NIEMELÄ, Finnish Boarder Guard (FBG) a présenté le TURVA, navire patrouilleur offshore (OPV).
Pour clore la matinée, une table ronde, sous la supervision de M. LOGETTE, réunissait M. François CECCALDI - SGMer, M. François MARIER, Transport Canada, M. Gaute SIVERTSEN - FIPOL, M. Marc LEGER - DGAMPA, Mme Tonje CASTBERG - P&I Club.
Pour M. SIVERTSEN, il y a un défi de compensation à relever. Il est nécessaire de connaître les HNS, de former pour réagir face à différents produits chimiques, produits purs mais aussi produits mélangés. Le FIPOL doit payer pour le nettoyage, les réparations. Ce sont les mêmes questions que pour le pétrole brut, avec une spécificité plus accrue. On peut s'attendre à plus de blessés et de morts que pour le pétrole. Il reste encore beaucoup d'études à faire notamment en ce qui concerne les réactions en cas d'interaction entre produits. Mme CASTBERG a relevé 220 incidents sur une période de 10 ans, dont un seul au-delà du taux de compensation de l'armateur, c'est-à-dire avec le FIPOL impliqué. Mais il faut maintenant, et urgemment, tenir compte des nouveaux carburants, non encore concernés par la convention HNS. Pour M. CECCALDI, cette convention permet de prévenir à tous les niveaux : navires mais aussi ports. Il faut donc y intégrer les nouveaux carburants. Principalement en ce qui concernera les ravitaillements, quid de procédures en cas de nuage à terre pendant un soutage. Il y a eu un essai de soutage d'ammoniac mené sur plusieurs semaines pour 3 tonnes seulement, le processus a-t-il été fait en toute sécurité ? Il ne faut pas de différence entre cargaison et carburants en matière de sécurité. Les nouveaux carburants sont déjà transportés en tant que cargaison, c'est un virage important de les utiliser en tant que carburants, car il faut les traiter à bord. Le transport comme cargaison est beaucoup plus inerte. M. LEGER rappelle que la question s'est posée pour le GNL, qui est tout de même utilisé comme carburant depuis plus de 10 ans. Les mêmes questions se posent pour l'ammoniaque, le méthanol, mais aussi l'hydrogène et les batteries lithium-ion. S'il n'y a actuellement aucune réglementation restrictive, il y a pourtant beaucoup d'analyses de risques réalisées, ainsi que sur l'expansion des nuages toxiques. M. LOGETTE rappelle que les essais relatifs aux fuites éventuelles lors des opérations de soutage sont réalisés en eau douce, mais que les résultats seront forcément différents en eau de mer, ainsi qu'à différentes températures. Donc prévoir beaucoup plus d'essais pour avoir des connaissances en matière de prévention. Selon Mme CASTBERG, actuellement, statistiquement, le risque le plus important est en opération de soutage. Il est évident que ce sera la même chose avec les nouveaux carburants. Il y a trop de substances différentes pour évaluer les impacts sur l'environnement et les personnes. A ce sujet M. MARIER précise que le NH3 est interdit en soutage sur le Saint-Laurent. Il faut en premier voir ce qui est faisable, raisonnable, et quelle est l'attente des populations sur les réponses qui seront apportées à ces questions. Pour le FIPOL, il faudra aussi une convention HNS particulière pour les opérations de soutage. C'est aussi ce que demandent les P&I. Enfin, l'élément clé est la question de la formation des équipages mais aussi du personnel à terre dans les ports. Il faudra envisager une révision de STCW. Le capitaine de vaisseau Gauthier DUPIRE a présenté le programme d'essai du CEPPOL (Centre d'expertises pratiques de lutte antipollution). Le CEPPOL a été créé en 1979. Il y a une alerte en moyenne toutes les deux semaines, principalement à la suite du changement de combustible (FO/GO) en entrant dans la zone SECA. Les zones d'action sont en conséquence situées en Manche mer du Nord et en Méditerranée. Missions du CEPPOL :
Les essais actuels sont centrés sur le gazole utilisé à la pêche, réactions en eau froide, chaude, en Atlantique comme en Méditerranée. M. LE FLOCH, CEDRE, a présenté les essais en mer dans le cadre de la recherche sur le comportement des produits chimiques, essais menés en lien avec la Marine nationale. La recherche permet de définir l'option de lutte la plus appropriée, mais il faut alors savoir où est le produit, quel est son comportement et son « devenir », quel type d'équipement peut être déployé (le produit est-il stable, corrosif, ? …). Cela permet d'évaluer un potentiel impact sur l'environnement ainsi que les risques pour les intervenants. L'étude en laboratoire repose sur une classification européenne : SEBC (Standard European Behaviour Classification). Mais l'information est très théorique, par exemple l'évaporation n'est pas étudiée en laboratoire. Les données sont obtenues dans des conditions standardisées. Les paramètres sont mesurés indépendamment les uns des autres. Même si on peut faire varier la salinité de l'eau de mer ainsi que la température. En laboratoire on peut aussi jouer sur le facteur air – vent et évaporation. Mais on ne sait donc presque rien sur le devenir du produit en milieu marin. Et comme il y a des nombreux produits, les résultats sont très variés. Deux scénarios ont été identifiés avec la Marine : sur le fond et en surface.
marin ? Il faut donc poursuivre avec des expériences in situ. On passe alors aux essais en cellules flottantes, ce qui permet de valider des données pour des conditions météo-océaniques tempérées (température, ensoleillement, matières en suspension), et permet aussi de fixer des recommandations opérationnelles (fenêtre d'intervention, risque pour les intervenants et l'environnement, risque pour les populations). Être dans des conditions opérationnelles permet de :
Petit bémol sur ces essais : ils sont actuellement menés pour un seul produit à la fois, les mélanges seront étudiés plus tard. Les résultats sont consultables sur internet, possibilité de les télécharger, soit sur le site du CEDRE pour chaque produit (onglet Ressources/Publications/Guides chimiques), soit pour le Marine HNS Response Manual sur www.westmopoco/rempec.org (téléchargeable gratuitement). Puis une présentation sur les nouvelles énergies de propulsion dans le groupe CMA CGM, par Mme Henri-Bénédict de LAGRANGE et Ronan COLLAVINI. Le réchauffement climatique est une préoccupation croissante dont les impacts sont tangibles et qui résulte en grande partie de l'activité humaine. Le secteur des transports représente 24 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, dont 3 % sont générés par les activités de transport maritime. En tant qu'acteur mondial du transport et de la logistique, CMA CGM a la responsabilité de contribuer activement à la réduction de l'empreinte carbone de son industrie. À cette fin, la décarbonatation est au cœur de la stratégie commerciale et toutes les ressources humaines, financières et opérationnelles nécessaires sont consacrées à la réalisation de cet objectif clé d'être Net Zero Carbon d'ici 2050. Ambition pour les activités maritimes : pour ses activités maritimes, CMA CGM vise deux objectifs marquants dans la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre : -30% d'ici 2030 et -80% d'ici 2040. CMA CGM est pionnier dans la décarbonation du transport maritime avec une réduction de 50 % des émissions de CO2 par conteneur sur ses navires entre 2008 et 2022. Pour réduire les valeurs absolues des émissions de carbone, CMA CGM continue d'optimiser la conception et la propulsion des navires et d'améliorer l'efficacité énergétique des opérations et infrastructures maritimes et terrestres. Pionnier dans l'utilisation de navires GNL et de biocarburants, CMA CGM continue de diversifier son mix énergétique en y intégrant de nouveaux carburants bas carbone dont le biogaz, le bio méthanol et les e-carburants. Cependant, les réservoirs de carburant ont un impact sur l'espace cargaison du navire. Pour la même distance parcourue à la même vitesse, le méthanol représente deux fois le volume du diesel ; l'hydrogène représente six fois le volume du diesel. Il y a actuellement beaucoup d'études, de projets en recherche et développement, sur les navires (assistance vélique, optimisation des carènes), mais aussi sur les installations portuaires. Aucun projet n'est abandonné, car il peut être intéressant pour un type ou une taille de navire. Par exemple l'hydrogène, qui est aussi très cher à produire, peut s'avérer intéressant sur des petites unités. Mais actuellement les nouveaux carburants ne sont pas produits en quantité nécessaire pour les navires de commerce. Et il y a bien évidemment un besoin grandissant de formation des équipages (beaucoup de procédures sont à revoir, si ce n'est à créer). Une table ronde sur la réponse liée à l'ammoniac réunissait alors M. Olivier GENTLHOMME - INERIS (Institut National de l'Environnement Industriel et des Risques), M. Laurent RUHLMANN - YARA, M. Stéphane LE FLOCH - CEDRE et le capitaine de vaisseau Gauthier DUPIRE - CEPPOL sur le projet ARISE (Ammonia Response in Sea Emergencies), la réponse liée à l'ammoniac. C'est un partenariat industriel pour des rejets maîtrisés d'ammoniac en mer. Importance de nouvelles données expérimentales : L'ammoniac est très réactif avec l'eau et de la chaleur est générée lorsque les deux substances entrent en contact. Tandis qu'une quantité importante d'ammoniac est absorbée par l'eau, la chaleur générée augmente en même temps le taux de vaporisation. Les turbulences intenses du processus de mélange génèrent également un effet d'aérosol, qui affecte la densité du nuage toxique en suspension dans l'air. Ces phénomènes sont mal compris et il existe très peu de données expérimentales disponibles pour caractériser cette interaction. D'où la nécessité de disposer de données expérimentales fiables pour améliorer la modélisation des conséquences de rejet dans l'eau de mer ainsi que l'évaluation des risques associés. Objectifs opérationnels :
Programme d'ARISE en 2024 :
MANIFESTS (MANaging risks and Impacts From Evaporating and gaseous Substances To population Safety), en partenariat avec la Belgique, le Portugal, l'Espagne et le Royaume-Uni. Objectif : Développer un système opérationnel d'aide à la décision pour les rejets accidentels de HNS en mer. Déjà développé :
Focus principal sur les HNS volatils + carburants alternatifs (ammoniac, méthanol, GNL, batteries Li-ion) 2 scénarios d'incidents : fuite en surface à proximité du littoral et rejet sous-marin d'un pipeline. Etudes sur pollution par produits chimiques : compatibilité des équipements de lutte antipollution (2020-2021) (tissus de barrages, pompes, récupérateurs à seuil, équipements de plongée (2023), résistance du narguilé à la pression après exposition (2024). Objectifs WESTMOPCO (2019-2021) :
Objectif IRA-MAR (2020-2023) :
Objectif AQUAE (Water quality monitoring and remediation : innovative multifunctional microsensor) (2022-2025) : Développer des capteurs compacts combinant détections infrarouges et électrochimiques pour détecter les polluants organiques et les nitrates Objectif IBAIA (Innovative environmental multisensing for waterbody quality monitoring and remediation assessment) (2023-2026) : Concevoir des modules de capteurs fonctionnalisés de manière optimale pour détecter les microplastiques, les produits chimiques organiques, les sels nutritifs et les métaux lourds, ainsi que mesurer la salinité et les paramètres physicochimiques. Le dispositif de détection IBAIA sera intégré en un seul système multi-détections, avancé et validé par les utilisateurs finaux dans des conditions réelles in situ. RAVEN (Revolutionary Accuracy in waVeguide-and photoacoustic-ENabled atmospheric sensors) (2024-2027) : Objectif : Développer deux systèmes miniaturisés de détection de gaz capables de surveiller plusieurs polluants, déployables in situ et à la demande dans des endroits éloignés. CONCLUSION :Journée du CEDRE très dense, le CEDRE fournit une connaissance théorique et technique pour conjecturer le risque. L'objectif de 2050 reste un challenge élevé, que ce soit en sécurité, régulation, production des nouveaux carburants. Il faut aussi tenir compte des enjeux géostratégiques, enjeux en matière de sécurité en mer, mais aussi à terre dans les ports.Cdt Hubert ARDILLON
Vice-président AFCAN Secrétaire général CESMA |