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Intervention du commandant Hubert Ardillon, vice-président de l'AFCAN, lors de l'ouverture de l'exposition "Les marins d'à-bord" au Havre le 1er juillet 2021.

Covid-19 : Conséquences pour les marins

Le Port Center du Havre avait demandé à Pierre BLANCHARD, président de l'AFCAN, de bien vouloir intervenir lors d'une conférence donnée le 1er juillet pour l'ouverture de l'exposition « Les Marins, d'à-bord ». Etant embarqué, le soin en est revenu à Hubert ARDILLON, vice-président.
L'exposition dure jusqu'au 19 septembre, tableaux, photographies, sculptures dans trois lieux différents : le Port Center, le Seamen's Club et l'espace Oscar Niemeyer.
On peut regretter le relatif peu d'assistance à la conférence, principalement des pilotes, anciens pilotes et membres d'associations maritimes. Le grand public était absent. Ce qui, si besoin en était, aurait tendance à prouver l'invisibilité du marin en France, même dans un grand port de commerce.

Intervention de l'AFCAN

Hubert ARDILLON, en remplacement du président Pierre BLANCHARD, embarqué.

Tout d'abord je suis par avance désolé car mon propos ne va faire qu'enfoncer des portes ouvertes (bien sûr cela est aussi valable pour le lecteur d'AFCAN Infos). En effet je vais dire des choses que vous connaissez, et d'autres dont on a entendu parler - enfin juste un peu - et pour ceux qui suivent l'actualité maritime de près dans la presse spécialisée.

A - La santé à bord

On a parlé de la santé à terre, des conséquences médicales sur les personnes infectées, problèmes d'urgence respiratoire, hôpitaux en surcharge.
On a parlé aussi, un peu lorsque cela se présentait, de la condition sanitaire sur les navires de croisière. Enfin on en a parlé presque uniquement en ce qui concernait les passagers. Pas ou peu des marins bloqués eux aussi à bord, et qui pour la plupart n'ont pas pu être évacués comme l'ont été les passagers.
Et pourtant. Le marin est, à priori, un humain comme un autre – terrien. Donc soumis aussi aux contraintes de précautions sanitaires, aux maladies, aux accidents, etc.

Sur un navire de charge, contrairement à un navire de croisière, il n'y a pas de médecin. Les soins sont assurés par un officier responsable, certifié pour cela, avec pour les navires sous pavillon français l'aide d'un médecin urgentiste de l'hôpital Purpan à Toulouse, au téléphone satellite. Ceci pour soigner et éventuellement guérir un équipage de 20 à 25 personnes composé parfois d'une dizaine de nationalités. Donc de coutumes et d'habitudes différentes liées à cet aspect santé.

Bien évidemment il y a une réglementation imposant de posséder à bord des matériels et médicaments susceptibles de servir.
 
Et parmi ce matériel, il y a de l'oxygène médical. La dotation française impose sur les navires longs courriers une réserve de 2 fois 5 litres sous 200 bars de pression. Ce qui suffira à ventiler à l'oxygène un marin le nécessitant pendant un peu moins de 5 heures. Mais il ne faut pas oublier que l'on parle de navires longs courriers, donc en mer, et pas systématiquement proche d'un port.
En cas de déclaration d'un malade du Covid, nécessitant une aide respiratoire, on voit le problème. Un seul malade et de préférence lorsque l'on est au port ou s'il existe une possibilité de débarquer ce malade en urgence, par hélicoptère par exemple. Mais, petit détail, le Covid se déclare plusieurs jours après l'infection, donc après le départ du navire de son port d'escale, lorsqu'il est en mer, loin de tout secours terrien.
Pour résumer d'une façon simpliste, le marin embarqué malade du Covid est condamné à mort.

Un exemple : sur le gazier Unity, sous pavillon français, le marin, philippin, ayant déclenché le Covid, malgré 2 tests négatifs lors de son embarquement peu de jours auparavant, a été sauvé grâce, entre autres, au fait que le bord avait à disposition une réserve supplémentaire de 40 litres d'oxygène, soit au total 5 fois la recommandation ! Et qu'il n'y a eu qu'un seul malade !

B - Un mort à bord : qu'en fait-on ?

Et si le marin décède du Covid à bord, que peut-on en faire ?

  Il y a quand même un nombre de cas assez important où le navire a continué sa route, errant de port en port, où il lui était refusé d'entrer. Pourquoi ? pour ne pas infecter un pays où le virus circule déjà ?
Prenons le cas du porte-conteneurs Ital Libera. Ce navire navigue principalement entre l'Asie et l'Afrique du Sud. Début mai, après son appareillage de Durban, plusieurs marins sont testés positifs. Le navire est alors envoyé au mouillage en quarantaine devant Jakarta. Le capitaine du navire serait décédé vers le 13 avril. Et c'est le 7 juin, soit presque 2 mois plus tard, que son armateur rapatrie, non pas le corps du capitaine mais le navire, vers l'Italie, puisqu'il lui est désormais impossible de toucher un port asiatique ! Sur le Vantage Wave, pavillon libérien, le capitaine, roumain, décède mi-avril, à priori d'une crise cardiaque sans lien avec la pandémie. Mais le navire a escalé en Inde. Depuis lors et malgré les nombreux ports touchés en Afrique et en Asie, il est impossible de débarquer le corps du capitaine. Le navire est mis au mouillage au large de la Chine, l'équipage a un mort à bord, mais quasiment plus de vivres ni d'eau potable. Mais il est hors de question de toucher terre ! Et comment travailler et vivre à si peu et quasiment sans communication, en respectant les fameux gestes barrière ?

Et ce ne sont pas les seuls cas. Un mort du Covid à bord, c'est la quasi assurance de ne plus pouvoir toucher terre. Avec un cadavre à bord ! Voilà qui donne le moral à l'équipage !
Voilà aussi qui aide la sécurité maritime ! Mais pas d'inquiétude, en cas d'accident, on saura vite trouver un responsable, navigant bien sûr. Les administrations portuaires et services de santé qui décident de ces choses ne seront, elles, jamais inquiétées.

C - Les relèves

Au début de la crise, les frontières ont été fermées. Donc plus de relève d'équipage.
Deux conséquences : le marin coincé à bord, et le marin coincé à terre.
Coincé à bord, c'est difficile à supporter. Cela arrive parfois, pour un temps relativement court. Les relèves ne se passent pas toujours de la meilleure des façons. L'embarquant peut rater l'avion, tomber malade en arrivant à l'aéroport du port de relève, plus «humoristiquement» être atteint subitement de "noëlite" ou de "juilletite". Cela s'est vu et se verra encore. Et croyez-moi, cela est très déprimant pour le marin qui revient de la coupée vers les emménagements en trainant sa valise devenue subitement trop lourde. Mais c'est aussi vrai pour les autres qui le voient revenir ainsi. On sait que pendant plus ou moins longtemps il y a des sujets à ne pas aborder, des blagues à ne pas dire. Mais, et c'est l'énorme différence avec ce qui s'est passé pendant la période Covid, on retourne alors au travail, pas de gaité de cœur bien sûr, mais en sachant que le prochain port d'escale ou de relève est à tant de jours, que le capitaine va informer, se renseigner, et que ce n'est qu'une histoire de quelques jours, mais surtout que l'on a connaissance d'une date. Un but. Dans la crise Covid, il n'y a plus cette date, ce but. Pas de relève, mais on ne sait pas jusqu'à quand. Les temps de contrat s'allongent, sont largement dépassés. Mais on ne voit rien venir de vraiment positif.
Alors il y a accumulation de fatigue. Physique bien sûr car le travail de marin, sur le pont ou à la machine est un travail physique. Et psychologique aussi, car on ne voit pas le bout du tunnel.
Physique : il faut bien comprendre comment le marin est fait. Quand il part vers son navire, c'est pour un certain temps, voire un temps certain. Que le contrat soit de 4 semaines ou de 9 mois, on part en se préparant pour ce temps. Et à bord, il y a d'abord une période d'adaptation, puis de travail intense (on est en pleine forme), puis le rythme faiblit au fur et à mesure qu'on se rapproche de la fin. Certes plus le temps de contrat est court, plus cette période de « relâchement » est courte, voire nulle. Mais quand le contrat est long, il y a un moment où la répétition des efforts, des horaires de travail et de repos fatiguent physiquement.
Psychiquement, c'est long aussi. La répétition des horaires de quart, les nouvelles pas toujours au rendez-vous, même les menus qui deviennent également répétitifs, les mêmes conversations, les mêmes brimades ressenties au travail (manque de pièces de rechange par exemple), les exercices sécurité à faire, refaire, re-refaire, etc., même la vidéo seul devant son PC. Tout cela cumulé fait paraître le temps long, très long, trop long. Alors quand il y a une date, un port avec un débarquement, cela aide à tenir pour beaucoup. Mais quand cette date, ce port disparaît, qu'en plus il n'y a pas de nouvelles des proches, que l'on est inquiet aussi pour eux, cette fatigue psychique est encore plus importante.
Et la fatigue, quelle qu'elle soit, ne fait jamais bon ménage avec la sécurité.

Attention également au problème administratif. Dans certains pays, il faut pour y débarquer avoir un passeport dont la date de validité dépasse de 6 mois ou plus celle du passage dans ce pays. A trop repousser le débarquement, certains marins se sont vus consignés aussi parce que leur passeport allait être périmé.

Mais la relève, c'est un marin à bord et un marin à terre. En congés ? Pas systématiquement. Nombreux sont les marins qui fonctionnent au contrat, qui sont payés pour leur temps de bord, congés inclus. Et un marin qui ne débarque pas, c'est aussi un marin qui n'embarque pas. Et donc un marin qui n'a plus de revenus.
En n'organisant pas, en interdisant les relèves, l'on crée de l'insécurité sur la mer, ainsi que de la misère à terre. Quand on parle de 400 000 marins bloqués à bord, on parle aussi de centaines de milliers de marins qui restent à terre,et donc affectant autant de familles sans revenu. Le nombre de marins est ainsi presque doublé. Et 400 000 c'est le nombre de 2020. Jeudi dernier, journée internationale des gens de mer, le secrétaire général de l'OMI a évoqué le nombre de 200 000 marins toujours en attente de relève. Un an après le début de la crise !

Alors oui, des relèves ont pu avoir lieu dans certains ports et pays. On peut, entre autres, se féliciter qu'en France cela a été rendu possible. Des endroits donc, où passé le choc initial de la crise, on a pris des mesures pour faciliter le transit des marins. Mais pas partout. Un marin pouvait très bien débarquer mais se retrouver coincé dans un aéroport intermédiaire sans la possibilité de revenir à son domicile. Avec la nécessité de trouver un hébergement supplémentaire à celui de la famille. Des marins philippins se sont retrouvés bloqués à Manille. Sans salaire puisque débarqués. Lorsque cela s'est su, certains ont préféré demander leur maintien à bord. Cela se comprend. Débarquer pour ne pas rentrer chez soi, où est l'intérêt ? D'autres ont été mis dans des hôtels ou villages de vacances, tels les marins malgaches qui ne pouvaient pas rentrer dans leur pays.

D - Les sorties à terre

Petit sondage sans intérêt à faire. Quel est le pourcentage d'élèves, passés et actuels, même en devenir, qui ont voulu faire ce métier uniquement pour le plaisir d'être en mer, pas pour parcourir le monde, le découvrir au gré des escales ?
Et bien la pandémie Covid a exaucé les souhaits de ce pourcentage.
Des escales, oui. Parce qu'il faut bien que les terriens reçoivent toujours du carburant pour la voiture, des fruits exotiques ou hors saison, des habits pas chers, la télé de rechange, le dernier smartphone. Enfin tout un tas de trucs plus ou moins essentiels. Et tout cela arrive pour un énorme pourcentage par navire. Et des navires sur lesquels il y a encore des marins. Donc des navires qui, arrivés à quai, déchargent leurs cargaisons diverses et variées. Mais là attention !, il ne faut pas que les marins descendent à terre. C'est vrai qu'ils pourraient être infectés. En arrivant et en repartant. Et donc c'est pour les protéger qu'on leur interdit de mettre les pieds sur le quai. C'est beau, c'est grand, c'est généreux. Et pour encore mieux les protéger, on interdit aussi les visites à bord. Enfin, presque toutes.

 
On garde quand même le pilote, l'agent et le strict minimum de personnes nécessaires au bon déroulement des escales commerciales. Au début on a aussi gardé les inspections, heureusement vite arrêtées, car cela aurait été un comble de faire venir des gens, possiblement infectés, juste pour inspecter les navires.
Les marins désirant se rendre à terre pour une simple balade, un achat, ou un appel téléphonique vers la famille, tant pis pour eux. C'est pour les protéger.
Idem pour les visiteurs de navires, il aura fallu du temps pour qu'ils puissent se déplacer en bas des coupées, pas en haut, il ne faut pas rêver quand même. Pourtant de belles initiatives auront été prises, entre autres sur le port du Havre, par ces visiteurs. Mais il manquait toujours quelque chose. Dans le film «Les tontons flingueurs», un des acteurs dit : «c'est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases». Eh bien là !, c'est ce qui leur a manqué. Parler avec d'autres personnes que celles du bord. Se raconter, raconter cette sorte de calvaire dû aux restrictions plus ou moins bien acceptées par le bord. Voir d'autres visages que ceux de ses collègues, ceux que l'on croise tous les jours, c'est cela qui pousse en premier le marin à vouloir sortir à terre lorsqu'il le peut, lorsque son service de quart pendant l'escale le lui permet. Bon, c'est vrai qu'avec le masque dans la rue, voir d'autres visages …

E - Le résultat

Des accidents maritimes. Même si cela n'excuse pas la faute de navigation, le navire Wakashio qui s'est échoué à l'île Maurice, avec les conséquences de pollution que l'on connaît. Pourquoi se rapprocher si près de la terre ? Pour capter un signal et pouvoir communiquer avec la famille. Parce que depuis trop longtemps sans nouvelles, sans possibilité de relève.
Un profond malaise parmi les marins. Il y a eu des tentatives de suicide, dont certaines ont réussi. Et beaucoup de marins ont déclaré avoir fait leur dernier embarquement pendant cette période. Ne plus vouloir repartir dans de telles conditions.
D'ailleurs si la plupart des compagnies de navigation sont à la recherche de personnel, d'une manière plus soutenue qu'auparavant, c'est bien qu'il y a une raison.

F - Une solution ?

La vaccination des marins.
Pas d'illusion, le virus ne disparaîtra pas. Il va falloir vivre avec, comme on vit déjà avec d'autres virus.
Donc il faut vacciner. Et le vaccin, le marin le connaît. Certains vaccins sont ou ont été obligatoires pour pouvoir embarquer. Lorsqu'un navire arrive au port, parmi les nombreux papiers à préparer, il y a la liste des vaccinations.
 
La liste de vaccination (aussi appelée yellow fever list) contient les informations suivantes :
  • des informations sur le navire : nom, nationalité, agent
  • le port nom et date d'arrivée
  • la liste des personnes présentes à bord avec les dates des différentes vaccinations imposées ou recommandées pour cette escale.
Cette liste est donnée à l'arrivée, en cas de non vaccination d'un membre de l'équipage, l'OMI a établi une recommandation facilitant la vaccination des marins :
"Recommended practice. Public authorities should provide facilities for the completion of International Certificates of Vaccination or Re-Vaccination as well as facilities for vaccination at as many ports as feasible."

Il y a quelques années, voici ce que je disais aux élèves de 5e année à l'ENSM : «Si besoin, il est procédé à la (re)vaccination par un médecin local avec des mesures prophylactiques parfois loin du standard européen. Cela devenait un peu «oublié» ces dernières années avec la disparition progressive des différents fléaux des siècles passés et l'évolution sanitaire mondiale. Cependant il existe de nouveaux virus, non encore maîtrisés et qui relancent ce contrôle "santé" dans les ports (SRAS, Ebola, ainsi que le choléra suite au tsunami en Asie, etc.).»

De la même façon, il existe aussi la liste de température de chaque membre d'équipage : Ce document était déjà il y a plus de quinze ans demandé en Chine par la Santé.

Alors comment faire ?
La plupart des Etats européens vaccinent désormais leurs marins, soit en priorité, soit comme tous leurs ressortissants. La France l'a fait avec un peu de retard par rapport à d'autres pays, mais on avance.
Le problème c'est que sur la grande majorité des navires sous pavillon français, les marins ne sont pas tous nationaux. Donc on va avoir sur le même navire des membres d'équipage vaccinés, et d'autres non. Et tant qu'il restera un membre d'équipage non vacciné, la situation sera inchangée quant au sort des marins : pas de sortie à terre, risque de quarantaine, etc.

Donc la solution c'est de vacciner tous les marins. Et pourquoi pas d'exiger la vaccination Covid, au même titre que la fièvre jaune par exemple, avant de partir vers le bord. Et pour les marins actuellement embarqués, et forcément non-vaccinés, il faut la possibilité de pouvoir les vacciner pendant les escales du navire.
Et quelle que soit la nationalité.
C'est ce qui se fait aux USA. Dans une cinquantaine de ports, donc tout le long des côtes US, des équipes montent à bord, soit pour emmener des marins vers des centres de vaccination, la plupart du temps des pharmacies, soit avec une mallette contenant des vaccins afin de vacciner les marins directement à bord.
Aux USA, les marins sont vaccinés au vaccin Jensen qui ne nécessite qu'une seule dose, ce qui est un avantage. Cependant, on peut facilement imaginer qu'il soit possible de vacciner en deux doses, dans deux ports différents qui seraient espacés de plusieurs semaines. A la condition bien sûr de toucher des ports où cela pourrait se faire administrativement et de la présence de vaccins dans le port.
C'est possible. Cela se fait déjà. Ailleurs malheureusement.
Vu le nombre de navires qui touchent nos ports, et vu le nombre de membres d'équipage sur les navires de charge (par opposition aux croisiéristes), cela représenterait un nombre relativement restreint de doses à distribuer. En France il était prévu de recevoir 30 millions de doses en juin. En réserver pour les quelques milliers de marins de passage n'influerait que très peu sur les vaccins injectés aux Français.

Mais la vaccination n'est pas le seul remède. Il y en a un autre à appliquer dans le même temps : la reconnaissance par les autorités administratives d'un Etat que le fait d'être vacciné autorise relèves et sorties à terre sans contraintes supplémentaires. Et là, ce n'est pas gagné d'avance.

Et pourtant, le résultat serait clair et simple :
  1. Plus il y a de marins vaccinés, y compris et même surtout ceux des pays émergeants, moins il y a de risque de propagation par ces marins vers les populations locales ;
  2. On retrouve aussi des marins qui ont le sourire. En effet aux USA dernièrement, à l'arrivée d'un navire, la police des frontières est montée à bord et a distribué des «shore pass» aux marins, parce que vaccinés.
Et rien que sur cette dernière phrase, le monde maritime ne peut que s'en porter mieux. Le marin bien sûr, mais aussi la sécurité maritime. On est en effet plus reposé mentalement après une sortie à terre.

Merci de votre attention.

Retranscription de la présentation de Pavel PEREIRA
Président de la station de pilotage du Havre-Fécamp.

Comment la station a mis en place des mesures face à la pandémie mondiale.

D'abord je profite du bicentenaire du décès de Napoléon 1er pour rappeler que c'est lui qui, par un décret du 12 décembre 1806, a organisé la profession. Et le 12 décembre 1899, le syndicat des pilotes du Havre fut créé.
Le pilotage c'est l'assistance donnée au capitaine dans la conduite de son navire pour l'entrée et la sortie des ports. Il est le spécialiste qui assure la conduite des navires dans les zones portuaires. Il est également l'interface avec les autres services portuaires pour guider les opérations en optimisant les conditions de sécurité, même dans des conditions extrêmes. Il y a continuité de service, 24/24 et 365 jours par an. Le pilotage du Havre c'est 49 pilotes et 44 salariés.

16 mars 2020, c'est le confinement au niveau national. L'activité portuaire est reconnue rouage essentiel au service de l'économie de la France. C'est donc l'ensemble de la communauté économique portuaire, transitaires, logisticiens, capitainerie, transporteurs, tous les services portuaires ont répondu présents pour maintenir le port opérationnel. Au pilotage nous nous sommes appuyés sur un plan de continuité d'activité. Premier objectif du plan : protéger les pilotes et le personnel de la station, donc en appliquant les mesures sanitaires en entreprise tout en maintenant le service aux navires. Donc d'être 100% opérationnel, être capable de répondre à notre devoir de service public.

Notre plan d'action s'est articulé sur trois mots clés :
Protéger : Il fallait que la station soit l'endroit où il y ait le moins de risque de contamination. Donc en plus des gestes barrières ; de la distanciation physique, nous avons mis en place des bordées ségréguées. Eviter le brassage. Nous avons quotidiennement une relève parmi les pilotes mais aussi parmi les marins qui arment nos navires. Pour éviter ce brassage, nous avons utilisé la « septaine ». Donc pour les pilotes, deux bordées – une en travail et une en repos sur sept jours – et trois bordées pour les marins – sept jours de travail et quatorze jours de repos, sachant qu'à la fin des sept premiers jours de repos, on obtenait alors un vivier pour aller chercher des marins au cas où il y aurait des malades ou des cas contact dans la bordée au travail. Ceci de façon à maintenir la station opérationnelle le plus longtemps possible. Plus les gestes barrières, masque, lavage des mains, désinfection. Et nouvelles mesures aussi pour la distanciation physique : plan de circulation au sein de la station, limitation du nombre de personnes à bord des vedettes (cinq personnes au lieu de onze) et hélicoptère (quatre au lieu de neuf). Il fallait que chaque personne dans un moyen de mise à bord ait une distance minimale d'un mètre avec une autre personne. Il a fallu aussi éditer des procédures spécifiques pour la désinfection des locaux, des pilotines comme de l'hélicoptère, l'organisation du travail (très peu de télétravail dans la station, un seul salarié sur quarante-quatre).
Tester : au moindre symptôme pouvant faire penser au virus.
Isoler : idem au moindre symptôme ou signe pouvant faire penser au virus. En septaine (cas contact) ou quatorzaine (malade). Avec des équipes parées à remplacer les personnels isolés.

Donc on édite des procédures, des règles. Mais cela peut être fait seulement si au départ il y a un travail d'équipe et un seul et même objectif au sein de la station. D'où des procédures suivies d'actes pour qu'elles soient efficaces. Mais il y a aussi les autres intervenants du port, toute une communauté, avec les autorités, rassemblée autour de ce même objectif. D'où des échanges entre services, de l'entraide, de la coordination, une communication permanente. Le but était de trouver immédiatement une solution, ou de faire remonter aux instances gouvernementales les problématiques rencontrées. Ainsi pour les masques, c'est l'UMEP (Union Maritime et Portuaire) qui a fait le nécessaire pour que toute la communauté portuaire soit livrée en masques.
Egalement, la préparation concertée avec capitainerie, remorquage, lamanage, en relation avec les autorités (CROSS, préfecture et préfecture maritime) pour les opérations sur des navires présentant des cas avérés ou suspects. Chaque navire qui se présentait (et ce fut le cas encore hier matin) au Havre avec des cas suspects ou malades a été et est traité en tant que cas particulier. Un travail fait à plusieurs pour décider des moyens, nombre de pilotes, créneaux d'horaires, et coordination de l'ensemble. Ce fut le cas pour le Fairway, un travail réalisé à la troisième tentative pour cause de mauvais temps. Idem pour le Nord Sunda, entré hier avec un équipage de vingt marins dont seize avaient des symptômes ou étaient malades.

Il est important, par ces temps où le moindre bruit de coursive fait penser au pire, de communiquer et de façon régulière. Donc des notes de service et une préparation en amont des cas qui pourraient survenir, par exemple les procédures d'EVASAN, même si au Havre nous n'avons pas eu à déplorer d'évacuation sanitaire. Idem pour des procédures pour navires avec suspicion, et ce fut le cas six fois au Havre. Le tout avec le matériel prêt, et où chacun savait ce qu'il devait faire et à quel moment pour acheminer ou récupérer le pilote lorsque le cas se présentait. Et évidemment la situation de la station, combien de malades, de cas contact, être en tension, rester opérationnel à 100%. La station a traversé cette tempête sans trop de dégâts. Quelques malades et cas contact, mais nous sommes restés toujours 100% opérationnels. Grâce aussi à une veille quotidienne de l'évolution de la situation et des recommandations, et bien sûr aux équipements de protection individuelle.
Nous avons donc généré quelques documents communiqués dès le départ aux agents des navires. Parce qu'effectivement un navire qui n'a aucun cas suspect et qui est en mer depuis vingt et un jours est un endroit «safe». Et le premier élément qui pourrait introduire le virus, c'est le pilote. Donc le premier devoir était de rassurer les armateurs, et le capitaine du navire que le pilote qui se présente à bord a bien suivi les mesures et les procédures afin d'être dans les meilleures conditions possibles et ne pas présenter de risque d'infection au navire.
Parmi les documents, un «Pandemic Contingency Plan», «Opération de pilotage pour navire avec un ou plusieurs cas confirmé(s) en vue de débarquer les malades», «Procédure de nettoyage des pilotines», «Procédure d'EVASAN» dans laquelle on définit qui va débarquer le malade, comment et où le navire va être mis en attente, utilisation de pilotine ou d'hélicoptère, beau temps ou non. Ce dernier document ayant été travaillé avec la capitainerie et la SNSM.

 
Photos pilotage Le Havre


Voilà ce que l'on voit aujourd'hui sur les passerelles lorsqu'un navire suspect entre au Havre.


Photo pilotage Le Havre
C'est aussi ce que nous ne voudrions plus voir, et nous travaillons pour.

Le cas particulier : Le Fairway, pétrolier Suezmax
Témoignage du pilote Xavier DE SALUNS

Etats des lieux
Le Fairway est un pétrolier qui était sorti d'Antifer, et envoyé au mouillage à cause de cas Covid. Il y a eu une première tentative, qui n'a pas pu se faire suite aux conditions météorologiques dégradées, pour faire entrer le navire puisque trois ou quatre marins avaient déjà été envoyés par hélicoptère à l'hôpital Monod de Montivilliers. Puis des personnes de l'ARS ont dû monter à bord et faire des prélèvements afin de déterminer le nombre de cas positifs. Il y a eu une deuxième tentative, avortée elle aussi à cause des conditions météorologiques. Et à la troisième tentative, il était devenu impératif de rentrer car si la fenêtre météo était plus favorable, elle se dégradait par la suite.
On m'avait transmis la liste d'équipage avec les personnes négatives et sur les vingt-cinq membres d'équipage de différentes nationalités, il y avait dix-neuf personnes infectées. Donc six membres d'équipage valides.

La mise à bord des pilotes
Dans notre organisation, nous étions sur un navire qualifié de navire spécial, hors-normes car le Fairway n'avait plus de propulsion. Non pas pour cause de machine endommagée, mais parce que tout le staff machine était soit alité soit hospitalisé. Pas de personnel à la machine donc pas de propulsion. La désignation des pilotes a été spéciale puisque la veille à 18h00, nous avons été sortis de la liste. Personnellement j'aurai dû travailler vers 23h00, et nous avons eu la nuit tranquille pour pouvoir nous occuper de ce navire tôt le matin. Le président nous a prévenu dans la soirée, il nous a donné toutes les informations nécessaires, en précisant le contexte.
La mise à bord des deux pilotes s'est effectuée par hélicoptère à 05h30 le matin. A Octeville à l'embarquement dans l'hélicoptère, il a fallu mettre la «tenue de cosmonaute spéciale Covid» (blouse blanche, masque FFP2, sur-chaussures, gants, plus une tenue de rechange. En arrivant à bord, nous n'avons eu quasiment aucun contact avec l'équipage. Il n'y avait que trois personnes sur la passerelle : le commandant, un officier et le barreur, qui eux étaient négatifs. Les trois autres personnes négatives étaient à l'avant, et à l'arrière, trois personnes positives. Tous les autres étaient alités.
Donc des conditions spéciales. Mais j'avais déjà eu à manœuvrer un porte-conteneurs dépourvu de machine en déhalage dans le port du Havre, donc nautiquement, j'avais une idée de comment gérer la manœuvre.

La manœuvre
Très beau temps, les conditions météo étaient correctes. Le commandant était extrêmement soulagé de nous voir. On voyait qu'il était épuisé, dépassé par ce qui lui arrivait, avec un équipage multinational. En ayant pu parler un peu avec lui, il pense que le Covid a infecté le bord au canal de Suez. Parce qu'en fait à Suez où il est arrivé pendant le blocage dû à l'Ever Given, il a dû changer quatre fois de mouillage en attente de son convoi. Car chaque jour, les navires étaient déplacés pour se rapprocher de leur convoi. Donc à chaque fois, pilotes et personnels du canal montaient à bord. Plus une relève partielle de l'équipage. Ce qui, pour le capitaine, explique où le Covid est monté à bord.
Au niveau nautique, tout était programmé. La manœuvre a duré 7h30. Nous nous sommes partagé le travail, mon collègue a fait la première partie du chenal, je l'ai pris aux bouées 11/12, et j'ai fait la manœuvre jusqu'au poste Osaka.
Notre organisation était simple : le pilote qui avait le navire était à l'intérieur de la passerelle, et l'autre était à l'extérieur, pour prendre un bol d'air et ne pas être trop proche de l'équipage. Cela s'est très bien passé, avec les remorqueurs et nous avons respecté le plan de route qui était de passer les digues au moment le plus favorable, à l'approche de la pleine mer. Nous avons donc accosté à Osaka et le commandant était content de commencer une quatorzaine bord à quai dans le port du Havre. Ce qui était plus confortable que d'être au large.


Photo pilotage Le Havre


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