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Le transport fluvio-maritime de marchandises.



Un mode de transport assez méconnu du grand public.
         Comment se définit-il par rapport au transport maritime et au transport fluvial, quels sont les navires adaptés à ce mode de transport, quelles sont ses zones de chalandise, a-t-il les moyens de se développer et de concurrencer d'autres transports ? Tout simplement, il s'agit d'un concept simple, un navire pour la mer et pour le fleuve. Mais ce mode de transport, très localisé et très spécialisé, ne fait sans doute pas assez parler de lui. Nonobstant, il rend des services depuis des lustres.

La navigation fluvio-maritime depuis l'Antiquité
       Le transport fluvio-maritime a toujours existé. Des récits historiques datant du Moyen-Âge et même de l'Antiquité mentionnent des navires de mer capables de remonter les fleuves et ainsi acheminer la marchandise au plus près de son lieu de consommation. La remontée des fleuves se faisait grâce à la force du vent, des animaux de trait et parfois des hommes, le seul obstacle étant la force du courant. Cette navigation disparaît avec l'introduction de la machine à vapeur, utilisée pour la propulsion des navires. Dès 1889, les Britanniques construisirent un petit navire reliant Paris à Londres sans rupture de charge.

       Plus récemment, après la guerre, les riverains de la Seine Maritime pouvaient voir circuler sur la Seine d'étranges petits navires plats. Les pilotes maritimes de la Seine les appelaient les « petits parisiens », car ils reliaient régulièrement Londres à Paris, où ils accostaient quai d'Austerlitz. Ces navires étant très bas sur l'eau, il n'était pas commode pour les pilotes de monter à bord, car ils roulaient facilement à la moindre petite houle qui déversait des tonnes d'eau sur le pont. Après un cordial « hello pilot, a cup of tea » du « captain », prononcé avec un redoutable accent cockney, un matelot lui tendait une « mug » fumante et crasseuse dans laquelle il plongeait un pouce graisseux pour la tenir au roulis, le tout dans une odeur de friture à vous soulever le cœur provenant des bas fonds de la cuisine où le cuistot préparait le breakfast. Mais ces navires, d'une conception ancienne et dont la rentabilité n'était plus avérée, disparurent à la fin des années 1960, et furent peu à peu remplacés par des navires davantage adaptés à ce mode de transport.

Les particularités du transport fluvio-maritime
       L'originalité du navire fluvio-maritime est d'être apte à naviguer sur mer aussi bien que sur les fleuves. Il s'agit en effet d'un navire de mer qui effectue un transport en empruntant le fleuve et la mer, sans transbordement de marchandises, celles-ci restant sur le navire. On voit là les économies apportées par ce mode de transport. En contrepartie, ce mode très particulier est soumis à d'importantes contraintes.

       En premier lieu, il n'existe que dans des zones opératoires bien définies, car si les rivières ont toujours attiré les activités humaines, elles sont en général peu accessibles à des petits navires de mer. En France, ce mode de transport se concentre principalement dans deux bassins : l'axe Rhône/Saône de Fos à Chalon sur Saône (53% du trafic national) – la Seine de Rouen à Montereau et l'Oise jusqu'à Compiègne (33%).

       En second lieu, compte tenu des contraintes d'accès des zones fréquentées, les navires fluvio-maritimes sont soumis à des particularités techniques très spécifiques et très contraignantes. Il leur faut en effet tenir compte des caractéristiques de la voie d'eau que sont le tirant d'eau, le tirant d'air et le gabarit des écluses. Le tirant d'eau est « la hauteur du point le plus bas du navire au dessous de la surface de l'eau » et le tirant d'air « la hauteur du point le plus haut du navire au dessus de la surface de l'eau ». Autrement dit, le navire ne doit pas racler le fond, et doit pouvoir passer sous les ponts. Aussi pour en faciliter le passage, ces navires disposent-ils de mats rabattables et d'une timonerie montée sur une base télescopique. Ces dispositions permettent ainsi l'accès à des villes comme Lyon et Paris à des caboteurs de 2000 tonnes de charge (le tirant d'eau en Seine fluviale est de 3,50 m, et sur le Rhône de 3 m).

Les problèmes rencontrés
       Par rapport à de véritables navires de mer, les navires fluvio-maritimes sont coûteux, car ce sont des navires hybrides, à la fois fluviaux et maritimes. Les contraintes du fleuve auxquelles il leur a fallu répondre (largeur, tirant d'eau, tirant d'air) en a renchéri le coût de construction. Mais la source de tous les problèmes est la taille. La largeur des sas d'écluses en limite en effet la longueur, car il est nécessaire de respecter un certain rapport entre longueur et largeur au risque de fragiliser la structure du navire, plus particulièrementen mer. La houle peut engendrer des torsions de structure jusqu'à rupture si le navire est trop long. Aussi ces navires sont-ils de faible capacité : 1 600 à 2 200 tonnes pour la plupart, du moins en Europe de l'Ouest. L'acquisition d'un tel caboteur est une dépense conséquente pour un armateur et le coût de construction n'incite pas les investisseurs. Il s'ensuit un vieillissement inéluctable et une raréfaction de la flotte.

       Si le coût de construction de ce genre de navires est plus élevé que celui d'unités maritimes de taille équivalente, leur coût d'exploitation est aussi nettement plus élevé que celui d'unités purement fluviales. Ils se distinguent en particulier des unités fluviales par des contraintes d'armement plus fortes. Un automoteur (jusqu'à 2000 t) peut être exploité par un artisan et son épouse et un convoi poussé (jusqu'à 5000 t) est armé de 4 hommes pour une navigation continue. Pour satisfaire aux règlements maritimes en vigueur les navires fluvio-maritimes doivent disposer d'un équipage suffisant pour assurer la sécurité à bord, soit 6 hommes au minimum.

       Ces équipages sont en général constitués de marins professionnels sans expérience fluviale, aussi les capitaines des navires fluvio-maritimes ont-ils recours pour la navigation purement fluviale à des pilotes fluviaux. En France, le pilotage fluvial n'est cependant pas obligatoire (seule est obligatoire la présence à bord d'une personne titulaire d'un permis de conduire fluvial), mais aucun capitaine ne se risquerait de naviguer sur la Seine ou sur le Rhône sans assistance extérieure. A l'heure actuelle, le statut de pilote fluvial n'est toujours pas défini. Il s'agit d'un nombre limité d'anciens mariniers qui proposent leurs services pour un coût relativement élevé. Il serait souhaitable que l'exercice de cette profession soit encadré par une structure juridique, et que soit créée une réelle profession de « pratiques » fluvio-maritimes. Le service de navigation du Rhône a en effet dénombré un certain nombre d'accidents imputables à des erreurs de pilotage (45 accidents en 5 ans), liés sans doute au manque de manœuvrabilité de ces navires et à la difficulté des pilotes fluviaux à s'adapter aux caractéristiques des navires de mer.

Des avantages indéniables à valoriser
       Les surcoûts liés à la construction et à l'exploitation de ces navires sont compensés par l'économie des ruptures de charge par transbordement dans les ports de mer. En maritime, la marchandise est acheminée par camion jusqu'au port de chargement puis chargée sur le navire. Après l'acheminement de la marchandise jusqu'au port d'arrivée, ces mêmes opérations devront être de nouveau effectuées. Réalisées dans les ports maritimes par les dockers des entreprises de manutention, ces opérations sont coûteuses. Alors qu'en empruntant la technique du fluvio-maritime, le destinataire ou le chargeur, dont les installations sont souvent au bord du fleuve, utilise son propre personnel et son propre outillage de manutention ou ceux d'un port fluvial, réalisant ainsi des économies significatives. Autre avantage, celui de la traçabilité du produit (possibilité de suivre le parcours d'un produit depuis sa production jusqu'à sa distribution), ces petits caboteurs acheminant directement de porte-à-porte leurs cargaisons du producteur à l'utilisateur. De plus l'absence de manutention évite de détériorer la marchandise et d'éviter les pertes. Mais l'avantage bien connu du mode fluvial est de permettre une réduction très importante des émissions de CO2 par rapport aux autres modes de transport terrestre, sachant que 2000 t transportées en caboteur équivalent à 80 camions qui ne circuleront pas.

La flotte et les équipages
         La flotte des fluvio-maritimes fréquentant les bassins de la Seine et du Rhône/Saône a été évaluée en 2009 à 66 navires, dont 45 sur la Seine et 21 sur le Rhône. La majorité de la flotte a plus de 20 ans, seuls une dizaine de navires sont relativement récents. La longueur moyenne des navires se situe aux alentours de 80 m, la largeur de 10 à 12 mètres, le port en lourd moyen de 1500 à 3000 tonnes, et la vitesse à 10,11 nœuds.

       Ce furent d'abord, dans les années 1970, des navires allemands, puis des anglais. On vit aussi quelques navires français et hollandais. A la fin des années 1990, la plupart des armateurs optèrent pour des pavillons de complaisance, ce qui leur permit de réduire leurs charges d'exploitation et leurs taxes. On relève en 2009 une douzaine de navires immatriculés à Antigua et Barbuda, une dizaine aux Bahamas, un peu moins à Malte, à St Vincent et Grenadines, au Panama, à Gibraltar et en Lituanie, et quelques-uns au Portugal, en Pologne, à Limassol, à la Dominique, en Belgique. Le pavillon français est absent de ce marché : les armements sont allemands, hollandais, anglais, danois.
       Les équipages changèrent de nationalité au profit des polonais, des croates et d'autres nationalités d'Europe de l'Est, ce qui signifiait aussi une réduction des charges salariales. Aux alentours de 2000, ces équipages firent place à des équipages ukrainiens ou russes. Ces équipages sont habituellement composés d'un capitaine et de son second, d'un chef mécanicien, de 2 matelots et d'un cuisinier. Les horaires de travail sont très contraignants, souvent de l'ordre de 18 heures par jour. Le capitaine et son second se partagent les heures de quart à la passerelle, de 06 h à 12 h et de 18 h à 24 h pour le capitaine, de 00 h à 06 h et de 12 h à 18 h pour le second. Ces conditions de travail sont susceptibles de créer des accidents souvent liés à un défaut de vigilance pour cause de fatigue ou d'absorption par des tâches administratives durant les quarts. On a relevé ainsi ces dernières années un échouement sur la plage de Berck sur mer – un échouement sur un rocher à la pointe SE de Porquerolles – un abordage avec un chalutier en Manche Ouest, accidents n'ayant causé ni victime, ni pollution.


Le trafic des ports fluviaux
       Le trafic fluvio-maritime sur la Seine s'élevait en 2001 à 504 000 tonnes. En régression constante, il n'atteignait plus que 417 000 tonnes en 2008 (-17%). Les trafics sont concentrés sur 3 ports principaux dont un port privé Bonnières et 2 ports gérés par le port autonome de Paris, Limay et Gennevilliers. Le trafic maritime connaît une baisse révélatrice de sa fragilité, liée aux désintérêts des armements au cabotage (diminution significative du nombre d'escales de navires : 195 en 2008 contre 270 en 2001) et au déséquilibre entre les flux à l'import et à l'export. L'équilibre entre ces deux flux est en effet capital pour éviter les coûts d'entrée ou de sortie à vide sur ballast, ces coûts quasiment incompressibles (pilotage, écluse, droits de port…) grevant à la limite le bénéfice du fret. Le trafic est concentré sur 2 familles de produits que sont les céréales et les produits sidérurgiques sous différentes formes, et dans une moindre mesure, les ferrailles, la pâte de bois et les matériaux de construction. Le Royaume-Uni demeure le principal partenaire du port autonome de Paris, suivi par l'Irlande, l'Espagne, le Portugal et la Finlande, et depuis 2005 par la France (Dunkerque). Le trafic avec le Maroc a disparu, de même que les échanges avec la Lituanie et l'Estonie, la Pologne et l'Italie.  
       Le trafic sur le Rhône/Saône bénéficie de l'activité du port d'Arles dont le tirant d'eau admissible de 4,50 m lui permet de recevoir des navires de plus de 3000 t. Le trafic est passé de 300 000 t en 1991 à près de 890 000 t en 2008, mais cette progression stagne depuis plusieurs années. Sur le Rhône-Saône, le fluvio-maritime transporte en majorité des vracs solides qui se répartissent pour la majorité en produits agricoles, minéraux et déchets Ces trafics sont concentrés sur les ports d'Arles, Vienne, Lyon et Chalon Le débouché naturel de l'axe Rhône-saône est le bassin méditerranéen qui regroupe 95% de l'activité du trafic, partagé principalement entre les pays de l'Union européenne et le Maghreb. On note aussi des destinations marginales telles que les pays baltes ou l'Egypte, Israël, la Turquie jusqu'en Mer Noire.

Conclusion
       Le transport fluvio-maritime, dont les avantages en terme de développement durable sont essentiels, devrait devenir un mode de transport à part entière, ayant vocation à occuper une place significative des transports modaux en France. A l'heure actuelle, ce trafic représente moins de 3% du trafic total du port autonome de Paris, à comparer au transport des marchandises par la route (90%).

René TYL
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