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Colloque à l'Ecole Nationale Supérieure Maritime - octobre 2011



L'école nationale supérieure maritime (ENSM) et le comité estuaire de la Seine de l'Institut français de la mer (IFM) ont organisé les 28 et 29 octobre 2011 un colloque dont la thématique «la formation des marins…au gré des marées», avait pour propos de tirer les enseignements du passé pour vivre le présent et préparer l'avenir.



       Le colloque s'est tenu au Centre du Havre de l'ENSM, née en octobre 2010 de la fusion des quatre écoles nationales de la marine marchande (ENMM) du Havre, de Marseille, de Nantes et de Saint Malo. Cette école a pour vocation de former les officiers de la marine marchande ou de la pêche, des ingénieurs oeuvrant dans le domaine maritime et para-maritime ainsi que des fonctionnaires. La Commission des Titres d'Ingénieurs (CTI) a récemment autorisé l'ENSM à délivrer le titre d'ingénieur. Grâce à cette nouvelle habilitation, l'ENSM espère attirer un public plus large, notamment les nombreux candidats aux concours d'écoles d'ingénieurs, vers une carrière d'officier de la marine marchande, et également valoriser la carrière des officiers en proposant un titre favorisant la reconversion.

         Cet évènement, qui avait lieu l'année du cinquantenaire de l'école du Havre, a réuni de nombreux participants, universitaires ou acteurs du monde maritime et portuaire. Les journées d'étude, matinée et après-midi, se sont déroulées en deux temps, une première partie réservée aux communications des universitaires concernant les grandes étapes des écoles d'hydrographie, puis une table ronde suivie d'une discussion sur des thèmes d'actualité. Les participants, docteurs en histoire des sciences, docteur en ethnologie, professeurs agrégés de lettres, d'histoire, de mathématiques, administrateur de la Société française d'histoire maritime, physicien, chercheur au CNRS, au nombre de 17, ont partagé leurs interventions suivant les quatre thèmes suivants : histoire générale de l'enseignement maritime, l'enseignement maritime ouvert sur le monde, l'enseignement maritime dans son environnement local, utilisation et comparaison des instruments nautiques.

       Les très intéressants exposés relatifs à l'histoire générale de l'enseignement maritime nous ont présenté en première partie l'école du Croisic, qui, à travers Jean Bouguer et ses deux fils, illustre l'enseignement donné aux marins du commerce au XVIIIème siècle dans les écoles d'hydrographie, dont l'ordonnance de 1681 de Colbert réglementa l'enseignement. Jean Bouguer nous laissa un «traité complet de navigation» contenant en particulier les tables éphémérides du mouvement du soleil, et son fils Pierre, professeur d'hydrographie, acquit une notoriété scientifique. L'exposé suivant a décrit les cinquante années de flou de l'enseignement maritime couvrant la période allant des ordonnances royales réorganisant les écoles d'hydrographie en 1825, jusqu'à la création des écoles nationales de navigation commerciale en 1920. C'est au cours de cette période que les écoles d'hydrographie héritées de l'Ancien régime sont progressivement fermées pour passer sous statut civil et être rattachées au ministère du commerce au début du XXème siècle.

       La situation des professeurs d'hydrographie à la fin du XIXème siècle n'était pas brillante, un seul professeur par école, trop d'élèves, multiplicité des matières enseignées (introduction de la machine à vapeur). Il a fallu les réformes de 1907 et 1908 pour améliorer la situation, avec l'organisation d'une école d'application à bord d'un navire-école, d'abord l'Himalaya en 1907, jugé trop cher, puis en 1912 le Pourquoi-pas ? IV. La présence de plusieurs professeurs est enfin officialisée. Des décrets réorganisent les brevets et diplômes d'officiers. Mais la situation se dégrade à nouveau lorsque les écoles d'hydrographie reviennent au sein du Ministère de la marine en 1913. On assiste alors à une multiplicité des diplômes et brevets. Néanmoins, malgré toutes ces vicissitudes, le rôle des professeurs d'hydrographie est resté le même, former les futurs cadres de la marine marchande.

       Par contre, l'enseignement des pêches maritimes n'a vu le jour qu'en 1895, date à laquelle fut créée la première école de pêche de Groix. Jusqu'alors, le métier s'apprenait à bord, l'apprentissage se faisant sur le tas et la transmission des savoirs par le travail. La nécessité d'un enseignement maritime est apparue dès le moment où s'est posée la question de l'augmentation des rendements de la pêche. Des écoles de formation à la navigation et à la pêche, inspirées d'esprit laïc et républicain et de l'idée de progrès, se sont développées sur tout le littoral jusque dans les années 1950. Dans les années 1930, un autre courant, inspiré du catholicisme social et mené en particulier par le Père Lebret, ancien officier de marine et dominicain, va lancer l'idée que la formation et l'apprentissage, liés à la foi chrétienne, peuvent sauver les marins de leur situation précaire. En 1941, naissent sous le régime Pétain les Ecoles d'apprentissage maritime. Devenues Ecoles maritimes et aquacoles dans les années 1990, elles changent de statut en 2001 et deviennent des lycées professionnels maritimes.

       Les communications autour de l'ouverture de l'enseignement maritime sur le monde nous emmènent de l'antiquité gréco-romaine au siècle des lumières. Ainsi dans l'antiquité, Strabon, né vers 63 avant J.-C. auteur d'un immense traité de géographie universelle, notait que la carte marine, établie au gré des témoignages, a été améliorée par la navigation. La connaissance de l'astronomie, comme l'observation des levers et couchers de soleil suivant les saisons ou celle des étoiles, permet de déterminer une orientation grossière. De même, autour de quelques points de repère fixés par l'observation du soleil (au moyen du gnomon), ou par celle de la durée du plus long jour et de la plus longue nuit, Strabon groupait les mesures itinéraires prises au cours de voyages maritimes.

       L'étude des textes scientifiques liés au navire montre comment la science fut appliquée à la technique de la construction navale. Aristote dans un livre sur les questions mécaniques et Archimède dans ses traités avaient réalisé des recherches profondes touchant les lois de l'équilibre. Beaucoup plus tard au XVIIème siècle, Hoste avait démontré la nécessité d'un équilibre et émis une théorie sur le roulis et le tangage. Mais c'est surtout Jean Bouguer qui, en 1746, dans son œuvre magistrale « Traité du navire », première synthèse de l'architecture navale, expliqua l'utilisation du métacentre comme mesure de la stabilité des navires. Cette théorie restera la référence en matière de mécanique navale pendant un demi-siècle, donnant lieu à d'autres théories sur le roulis, le tangage et l'arrimage.

       La comparaison de l'enseignement et de la formation des officiers des marines de guerre néerlandaise du 17ème siècle au début du 19ème siècle avec la France et l'Angleterre, est intéressante à plus d'un point, car elle montre une évolution identique mais décalée. Pour l'officier de marine néerlandais du milieu du 17ème siècle, l'apprentissage est essentiellement pratique, faisant la part belle à « l'ouï-dire » et « le voir faire ». Pour celui du 18ème siècle, la formation théorique dans les écoles est prépondérante, sans que toutefois soit abandonnée la pratique en mer.

       On évoquera aussi les changements dans l'apprentissage du métier de pêcheur côtier à Saint-Pierre et Miquelon, et, hier, aux îles de la Madeleine. Les pêcheurs côtiers pratiquent une navigation et une pêche « à vue », sans jamais perdre de vue la côte, métier qui exige un mode de vie particulier, le bateau étant un lieu de vie, mais une vie irrégulière et imprévisible. Il n'existe pas d'école, l'apprentissage ayant lieu à bord, la transmission de la connaissance des fonds se faisant sans appropriation. La valeur du métier est éphémère, la compétence n'étant pas reconnue à terre, le pêcheur étant dessaisi de cette valeur économique.

       Le thème de l'enseignement maritime dans son environnement local nous a conduits de Guillaume le Testu au 17ème siècle à l'école du Havre au début du 20ème siècle, en passant par l'Ecole royale du Havre au 18ème siècle. On doit à la Cosmographie universelle de Guillaume Le Testu, pilote et cartographe havrais, un apport considérable dans la cartographie du Nouveau Monde pendant la décennie 1556-1566. Cet ouvrage, œuvre d'un homme de mer et d'un praticien, est un atlas nautique comprenant, outre 6 figures de projection de l'univers, 50 cartes marines, peintes et enluminées. Le Testu inventa les systèmes de projection permettant de représenter les parties de la sphère terrestre sur des cartes sans les déformer, et fut à l'origine des premières tentatives hésitantes de détermination de la longitude. On lui attribue la définition du « quart » ou « rumb », 32ème partie de la circonférence de la boussole ou 4ème partie de la distance qui est entre 2 des 8 vents principaux.

       La mise en place et la brève existence de l'Ecole royale du Havre (1773-1775) s'inscrivent aussi dans l'histoire de la formation des officiers de la Marine. Elle fut créée au Havre, port commerçant et non militaire, à l'inverse de Brest ou Toulon où régnaient la petite noblesse bretonne et provençale, pour rendre l'instruction indépendante de la noblesse maritime, celle-ci n'acceptant pas l'examen d'entrée ni l'avancement au mérite. Elle fut supprimée à l'avènement de Louis XVI, l'ordonnance de 1775 rétablissant trois compagnies de Gardes à Brest, Rochefort et Toulon.

       Le Havre, est un exemple d'adaptation de la formation des marins à l'heure de la modernisation de la navigation (fin 19ème siècle-début 20ème siècle). A partir des années 1880, la vapeur se substitua à la voile, imposant le recrutement de personnels qualifiés. Les gens de mer, où régnait une grande proportion d'illettrés, étaient jusqu'alors caractérisés par leur inculture. L'introduction de la mécanisation et marin technicien dans la formation des marins fut à l'origine d'une mutation lente et progressive, conduisant à la coexistence de marins du pont et des machines, les marins du pont ne considérant pas le personnel machine, de provenance terrienne, comme des marins. La mise en place de lignes régulières à passagers à destination des Etats-Unis pluralisa le terme de marin, désormais aussi bien acteur de la manœuvre que de la propulsion. L'intégration de ces mutations dans la formation des marins fut capitale dans l'histoire maritime du port du Havre.

         En marge de l'évocation des besoins de formation, il faut souligner l'importance des relations nouées entre les chambres de commerce et les pouvoirs publics qui ont permis l'institutionnalisation de la formation au travail. L'exemple de l'histoire des enseignements maritimes dans les ports de Dunkerque, Calais et Boulogne apporte un éclairage sur les choix et la répartition des compétences entre les principaux acteurs intéressés à ce développement, dont l'évolution des débats et des relations fut faite de complémentarité mais aussi d'opposition.

       Le thème de la dernière partie du colloque eut pour objet l'utilisation et de la comparaison des instruments nautiques, à travers l'enseignement du comput et du calcul des marées, le calcul des routes avant la maîtrise de la longitude, les représentations de la carte nautique du 17ème au 19ème siècle et les observatoires de la marine au 19ème siècle.

       Le manuscrit de Denoville (1760) montre l'importance de l'enseignement du calendrier et de l'utilité de ce dernier pour la navigation. Pour les calculs des phénomènes cycliques, Denoville utilise des volvelles, disques de papier qui, pivotant les uns sur les autres, permettent de trouver sans calculs des informations astronomiques nécessaires à la navigation. La « volvelle des ports », pour trouver l'heure de la pleine mer, donne la liste d'une soixantaine de ports avec la situation du port donnée en orientation, en heures ou en quantième de rumb de vent. Elle permet avec l'alidade de lire l'heure de la marée dans port choisi en fonction de l'âge de la lune, de déterminer l'âge de la lune, les dates des nouvelles lunes et pleines lunes. La « volvelle astronomique » permet de trouver sans calcul la latitude d'un lieu connaissant le jour et la hauteur du soleil au méridien.

       Dans son traité de navigation, Denoville fait usage du quartier de réduction et du calcul trigonométrique et décrit les instruments qui permettent au marin de déduire des informations sur la situation où il se trouve. Il traite en particulier de l'octant, instrument nouveau. Pour améliorer la navigation à l'estime, il développe abondamment de fastidieuses corrections de route. A l'époque de Denoville le problème de la longitude n'était pas réglé et tout le traité est parsemé de problèmes d'astronomie dont il propose plusieurs approches.
         Les cartes marines du 16ème et 17ème siècles, publiées par des entrepreneurs individuels, étaient de véritables œuvres d'art, si ce n'est d'imagination. Après la création du premier service hydrographique en France en 1720, les cartes marines devenaient une représentation fidèle du monde réel, basée sur les acquis des premiers relevés hydrographiques et des voyages d'exploration scientifique. A partir de l'adoption du méridien origine international en 1884, les cartes marines firent l'objet d'une normalisation internationale de plus en plus étendue.

       La montre de marine, dont les premiers modèles fiables datent des années 1760, permet de résoudre le délicat problème de la longitude en mer. La création des observatoires de la Marine au 19ème siècle est intimement liée à la diffusion des chronomètres de Marine, véritables gardiens du temps. Ces petits établissements portuaires ont pour mission d'offrir un contrôle chronométrique de ces montres, grâce à des observations astronomiques, mais également d'être un lieu de formation pour les officiers à la pratique de la navigation astronomique. Le rôle des observatoires de la marine a été essentiel pour permettre le contrôle des chronomètres de marine avant leur embarquement.

       La qualité de ces nombreux exposés a montré l'intérêt des travaux des universitaires passionnés par l'histoire maritime et a suscité l'enthousiasme des nombreux participants au colloque. Beaucoup parmi ces derniers ont participé aux discussions des trois tables rondes dont les thèmes étaient liés à l'actualité de l'enseignement maritime au regard de l'histoire.
René TYL


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