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Nouveaux défis liés au développement du transport par porte-conteneurs


Intervention de notre collègue R. BAUMLER le 11 octobre 2007 à la table ronde SAFERSEAS



Ce texte, légèrement remanié, contient l’essentiel de la présentation faite au colloque Safer Seas à Brest.

Pour faire court, cette intervention s’articule autour de trois idées-forces :
  • La première c’est l’importance de la prévention des risques dans la sécurité maritime. Je parle de la sécurité du système sociotechnique "navire".
  • La seconde concerne l’importance de prendre en compte l’exploitation du navire, avant de légiférer.
  • Le troisième point concernera l’élément humain. Car la sécurité en mer ne peut pas se construire sans, ni contre les navigants.

Premier point : De l’importance de la prévention.

Un proverbe sert de base au raisonnement : " Mieux vaut prévenir que guérir ".

Deux notions essentielles de la sécurité sont présentes : la prévention et la protection (guérison).

Dans le domaine de la gestion des risques ces deux notions forment "la sécurité".

Par prévention il faut comprendre toutes les tentatives d’élimination et réduction des risques dans le système sociotechnique étudié (ici le navire). L’objectif est l’élimination des dangers pour empêcher la réalisation du risque. Par risque, il faut comprendre la probabilité de réalisation d’un danger.

La protection est la lutte contre les dommages occasionnés et contre leur aggravation. Il s’agit principalement des dispositifs chargés de gérer les situations d’urgence et du traitement des dommages.


POURQUOI PARLER DE PREVENTION ?

Parce que la prévention est le parent pauvre des discussions et réflexions sur la sécurité maritime. Le traitement des dégâts écologiques, économiques et humains occupe le devant de la scène.

Par sécurité maritime on comprend aujourd’hui : sécurité du littoral, du milieu maritime mais peu sécurité des navires. La sécurité maritime se fabrique par les préoccupations des terriens et avec leur agenda. L’unique objectif semble se prémunir contre une mer occupée de navires menaçants et incontrôlables.

L’exemple de la lutte contre les rejets opérationnels des navires constitue l’idéal type des voies poursuivies actuellement. Les Organisations publiques se concentrent sur la détection, le traitement, la réparation des dommages et la répression. La prévention de rejets se résume à la constitution d’un puissant dispositif de répression. La recherche des solutions techniques et politiques d’évitement des rejets semble secondaire. Le décuplement des capacités de stockage des déchets sur les navires et la généralisation d’installations de réception gratuites dans les ports pourraient constituer des pistes de travail simples. Dans ce domaine, une politique de prévention devrait avoir comme objectif le ZERO REJET. Mais les politiques s’accommodent de la criminalisation des opérateurs de dernier niveau au détriment d’une véritable réflexion sur le sujet.

J’ai l’impression que dans l’inconscient collectif il existe une fatalité indépassable : navires et accidents sont irrémédiablement liés. Le naufrage est perçu comme une évidence. Il faut, donc, protéger la terre de ses impacts.

Le naufrage et l’accident ne doivent pas être une FATALITE. Les politiques de sécurité maritime doivent tout mettre en œuvre pour éviter l’accident.

La fatalité du naufrage n’existe que si on l’accepte. Nous, navigants, devons la refuser. Dans notre position, nous sommes les plus vulnérables et nous risquons nos vies et libertés.


LA PROTECTION DES RIVERAINS ET DU LITTORAL, SANS ÊTRE NEGLIGEE, NE DOIT PAS FONDER UNE POLITIQUE DE SECURITE.

Axer sa politique principalement sur la protection signifie s’avouer vaincu.

La prévention oblige à centrer la sécurité maritime sur L’UNITE INDUSTRIELLE "NAVIRE". Il faut intégrer toute complexité et ses interactions. Les trois axes de réflexions sont :
  1. l’outil technique (navire) et ses équipements ;
  2. l’organisation du travail et la vie à bord ;
  3. l’organisation de la sécurité : localement sur le navire et globalement. C’est-à-dire s’intéresser à la régulation de la sécurité (production normative et de l’organisation des contrôles effectifs sur le navire – l’action des États et société de classifications).
Avant de continuer l’empilement normatif, il serait temps de rénover les pensées sur ce qu’est la sécurité. Et rappeler simplement que sans naufrage, les coûteuses mesures de protections, de réparation des dommages et de répression sont quasi inutiles.

La sécurité aérienne s’intéresse à la prévention des accidents et crashes par tous les moyens. La priorité du maritime est (en France) la protection du milieu marin, mais pas la prévention des naufrages. Inspirons-nous de l’aéronautique. La sécurité des navires doit se situer au centre des politiques de sécurité maritime.


LA SECONDE IDÉE PORTE SUR L’EXPLOITATION DU NAVIRE.

Si on veut améliorer dès maintenant la sécurité des navires, il faut se pencher sérieusement sur les conditions d’exploitation réelles des navires.

L’exploitation du navire représente 90 % de sa vie. Les 10% restant sont la construction, le démantèlement, la réparation et les contrôles.... A quelques exceptions près (comme l’effondrement de la passerelle du Queen Mary 2), la quasi totalité des accidents implique les navires en exploitation. L’exploitation du navire doit donc être au centre de toute amélioration immédiate de la sécurité sur les navires existants.

Ainsi, chaque modification normative doit être mesurée en fonction de l’impact qu’elle a sur l’exploitation du navire.

L’exploitation du navire est un domaine vaste et complexe. Je souhaite illustrer mon propos avec l’exemple de la PRISE DE DECISION A BORD.

Deux facteurs ont durablement bouleversé les rapports de pouvoir entre le bord et la terre : les Nouvelles Technologies de l’Information et des Communications (NTIC) et les codes de management certifiés (ISM et ISO). Cette nouvelle répartition du pouvoir s’effectue au profit quasi-exclusif de la terre.

L’avènement des NTIC a permis une incroyable révolution dans le monde maritime : la fin de l’autonomie et de l’isolement du navire en mer. La conséquence directe est la prise de contrôle en continu des navires par la terre. Si les navigants profitent indirectement de ces techniques (téléphone, mail…), les exploitants en profitent pleinement. Pour la première fois dans l’histoire de la navigation, les directions suivent le navire en temps réel. Elles peuvent imposer leurs directives et agir sur l’organisation et la marche du navire à tout moment.

Les normes ISM (statutaires) et ISO (contractuelles) ont modifié l’organisation du travail et les rapports bord/terre. Par ces codes, les terriens prennent en main l’organisation du travail. Avec ces puissants outils organisationnels, ils imposent leur vision unilatérale des bonnes pratiques de travail. Tous les navigants se soumettent dans le respect de ces "tables des lois". La maîtrise de l’organisation du travail sur l’unité échappe aux marins.

Dépossédés de leurs pouvoirs sur le navire, les navigants sont devenus de simples exécutants.

La principale conséquence de cette prise en main est la quasi-perte de l’autonomie décisionnelle : comment prendre des décisions en toute autonomie lorsque la terre contrôle et exige des rapports circonstanciés et argumentés ? Comment maîtriser son navire lorsque les pratiques de travail sont décidées par d’autres ? Quelles marges de manœuvre, quelle crédibilité possèdent aujourd’hui un capitaine ou un officier supérieur ?

La pression commerciale constante entretient la peur des sanctions. Un marché du travail maritime international maintient la peur de la perte de son poste !

Comment prendre, en toute sérénité, des mesures pour la sécurité du navire en opposition avec les exigences immédiates du commercial ?

Pour le capitaine, les problèmes de prise de décision ne sont pas récents. Mais ils ne se sont jamais posés avec une telle acuité. Il serait plus que temps de dépoussiérer et d’appliquer pleinement la résolution de l’OMI a443, de 1979 portant sur les "Décisions prises par le capitaine en matière de sécurité en mer et de protection du milieu marin"!


TROISIÈME ET DERNIER POINT: L’ELEMENT HUMAIN.

Il est dit et répété que 80% des accidents impliquent le facteur humain.

N’est-il pas sérieusement temps d’en faire une priorité absolue ?

Fatigue

Le monde maritime reconnaît enfin que les marins ont besoin d’un minimum de repos, mais n’est-il pas surprenant et dérangeant de parler et comptabiliser des REST HOURS (heures de repos) plutôt que des WORKING HOURS (heures de travail) ?

Le sujet est sensible. Mais le problème est majeur. Les marins, dans leur immense majorité, sont en état de fatigue chronique. L’université de Cardiff dans ses dernières études fin 2006 sur la fatigue le confirme sans ambiguïté. Ces recherches universitaires soulignent aussi le lien direct entre fatigue des équipages et sous-effectifs.

Pourtant, les décisions d’effectifs sont toujours aussi fantaisistes (13 navigants pour des navires de 399 m). Malheureusement, elles ne considèrent toujours pas le navire dans ses différentes phases d’exploitation. A quand des décisions d’effectifs non soumises à la compétition entre les pavillons ? A quand des décisions en phase avec l’exploitation réelle et la complexité des navires?

Qualité et cohésion des effectifs

Pour la qualité, les responsables des CROSS évoquent d’inquiétantes difficultés de compréhension linguistique ainsi que la mauvaise interprétation de COLREG.

Difficile de parler de la cohésion des équipages, tant ils sont disparates. Quatre, cinq ou plus de nationalités forment les équipages ou plutôt des Babel modernes.

Qu’en est-il de la cohésion nécessaire aux actions en cas d’urgence ? Qu’en est-il de la compréhension entre les individus ? Qu’en est-il de l’isolation sociale de chaque groupe sur le navire ?

Les armateurs commencent à s’inquiéter de la course au moins disant sociale. Dans le LLOYD’S LIST du 09 juin 05, le “President of Eurasia Shipmanagement” Rajaish Bajpaee résume: “A ship is a factory that with its cargo could easily be worth $100m. When we are selecting the officers and crew, do we look for the right combination of skills and experience as we would on land?

Lorsque la qualité diminue et que les cadences augmentent, les risques se multiplient.

Les procédures incluses dans les codes forment des programmes de travail parfaits, mais peut-on considérer le marin comme un automate ? Le temps de repos et nourriture infecte suffisent-ils à régénérer la force de travail ? L’humanité du marin est-elle encore considérée et respectée ?

L’homme est un animal social. Ses besoins ne sont pas uniquement physiologiques. Ils sont aussi sociaux.


Pour conclure,

Le transport maritime doit engager une réflexion de fond. Les trois points que je viens d’évoquer ne constituent pas des pistes exclusives. Ces pistes résument les principaux verrous à ouvrir pour améliorer la sécurité. Elles forment le socle des réflexions en devenir sur le domaine :
  • LA PRIMAUTÉ DE LA PREVENTION DES RISQUES SUR LE NAVIRE,
  • LA PRISE EN COMPTE DE LA COMPLEXITÉ DE L’EXPLOITATION DU NAVIRE
  • ET UNE VISION SOCIALE DU FACTEUR HUMAIN PLUTÔT QU’UNE VISION TECHNICIENNE CONSTITUÉE PAR DES CODES DE MANAGEMENT.
Je terminerai par une constatation. La sécurité d’un secteur industriel est une construction sociale élaborée. Cette construction devient plus complexe dans le contexte de la mondialisation. La perte de prise des États nationaux sur la sécurité de ce secteur mondial complique la régulation de la sécurité. La totalité de l’ensemble normatif actuel se base toujours sur la compétence de l’Eat du pavillon. Avec la crise du pavillon, l’assise nationale de la sécurité maritime ne doit-elle pas être rénovée ou repensée ? Une gouvernance régionale (l’UE) est-il un niveau pertinent ? Il ne peut l’être que provisoirement, car le transport maritime reste ancré dans l’international. Toute mesure visant à réguler le secteur doit inévitablement intégrer ce paradigme.


Cdt Raphael BAUMLER


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