Une grande partie des accidents actuels est due à la fatigue de l'équipage et de son commandant. Certes certains
navires long-courriers ont un équipage suffisant pour faire face aux situations d'urgence comme aux situations
normales de quart, mais la plupart des caboteurs souffrent d'un manque cruel d'équipage qui peut générer des
accidents lorsqu'un navire, à la sortie d'un port par exemple, doit appareiller dans un trafic important.
Quels sont les facteurs pouvant entraîner la fatigue de l'équipage?
La quantité de travail n'a pas diminué, loin de là. Les techniques modernes nouvelles installées sur les navires
modernes demandent plus de savoir qu'auparavant. Cette science, il faut l'acquérir en dehors de l'école la plupart
du temps et principalement pour les plus âgés. Mais le travail «ancien» comme la propreté, le graissage, etc.. doit
toujours se faire. Alors l'acquisition des nouvelles «matières» se fait sur le temps de repos, ou encore pendant les
quarts (pour les officiers pont) mais alors au détriment de la sécurité de la navigation. Moins de concentration sur
la navigation et son environnement, plus de risques d'accidents. Combien de situations proches dangereuses
(heureusement sans accidents) ont été générées par une inattention momentanée due à l'étude d'un appareil
électronique type GPS.
A cela s'est rajouté le code ISM. Et surtout la somme immense de nouveaux papiers qu'il a rajouté.
L'informatique a été présentée aux navigants (comme à d'autres) comme une baisse du travail papier, le code ISM
s'est révélé totalement inverse.
Régulièrement un commandant passe plus de la moitié de sa «journée de travail» devant son ordinateur, objet pour
lequel il n'a souvent pas reçu de formation spécifique.
Idem pour un chef mécanicien.
Tous ces papiers étant vérifiés très soigneusement lors d'inspections ou d'audits divers, on peut facilement
imaginer qu'il devient plus important de remplir les check-lists et formulaires plutôt que de faire le travail que l'on
dit avoir fait. Ceci bien sur au détriment de la sécurité du navire et de ses hommes.
L'officier radio a été supprimé, les techniques modernes le permettant. Il est vrai qu'en communication pure, il
ne servait plus à grand chose, mais il y avait aussi tous les à-cotés de son travail. Le radio était souvent en charge
de l'administration de l'équipage (comptes, vivres, etc..) en plus de la maintenance et vérification de tout le
matériel radio et radio-navigation. Tout ceci a alors été rajouté soit aux lieutenants, qui avait déjà leurs fonctions
annexes propres, soit au commandant. Principalement, le commandant a «récupéré» les transmissions de
messages, il est vrai maintenant en e-mail pour la plupart des navires. Mais cela représente aussi un temps très
appréciable de travail supplémentaire.
Enfin les armements par soucis d'économie ont réduit les équipages. Dans les années 75 un VLCC
naviguait avec un équipage de 35 à 40 personnes d'une seule nationalité, maintenant l'équipage d'un VLCC est
constitué de 20 personnes de 2 à 6 nationalités différentes (ce qui multiplie aussi les gestions administratives
ainsi que les conflits «raciaux» et de tradition). Sur les caboteurs les équipages ont été encore plus réduits, et il
est très courant de voir le commandant faire le quart à la passerelle en mer. Sur ce type de navire, il y a souvent 2
officiers pont: le commandant et son second. Ils tournent donc en 6/6 à la mer, mais au port, le commandant est
pris par les administrations, inspections, etc.… et son second par la surveillance du chargement/déchargement.
Puis il y a la manœuvre pour les deux en ressortant. Alors qui est suffisamment reposé pour prendre le quart à la
mer en sortant du port? Malheureusement la réponse est «aucun» et elle explique nombre d'accidents
principalement en mer du Nord.
Et pourtant l'équipage, sur le papier, est assez important pour répondre aux différentes situations d'urgence. Tous
les navires possèdent des rôles d'abandon, d'incendie, de barre de secours, etc.., tous les navires certifiés ISM
doivent pouvoir présenter une organisation du travail à la mer et au port avec pour chacun les heures de repos
prévus par la loi, ainsi qu'un registre des heures supplémentaires. Mais cette organisation du travail ne tient pas
comptes des manœuvres ni de la succession très rapides des escales sur certains navires.
Tout cela est pourtant très officiellement présenté par l'armateur à l'administration pour approbation. Mais qui
oserait empêcher un navire d'appareiller parce que son équipage est fatigué et qu'aucun officier pont n'a eu 4
heures de sommeil dans les dernières 24 heures?
Cette décision d'effectif est très souvent reconnue par l'armateur lui-même, qui l'a pourtant présentée, comme
non-suffisante. Cela lui permet donc de «renforcer» son équipage. Il est vrai aussi que certains affréteurs pétroliers
exigent un certain nombre de personnel sur le pont pendant les opérations commerciales.
Cdt ARDILLON