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Les tentatives de la Commission européenne pour libéraliser l'accès aux services portuaires


         La Commission européenne n'a pas abandonné l'idée de vouloir libéraliser l'accès aux services portuaires. Déjà en 2001 et 2004, deux projets de Directive présentés par la Commission européenne avaient été respectivement rejetés en 2003 et en 2006 par les parlementaires européens. Ceux-ci, conscients des enjeux de sécurité, avaient à une très large majorité, fait savoir à la Commission que l'exercice du pilotage maritime ne pouvait être déréglementé dans une optique ultra libérale déséquilibrée. Pour autant, la Commission européenne adressait en 2009 une Communication au Conseil et au Parlement européens concernant l'amélioration de l'efficacité du transport maritime intracommunautaire. Affirmant la nécessité d'éliminer les entraves affectant ce mode de transport, la Commission recommandait en particulier aux États membres « de permettre l'octroi de certificats de dispense de pilotage sur la base de meilleures pratiques existantes ».

       En 2010, le Parlement européen et le Conseil publient une Directive, dite Directive FAL, relative aux formalités déclaratives applicables aux navires à l'entrée et à la sortie des ports. Ceux-ci considèrent entre autres que « les exigences linguistiques nationales constituent dans bien des cas un obstacle au développement du réseau du cabotage, et que « les États membres devraient s'efforcer, conformément aux pratiques internationales, de trouver des moyens de communication communs ». L'enjeu est celui d'une éventuelle langue commune de travail qui ne saurait être que l'anglais.

       Depuis la publication en 2011 de son livre blanc sur l'avenir des transports, la Commission européenne annonçait sa volonté de réexaminer les restrictions à la prestation de services portuaires et la possibilité d'aller vers la libéralisation des activités de pilotage, sans toutefois fixer de date. Dans un premier temps, le document préconisait de définir un cadre pour l'octroi des certificats de dispense de pilotage dans les ports de l'Union Européenne. Pour cela, dès l'automne, le Commissaire européen en charge des transports, Siim Kallas (Estonie), informait les États-membres de l'intention de la DG Move (Mobilité et Transport, qui couvre tous les types de transport) de leur proposer un « paquet » de mesures visant à améliorer un meilleur accès au marché portuaire.

       L'année suivante, en septembre 2012, lors d'une conférence consacrée à la politique portuaire européenne, le commissaire Siim Kallas proposait d'ouvrir plusieurs pistes de travail, dont en particulier l'examen de la fourniture des services technico-nautiques, c'est-à-dire le pilotage, le remorquage, le lamanage et le dragage.

       Aussi est-ce dans ce contexte, qu'à la demande de la DG Move, deux sociétés d'audit, PricewaterhouseCoopers (PWC) et Panteia, remettent en octobre 2012 à celle-ci une « Etude sur les certificats d'exemption de pilotage ». Ce volumineux rapport de 248 pages est une description et une analyse des systèmes de pilotage en Europe ainsi qu'en Croatie et en Norvège. Sont ainsi passés en revue les critères d'obligation de pilotage dans les divers États. Le document examine en particulier les modalités de délivrance des certificats d'exemption de pilotage (PEC, pilotage exemption certificat). Ces conditions portent essentiellement sur la langue d'examen, la fréquence des escales et l'octroi des PEC à d'autres officiers que le capitaine.

       D'après l'étude, la plupart des pays interrogés exigent la langue nationale ou l'anglais, la Grande-Bretagne, Malte et l'Irlande, seulement l'anglais et quatre pays dont la France, seulement la langue nationale. La France considère que le capitaine pilote doit posséder une connaissance suffisante de la langue française, ne serait-ce que pour communiquer avec les intervenants portuaires, remorqueurs, lamaneurs, éclusiers, qui ne sont pas anglophones. A ce sujet, rappelons que si l'OMI, dans sa résolution A 960, concernant la formation des pilotes maritimes, recommande l'anglais sur les passerelles, l'Organisation reconnaît que ceux-ci communiquent avec l'extérieur dans la langue locale.

       Le nombre et la fréquence des manœuvres requises sont variables suivant les pays. Les Belges exigent 25 entrées et 25 sorties par an, mais la moyenne est plutôt de 10 à 20 manœuvres, avec une périodicité allant de 3 mois à 2 ans. En France, les mouvements nécessaires sont variables suivant les ports. Le nombre de dispenses de pilotage délivrées en Europe est évalué à 8 500, avec un nombre bien supérieur en Europe du Nord qu'en Europe du Sud. Seuls quatre pays n'en délivrent pas (Chypre, Grèce, Italie, Roumanie).
 

       Concernant les PEC, il apparaît que les pilotes consultés sont en majorité opposés à une harmonisation commune, considérant que les certificats doivent être réglementés au plan national ou local, étant donné les conditions spécifiques locales. De leur côté, les autorités portuaires soulignent le besoin d'un minimum de normes communes, arguant que les questions concernant la sécurité et la protection de l'environnement doivent être réglementées au niveau européen.

         Dans le programme de travail 2012-2013 de l'association des armateurs européens (ECSA) figure le plan d'action de la promotion cabotage (short sea) : ils sont favorables au projet de l'Union européenne de faciliter l'obtention des PEC. En France, les pilotes souhaitent que les conditions d'obtention des licences respectent leurs objectifs de sécurité et que ces paramètres soient déterminés nationalement ou localement. La licence de capitaine pilote, telle qu'elle existe en France, répond à ces objectifs. Cependant, les pilotes ne sont pas décideurs, la licence est tributaire d'un pool portuaire : elle est délivrée par le préfet de département après avis d'une commission comprenant le directeur des Affaires maritimes, le directeur du port, un officier de port, un capitaine de navire et un pilote. Les pilotes français sont opposés à une harmonisation européenne qui ne tiendrait pas compte des particularités propres à chaque port.

       Mais l'analyse de ce rapport va plus loin. En abordant la question générale du pilotage, PWC tente de relier et d'intégrer les questions des licences de capitaine dans la Directive des services portuaires. Et tout laisse à penser que l'assouplissement des règles d'obtention des PEC, au détriment de la sécurité maritime, soit les prémisses de la libéralisation des services portuaires, et en particulier la libéralisation des activités de pilotage.

       La position de la France à ce sujet est sans équivoque : elle a toujours rappelé à la Commission son opposition à toute mesure conduisant à une déréglementation par rapport au dispositif national de pilotage maritime en vigueur, eu égard aux risques de dumping social ainsi que de réduction de la sécurité par rapport à celui garanti dans les ports français. Dans sa réponse du 6 novembre dernier à la question posée par la député socialiste Estelle Grelier concernant les propositions de dérégulation de la mission de service public confiée aujourd'hui par l'État aux pilotes maritimes, le ministre délégué aux Transports et à la Mer a affirmé que « les autorités françaises ne percevaient pas quelle serait la plus-value apportée par une réglementation européenne qui tendrait à une libéralisation de l'offre de pilotage ou à un accroissement des cas d'exemption du pilotage ».

       La Fédération française des pilotes maritimes (FFPM) rappelle « qu'au-delà de l'aspect service qu'on lui connaît, le pilotage maritime est une mission de service public dévolue à la sécurité maritime et à la protection de l'environnement ». La soumission des activités de pilotage aux règles de la concurrence remettrait en cause la sécurité de la navigation à proximité des ports et à l'intérieur des ports. Partout dans le monde où il y eu une mise en concurrence du pilotage, à l'exemple du port de Constanza en Roumanie, une dégradation du service et une recrudescence des accidents ont été rapidement remarquées. Seul le recours à un prestataire unique du service de pilotage dans les ports est la condition sine qua non de sécurité.

       Il reste néanmoins que l'acharnement de la Commission européenne à vouloir imposer sa vision purement idéologique d'une libre concurrence universelle est une menace pour une profession qui donne entière satisfaction aux acteurs portuaires.

René TYL
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