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Le pilotage maritime et le projet de Directive
sur l'accès au marché des services portuaires


     Ayant eu la chance d'occuper la fonction de Capitaine, pendant quelques années avant de devenir pilote, je pense pouvoir parler librement des relations entre ces deux fonctions issues du même moule qui se côtoient régulièrement sur les passerelles.

Hong-Kong       
Quel Capitaine n'a pas été tenté de diminuer la vitesse de son navire, avant que le pilote ne le lui demande...
     Quel Capitaine n'a pas contesté un jour les indications du pilote, allant jusqu'à refuser ses conseils et réussir fièrement une manœuvre, grâce à la parfaite connaissance de son navire.
     Ou encore quel capitaine ne s'est pas offusqué de l'attitude désinvolte d'un pilote qui pénétrant sur la passerelle s'est comporté comme en "pays conquis".
     Ces anecdotes qui ne sont pas exhaustives, peut être les avez vous vécues. Pour ma part, ce fut le cas.
     Pourtant, combien de fois a contrario, n'ai-je loué les services du pilote, quand, partiellement démuni de moyens d'appréciation, lorsque la consultation des aides à la navigation ne permet pas de réagir suffisamment rapidement pour s'écarter des dangers, tant ils sont proches les uns des autres et où la vitesse d'évolution du navire n'est plus suffisante pour se jouer des éléments tels que vents et courants, et que tendu me sentant impuissant, le pilote grâce à sa connaissance des spécificités locales déjouait les obstacles et réussissait là où le capitaine que j'étais, n'aurait pas "osé".      Cette relation de confiance qui doit exister entre le capitaine et le pilote, doit perdurer. Le pilote doit conserver l'indépendance de son acte, libre de toute pression commerciale.
     Le projet de Directive sur l'Accès au marché des services portuaires relatif au pilotage remet en cause, entre autres, ces principes, ainsi que les fondements organiques de notre profession, c'est pourquoi notre association européenne (EMPA), a combattu ce texte unanimement dès son 35º congrès qui s'est tenu à Paris en mai 2001, soutenue par notre association internationale. Soutien renouvelé et confirmé lors du congrès de l'IMPA à Hambourg en juillet 2002.
     Les pilotes européens ont confirmé leur volonté de continuer à être traités comme un service à vocation sécuritaire, organisé sous la forme d'un service public d'intérêt général et non comme un service purement commercial, ce qui normalement, devrait les exclure par principe, du champ de la Directive sur l'accès au marché des services portuaires.
     Avant d'exposer en détail les raisons qui nous motivent dans cette épreuve, peut être doit-on rappeler le mode organisationnel et législatif du pilotage.
     Depuis que les navires ont été utilisés comme moyen de transport pour effectuer du commerce, le capitaine, représentant l'armateur et chef de l'expédition maritime, a eu besoin de l'assistance du pilote pour guider son navire, afin d'éviter les écueils lors de la navigation à proximité des côtes inconnues pour lui, là où celles-ci présentaient le plus de risques, alors que le pilote en avait une excellente maîtrise.
     Au fil des siècles, après des années de concurrence anarchique entre pilotes qui se faisaient la course pour proposer leurs services, l'État a organisé le pilotage maritime et l'a rendu obligatoire dans les ports de commerce, pour les navires dimensionnés au delà d'un certain seuil, dans le but d'améliorer la sécurité de la navigation et des accès portuaires. Cette obligation est à présent quasi universelle.
     Les Capitaines qui fréquentent régulièrement un port et dont les connaissances de l'environnement sont suffisantes et reconnues pour leur permettre de manœuvrer seuls leurs navires, se voient délivrer par une commission locale, une licence de Capitaine-Pilote qui les dispense d'embarquer un pilote dans le port considéré.
     Le pilotage maritime français est donc organisé par une loi spécifique datant du 28 mars 1928 et de deux décrets, l'un du 24 décembre 1929, modifié en 1995, l'autre du 19 mai 1969, modifié en 2000.
     Suivant les modalités définies dans la loi et les décrets précités, les pilotes pour remplir leur mission, se déplacent en mer au devant des navires grâce à différents types de matériels : bateaux-pilotes, vedettes de pilotage, hélicoptères, et occupent les locaux immobiliers nécessaires à l'exécution du service, le tout constituant l'actif de la station et pour lequel tout investissement, nécessite l'accord de la tutelle administrative.
     Les pilotes en sont propriétaires par parts égales, qu'ils achètent dès leur entrée dans la profession et qu'ils revendent à leur départ à la collectivité des pilotes de leur station.
     Le pilotage revêt le caractère de service public comme l'a reconnu le Conseil d'État dans son arrêt du 02 juin 1972.
     Les contraintes de service sont continues, de jour comme de nuit, quelles que soient les conditions météorologiques. Le syndicat professionnel qui regroupe les pilotes et assure la gestion autonome de la station est l'employeur des personnels marins, aériens et sédentaires qui collaborent pour assurer le service.
     Les pilotes n'ont donc pas la qualité de salariés, mais conservent leur statut de marin (propriétaires embarqués), affiliés au régime de l'ENIM.
     La loi impose également aux pilotes de constituer dans chaque station de pilotage des caisses de pensions et secours.
     Les contraintes liées au mode de recrutement ne permettent pas l'accès à la profession avant l'âge de 30 ans et empêchent de postuler après 35 ans. Ces impératifs sont liés à la nécessité d'un apprentissage qui doit se faire relativement jeune.
     Chaque candidat doit avoir une qualification de Capitaine et dix ans d'expérience, assortis d'une aptitude physique sévère, avant de pouvoir présenter localement un concours public de pilotage organisé par l'administration des affaires maritimes. Les places sont limitées en nombre dans chaque station de pilotage, par arrêté du Préfet de Région.
     En 1995, sous l'égide de la Fédération Française des Pilotes Maritimes, les stations de pilotage se sont engagées dans une démarche assurance qualité, pour être reconnues en 1997 aptes à recevoir la certification ISO 9002 par le Lloyd's Register Quality Assurance, première certification multi-sites mondiale. Par le biais de cette norme, des modules de formation permettent un entretien régulier des connaissances nécessaires aux pilotes.
     La facturation des frais de pilotage est effectuée à la prestation pour chaque navire suivant des tarifs publics, basés sur le volume des navires pilotés et fixés par arrêté du Préfet de Région, après avis de l'Assemblée Commerciale à laquelle les armateurs et usagers du port sont majoritairement représentés. Chaque pilote est responsable de sa prestation, mais la loi lui impose de mettre en commun les recettes générées et de les partager ensuite, après paiement des charges.      Les recettes aléatoirement basées sur le trafic portuaire, peuvent entraîner des différences sensibles de revenus d'un mois sur l'autre pour les pilotes. Les tarifs de pilotage étant arrêtés localement, cette même différence de revenus est effective d'une station à l'autre.
     La responsabilité pénale du pilote peut être engagée au cours de l'opération de pilotage, sa responsabilité civile est limitée envers l'armateur à hauteur d'un cautionnement fixé à 10 000 €, garanti par la fédération. Ce principe est sensiblement identique dans tous les ports du monde. L'Armateur s'assure en conséquence contre les avaries susceptibles de survenir au cours de l'expédition maritime. Les pilotes ne cherchent pas à se soustraire à une responsabilité totale. Ils seraient cependant contraints de s'assurer en conséquence, le coût en serait ainsi répercuté sur l'armateur via les tarifs et celui-ci serait en quelque sorte assuré deux fois, les seuls bénéficiaires étant alors les compagnies d'assurances, à moins que ce nouveau concept ne devienne totalement universel et que les armateurs puissent dans tous les ports s'exonérer des risques de pilotage.
     Les pilotes ne bénéficient d'aucune subvention publique, ni d'aucun allègement de charges.
     Il existe actuellement 32 syndicats adhérents à la Fédération Française des pilotes maritimes répartis en métropole, départements et territoires d'outre mer, totalisant au 31 décembre 2001 un effectif de 363 pilotes en activité.
     Notre système est donc basé sur une association d'individus qui ne se choisissent pas, comme le font les membres actionnaires d'une société.


La Directive sur l'accès au marché des services portuaires

     A la suite de la publication du Livre vert relatif aux ports et infrastructures maritimes qui a suscité un débat animé, la Commission a souhaité mettre en place un cadre réglementaire pour les professions portuaires.
     Si ce cadre faisait effectivement défaut pour les professions de la manutention, du remorquage ou du lamanage, ce n'était pas du tout le cas du pilotage, profession réglementée par excellence, en raison de son caractère obligatoire.
     La proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil concernant l'accès au marché des services portuaires, dont l'objectif est d'améliorer la qualité des services dans les ports maritimes, part d'une conception globale et homogène de la notion de services portuaires, considérant que tous les services rendus dans les ports devraient être soumis aux mêmes règles afin d'améliorer le système de transport en Europe.
     Une telle approche repose sur l'idée que la concurrence entre prestataires de services suffit à résoudre toutes les entraves existant au sein d'un port sans tenir compte de la nature du service considéré.
     Une vision aussi simplificatrice ignore donc la part de service public que recouvre telle ou telle activité dans l'ensemble des coûts portuaires. Ainsi le pilotage est assimilé à la manutention or, les charges de manutention représentent les 2/3 du coût du passage d'un navire dans un port français, alors que le pilotage n'absorbe pas 7% des dépenses d'escale.
     Par ailleurs, la proposition de Directive considère que tous les ports de l'Union européenne seraient dans une situation identique, alors qu'une concurrence certaine existe déjà entre eux. Cette concurrence s'apprécie par rapport à un ensemble de prestations quel que soit leur statut et ne s'évalue pas par type de prestations.
     A cet égard, le régime particulier du pilotage permet une libre concurrence de ce service entre ports, en revanche si la concurrence était introduite au sein d'un même port, elle pourrait remettre en cause la continuité du service public.


Le Pilotage et la Directive

     La Directive proposée par la commission européenne sur l'accès au marché des services portuaires ne remet pas en cause l'avenir des pilotes dont les services seront vraisemblablement encore pour longtemps utiles aux capitaines, tant que la compétence des équipages ne sera pas identique sous tous les pavillons et que les techniques de radioguidage ne se seront pas substituées à la présence physique du pilote à bord des navires.
     L'application des dispositions suivantes contenues dans le projet de Directive sur l'accès au marché des services portuaires ferait obstacle à l'accomplissement en droit et en fait de leur mission particulière qui revêt le caractère d'un service public affecté à la sécurité de la navigation maritime ou portuaire, sous le contrôle de l'État, à savoir :
  • La concurrence entre plusieurs sociétés de pilotage dans un même port,
  • La sélection des prestataires par adjudication,
  • Les durées d'autorisations basées sur le niveau des investissements,
  • L'auto assistance telle qu'elle y est envisagée.
En effet :
     Ce que la Directive remet en cause, c'est la sécurité de la navigation à proximité des ports et dans les ports par la disparition du droit exclusif accordé localement au service du pilotage qui jusqu'à présent n'était pas soumis à des pressions commerciales, pouvant ainsi sans crainte de perdre d'avantageux contrats décider objectivement de la faisabilité de l'opération proposée. Elle remet également en cause le devoir du pilote de signaler toutes défectuosités que lui confère outre l'État, la Commission.
     Ce régime de monopole n'est pas institué comme une protection des pilotes, il a été mis en place pour des raisons évidentes de sécurité et de conservation du domaine public, qu'à clairement exprimé le Conseil d'État en 1972 :

     "Il appartient à l'autorité administrative d'organiser ce service public en vue d'assurer la meilleure utilisation du domaine, qu'à cette fin elle est en droit, lorsqu'une concurrence serait de nature à compromettre l'efficacité du service de n'en confier la gestion qu'à une seule entreprise."

     La Directive propose une logique d'entreprise dans laquelle les pilotes ne seront plus propriétaires armateurs embarqués, permettant ainsi à des étrangers au pavillon national ou européen de postuler pour des fonctions de pilotes dont la qualité de service sera dévaluée au profit d'un salaire réduit, démotivant pour l'esprit audacieux qui a toujours animé notre profession et impératif pour exécuter parfois des missions périlleuses au risque de leur vie (2 pilotes sont morts en 2001 et plusieurs ont été blessés dont l'un amputé d'une jambe au cours d'un embarquement).

  • La procédure de sélection par adjudication


  •      La Directive supprime le creuset de la pérennité du savoir et de l'expérience locale de pilotage, en éliminant le transfert des connaissances entre pilotes de génération différentes.
         Elle ne permettrait pas au fournisseur de service de pilotage, candidat prestataire, de recevoir la formation pratique préalable adaptée à l'exercice du pilotage.
         L'Etat délègue en France son devoir de formation aux pilotes expérimentés, comme il est mentionné dans l'arrêté préfectoral réglementant la station de pilotage. L'on voit mal comment il pourrait en être autrement.
         En effet, comment pourrait-on justifier la mise en place, par l'autorité compétente (organe public ou privé, défini dans la directive), d'une structure de formation permanente coûteuse, pour des besoins très épisodiques (à chaque renouvellement de concession d'une durée minimale de 10 ans) qui n'aurait aucune justification économique, en particulier dans le cas des stations où l'effectif est peu important.
         A contrario, comment l'autorité compétente pourrait elle déléguer au fournisseur de service de pilotage en place, le soin de former ses concurrents ?
         La Directive n'est pas, là encore, capable de proposer des solutions adaptées au service du pilotage.

  • Les durées d'autorisations basées sur le niveau des investissements


  •      Le retrait d'autorisation à un fournisseur de service de pilotage provoquerait une disparition brutale du savoir local, et ne permettrait pas au prestataire déchu de proposer ses compétences sur un lieu différent.
         En effet, à l'exception du pilotage et de l'organe gestionnaire du port, tous les autres services portuaires ont la faculté de fournir leur assistance dans un délai relativement bref vers un autre port. Ce n'est absolument pas le cas des pilotes, pour lesquels il n'est pas possible d'exporter leurs connaissances locales, à moins de faire face à un "reclassement" qui nécessiterait une longue formation, coûteuse et périodiquement improductive. En outre les durées de concessions ne sont basées que sur des investissements matériels excluant toute notion du capital "savoir" que représentent la durée de formation et l'expérience des pilotes.
         La Directive contraint le pilote à s'intégrer dans une entreprise commerciale qui, en cas de perte d'autorisation serait remplacée, au pied levé, par un ou des prestataires novices, avec les conséquences sur la dégradation du service que l'on imagine aisément.
         Cette logique s'applique, d'ailleurs, réciproquement au fournisseur de service déchu, qui n'aura aucune compétence pour proposer ses qualifications, inadaptées, dans un autre port.

  • L'auto assistance


  •      Envisagée sous une autre forme que celle de la licence de capitaine pilote, elle détournerait une partie de l'activité au préjudice du potentiel économique du service de pilotage existant, nécessaire à assurer sa mission de service public.
 
La mise en place d'une concurrence détournée, par le biais de pilotes appartenant à des groupes d'armateurs associés aurait pour effet de perturber une mutualisation tarifaire dont l'objectif est de fournir la même qualité de service à tous les navires, quelles que soient leurs dimensions et sans discrimination.
 


     La Commission a motivé son projet à la fois pour des raisons économiques et pour mettre en application d'une manière plus stricte les règles du Traité de l'union. Aucun de ces objectifs ne parait se justifier pour le cas du pilotage.
     La nécessité économique reste à prouver, les seules études commandées par la Commission en 1995 (Rapport danois R&H) et 1999 (Rapport hollandais DYNAMAR) ont conclu que la concurrence au pilotage n'était pas adaptée et qu'elle se ferait au détriment de la qualité du service. Quant à l'application Loiseau stricte des règles du traité, l'article 86(2) laisse aux États membres la faculté d'organiser un service public à leur convenance.
     Le Parlement européen, lors de la séance plénière du 14 novembre 2001, a exclu le pilotage du champ d'application de la Directive par une très forte majorité de 395 voix pour, 114 voix contre et 11 abstentions.
     La Directive proposée remet fondamentalement en cause le mode organisationnel, ainsi que la réglementation française du service du pilotage. Notre tutelle a confirmé récemment et à plusieurs reprises, ne pas vouloir revenir sur les principes conçus par le législateur, qui fonctionne à l'avantage du client sans remettre en cause les exigences de l'intérêt général.
     L'application stricte du principe de subsidiarité, devrait laisser aux États, pour des raisons évidentes de sécurité, la possibilité d'organiser le pilotage à leur convenance.
     Seul l'agrément attribué individuellement au pilote et renouvelé périodiquement par un contrôle des connaissances, principe recommandé par l'O.M.1. dans sa résolution A485(XII), permettra de conserver la pérennité du savoir local, l'autorité compétente fixant localement ses besoins en effectif.
     Le Conseil des Ministres des Transports de l'Union européenne, réuni le 18 juin 2002 au Luxembourg a semble-t-il retenu l'application du principe de subsidiarité en matière de pilotage. Le Parlement européen devrait émettre un nouvel avis lors d'une deuxième lecture conformément à la procédure de co-décision avant la fin de l'année. Nous souhaiterions bien sûr qu'il confirme sa première décision.

Et l'avis du capitaine me direz-vous ?

     Depuis des mois, les instances fédérales de pilotes, nationales et européennes se sont déplacées à Bruxelles et à Strasbourg pour faire entendre leur voix tant auprès de la Commission que du Parlement.
     Jamais une seule fois l'avis des capitaines sur ce projet de Directive ne nous a paru avoir été sollicité par nos interlocuteurs. Vous êtes pourtant semble-t-il les premiers concernés...

Patrick PAYAN,
Président de la Fédération Française
des Pilotes Maritimes
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