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Navires à passagers : les règles probabilistes « Solas 2009 » pour l'étude du compartimentage et de la stabilité après avarie sont-elles suffisantes ?
Les réponses de la Science et … de la Politique.




Résumé

       Le risque envahissement, quelle qu'en soit la cause ou l'origine, est le risque majeur de la navigation maritime.
Les règles probabilistes pour l'analyse du compartimentage et de la stabilité après avarie les plus récentes de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), connues sous l'appellation Solas 2009, sont introduites dans cet article au travers du cas emblématique des navires à passagers (ferries et navires de croisière).
Les travaux les plus récents en la matière tant théoriques que législatifs, sont présentés par le biais de l'analyse d'un paramètre fondamental des règles probabilistes, l'indice requis de compartimentage « R » qui fixe le niveau de sécurité. Le cas des navires autres que les navires à passagers est évoqué « en creux ».
  1. Introduction
  2.        Depuis que l'Homme va sur mer, il a toujours craint de couler ou de chavirer. On ne le rappellera jamais assez, ce risque inhérent au concept même de navigation maritime est à l'origine des plus grandes pertes en vies humaines dans le shipping. Quelle qu'en soit la cause objective, rien n'est plus terrifiant que de perdre sa flottabilité et sa stabilité.
    Nous allons nous intéresser ici à la stabilité après avarie et donc au compartimentage des navires. La perte de flottabilité survient en général à la suite d'une avarie de coque et donc un envahissement des volumes générant cette flottabilité, conduisant au déséquilibre de l'équation fondamentale d'Archimède (poussée devenant inférieure au poids du navire). Cette avarie de coque peut être d'origine structurelle ou accidentelle. Dans le premier cas il s'agit d'un défaut de conception, de construction et/ou d'entretien. Dans le deuxième, il s'agira en général d'une collision (au sens large du terme) ou d'un échouement.

    D'un point de vue réglementaire, les navires sont étudiés pour la stabilité après avarie et le compartimentage selon deux grands principes scientifiques ayant conduit à l'élaboration des règles dites déterministes et probabilistes.

    Dans la Convention Solas de l'Organisation Maritime Internationale (OMI), les règles probabilistes, communément appelées «Solas 2009» (et «Solas 1992» pour celles en vigueur avant le 01/01/2009), couvrent les catégories de navires suivantes :
    • navires à passagers
    • navires rouliers à passagers (ropax ou ferries)
    • porte-conteneurs
    • navires rouliers
    • navires de charge généraux (cargos)
    • vraquiers non couverts par la règle 27 de la Convention Franc-Bord
    • navires spéciaux (câbliers, navires sismiques…) au travers du Code SPS de l'OMI

    Les règles déterministes, décrites dans différentes Conventions et Codes de l'OMI, sont mises en œuvre pour les types de navires suivants :
    • pétroliers (règles de la Convention Marpol 73/78)
    • chimiquiers (règles du Code IBC)
    • gaziers (règles du Code IGC)
    • navires couverts par la règle 27 de la Convention internationale Franc-Bord
    • navires à grande vitesse (règles du Code HSC)
    • navires offshore (règles du Code OSV)

  3. Les règles probabilistes d'étude de la stabilité après avarie
  4.        Il est parfaitement illusoire de réfléchir aux règles probabilistes sans en connaître le principe et nous en faisons ici une courte présentation, prolongée au § 8 par une annexe donnant une synthèse complète.

    Le principe des règles dites probabilistes pour l'étude de la stabilité après avarie a été élaboré par des chercheurs sur la base des travaux du Professeur K. Wendel (dans les années 1960). L'OMI a relativement rapidement intégré ces principes, dès 1973, à titre de règles alternatives pour les navires à passagers au travers de la Résolution A 265. L'étape suivante a été de rendre obligatoire en 1992 les règles probabilistes de la Résolution A 265 amendées (et fortement réduites en terme d'exigence) pour les navires de charge secs (Solas 1992). Un travail d'harmonisation a ensuite été mené par l'OMI à la fin des années 1990 et au début des années 2000 pour aboutir à Solas 2009.

    Le référentiel réglementaire se trouve dans la Convention Solas 1974 telle qu'amendée, au chapitre II-1, parties B1 à B4, auquel on se reportera. L'avarie considérée est du type collision ou échouement avec envahissement consécutif. Les distributions de probabilités modélisées à partir des statistiques d'accident, ne sont rapportées qu'aux seules collisions entre navires. Le cas de la collision avec un obstacle comme un iceberg ou un ouvrage portuaire n'est pas considéré stricto sensu dans la mesure où les distributions de probabilités (et donc les formules réglementaires) ne font référence qu'aux statistiques de collisions entre navires. Le risque « échouement » est encore traité de façon déterministe dans Solas 2009 par l'imposition d'un cloisonnement spécifique (double-fond et cloison d'abordage).

    Dans l'étude probabiliste de la stabilité après avarie et du compartimentage des navires, on part d'un projet de navire dessiné librement. On ne privilégie aucun principe de compartimentage : transversal, longitudinal ou horizontal. Du fait de la grande liberté laissée au concepteur, il faut parler plutôt de zones que de compartiments (la nuance est subtile, le lecteur se reportera aux règles).

    Pour chaque compartiment (zone) ou groupe de compartiments (zones), on calcule le facteur suivant :
    ai=pi.si ( i, indice du compartiment considéré ou du groupe de compartiments considéré).
    "ai" représente le «niveau de sécurité» du compartiment (zone) considéré (ou du groupe de compartiments ou zones considéré)
    "pi" représente la probabilité d'envahissement du compartiment considéré (ou du groupe de compartiments ou zones considéré).
    "si" représente la probabilité de survie après envahissement.

    En effectuant la sommation de tous les calculs de niveau de sécurité individuels, on obtient ainsi une valeur A appelée «indice de compartimentage atteint» :

    La méthode probabiliste fixe par ailleurs un indice R appelé « indice de compartimentage requis » et l'on doit avoir : AR

    Le projet de navire est conforme aux règles si cette inégalité est respectée.

    Il n'y a pas d'exigence pour chaque avarie prise séparément, comme dans la méthode déterministe, seul le résultat final compte pour l'évaluation du niveau de sécurité : l'indice de compartimentage atteint A doit être supérieur ou égal à l'indice de compartimentage requis R, point à la ligne.

           On se reportera à l'annexe §8 pour plus de détails sur le principe de l'étude probabiliste de la stabilité après avarie et du compartimentage, ainsi qu'aux références bibliographiques au §9.
  5. L'indice de compartimentage requis R

  6. On a vu que la conformité aux règles probabilistes de Solas 2009 d'un projet de navire est acquise dès lors que l'on a : AR

    L'indice de compartimentage requis R place donc la barre à un certain niveau en termes de sécurité globale. Cet indice est très politique. Sa valeur est un compromis, laborieusement obtenu à l'OMI. Il est symbolique de l'antagonisme «sécurité/efficacité commerciale» de tout projet de navire : un navire très sûr au point de vue de la stabilité après avarie est un navire très cloisonné mais de ce fait un navire difficilement exploitable…Cet antagonisme est au cœur de la problématique soulevée par cet article et nous allons l'étudier plus en détail.

    L'indice de compartimentage requis est défini dans la règle Solas II-1 / 06 (l'indice de compartimentage obtenu A est lui défini dans la règle Solas II-1 / 07). La formule de calcul réglementaire de R est très simple (contrairement aux formules conduisant à l'indice atteint A).
Navires de charge secs (de longueur supérieure à 100 m) :
Ls étant la longueur de compartimentage (elle vaut à peu près la longueur hors tout).
Une formule d'interpolation existe pour les navires de longueur entre 80 et 100 m.
La formule fait apparaître une seule variable, la longueur Ls.


(en ordonnée l'indice requis R, en abscisse le paramètre Ls)
Navires à passagers (quelle que soit leur longueur) :
N=N1+2.N2 avec
N1 = nombre de personnes évacuées en embarcations
N2 = nombre de personnes (passagers, officiers et équipage) que le navire est autorisé à transporter en plus de N1
On a une formule du type :
    La formule comprend deux variables : la longueur Ls et le nombre N, lequel est une fonction du nombre de personnes à bord et du type de drome de sauvetage.

  1. Analyse de l'indice de compartimentage requis R pour les navires à passagers

On voit immédiatement dans la formule    quel a été l'état d'esprit du législateur.
    Deux paramètres sont présents : la longueur du navire Ls et le nombre de personnes à bord pondéré en fonction de la drome de sauvetage N=N1+2.N2.

    1. Paramètre longueur du navire

    2. La formulation est telle que l'influence de ce paramètre est très faible, comme le montre la petite analyse suivante.
On a :   
    Des calculs élémentaires conduisent aux résultats suivants en prenant pour exemple un navire à passagers de type «cruise vessel» avec N = 4000 et Ls = 200 m et en considérant 20% de variation relative des paramètres Ls (soit donc dLs = 40 m) et N (soit donc dN = 800) :




    soit pour une même variation relative des paramètres, une sensibilité 50 fois plus grande pour le terme en N !

    Exemple : Illustration graphique de la sensibilité quasi nulle de la formule Solas à la longueur du navire
    Navire de type «ropax» (ferry), certifié pour 2000 personnes à bord avec 30% en embarcations
    N1 = 600
    N2 = 1400
    N = 3400
    N est pris comme une constante dans la formule donnant R ; on ne fait varier que la longueur Ls du navire ; le résultat est clair :


    (indice requis R en ordonnée, longueur Ls en abscisse)

    Le législateur a certainement voulu garder ce paramètre «historique», mais l'influence est très faible sur le résultat R et sa justification est donc difficile. En effet, pourquoi le risque pour les passagers dépendrait-il de la longueur du navire ? Compte tenu de ce qui précède, on peut conclure à l'inutilité du paramètre Ls dans la formule de R qui aurait pu être simplifiée de ce point de vue. L'OMI envisage de réfléchir (2014) à la suppression de ce paramètre dans la formulation de R.

  1. Paramètre «nombre de personnes à bord»

  2. Le paramètre N issu de la formule N=N1+2.N2 est prépondérant dans la formule donnant R.


    (indice requis R en ordonnée, longueur Ls en abscisse)

    Le législateur a clairement voulu que l'exigence de sécurité augmente avec le nombre de personnes à bord. Le législateur a par ailleurs introduit une distinction entre les personnes qui seraient, en cas d'abandon du navire, évacuées en embarcations et celles qui seraient évacuées sur d'autres moyens comme les radeaux mis à l'eau par bossoirs, les radeaux « jetés », les toboggans et les chutes verticales (MES = marine evacuation system).

    De fait, le législateur a clairement privilégié les embarcations, par rapport aux autres moyens en pondérant fortement le nombre de personnes qui serait évacué autrement qu'en embarcation. Les moyens autres que les embarcations ont été considérés comme plus risqués pour les personnes et le « poids » en terme mathématique des personnes de cette catégorie dans l'abandon a été renforcé pour tenir compte de ce risque plus grand (plus le dénominateur dans la formule est grand, plus la fraction est petite et donc plus R est grand). On augmente ainsi l'exigence générale de sécurité face au risque envahissement.

    Exemple :

    On considère 2 navires à passagers certifiés tous deux pour 2000 personnes à bord, mais de type différent ; l'un est un « ropax » (ferry) et l'autre un « cruise vessel » (navire de croisière).
    1. navire de type ferry («ropax») =
    2. certifié pour 2000 personnes à bord
      • avec 30% de personnes en embarcations (soit 600 personnes, avec 2 x 2 embarcations de 150 places)
      • le reste en radeaux avec système MES (marine evacuation system) par chutes verticales (Ls pris égal à 0, compte tenu du § 41)
      • ➪ N1 = 600, N2 = 1400
        R = 0,78925
    3. navire de type croisière (« cruise vessel ») =
    4. certifié pour 2000 personnes à bord
      • avec 75% de personnes en embarcations (soit 1500 personnes, avec 2 x 5 embarcations de 150 places)
      • le reste en radeaux sous bossoirs
      • (Ls pris égal à 0, compte tenu du § 41)
        ➪ N1 = 1500, N2 = 500
        R = 0,76717

    Le navire sur lequel l'évacuation se fait principalement au travers de radeaux doit avoir un indice de compartimentage R requis plus grand qu'un navire sur lequel l'essentiel de l'évacuation des personnes présentes à bord se fait par embarcations.

    Le législateur a introduit une hiérarchisation de la qualité supposée des moyens d'évacuation. Les embarcations sont considérées meilleures dans un scénario d'abandon, que les radeaux pneumatiques sous bossoirs (eux-mêmes supérieurs aux radeaux pneumatiques « jetés »). Les moyens modernes d'évacuation et d'abandon (MES ou « marine evacuation system ») comme les toboggans et les chutes verticales (les deux systèmes débouchant sur des radeaux plateformes) n'ont pas été considérés plus sûrs que les embarcations.

    Le gigantisme de certains grands navires à passagers induit des évolutions majeures comme l'augmentation de la taille des embarcations et l'usage de systèmes de type MES dont toute l'évaluation au sens de la problématique de cet article n'a pas été entièrement faite.

    Cet article n'a pas pour but de se prononcer sur la valeur relative des différents moyens d'évacuation et d'abandon. Par contre, ce qui précède montre combien la formule si simple donnant R, induit de sens caché dans la réalité. Le niveau de survivabilité d'un navire, sa résistance à l'envahissement, est fonction au travers de cette formulation de l'indice de compartimentage requis R de la technologie d'évacuation et d'abandon.

    Rappel sur SOLAS III , règle 21 :
    1. Navires à passagers voyage international (essentiellement les navires de type cruise vessel) = au moins 100 % des personnes à bord en embarcations ; l'Administration peut accepter des radeaux pneumatiques ou équivalents mais sans que la proportion des personnes évacuées en embarcations ne tombe en dessous de 37,5% sur chaque bord ; avec en plus, 25% de capacité supplémentaire en radeaux pneumatiques.
    2. Navires à passagers voyage international court (essentiellement les ropax/ferries) = au moins 30% des personnes à bord en embarcations ; le reste des personnes à bord (différence entre le nombre en embarcations et le total des personnes à bord) doit être évacué en radeaux pneumatiques ; avec en plus 25% de capacité supplémentaire en radeaux pneumatiques.
      Pour les points 1) et 2) ci-dessus l'ensemble de la drome de sauvetage doit pouvoir être mis en œuvre en moins de 30 minutes à partir du signal d'abandon (personnes déjà rassemblées avec leurs brassières).

    Remarque générale : La question du bien fondé de la volonté de l'OMI de faire varier l'exigence du niveau de sécurité requis en fonction du nombre de personnes à bord, bien qu'en première approche «normale», se pose toutefois. Pourquoi un navire avec 2500 personnes à bord devrait-il être plus sûr qu'un navire avec 500 personnes à bord ? Le prix de la vie humaine varie-t-il en fonction de la capacité d'emport ?

  1. L'indice de compartimentage requis R de Solas 2009, pour les navires à passagers, est-il au bon niveau ?
    1. Construction de la formulation de R

    2. La formule de l'indice de compartimentage requis R a été construite sur la base de calculs tests sur des navires «considérés comme sûrs par la communauté maritime» et/ou répondant aux règles les plus récentes au moment de l'étude (fin des années 90 début des années 2000).

      Pour les navires de charge («secs»), l'élaboration de la formulation de R dans Solas 2009 s'est faite en s'appuyant sur des navires étudiés selon les règles probabilistes de Solas 1992 qui avaient été elles-mêmes bâties sur des fondements peu exigeants (en gros des navires à un compartiment envahissable, avec avarie entre deux cloisons étanches transversales).

      Pour les navires à passagers, la Résolution A 265 de l'OMI de 1973 a introduit le concept probabiliste d'analyse de la stabilité après avarie et du compartimentage, à titre alternatif au texte déterministe de l'époque, Solas 1960. La possibilité d'utiliser le concept probabiliste a été peu utilisée à l'époque en raison des nombreux calculs à effectuer et de l'absence de programmes informatiques dédiés. L'indice de compartimentage R de la Résolution A 265 avait également été construit par calcul test sur quelques navires considérés comme «sûrs» à l'époque.

      L'indice R de Solas 2009 a été formulé avec des calculs tests plus nombreux et de différents types puisque Solas 2009 couvre les navires à passagers et les navires de charge secs. Le programme de recherche HARDER financé par l'Europe qui s'est déroulé en parallèle avec les travaux de l'OMI pour la mise au point de Solas 2009 (fin des années 90 et début des années 2000) a permis de rationnaliser l'approche.

      Lors des études et des discussions à l'OMI pour la détermination de l'indice de compartimentage requis R de Solas 2009, au début des années 2000, le Comité de Sécurité Maritime (MSC) n'a pas souhaité que le niveau de sécurité soit relevé. Il n'est donc pas juste de dire comme on l'entend souvent que Solas 2009 est un progrès en termes de sécurité. Le but des discussions et études n'était que de produire un système harmonisé équivalent aux règles en cours, pour les navires à passagers et les navires de charge secs, basé sur les principes probabilistes d'étude de la stabilité après avarie et du compartimentage. Ces principes étaient considérés par ailleurs comme meilleurs pour diverses raisons. Les principes déterministes étaient devenus caricaturalement inadaptés pour les grands navires à passagers. Cette évolution probabiliste a permis de quitter le monde déterministe sans avouer franchement qu'il était devenu obsolète.

    3. R dans la Résolution A 265 de 1973 :
La formule de R de la Résolution A 265 était :    
      Les notations sont les mêmes que pour la formule Solas 2009. L'illustration qui suit fait apparaître les courbes R formulées selon Solas 2009 et selon la Résolution A 265, pour un cas «cruise vessel», en fonction du paramètre N=N1+2.N2 (navire de longueur 250 m, 90% des personnes évacuées en embarcations). On constate que l'indice requis de l'époque était plus sévère (sauf pour les petits navires, en termes de nombre de personnes à bord).


      (indice requis R en ordonnée, paramètre N en abscisse)

      On pourrait chercher une explication à cette différence dans la manière de calculer l'indice atteint A. La méthodologie était un peu différente à l'époque de la vieille Résolution A 265 et il pourrait sembler difficile de comparer l'indice requis R. Toutefois, la signification profonde de l'indice requis R est de fixer une limite inférieure à la probabilité de survie du navire aux envahissements considérés dans l'étude probabiliste. L'indice atteint A très proche par nature de R (A est très légèrement supérieur à R, c'est tout l'art des architectes navals) est cette probabilité de survie. La signification de l'indice requis R est donc indépendante du mode de calcul de l'indice atteint A. On peut dès lors s'interroger sur cette baisse du niveau requis pour les navires à passagers entre 1973 et 2009.

    1. L'indice de compartimentage requis des navires à passagers comparé à celui des navires de charge secs : une surprenante et politiquement incorrecte analyse ?

    2. Intéressons nous maintenant à la problématique suivante : quelles sont les conditions d'égalité entre les indices requis d'un navire à passagers et d'un navire de charge ?

      On doit résoudre l'équation :

      En négligeant la longueur du navire à passagers (confer §41), on a :

      Soit :



      C'est une relation directe entre la longueur du navire de charge et le nombre N (qui reflète le nombre de personnes à bord sur le navire à passagers) induisant l'égalité des indices requis.

      Application numérique :
      navire à passagers de type «cruise vessel» avec un certificat pour 400 personnes à bord
      avec 90% en embarcations => N1=360, N2=40 => N=440
on a donc :    
      => Ls cargo approx. = 266 m ! (correspondant à l'index requis commun R approx. = 0,69375)

      Ce résultat est politiquement incorrect. Un navire à passagers avec 400 personnes à bord (90% évacuables en embarcations) a le même indice requis R qu'un navire de charge sec de 266 m de long (genre porte-conteneurs). La valeur de la vie des marins professionnels navigants sur ce navire de charge sec ou celle des passagers embarqués sur ce navire de croisière devant a priori être la même, il est donc surprenant que l'on arrive à un tel résultat. Si on fait l'hypothèse que l'indice requis R du navire de charge ci-dessus (L = 266 m) est «bon», ce qui n'est pas acquis - confer ci-dessous - alors il est clair que l'indice requis pour le navire à passagers est beaucoup trop faible.

      Remarque importante :

      L'indice de compartimentage requis R des navires de charge secs de Solas 2009 est peu exigeant, car cet indice a été construit sur la base de navires/calculs tests correspondant au faible standard Solas 92. En effet ce standard est en gros basé sur l'équivalent déterministe de «un seul compartiment envahissable» (avec impact entre deux cloisons étanches). Seul le niveau de sécurité des navires ro-ro de type car-carrier et celui des petits vraquiers à une seule cale a légèrement progressé avec Solas 2009.
      L'analyse comparative précédente en devient encore plus dérangeante.

    1. Le doute introduit par les programmes de recherche Goalds (2009/2012) et Emsa 2 (2010/2011)

    2. Les études et les analyses de risque effectuées dans ces programmes sophistiqués montrent que R est trop faible pour les navires à passagers.

      Les arguments présentés font appel à toutes les ressources de l'architecture navale et de l'analyse de risque, et s'appuient sur la démarche «Formal Safety Assessment» (F.S.A) de l'OMI Certains contestent le bien fondé de quelques parties de ces études. Leur démarche s'apparente plus à une attitude classique de résistance dans un cadre conservateur lié à l'antagonisme « exploitation / sécurité » des navires.

      On ne peut résumer ici ces études passionnantes. Leur lecture est bien sûr vivement encouragée ; les références sont données au § 9 (disponibles sur internet).

      Ces programmes de recherche n'avaient pas pour objet de s'intéresser au niveau de sécurité et à la formulation de R pour les navires de charge. On vient d'indiquer en remarque générale dans le paragraphe précédent que pourtant on est certainement à un niveau faible pour les navires de charge. Mais pour eux et leurs équipages, point de pression médiatique…

  1. Science et Politique

  2. Sous le titre volontairement accrocheur et racoleur de cet article, se cache l'observation ancienne et simple de l'antagonisme «sécurité et exploitation» des navires. C'est une donnée permanente de l'étude du compartimentage et de la stabilité après avarie des navires. Augmenter la sécurité dans ce domaine a des conséquences énormes en termes d'exploitation des navires et bien sûr de coûts (en «capital costs» principalement, mais également en «running costs»).

    «Science» est un terme un peu imprécis dans le cadre de cet article : les grands programmes de recherche financés par l'Union Européenne ces dernières années, EMSA et GOALDS, ne sont pas toujours des programmes scientifiques au sens strict du terme. Ce sont souvent des acteurs engagés dans l'industrie maritime qui sont partenaires de ces programmes et leur indépendance intellectuelle n'est pas toujours celle d'un véritable scientifique. Toutefois, le sérieux de ces programmes est évident.

    Ce que disent les programmes EMSA et GOALDS (confer § 44) est grave : le niveau de sécurité du transport maritime de passagers est en gros d'un ordre de grandeur inférieur aux autres standards du transport de passagers (terrestres et aériens).

    Au Sous-comité de l'OMI qui s'occupe de ces question (Ship Design & Construction ou SDC), la bataille est rude pour faire progresser les choses. C'est là et au-dessus, au Comité de la Sécurité Maritime (MSC), que se situe l'étage «Politique». Et c'est à cet étage que s'exercent les résistances des armateurs, des chantiers navals constructeurs, des sociétés de classification et des administrations frileuses. C'est aussi à cet étage, que peut s'exercer a contrario un soutien aux conclusions de la Science. Ainsi seuls l'Union Européenne, les États-Unis et quelques rares autres pays sont montés au créneau lors du Sous-comité SDC 1 de l'OMI (janvier 2014).

    L'OMI a été poussée dans ses retranchements et a admis dès 2013 qu'il fallait faire quelque chose. L'augmentation de l'indice requis R est un des axes principaux. Un plan en deux phases est en cours de discussion : une augmentation modeste immédiate et une «plus tard» (cela veut dire des années, bien entendu).

    Une proposition a été faite récemment. Puisqu'il est dur d'avancer entre ce que dit la «Science» et ce que dit la «Politique» séparons les variables : introduisons dans la Science «dure» et sa formule de l'indice de compartimentage requis R, un paramètre politique qui serait bien visible.
On part de la formule de base donnant l'index requis :    
Et on introduit un facteur «c» (0≤c≤1) devant la fraction :  
    C = 0 => R = 1 exigence maximale de niveau de sécurité (navire « incoulable »)
    C = 1 => R = formule actuelle de Solas 2009 => niveau de sécurité requis actuel

    Ce facteur « c » opère comme un paramètre de réduction de risque. Son influence sur R dépend de la valeur de R au départ. L'analyse des options de contrôle du risque («risk control options» ou RCO des études de type «formal safety assessment» ou FSA de l'OMI) qui sont disponibles pour faire baisser la valeur de «c» sort du cadre de cet article. On évoquera simplement l'augmentation de la largeur du navire, l'augmentation de son franc-bord, l'amélioration de l'étanchéité du pont de cloisonnement, l'amélioration du compartimentage, la maîtrise des envahissements progressifs, etc.
    On observe facilement qu'il est plus facile de faire monter R quand on part d'un indice faible.

    Il est ainsi possible lors des discussions au niveau «Politique» de jouer avec «c» sans toucher a priori aux autres paramètres sensés, eux, être scientifiques (corrélation notamment avec le meilleur standard déterministe, Solas 90). Ce genre de formulation permettrait aussi de ne pas se perdre dans des discussions techniques infinies.

    Exemples :
    1. «ropax» (ferry) avec N = 3000
    2. Ls pris = 0 pour les raisons évoquées au § 41 R = 0,77998 C = 0,5 => R = 0,88999 50% de réduction du risque donne une augmentation de l'index requis R de 11%.
    3. «cruise vessel» avec N = 440
    4. Ls pris = 0 pour les raisons évoquées au § 41 R approx = 0,69372 C = 0,5 => R = 0,84686 50% de réduction de risque donne une augmentation de l'index requis R de 22%.
  1. Conclusion
  2. L'antagonisme ancien «exploitation / sécurité» du navire, quel qu'en soit son type, est particulièrement évident lorsqu'il s'agit de stabilité après avarie et de compartimentage.

    La «Science», en l'occurrence les grands programmes européens EMSA et GOALDS, dit qu'il faut augmenter le niveau de sécurité des navires à passagers face au risque envahissement et stabilité après avarie. Ce risque, dans l'état actuel de la réglementation, est à un niveau que les auteurs de ces études sophistiquées qualifient à mots à peine couverts d'inacceptable.

    Pour cela, il faut monter l'indice de compartimentage requis R et ainsi obliger la progression de l'indice de compartimentage atteint A, puisque la conformité d'un projet de navire implique que A>R. Cette méthode de progression du niveau général de sécurité est intrinsèque au principe probabiliste d'étude de la stabilité après avarie et du compartimentage (il n'y a qu'un seul paramètre à faire bouger pour progresser !).

    Les résistances sont fortes au niveau «Politique» (dans ce qu'il est convenu d'appeler la «communauté maritime») pour faire progresser le niveau de sécurité des navires à passagers. Heureusement la face «Politique» des choses n'est pas faite que de résistances : l'Union Européenne et quelques pays poussent au progrès de la sécurité. Mais c'est à l'OMI que tout se décide, alors consensus et patience obligent…

    Si on arrive à relever à terme le niveau de sécurité des navires à passagers, ce serait dans un premier temps pour les navires neufs. Les navires existants continueront de naviguer (durée de vie moyenne 30 ans pour les navires à passagers et ropax/ferries). Le progrès global de la sécurité sera donc renvoyé à des dizaines d'années. Sauf si l'on prend des mesures rétroactives.

    Cela a été fait lors de l'adoption des règles déterministes de Solas 90 (après le drame de l'Herald of Free Enterprise) et avec l'accord de Stockholm (suite au terrifiant naufrage de l'Estonia). Dans ce dernier cas, les pays du nord de l'Europe ont même obligé l'OMI à accepter un «accord régional» !

  3. Annexe : étude probabiliste de la stabilité après avarie et du compartimentage des navires

  4. On a fait au paragraphe §2 une introduction générale au principe de l'étude probabiliste de la stabilité après avarie et du compartimentage. Nous poursuivons la présentation dans cette annexe.

    1. Les probabilités d'envahissement "pi" :

      1. généralités :

      2. La formulation de «p» est basée sur des statistiques d'avarie (à partir desquelles des distributions de probabilités sont élaborées, lesquelles permettent ensuite le calcul des probabilités et la construction des formules réglementaires).

        Il existe une longueur maximale absolue d'avarie (de zone d'avarie ou de groupe de zones d'avarie), dont la définition est toutefois spécifique à Solas 2009. Elle ne doit pas être rapprochée de celle des règles déterministes, dans lesquelles la longueur maximale absolue d'avarie théorique est beaucoup plus petite, en raison de la différence de principe d'étude.

        On procède d'abord à l'analyse générale du compartimentage du navire à l'aide d'un schéma du type de celui présenté ci-dessous. On découpe le navire en zones, lesquelles correspondent en gros au compartimentage étanche du navire (mais pas forcément). On vérifie ainsi le regroupement de zones et la condition sur la longueur maximale d'une zone (règle Solas II-1 / 7) : la probabilité d'envahissement est égale à 0 si la longueur d'une zone centrale dans un regroupement dépasse 60 m (on note qu'il n'est pas interdit d'avoir un compartiment de longueur supérieure à 60 m, mais dans ce cas l'indice atteint A ne progressera pas, puisque sa contribution vaut 0).



      3. groupe de compartiments :

      4. Lorsqu'un groupe de compartiments (zones) est considéré, le principe de calcul découle des formules suivantes (notations Solas 2009), pour 2 compartiments (ou zones) ou 3 compartiments (ou zones) ; on notera qu'il s'agit d'applications de la théorie des probabilités en univers fini :

   et
   (schéma ci-dessous)


      1. prise en compte du cloisonnement longitudinal :

      2. Un facteur de probabilité «r» est introduit dans la formulation de la probabilité «p» pour tenir compte d'un cloisonnement longitudinal éventuel (ou de cloisons longitudinales successives transversalement) : «r» est la probabilité de ne pas endommager la cloison longitudinale considérée («r» est donc compris entre 0 et 1). La valeur de «r» est donnée par une formule dans les règles (issues des distributions élaborées sur des bases statistiques, et est fonction de la position le long du navire et de la profondeur de pénétration transversale «b». Le facteur «r» (appelé dans les règles «facteur de réduction») pondère la probabilité d'envahissement de la zone considérée par multiplication :




        De fait, les choses se compliquent très vite dès que le cloisonnement longitudinal est dense. En indiçant les cloisons longitudinales considérées, de k=0 (bordé) à k=K (axe du navire, b=B/2), la formule générale est en fait la suivante (pour une zone) :


        Pour plusieurs zones, on utilise le facteur de probabilité «p» correspondant à la longueur combinée de ces zones et les facteurs de réduction «r» afférents en partant du bordé et en allant vers l'axe.

        La probabilité d'envahissement d'un compartiment interne qui implique la destruction de plusieurs cloisons longitudinales est forcément faible, alors que l'envahissement lui-même est de facto très important (les deux notions sont différentes et ne doivent pas être confondues).


    1. Probabilité de survie : si

      1. généralités :

      2. si représente la probabilité de survie après envahissement du compartiment considéré (ou du groupe de compartiment considéré). La survie considérée est la résistance à l'enfoncement et/ou au chavirage. Ce facteur nécessite le calcul complet de la courbe de stabilité résiduelle (bras de levier de redressement GZ), de la flottaison d'avarie, des conditions d'envahissement du navire, etc.


        La probabilité de survie au stade final d'envahissement se calcule par la formule suivante (pour tous les navires) :
        (on ne doit pas prendre GZ et range supérieurs à 0,12 et 16 dans la formule de calcul)
        ➪ K=1 si l'angle d'équilibre après avarie θe est inférieur à 7° pour navires à passagers et 25° pour les autres navires
        ➪ K= 0 si l'angle d'équilibre après avarie θe est supérieur à 15° pour navires à passagers et 30° pour les autres navires
➪ interpolation entre les deux selon :     (navires pax) et    (autres)
      1. calculs supplémentaires pour les navires à passagers :

      2. Pour les navires à passagers on doit, de plus, calculer les facteurs de probabilité de survie aux stades intermédiaires d'envahissement et si l'équilibrage par les dispositifs ad hoc (lorsqu'ils existent) n'est pas réalisé en 60 secondes (ce temps doit être calculé et validé/approuvé selon la Résolution MSC 245 en cours d'amendement) :

        Si l'angle d'inclinaison atteint est > 15° => sintermédiaire = 0

        Par ailleurs un facteur smom propre aux navires à passagers, est calculé en évaluant les moments inclinant spécifiques suivants : usage des bossoirs de mise à l'eau de la drome de sauvetage sur un seul bord, tassement des passagers sur un seul bord et effet du vent traversier.
    avec Mheel = maximum des 3 moments ci-dessus.
Pour tous les cas examinés :    
      1. navires de charge :
Dans le cas des navires de charge, on prendra       avec smom=1
      1. dispositifs d'équilibrage :

      2. Des dispositifs d'équilibrage (inondation volontaire d'un espace non touché par l'avarie) peuvent être installés afin de diminuer l'angle de gîte d'équilibre atteint après l'envahissement. Le temps nécessaire à l'équilibrage ne doit pas être supérieur à 10 min. Les calculs sont à présenter selon les directives de la MSC 245/83 (en cours d'amendement).

      3. limites d'enfoncement :

      4. Solas 2009 donne une forme très particulière à la «limite» de l'enfoncement du navire en avarie (flottaison finale), qui n'est plus une limite absolue comme dans les règles déterministes (la «ligne de surimmersion» ou «margin line»).

        Pour un certains nombre de cas, le facteur de survie passe à zéro si = 0, et donc rend nulle la contribution du compartiment ou groupe de compartiments considéré. L'indice de compartimentage atteint A ne progresse pas. On notera que Solas 2009 n'interdit pas les immersions de certains points (comme c'est le cas dans les règles déterministes), mais stipule seulement que dans certain cas le facteur de survie si passe à 0.

        Ces cas sont :
        ➪ immersions d'ouvertures (y compris gaines de ventilation, tuyauteries majeures, etc.) non étanches à l'eau qui pourraient conduire à un envahissement progressif au stade final (flottaison finale).
        ➪ pour les navires à passagers, on ne doit pas noyer les routes d'évacuation situées ou passant sur le pont de cloisonnement au stade final d'envahissement.
        ➪ en phases intermédiaires (ce qui implique donc que celles-ci soient calculées) et au stade final d'envahissement : toute possibilité d'envahissement progressif, toute immersion des postes de commande des portes étanches, noyage d'un panneau d'échappée verticale situé au pont de cloisonnement.

      5. prise en compte du cloisonnement horizontal :

      6. Un facteur de réduction «v» pondère le facteur de survie "si" par multiplication ( v.si ) pour la présence de cloisonnement horizontal au dessus de la flottaison. Il fonctionne un peu comme le facteur «r» appliqué dans le calcul de "pi". Le facteur «v» représente la probabilité selon laquelle ce cloisonnement horizontal (pont essentiellement) ne sera pas touché (il est donc compris entre 0 et 1).



        Dans le cas du cloisonnement horizontal, c'est la probabilité de survie traduite par le facteur «s» qui va être multiplié par un facteur «v» (0<v<1), comme le facteur «p» est lui-même multiplié par un facteur «r» en cas de cloisonnement transversal. Le facteur «v» est défini comme étant la probabilité que l'avarie ne va pas excéder une certaine hauteur au dessus de la flottaison, et donc qu'un cloisonnement horizontal situé à cette hauteur ne sera pas touché : v= Prob(h < H).



        La contribution ai du compartiment considéré en terme de survie va être : ai = pi.si.vi

        L'étude des statistiques d'avarie va, une fois de plus, permettre de déterminer cette probabilité (à partir des distributions observées). L'avarie analysée doit être une collision entre deux navires.

        La distribution obtenue par l'étude des statistiques incluant les avaries sous la flottaison, est modélisée par une loi de Weibull : .
        Dans les règles, le facteur «v» se calcule à l'aide de formules simplifiées :
        Si [ H-d ] est <0 => v = 0
        Si [ H-d ] > 12,50 m => v= 1
        Entre les deux, on effectue une interpolation à 2 «étages» (confer règles).

        Lorsqu'on est en présence de plusieurs cloisonnements horizontaux, sur la fenêtre longitudinale considérée (compartiment/zone), le facteur v sera calculé par :

        Les indices m représentant chaque cloisonnement horizontal, comptés verticalement à partir de la flottaison considérée avec :
        • pour m=0 (cloisonnement au niveau de la flottaison) => v=0
        • pour un cloisonnement m pour lequel [H-d] est > ou égal à 12,50 m => v=1
        La contribution à l'indice atteint A sur l'étendue longitudinale considérée vaut :

    1. indice de compartimentage atteint A :


    2. L'indice de compartimentage atteint A représente un certain niveau de sécurité du navire et se calcule en faisant la sommation
      .
      En fait, une analyse un peu plus théorique montre que A est la probabilité de survie du navire face au risque envahissement selon les hypothèses de calcul adoptées dans le corpus d'analyse probabiliste de la stabilité après avarie et du compartimentage (confer bibliographie et références).

      1. simplification du calcul de A :
      2. Une évaluation complète du niveau de sécurité impliquerait de calculer A dans tous les cas de chargement imaginables pour un navire donné :

        avec n = nombre de cas de chargement étudié et wi = coefficient de pondération pour chaque cas de chargement (en fonction du temps passé dans cette situation de chargement, par exemple).
        Dans Solas 2009, on se limite à 3 cas de chargement, les wi valant alors [0,4], [0,4] et [0,2] => les indices atteints partiels As, Ap et Al étant calculés pour des cas de chargement (tirants d'eau, stabilité initiale, etc) correspondant aux situations lège, chargement partiel et pleine charge («light service draught» dl ; «partial subdivision draught» dp ; «deepest subdivision draught» ds) tels que définis dans les règles.

      3. limites du ratio A/R :

      4. Solas 2009 introduit une limite inférieure pour chaque indice atteint partiel As, Ap et Al et l'on doit avoir dans chaque cas :
    pour les navires à passagers et     pour les navires de charge.
    1. Indice requis :

    2. Comme on l'a vu, le principe des règles probabilistes est que la conformité du projet de navire est acquise si l'on a A > R. La valeur de R est fixée par une formule très simple (contrairement à A).
      On se reportera aux paragraphes §3, §4, §5 et §6 pour sa présentation et son analyse.

    3. Autres points importants :

      1. perméabilités :

      2. Les perméabilités des compartiments à utiliser pour les calculs d'envahissement varient selon les espaces considérés. Elles varient également, pour les espaces à cargaison, selon les 3 tirants d'eau ci-dessus (à l'état intact), et avec le type de navire (rouliers notamment).

      3. sauvegarde déterministe :

      4. Des règles complémentaires de nature déterministes (!), les règles II-1 / 8 et 9, ont été établies. Ces règles sont là pour boucher les éventuels trous dans la raquette des prescriptions probabilistes.

        La règle II-1 / 8 stipule que le facteur de survie «s» ne doit pas être < 0,9 pour une avarie déterministe fixée par la règle appliquée sur toute la longueur (avarie de bordé) et ne doit pas être < 1 en cas d'avarie sur les compartiments avant (0,08 L, à partir de la perpendiculaire avant).

        La règle II-1 / 9 impose un double-fond de la cloison d'abordage à la cloison de coqueron arrière, en protection d'une avarie d'échouage (hauteur du double-fond = B/20, sans dépasser 2,000 m). S'il n'est pas possible de construire ce double-fond, des calculs doivent démontrer la capacité de survie du navire à une avarie de fond déterministe fixée par la règle : le facteur de survie « s » ne doit pas être < 1.

        L'hypothèse de l'échouement (avarie de fond) fait donc partie des conditions couvertes par le corpus réglementaire probabiliste de Solas 2009 contrairement à ce que l'on entend dire parfois. La règle 9, par contre, n'est pas probabiliste. De nouvelles recherches financées par l'Union Européenne pour, entre autres, englober éventuellement dans l'ensemble probabiliste le cas de l'échouement ont été réalisées entre 2010 et 2013 (programme GOALDS, confer le site internet en bibliographie). Les conclusions de ce programme de recherche ont été présentées en 2013 et 2014 à l'OMI.

        Curieusement la règle 8, déterministe, est souvent déterminante dans les projets de navire, notamment les «petits» navires à passagers, comme si l'ensemble réglementaire probabiliste était insuffisant, et cela jette un doute sur le corpus probabiliste dans la mesure où la définition de l'avarie déterministe est moins sévère qu'elle ne l'était dans Solas 90.

    4. Les calculs de Solas 2009 :

    5. Les calculs nécessaires pour obtenir l'indice atteint A sont complexes et très nombreux. Seule une application informatique spécialisée permet l'usage de la méthode probabiliste.

      La création du modèle géométrique du navire avec son architecture intérieure est délicate : zones ou compartimentage étanche à l'eau, mais aussi zones ou compartimentage de type A incendie, qui est désormais intégré dans Solas 2009, car susceptible de retarder la progression de l'envahissement et donc de créer des stades intermédiaires.

      Toutes les ouvertures ou possibilités d'envahissement progressif, pour la mise à zéro éventuelle du facteur de survie «s», doivent être déterminées. La définition exacte des ouvertures ou dispositifs pouvant conduire à un envahissement progressif est un point critique pour une obtention fiable de l'indice atteint A.

      Les temps de calcul proprement dit pour les projets les plus importants comme les navires à passagers et les grands navires rouliers à passagers peuvent se compter en heures. Le nombre de cas d'envahissement étudiés dépasse 10 000 pour les navires à passagers. Il est intéressant de noter qu'il est difficile de présenter ces résultats de façon synthétique, notamment au Capitaine, en dehors des simples données finales comme A > R et et As, Ap et Al. On peut dire que l'opacité est très grande…

    6. Remarque :

    7. Les recherches menées ces dernières années, tant sur modèles physiques qu'à l'aide de codes numériques sophistiqués modélisant le processus d'envahissement avec l'intégration de la variable temps (étude en «time domain») ont montré que les formules réglementaires les plus récentes de Solas 2009, donnant le facteur de survie «s» semblent être relativement cohérentes à l'intérieur du domaine de conditions suivantes :
      • brèche de collision survenant au bordé
      • jusqu'à une hauteur de vagues significatives de 4,00 m (99% des collisions surviennent avec une hauteur de vagues significatives inférieure à 4,00 m)
      • pour environ 30 minutes de survie ( ?, donnée très délicate à apprécier)

  1. Références

    • Solas 1974 édition consolidée 2012 (Solas 2009 navires à passagers et de charge « sec »)
    • Solas 1974 édition consolidée 2004 (Solas 1990 / navires passagers et Solas 1992 / navires de charge «sec»)
    • Résolutions MSC 194 (80) / MSC 216(82) (2006) + notes explicatives sur Solas 2009
    • Résolution MSC 245 (83) (évaluation des systèmes d'équilibrage)
    • Résolution A 265 (1973) + Notes explicatives (règles probabilistes alternatives à Solas 1960/1974 pour navires à passagers)
    • Résolution A 684 (1991) + Notes explicatives (règles probabilistes pour navires de charge « sec »)
    • Réglementation française : arrêté du 23 novembre 1987 tel qu'amendé, divisions 221 et 211.
      La réglementation française n'a pratiquement aucune spécificité pour la stabilité après avarie des navires effectuant des voyages internationaux; la division 221 reprend la Convention Solas à quelques détails près, et la division 211 applique les Directives européennes de l'Accord de Stockholm. Le cas des navires en navigation nationale est traité spécifiquement dans les autres divisions. Les textes sont sur le site ministériel : www.developpement-durable.gouv.fr
    • Etude EMSA 2, “Study of the specific damage stability parameters of Ro-Ro passenger vessels according to Solas 2009 including water on deck calculation” / project N° EMSA/OP/08/2009, date 23/11/2011 (disponible sur le site internet de l'EMSA www.emsa.europa.eu )
    • Programme de recherche Goalds (2009/2013) ; principaux rapports disponibles sur : www.goalds.org
    • F.X. Nettersheim, «Théorème des probabilités totales, formule de Bayes et étude de la stabilité après avarie des navires: voyage pédagogique au cœur des règles probabilistes Solas 2009», revue Navigation janvier 2013 (Institut français de Navigation) ou sur le site de l'Association Française des Capitaines de Navires www.afcan.org (onglet dossiers / réglementation)


François-Xavier Nettersheim
C1NM
Consultant


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