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Code IP : la réglementation internationale pour les navires
assurant la maintenance des parcs éoliens

Page du code ISM Nº 59


Les éoliennes marines, toutes plus écologiques les unes que les autres et de plus en plus grandes, vont nécessiter une maintenance importante : elles brassent ce redoutable air marin que nous connaissons bien et se trouvent là-bas au loin sur la mer en des lieux choisis, en l'occurrence les plus venteux possible, avec les paquets de mer et les embruns qui vont avec, au gré de nos longs hivers tempétueux.

La maintenance, malgré toutes les précautions prises dans les matériaux utilisés ou dans l'étanchéité des apparaux, sera un élément déterminant de la fiabilité du parc construit pour au moins 20 ans, c'est-à-dire 20 ans dans cet air salin auquel rien ne résiste.
Au moment où les parcs éoliens se décident ici et là tout autour du littoral national (avec un objectif incroyable pour la France de 40 GW en 2050), certains armateurs clairvoyants, ayant pratiqué l'offshore pétrolier, sentent l'arrivée imminente de ce besoin de maintenance.
Ils pourraient se dire qu'il faut investir tout de suite, mais dans quoi et pour quoi faire ? Pour transporter le personnel nécessaire vers les parcs, et d'une éolienne à l'autre, sur les plateformes collectrices de la production électrique ou encore sur celles qui utiliseront l'énergie produite sur place pour en produire une autre, tout aussi verte, mais plus transportable comme l'hydrogène. Nécessaire aussi en cas de création de fermes marines à l'intérieur de la zone et pourquoi pas, dans l'éventualité d'un tourisme d'un nouveau genre (1).

Les navires de service devront être adaptés aux parcs, selon qu'ils seront plus ou moins près de la côte avec, entre autres, des caractéristiques importantes comme la taille, le matériau utilisé (acier, composite, aluminium), le nombre maximum de personnes à transporter, les équipements de transfert des personnes et du matériel depuis le navire vers l'éolienne ou à la plateforme, la possibilité de couchage à bord pour améliorer la rentabilité de l'intervenant, les possibilités de restauration jusque 60 personnes, les capacités d'évacuation, la possibilité de polyvalence pour d'autres services comme la recherche et le sauvetage ou encore la lutte contre un incendie sur une éolienne ou une sous-station, etc.(2)

Au-delà de 12 passagers en plus de l'équipage de marins, sauf dans le cas de personnel spécial/scientifique, pour le moment, réglementation internationale, il faut un bateau construit selon les normes "navires à passagers".

On connaît, on construit des navires à passagers tous les jours. Sauf que pour le personnel industriel, il ne s'agit pas de passagers, ni même de personnel spécial comme peuvent être considérés les scientifiques sur les bateaux éponymes. Ici, le restaurant sera plutôt la cantine et les cabines, de grands dortoirs comme à l'armée, ou en pension, ou à l'offshore. Des patrons entreprenants assurent déjà des "visites" de parcs éoliens pour des passagers mais souvent avec des vedettes ne pouvant embarquer qu'un maximum de 12 personnes en plus de l'équipage. Ne rêvons pas, 12 passagers c'est insuffisant pour gagner sa vie.

Alors, navire à passagers ou pas ?

Un navire à passagers, coûte plus cher à construire, les exigences sécurité de la réglementation pour leurs opérations sont contraignantes et le seront de plus en plus. Mais c'est l'option de construire d'emblée un navire à passagers selon les normes internationales pourrait être apparemment une solution plus simple et surtout plus claire pour l'armateur.

Cette option plus chère pourrait paraître nécessaire mais elle est quand même biaisée, non pas du point de vue construction, stabilité et réserve de flottabilité, matériel de navigation ou de sécurité, mais par le fait que le personnel embarqué prévu pour la maintenance des éoliennes n'est pas « un passager qui paye son passage » et devra donc au minimum, comme à l'offshore, être formé et être capable d'aider de manière compétente un équipage à répondre à toute situation d'urgence, sauf à augmenter fortement l'effectif du navire.
 
La Marine marchande a toujours su s'adapter au business et donc, pourquoi ne pas définir des règles pour un nouveau type de navire car à raison de 5 ou 6 navires en permanence disponibles par parc éolien, ces CTV (crew transfer vessel) polyvalents de plus ou moins 500 tonneaux vont se multiplier dans les décennies à venir.
Joli casse-tête pour lequel l'OMI (qui ne fait, on le rappelle, que ce que les membres demandent) vient de finaliser un nouveau code pour ces navires particuliers, le code (ou recueil) IP pour « Industrial Personnel ». Tous ces navires (jauge supérieure à 500) semblent mériter aujourd'hui une introduction dans la convention SOLAS (nouveau chapitre XV en préparation) comme les codes ISM et ISPS déjà, ce qui a l'avantage d'être directement applicable, donc plus rapidement que pour une résolution ou pire, pour une circulaire, toutes les deux toujours plus optionnelles les unes que les autres.

Tout juste proposé au dernier comité de la sécurité maritime, le code IP a été approuvé et devient applicable le 1er juillet 2024.

Pour un armateur, pas question d'attendre cette date, construire un navire d'abord et une flotte ensuite prend un peu de temps, recruter et former un équipage également. Mais quel type de navire, de plus ou de moins de 500 tonneaux ?

Les Anglais et les Nordiques qui ont une certaine avance sur les champs éoliens, même ailleurs qu'en Ecosse, on déjà une première solution dans une nouvelle édition d'un « code of practice » que vous pouvez trouver facilement sur internet. Il s'agit du Workboat code qui s'applique à ces navires à condition de faire moins de 24 mètres et de transporter moins de 12 passagers ou personnel industriel et de volume inférieur à 150 tx. Ce code peut servir à certains petits champs éoliens en raison de la proximité du champ par rapport à la côte et du petit nombre d'éoliennes à entretenir (Saint Brieuc /Courseulles/Fécamp par exemple). Mais pour les grands parcs plus loin en mer (comme les "Centre Manche" 1 et 2), il faut pouvoir embarquer certainement plus de 12 personnels industriels et prévoir des lieux de repos à bord de préférence en conformité avec la convention MLC 2006 et donc de dépasser rapidement les limites de tonnage.

Nous voilà donc à l'aube du code IP.

Quid du code IP ? Finalement pas grand-chose de nouveau sauf que les armateurs auront enfin un référentiel digne de ce nom pour leurs navires de travail sans être obligés d'investir dans des navires de service offshore (SOV) plus imposants avec positionnement dynamique, piste d'hélicoptère et autres systèmes de transfert du personnel compensés et qui, au total, (construction et maintenance) coûtent beaucoup plus cher.

Lorsqu'un armateur fait construire un navire, même un navire de travail, il espère et c'est normal, pouvoir l'exploiter pendant 20 ans et même jusqu'à 30 ans avec l'aide de « la clause du grand-père ». Si les parcs sont prévus pour 20 ans, il y aura ensuite soit une déconstruction des éoliennes soit leur remplacement, Il y aurait donc une certaine concordance des calendriers. (3)

D'autre part, les questions de la sécurité de la navigation tout autour des parcs éoliens ont été longuement étudiées et cela n'empêche pas d'inclure les CTV dans la boucle d'intervention en cas de besoin comme la demande d'aide d'un navire en panne au bord du parc un soir de tempête à Noël ou une intervention médicale urgente. De plus, certains entrepreneurs envisagent même d'établir des fermes marines dans la zone des éoliennes. (4)

Du côté français une division 222 est consacrée à ces navires, tout comme dans le « workboat code », on y trouve tout ce qui se rapporte à ces nouveaux navires. Mais avec un oubli, sérieux semble-t-il, le management de la sécurité.

En effet : quid du code ISM dans tout cela ?

Aujourd'hui, toute entreprise maritime digne de ce nom travaillant à l'international, commence par bâtir un système de management de la sécurité qui sera le cadre dans lequel elle va inclure l'ensemble de ses techniques de direction, d'organisation et de gestion de la sécurité de son personnel et de ses navires y compris la prévention de la pollution provenant de ses activités(5).

Si le navire est d'un tonnage supérieur à 500, l'application, du code ISM est une obligation selon la convention internationale SOLAS. Pour les autres, chaque État du pavillon décide ou propose un peu ce qu'il veut, et beaucoup recommandent d'appliquer le code ou sa version allégée appelée Mini ISM, surtout lorsque les risques liés aux activités sont importants. Mais ce n'est qu'une recommandation.

Bizarrement, le code IP en préparation a, semble-t-il, complètement ignoré ce pilier de la sécurité maritime : cela serait assez étrange car ce n'est pas dans les habitudes de l'OMI et de ses groupes de travail d'oublier cet élément plus qu'important, qu'elle a elle-même créé.
En fait, il ne s'agit pas d'un oubli mais à l'OMI on ne se répète jamais afin d'éviter de se contredire. Donc ce qui a été décidé par ailleurs étant suffisant, on ne pratique pas la redite.

Pendant ce temps,

En ce qui concerne la construction des parcs éoliens, les conditions d'équipement et de management de la sécurité des candidats aux appels d'offre des travaux d'installation actuels comprennent l'obligation d'un système de management certifié conforme au code ISM. C'est logique car faute de référence et des conditions qui ressemblent à s'y méprendre à celles de l'Offshore pétrolier, ce sont celles-ci qui s'y appliquent.

Qu'on le veuille ou non, et même s'il y a encore quelques professionnels réticents, le management de la sécurité est aujourd'hui indispensable à toute entreprise maritime, et ce sont les assureurs qui en parlent le mieux. L'éolien offshore ne va pas y échapper.
 

Alors que faire ?

Aujourd'hui en attendant le code IP, en se référant au Workboat code, on y trouve in fine, « Il est recommandé à tous les navires opérant dans le cadre de ce code de mettre en œuvre un système de management de la sécurité (SMS) conforme aux principes du code ISM, mais proportionné à la taille et à la complexité des navires et des opérations de l'entreprise ».

De plus une annexe donne plus de détails sur les domaines qui devraient être traités par ce SMS proportionné, une sorte de mini-ISM finalement.

Il se confirme donc que le code ISM peut ainsi être adapté à la taille de l'entreprise et de ses navires.

NB : Sauf à appliquer le code ISM lui-même, voilà quelque chose qui aurait pu quand même être glissé dans le code IP sans provoquer une anomalie.

Tendance du marché

La conformité avec la réglementation est un minimum incontournable, peut-être, mais un minimum quand même.

On ne sera donc pas étonné que les appels d'offres des opérateurs/installateurs de champs éoliens et même le client final - celui qui achète l'électricité produite - demandent plus que le minimum.

Habitude de l'offshore certainement où la peur chronique de l'accident faisait allègrement monter les enchères sur les systèmes de management de la sécurité chapeauté par un système qualité (ISO 9001) ou dans le cas du pétrole par le TMSA. Ces systèmes "PLUS" étaient souvent inutiles car ils faisaient double emploi avec un SMS digne de ce nom et, irritaient les OIM (Offshore Installation Manager).
L'offshore c'est vrai, donnait l'impression de faire le bonheur de toutes ces sociétés de certification qui se succédaient à bord de l'unité, les unes après les autres.

Trop de management tue le management ! Mais l'offshore pétrolier était riche en ces temps-là. (6)



NB : Tout le monde est attiré par ces énergies renouvelables et la dépendance des Européens au gaz russe a tout accéléré. Les investissements en ce moment sont vertigineux, les parcs flottants même en eaux profondes loin des côtes avec des éoliennes gigantesques (15 MW) seront de plus en plus nombreux.

En résumé, il faudra quelques gros bateaux mais aussi de nombreux petits, pour des interventions rapides ou simplement de routine avec des navires rapides - ou pas -, tout au long de l'année, été comme hiver.

En conclusion

Armateurs ou futurs armateurs de CTV, si vous investissez dans des CTV à grande vitesse, ces quelques lignes ne vous concernent pas. En effet lorsque le code HSC 2000 s'applique, le code ISM aussi.
Mais si vous voulez des CTV plus petits et moins rapides donc moins chers et moins polluants en attendant l'application officielle du code IP, ajoutez systématiquement à votre préparation un mini-ISM pour le même prix et vous serez prêts à travailler tout de suite car au moment où l'appel d'offres sortira, le meilleur sera choisi, c'est-à-dire celui qui sera fin prêt tout en restant le moins cher.

Par contre, si vous prévoyez des visites de parcs (pas mal comme idée finalement !) ou de travailler sur des fermes marines entre les éoliennes, ne réfléchissez pas, construisez un navire hybride selon les normes navires à passagers et utilisez-le alors selon la demande. Qui peut le plus, peut le moins.

Et, in fine, on espère aussi que vous le mettrez sous pavillon français.
Cdt Bertrand APPERRY
Décembre 2022
Membre de l'AFCAN
Membre HYDROS, AFEXMAR, IIMS.
 1 On pense évidemment à l'hydrogène par électrolyse sur place à partir d'une matière à portée de main : l'eau de mer.
 2 Les systèmes de transfert de personnel font l'objet d'un référentiel différent qui prend en compte la complexité des unités offshore et surtout leur dimensionnement de plus en plus impressionnant. Des fermes marines (huîtres, moules, saumons, algues) pourraient aussi s'installer dans l'enceinte des parcs.
 3 Quand un chantier délivre un navire, ce navire est conforme à la réglementation à la date de la pose de la quille (aujourd'hui à la pose du premier bloc). Ensuite il bénéficiera de la clause du grand-père énoncée dans une résolution lors du MSC 66 en 1996, et pourra rester apte à la navigation toute sa vie. (NB : résolution MSC.1/Circ 765 annexe 26, toujours provisoire à ce jour).
 4 Les sorties de flotte de gros bateaux de pêche se concrétisent de plus en plus surtout en Méditerranée. L'industrie de la pêche ne peut plus croître, l'offshore recrute beaucoup moins dans ces industries autrefois très riches. Aujourd'hui, armateurs et marins peinent à gagner leur vie et les jeunes notamment sont de moins en moins attirés par le long-cours et les longues études d'ingénieur embarqué. Cette nouvelle industrie de transport de personnel industriel devrait les attirer.
 5 Certains armateurs ont senti le danger, et demandent déjà que la maintenance des parcs éoliens soit considérée comme de la navigation nationale et donc exemption d'ISM pour les "subsolas". Incroyable mais vrai.
 6 L'ISM est tellement le minimum que les transporteurs pétroliers (OCIMF) ont estimé que c'était insuffisant et ils ont, avec succès, exigé le TMSA (tanker management self assessment) basé sur l'auto-évaluation, encore appelé ISM+ avec les résultats que l'on connaît. Pas d'accident majeur de pétrolier depuis longtemps.

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