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Le code ISM, le code ISPS et le crash de l'Airbus A 320 Germanwings
Ou page du code ISM N°35 - page du code ISPS N°9
 

Préambule

Lorsque nous avons su que le commandant de bord n'avait pas pu rejoindre le cockpit de son Airbus après être allé aux toilettes, notre première réaction d'officier de la marine marchande, utilisant les procédures ISM depuis plus de 20 ans, a été de s'étonner : comment est-ce possible alors qu'une procédure d'accès en urgence doit exister ? Depuis le code ISM et le code ISPS (sûreté) une procédure d'accès à la passerelle existe sur nos navires, elle doit exister aussi sur les avions.

Exigences des codes ISM et ISPS

D'une part, le code ISM requiert «des procédures, plans et consignes y compris des listes de contrôles, pour les principales opérations du bord qui concernent la sécurité du personnel et du navire et la protection de l'environnement» (§ 7) et d'autre part, la «compagnie devrait identifier les situations d'urgence susceptibles de survenir à bord et établir les procédures à suivre pour y faire face».
De l'autre, le code ISPS, identifie la passerelle comme une zone d'accès restreint et détermine les mesures visant à empêcher l'accès non autorisé.
Enfin dans un code comme dans l'autre, les équipements correspondants aux mesures prises doivent être entretenus, testés régulièrement et les procédures essayées et notamment les procédures d'urgence au cours d'exercices et entraînements. Ces opérations sont contrôlées lors des audits internes et les dysfonctionnements comme l'amélioration des procédures sont corrigés dans un système d'actions correctives ou proactives.

Application pratique

Code ISM :
Une trentaine de situations d'urgence sont identifiées pour un navire «lambda» (dont une concernant la soudaine incapacité de l'officier de quart ou du capitaine en manœuvre), qui sont finalement assez facilement gérées. La première par une notification d'urgence du matelot de quart vers le capitaine ou un autre officier. La deuxième par son remplacement par le second capitaine. Les situations d'intrusion, de prise d'otage ou d'attaque de la passerelle sont traitées dans le Plan de sûreté du navire.

Code ISPS :
Le navire se protège d'une attaque en prenant les mesures de protection prévues dans le plan de sûreté :
  • Prévention contre une intrusion de pirates ou de terroristes à bord et notamment à la passerelle en assurant les mesures préconisées par le BMP 4 (best management practices) ou dorénavant, en embarquant des gardes armés.
  • Protection des zones à accès restreint par verrouillage des accès et notamment les serrures à digicode pour les secteurs clés : passerelle, machine, locaux équipage, autres locaux sensibles (locaux sécurité, ordinateurs ou air conditionné).
  • Une alerte de sûreté spécifique (SSAS ou panic-buttons) est dissimulée en cas de prise de contrôle de la passerelle ou du navire par des malfaisants.
  • Lorsque c'est possible, l'équipage se réfugie ensuite dans une citadelle avec porte blindée.
  • En cas de prise en otage d'un passager ou d'un membre d'équipage, il n'y a pas beaucoup de solutions sauf à stopper le navire et négocier en attendant que les forces armées, informées par le SSAS, interviennent.
En cas de carnage, d'explosion et de naufrage, un VDR, semblable à celui de l'aviation mais à flottabilité automatique celui-ci, permettra de reconstituer l'accident ou la prise de contrôle du navire. Il s'agissait bien de prendre des mesures de prévention en cas d'accident involontaire fortuit et/ou volontaire préparé par des intrus.

A ma connaissance aucun plan de sécurité ou de sûreté n'a, à ce jour, envisagé la prise de contrôle du navire par un membre d'équipage suicidaire. Je pense qu'il est bon que nous nous penchions sur ce problème même si les conditions ne sont pas du tout les mêmes que dans le cas d'un avion commercial on en conviendra.

Comme toute analyse de risque de sécurité ou de sûreté nous allons d'abord identifier les menaces, analyser leurs conséquences, en tirer un niveau de risque et les mesures de réduction de risques possibles pour rester à un niveau tolérable. Ces mesures de réduction de risque seront nécessaires ou souhaitables.

Identification des menaces

On élimine les manipulations volontaires des ballasts pour couler le navire ainsi que la manipulation éventuelle des ouvertures de coque car elles ne sont pas toutes dangereuses ni commandées à distance et trop difficiles à mettre en œuvre par des non-connaisseurs ! Il nous reste comme menaces :
  • Officier de quart effectuant des manœuvres (changement de route ou de vitesse) pour entrer en collision avec un autre navire.
  • Capitaine mettant volontairement le navire en danger en se dirigeant à vitesse excessive vers un haut-fond ou une roche peu immergée.
  • Membre d'équipage embarquant volontairement des explosifs à bord avec des idées suicidaires.
  • Membre d'équipage s'enfermant dans la passerelle pour conduire le navire vers un accident.

Méthode utilisée pour l'analyse du risque

Méthode SORAM/BS 8800 : le zéro risque n'existe pas et le facteur humain ajoute toujours au moins une unité dans le calcul de la probabilité Pour cette probabilité on tient compte de l'état physique de l'officier : bon 1, moyen 2, pauvre 3, et du côté organisationnel de la sélection ou de la capacité de l'officier de quart : bonne 1, moyenne 2 et mauvaise 3.

Gravité Mineure Moyenne Forte
Probabilité
Score 3 Pas de changement Mesures décidées par la compagnie Mesures recommandées
Score 4 Mesures décidées par la compagnie Mesures recommandées Mesures nécessaires
Score > 4 Mesures recommandées Mesures nécessaires Mesures nécessaires
Interprétation des résultats : le score total «probabilité» doit être à 3 pour être tolérable.

1 - Manœuvre de l'officier de quart afin d'entrer en collision avec un autre navire

Probabilité Score
Conditions physiques de l'accident 2
Organisation du recrutement 2
Facteur humain 1
Total 5
  Condition physique : difficulté d'assurer une collision fatale avec succès car l'autre navire devrait tenter de l'éviter. Score 2.
Organisation : difficulté de déceler un officier suicidaire. Organisation du suivi psychiatrique inexistant du point de vue professionnel dans les marines marchandes. Score 2.

Gravité : elle sera forte lorsqu'il s'agit de la sécurité du navire et de la pollution possible.

Résultat sur SORAM/BS 8800 :

Gravité Mineure Moyenne
Forte
Probabilité
Score > 4     Mesures nécessaires


Des mesures de réduction de risque sont donc nécessaires de par l'objectif de la compagnie de réduire autant que possible le nombre d'accidents (objectif de l'ISM). Quelles peuvent-elles être ?

Mesures de réduction de risques possibles : intervention sur l'état physique de l'officier qui est vérifié tous les ans par un médecin de la marine dans le cadre des conditions définies par la convention STCW. L'état psychologique n'est pas prévu pour le moment. En cas de révélation de tendances suicidaires par le marin lui-même ou après une analyse par le médecin (soupçon), une visite chez un psychiatre devrait être obligatoire et en cas de persistance de tendance suicidaire, le certificat d'aptitude suspendu. Le médecin de la compagnie en est informé. En cas d'application : score 1.
Côté organisationnel : un entretien fréquent avec le capitaine d'armement ou avec le capitaine du navire et les observations de ses collègues au cours d'un audit interne par exemple, devraient permettre de déceler des conditions individuelles ou familiales suspectes propices à un geste fatal.
Une mise en «disponibilité» devrait être appliquée et un suivi effectué par le médecin de la compagnie pour prendre des mesures complémentaires si nécessaire et surtout assurer le suivi. Score 1.
Ces mesures, mêmes provisoires, diminuent le score physique, le score organisationnel et donc le score total.

Il restera toujours le facteur humain applicable à tous sur le chemin de la décision, ce qui porte le score total à 3(1+1+1). Le risque devient tolérable.

2 - Capitaine dirigeant le navire et les personnes à bord à trop grande vitesse vers un obstacle
sous-marin dangereux risquant de faire couler ou chavirer le navire

Probabilité Score
Conditions physiques de l'accident 2
Organisation du recrutement 3
Facteur humain 1
Total 6
  Condition physique :
Un capitaine est en théorie mieux connu de la compagnie que les autres officiers mais reste toujours un homme qui peut cumuler des effets psychiques pouvant le conduire à un suicide avec son navire transporteur de passagers ou de matières dangereuses. Score 2.
Conditions organisationnelles :
Certains comportements erratiques des capitaines sont souvent plus «acceptés» car on y mélange le charisme et les compétences en manœuvre ou en management des hommes. La probabilité est augmentée d'autant. Score 3.

Facteur humain systématique : 1
Résultat :
Nous sommes dans le cas de figure précédent :
des mesures de réduction de risques sont nécessaires.
 
Gravité Mineure Moyenne
Forte
Probabilité
Score > 4     Mesures nécessaires
Mesures de réduction de risques :
Côté physique : le capitaine est un officier se conformant comme les autres à la visite médicale d'aptitude réglementaire. Il ne bénéficie pas plus que les autres de suivi particulier du point de vue psychologique de la part des médecins fonctionnaires de l'administration.
Côté organisationnel: le médecin de l'armement, lorsqu'il y en a, n'assure pas obligatoirement de suivi psychologique particulier, ceci n'étant pas dans les habitudes de la compagnie.

Donc, à l'instar de l'industrie du transport aérien, à part le service de santé des gens de mer, aucune instance nationale ou Européenne n'assure un suivi médical ou psychologique pour les capitaines de navires/ Pourtant après les erreurs du capitaine du COSTA CONCORDIA on pourrait quand même penser à quelque chose qui se rapprocherait de l'AESA. Inclure par exemple le suivi psychologique des capitaines de navires par la médecine nationale des gens de mer peut-être en contact étroit avec l'EMSA. Les conditions de fonctionnement de ce suivi devraient être copiées sur l'aviation et ainsi pourraient réduire le score de probabilité à 1 pour le côté physique et autant pour le côté organisationnel. Il est entendu que le modérateur devrait être le département médical de la compagnie. NB : ce département médical privé ne pourrait-il pas être partagé par plusieurs compagnies ?

Il restera toujours le facteur humain ce qui porte le score total à 3. Le risque devient ainsi tolérable.


3 - Membre d'équipage embarquant volontairement des explosifs à bord.

Côté physique :
Le plus difficile semble être de se procurer des explosifs ; cependant ce n'est pas impossible. Score 2

Probabilité Score
Conditions physiques de l'accident 2
Organisation du recrutement 3
Facteur humain 1
Total 6
  Côté organisationnel : une fois l'explosif acquis, l'introduire à bord est relativement aisé car l'industrie maritime n'a jamais mis en place un contrôle systématique des bagages comparable à celui du transport aérien que ce soit pour les véhicules ou pour les bagages à main des piétons. Un système de quota (pourcentage décidé par le préfet) est appliqué en fonction du niveau de sûreté.
Du point de vue sûreté, cette industrie est toujours aussi «près de ses sous» et on n'envisage pas vraiment d'investissement dans nos régions car le risque n'est pas encore apparu…en attendant peut-être une belle explosion dans le port ou à la sortie du port ! Score 3.

Gravité Mineure Moyenne
Forte
Probabilité
Score > 4     Mesures nécessaires
  Avec le facteur humain habituel à tous les niveaux le score s'élève à 6. Des mesures sont donc nécessaires pour diminuer le risque.

Les mesures de réduction de risques nécessaires vont être importantes car la profession ne connaît pas vraiment le sujet et n'anticipe pas encore cette possibilité d'attentat massif et ciblé.

Mesures de réduction de risques :
Une présence permanente de forces régaliennes style vigipirate réduirait certainement la vulnérabilité de nos terminaux. Quant aux navires même si la protection des zones d'accès restreints est facile, l'introduction d'explosifs dans les bagages d'un membre d'équipage est rarement envisagée. Alors qu'il n'existe pas de dérogation pour les équipages des aéronefs, les marins ne voient presque jamais leurs bagages passés au scanner ou même leur propre personne.
Pour réduire le score à 1, seul un passage même aléatoire au scanner à l'embarquement (bagage/personne) et une fouille des véhicules personnels(ferries) peut diminuer le risque. Ces contrôles suivraient évidemment les consignes du représentant local du gouvernement. Score 1.
Certains pays ont mis en place ce système comparable à celui des aéroports : passage systématique des marchandises et véhicules au scanner, tandis que le personnel quel qu'il soit (équipage, livreurs, visiteurs, personnel portuaire, dockers) passe par le «tunnel» scanner/fouille parfois ciblé ou aléatoire.
L'enregistrement et le ciblage sont aussi des bonnes mesures de réduction de risque dans le cadre des plans de sûreté du port et du terminal (enregistrement à l'entrée du port et vérification à l'entrée du terminal).
En ce moment, les logiciels analytiques de reconnaissance des caractères et faciale sont très efficaces tandis que la sûreté est de plus en plus confiée à l'armée (de mer ou de terre) en coopération de plus en plus étroite avec les services des Douanes et d'immigration qui sont souvent omniprésents, même lorsque le niveau de sûreté reste peu élevé.
Toutes ces mesures physiques et opérationnelles peuvent ramener le score au plus bas (niveau 3) avec le facteur humain habituel pour assurer un niveau de risque tolérable.

4 - Membre d'équipage s'enfermant dans la passerelle pour conduire le navire vers un accident.

Description du problème
On se rapproche ici du cas de l'Airbus de Germanwings. Lors de l'application du code ISPS, la passerelle a bien sûr été identifiée comme une zone d'accès restreint (ZAR). La porte intérieure principale fait en général partie d'un cloisonnement incendie A 60, elle est donc déjà renforcée sans pour autant être blindée. Un digicode (à quatre chiffres) a en général été placé sur la commande de la serrure en entrée (simple contact électrique en sortie). Le plus souvent et notamment sur les navires à passagers, il y a au moins une autre porte à digicode à passer avant d'accéder à la porte intérieure de la passerelle.
Il y a également au moins une autre porte à la passerelle pour des raisons de sécurité (évacuation).
Il n'y a pas à ma connaissance de possibilité, depuis l'intérieur, de «bloquer fermée» la porte intérieure de la passerelle.
A la différence d'un cockpit où toutes les commandes d'avion sont concentrées, ce n'est pas toujours le cas sur un navire où la commande des moteurs peut toujours être reprise par le mécanicien en machine. L'utilisation de la puissance propulsive ne peut donc être utilisée par un malfaisant que pendant un court laps de temps. En effet le nombre de membres du personnel intervenant réduira grandement la possibilité de détournement par un seul homme.
Enfin un commando compétent en navigation et en propulsion pourra peut-être détourner le navire de sa destination finale mais en utilisant la prise d'otage, ce qui est une autre histoire du point de vue de la gestion de la menace.

En conclusion

Cette étude nous aura permis de faire le constat suivant :
les menaces liées au comportement erratique d'un officier ou du capitaine ne peuvent être décelées et réduites qu'au niveau de la gestion des ressources humaines (DRH) dans la compagnie. Souvent considéré comme un secteur qui coûte cher et ne rapporte rien, ce département semble enfin s'étoffer partout tandis que l'habitude des équipages multi-ethniques ne doit pas faciliter la gestion de l'ensemble des ressources humaines. La capacité de nuisance des membres d'équipage ou officiers qui «pètent les plombs» n'est surtout pas à négliger et la mise en place d'un suivi psychologique des marins pourrait être appliquée comme pour les pilotes de l'aviation commerciale.
Cdt Bertrand APPERRY
AFCAN AFEXMAR IIMS
5 avril 2015


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