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Entrée en vigueur des règles relatives à l'indice carbone des navires le 1er janvier 2023




Le nouveau système de mesure et de notation du carbone des transports maritimes
Depuis le 1er janvier 2023, tous les navires doivent calculer leur indice en carbone pour aider à mesurer leur efficacité environnementale et en rendre compte.
Cette mesure s'inscrit dans le cadre de la Stratégie initiale de l'OMI, visant à la réduction des émissions de GES provenant des navires, pour inciter ces derniers à réduire leur indice carbone de 40% d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 2018, un objectif ambitieux que la communauté maritime doit poursuivre.
La cote CII s'applique aux navires d'une jauge brute égale ou supérieure à 5 000.

Selon l'OMI, l'indicateur d'indice carbone ou CII (carbon intensity indicator) détermine le facteur de réduction annuel nécessaire pour assurer l'amélioration continue de l'indice carbone opérationnelle d'un navire dans un niveau de qualification spécifique.
Le CII opérationnel annuel réel réalisé doit être documenté et vérifié par rapport au CII opérationnel annuel requis, celui-ci étant la valeur cible du CII opérationnel annuel. Cela permet de déterminer l'indice carbone opérationnelle.
Ce nouvel indice devrait devenir un des éléments majeurs du SEEMP (Ship Energy Efficient Management Plan) de chaque navire, et un outil crucial de la décarbonation mondiale.

Le CII est calculé en « multipliant la consommation annuelle du navire par un facteur carbone lié au type de combustible utilisé, le tout étant divisé par la distance parcourue pendant une année par le navire, elle-même multipliée par le tonnage ».

Le résultat de ce calcul va permettre de classer le navire dans une catégorie de A (la meilleure) à E (la pire). La cote indique un niveau de performance supérieur majeur, supérieur mineur, modéré, inférieur mineur ou inférieur. Le niveau de performance sera enregistré dans une « déclaration de conformité » qui sera précisée dans le SEEMP du navire.
Un navire de classe D pendant trois années consécutives, ou E pendant une année, devra soumettre un plan de mesures correctives pour montrer comment l'indice requis de C ou meilleur encore sera atteint. Les administrations, les autorités portuaires et les autres parties prenantes, le cas échéant, sont encouragées à fournir des incitations aux navires classés A ou B.
Un navire peut fonctionner avec un carburant à faible teneur en carbone pour obtenir une cote plus élevée qu'un navire fonctionnant au combustible fossile, mais il y a beaucoup de choses qu'un navire peut faire pour améliorer sa qualification, par exemple par des mesures telles que le nettoyage de la coque pour réduire la traînée, l'optimisation de la vitesse et du routage, l'utilisation d'un éclairage à faible consommation d'énergie et l'énergie solaire/éolienne pour les locaux d'habitation.

Les exigences pour la certification CII entrant en vigueur le 1er janvier 2023, cela signifie que le premier rapport annuel sera achevé en 2023, avec des cotes initiales attribuées en 2024.

Le Comité de la protection du milieu marin (MEPC) de l'OMI doit examiner l'efficacité de la mise œuvre des prescriptions CII d'ici le 1er janvier 2026 au plus tard et élaborer et adopter d'autres amendements si possible.
Les nombreuses lacunes du CII
Les critiques d'un armateur

L'armateur allemand Oldendorff Carriers, acteur majeur du secteur avec plus de 700 vraquiers opérés dont 180 en propriété, a très vivement critiqué l'indicateur d'indice carbone qui doit être mis en vigueur à partir de 2023, considérant que l'industrie du transport doit avoir une approche globale de la question. Le document publié par Oldendorff en décembre 2022 note que les armateurs peuvent jouer avec les modes de calcul utilisés et donne des exemples notamment en cas de longs ballasts où l'objectif de réduction globale des émissions n'est pas correctement valorisé. Il pointe également des effets néfastes sur l'utilisation des navires les moins efficaces sur les trajets les plus longs. Il constate aussi qu'une partie des valeurs pénalisant la note d'un navire sont hors du contrôle de l'armateur, comme la congestion portuaire ou les conditions de mer. Il s'inquiète par ailleurs de la difficulté de créer des clauses de chartes-parties (affrètement à temps ou au voyage) permettant de répartir les responsabilités entre armateurs et affréteurs, comme y travaille BIMCO.
INTERCARGO, organisation internationale représentant les intérêts des armateurs de vrac, est aussi très critique.
A l'appui de sa démonstration, Oldendorff mentionne tous les efforts effectués par sa société pour améliorer la performance de ses navires.

L'écueil potentiel de la formule de notation CII

Un article de gCaptain du 23 décembre 2022 rapporte les préoccupations d'INTERCARGO qui soulève le « piège potentiel » de la formule de tarification CII, soulignant que les itinéraires et le temps d'attente, qui sont souvent hors du contrôle de l'armateur, pourraient avoir une incidence sur la cote CII. L'argument est qu'un navire effectuant des voyages plus longs avec une pleine utilisation produit le carbone le plus absolu (ce qui signifie un CII inférieur) que le même navire utilisé pour des voyages plus courts, avec des temps de port et d'attente plus longs. INTERTANKO est arrivé à une conclusion similaire.
Pour aider à résoudre les complexités commerciales de la réglementation CII, BIMCO a publié en novembre sa clause d'exploitation CII pour les chartes-parties à temps et reconnaît que de nombreuses parties prenantes ont encore du mal à interpréter les complexités de la réglementation CII.
BIMCO déclare avoir reçu des commentaires constructifs, tant positifs que négatifs de la part de plusieurs de ses membres. Cet aperçu est inestimable pour les clauses déjà publiées et le développement de clauses futures.
C'est dans ce même état d'esprit que l'AFCAN a communiqué une note souhaitant un retour d'expérience de ses adhérents, en raison notamment de l'utilisation de carburants divers autres que ceux issus du pétrole.

Des accrochages entre armateurs et chargeurs

Un article du 16 janvier 2023 de Mer et Marine souligne les inconvénients de la mise en œuvre d'une telle cotation. Il fait référence à un problème objectif, celui du combustible « miracle » : un carburant émettant moins de CO2 que le fuel lourd, avec une motorisation adaptée et disponible validée par les sociétés de classification, les Etats du pavillon et du port, et enfin des possibilités de soutage au niveau mondial. Cela paraît impossible actuellement car aucun des nouveaux combustibles type méthanol, ammoniac ou hydrogène sous ces différentes formes d'interprétation n'est disponible en quantité suffisante ou autorisé à bord des navires.

En attendant, il semble que la solution pour atteindre un CII acceptable soit la réduction de la vitesse, (NDLR : argument présenté naguère par l'armement Dreyfus). Le problème n'est alors plus celui des armateurs, mais aussi des chargeurs qui possèdent des marchandises dont le temps de transit va être modifié.

L'article rappelle que BIMCO, qui possède près de 60 % de la flotte de commerce mondiale, a tenté de prendre les devants en essayant d'imposer le principe d'une nouvelle clause dans les chartes-parties. Celle-ci intégrerait l'objectif annuel de CII dans la relation contractuelle entre l'armateur et le chargeur.
De nombreux contrats n'auraient pas abouti depuis le début de l'année en raison de cette problématique. Si les chargeurs affirment vouloir s'impliquer dans la décarbonation du transport maritime, ce point d'achoppement est néanmoins en train de prendre une importance grandissante. D'où le risque de contrarier les objectifs de l'OMI dont les ambitieuses cibles de décarbonation ne pourraient être atteintes que par la collaboration de tous les acteurs du transport maritime.

Le scepticisme des armateurs

Un article de la newsletter d'Hellenic Shipping News Woldword publié par Marinfos le 24 janvier 2023 attire l'attention sur la complexité du CII.
Le CII suscite déjà le scepticisme de certains acteurs maritimes en raison de ses complications, ce qui risque probablement d'amener une hausse des taux de fret.
Des armateurs seront tentés de ralentir leurs navires pour atteindre une cote CII conforme, les navires devant passer plus de temps en transit et moins de temps à charger des cargaisons. Naviguer lentement induira le besoin de davantage de navires.
Divers facteurs, dont la plupart échappent au contrôle d'un navire, peuvent avoir un impact considérable sur sa cote CII, notamment les conditions météorologiques défavorables, la distance du voyage, les temps d'attente au port, l'infrastructure portuaire et les commandes des affréteurs.
Paradoxalement, lorsque l'on considère les distances du voyage et les temps d'attente au port, les navires avec des distances de voyage plus longues peuvent produire plus d'émissions, mais ont une meilleure cote par rapport aux navires parcourant des distances plus courtes et produisant moins d'émissions.
Si un navire a choisi un port où il est contraint de rester plus longtemps en raison de l'encombrement portuaire, la note s'aggravera probablement en raison de la formule du calcul du CII.
Les navires sont pénalisés par le chargement de marchandises - consommation plus élevée et risque de retards au port. La meilleure cote CII est obtenue en naviguant lentement dans des conditions de ballast toute l'année.
L'un des moyens les plus efficaces pour réduire les émissions consiste à optimiser les voyages des navires de tramp avec les cargaisons disponibles. Avec les règles CII, il n'y a aucun avantage à transporter des cargaisons de position.

La numérisation au service de la décarbonation

La digitalisation des navires, actuellement en cours, a déjà révolutionné nombre de tâches à bord des navires, que ce soit à la passerelle ou à la machine. Elle est désormais l'un des moyens pour répondre aux objectifs de réduction d'émissions fixés par l'OMI, dont l'optimisation au plus juste de la consommation du navire devient impérative.
Le recours à des solutions digitales de pointe telles que l'Internet des Objets (IoT, Internet of Things), l'Intelligence Artificielle (IA) et le Big Data (les très grandes bases de données) permet, grâce à des calculs que nous étions incapables de faire, d'améliorer le bilan économique et écologique d'un navire.
Grâce à des acquisitions de données, connectées à des capteurs positionnés sur le navire (débimètres massiques, analyseurs de gaz, de mouvement…) les équipages à bord et à terre ont à disposition immédiate une analyse leur permettant une optimisation maximale des performances de leur navire. La donnée et son analyse deviennent des instruments majeurs pour pouvoir rentrer dans les critères de décarbonation du CII.

René TYL
Membre de l'AFCAN
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