Retour au menu Le Capitaine de navire : statut et responsabilités
La voie pénale crée-t-elle des remous ? Par le Professeur Patrick Chaumette, Centre de Droit Maritime et Océanique, Université de Nantes.
Nous avions eu l’occasion d’aborder cette question du statut et des responsabilités éventuelles du capitaine de navire précédemment: ( Le Capitaine de navire : statut et responsabilités, février 2005, revue de l’Association Française des capitaines de navire, AFCAN, http://www.afcan.org/dossiers_juridiques/statut_cdt.html ). Des évolutions récentes conduisent à remettre l’ouvrage sur le métier. C’est à partir de trois exemples issus de la pratique professionnelle que les interrogations seront ouvertes, pour ensuite revenir vers ces questions concrètes. Lors d’une escale, les techniciens d’une entreprise extérieure interviennent à bord, par exemple dans la salle des machines, en lien avec le chef mécanicien. Un plan de prévention et d’intervention a été établi, avec l’aide du service Sécurité, Marchandises dangereuses et Sûreté ; les techniciens ont été accueillis ; l’utilisation du matériel du bord s’avère indispensable ; en dépit de son bon état de fonctionnement, un accident intervient, source de blessures à l’un des techniciens. Qu’en est-il des éventuelles responsabilités ? De même, lorsque des ouvriers extérieurs utilisent les outils et moyens de manutention du bord, sont-ils au sens strict sous la responsabilité du bord, qu’ils se servent ou non d’équipements individuels de protection, qu’ils soient plus ou moins compétents ? Même si l’entreprise intervenante a garanti leurs compétences, en cas d’accident, peut-elle invoquer la responsabilité du bord, donc du capitaine ou de l’officier responsable du suivi des opérations ? Cheyenne
Quand le navire accueille des passagers, plus ou moins jeunes, plus ou moins habiles, les cargos ne disposent pas de médecin à bord. Ces passagers ont embarqué sur la foi d’un certificat médical, attestant de leur aptitude à cette navigation ; la Compagnie leur a fait signer une décharge de responsabilité, tout en les acceptant comme passagers. Le commandant dispose-t-il du pouvoir de refuser certains embarquements, de personnes fort âgées ou un peu enveloppées ? Un tel refus n’est pas simple quand le passager est au pied de la coupée, avec ses bagages. Ensuite, que peut-il se passer à bord, en cas de difficultés sanitaires ? Le capitaine(1) est responsable des soins à bord. Qu’est-ce à dire ? Que couvrent les exonérations et décharges de responsabilité signées auprès de la compagnie, vis-à-vis du bord ? Pendant les opérations de manutention de la cargaison ou de saisissage des boîtes et marchandises, un officier et un marin sont de quart sur le pont ne pouvant matériellement contrôler de manière permanente les opérations des dockers et saisisseurs, quand de six à huit portiques opèrent en simultané. Les exigences de temps et de cadences peuvent conduire les dockers à négliger le port d’équipements de protection individuelle. En cas de chute de hauteur sans harnais ou sans utilisation du harnais, le bord peut-il voir sa responsabilité engagée, qu’il s’agisse du second capitaine ou du capitaine, pour insuffisance de prévention, pour défaut de vigilance du personnel de quart ? Le capitaine d’un navire apparaît depuis longtemps un étrange personnage sur le plan juridique. Maître du navire, il était dit seul maître à bord après Dieu, mais dorénavant après l’armateur. Le capitaine du navire est semblable à un chef d’orchestre, il n’est pas que l’exécutant d’une mission, il répond de l’exploitation du navire, de la navigation, des évènements de mer, des humains à bord, équipage et passagers, des marchandises, des rapports avec la terre. Il est présenté comme maître du navire, agent de l’armateur et auxiliaire de la puissance publique(2). Ses responsabilités découlent de ses attributions, c’est-à-dire de ses fonctions nautiques et de ses attributions commerciales. Son isolement s’est réduit, mais ses tâches sont compliquées. Ses responsabilités semblent s’accroître en raison des risques dommageables que l’activité maritime peut créer à l’environnement notamment, alors même que les contraintes qui lui sont imposées ont augmenté et que son autonomie de décision a sans aucun doute diminué. Cependant, il est nécessaire de distinguer avec le plus de soin possible ses responsabilités morales, sa responsabilité professionnelle et contractuelle, liée à son contrat d’engagement maritime et à son emploi, sa responsabilité civile vis-à-vis des tiers subissant les dommages des évènements de mer, sa responsabilité pénale. Ces questions doivent découler de l’analyse de ses attributions, dans la mesure où il est absolument nécessaire de lier et de proportionner attributions et responsabilités. Pas de responsabilités sans prérogatives décisionnelles, pas de pouvoir de décision sans responsabilités. La réflexion est menée à partir du droit français, dans l’hypothèse soit du commandement d’un navire battant pavillon français, soit, quel que soit le pavillon du navire, d’une relation de travail du capitaine et de son armateur soumise explicitement ou implicitement au droit français. S’il s’agissait d’un commandant de navire étranger, de libre immatriculation, doté d’un contrat de dimension internationale, l’analyse devrait introduire une plus grande précarité du contrat d’engagement, une diminution des protections de l’emploi, une augmentation des pressions et contraintes. La dépendance augmente, réduisant d’autant l’autonomie.
Le capitaine est chargé de la sécurité de l’expédition maritime, et notamment de la navigation, de l’appareillage, de l’entrée et de la sortie des ports avec l’assistance du pilote et des remorqueurs. Le code ISM de l’Organisation Maritime Internationale a maintenu ses prérogatives, au moins en apparence, puisqu’il lui appartient de mettre en œuvre la politique de la compagnie en matière de sécurité, de donner tous ordres et consignes appropriés. L’armateur doit préciser que l’autorité supérieure à bord appartient au commandant (art. 5.2). Le code ISM a introduit un correspondant « sécurité » à terre, que le Capitaine peut alerter en cas de besoin. La convention SOLAS comprend une Règle 8, au Chapitre IX-2 : « Le capitaine ne doit pas être soumis, de la part de la compagnie, de l’affréteur ou de toute autre personne, à des pressions qui l’empêchent de prendre ou d’exécuter des décisions, qui, selon son jugement professionnel, sont nécessaires pour maintenir la sécurité et la sûreté du navire ». Ce texte, qui ne fonde pas le commencement d’un statut international du capitaine, rappelle cependant son autonomie. Un poste de la C.I.M. au Havre Il en est de même du code ISPS en matière de sûreté maritime et portuaire. Le Code ISPS prévoit dans sa partie A §6 que « La compagnie doit spécifier, dans le plan de sûreté du navire, que le capitaine a le pouvoir et la responsabilité absolus de prendre des décisions concernant la sécurité et la sûreté du navire et de solliciter l’assistance de la compagnie ou de tout gouvernement contractant ». Le pouvoir et la responsabilité absolus vont au-delà de l’affirmation d’une autonomie du capitaine ; c’est l’affirmation en ces domaines sensibles de son indépendance, qui pourrait avoir des conséquences sur sa responsabilité personnelle de préposé de l’armateur. Il est difficile de dire si le capitaine ne saurait être responsable dans la mesure où il a pris des mesures de sûreté dans le sens de l’intérêt général, ou si au contraire, son indépendance ne laisse place qu’à sa responsabilité personnelle pour des fautes graves. La référence au caractère absolu semble manifestement excessive et irréelle. L’armateur ne saurait effectuer des pressions sur ses capitaines ; le plan de sûreté du navire doit énoncer clairement l’autorité du capitaine (règle 6.1). Ensuite, les conciliations concrètes s’imposent. Le capitaine est l’autorité du bord, ce qui est affirmé par l’article 1er du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande (CDPMM), vis-à-vis de l’équipage, vis-à-vis des passagers, réguliers comme clandestins. Le décret n° 60-1193 définit et délimite son pouvoir disciplinaire et pénal ; ce pouvoir est soumis au principe de légalité, il n’est nullement arbitraire, à travers le livre de discipline, le journal de bord, les rapports de mer, le capitaine rend des comptes tant à son armement qu’à l’administration de l’État du pavillon(3). Cette fonction de commandement et de représentation du droit de l’État du pavillon, notamment en haute mer justifiait le privilège de nationalité du capitaine de navire et de l’officier suppléant. A bord d’un navire français, ces fonctions ne pouvaient être exercées que par des ressortissants nationaux. Si la loi du 3 mai 2005 créant le registre international français (RIF) a maintenu ce privilège de nationalité(4), exception au principe de l’égalité de traitement des ressortissants communautaires, deux arrêts de la Cour de Justice des Communautés européennes ont mis en cause la compatibilité de ce privilège de nationalité avec le droit communautaire. A bord des navires de pêche côtière battant pavillon allemand, comme à bord des navires marchands reliant les Canaries à la péninsule ibérique, les prérogatives de puissance publique du capitaine sont potentielles, mais ne donnent pas lieu à un exercice effectif, régulier, susceptible de réserver ces emplois aux ressortissants nationaux. Si les fonctions d’état civil, notariales ou de coercition des capitaines de navire constituent bien des prérogatives de puissance publique, l’exercice pratique est faible ou nul(5). La chambre criminelle de la Cour de Cassation en a déduit qu’il n’était plus possible de réprimer l’emploi d’un capitaine espagnol à bord d’un navire de pêche français(6). Ces arrêts ont convaincu la commission européenne de modifier son interprétation et d’envisager des recours en manquement contre les États membres qui maintiennent dans leur législation nationale le privilège de nationalité du capitaine et de l’officier suppléant. Il semble que seule l’Italie ait abandonné cette approche classique du droit maritime dès la loi de 1998. Ces arrêts ont conduit la Commission européenne a changer d’approche, à abandonner toute exception maritime et à mettre en œuvre des recours en manquement contre les États membres maintenant dans leur législation nationale le privilège de nationalité du capitaine et de l’officier suppléant(7). Le 15 février 2007, la Commission des Communautés européennes a engagé contre la France un recours en manquement. Le Sénat a adopté le projet de loi n° 415, le 18 septembre 2007, afin d’adapter le code du travail maritime, le code des Douanes, le code disciplinaire et pénal de la marine marchande. Il est nécessaire de définir les connaissances juridiques et linguistiques qu’un ressortissant communautaire doit maîtriser pour représenter l’État du pavillon en haute mer, comme dans des eaux territoriales et commander un bâtiment français de commerce, de plaisance, ou de pêche maritime. CMA-CGM Bizet Le capitaine fut d’abord l’agent de l’armateur, il le reste même si ces fonctions commerciales se sont réduites avec le développement des télécommunications, des services sédentaires, commerciaux et techniques de l’armement. Ce n’est plus le capitaine qui recrute l’équipage, qui arme et avitaille le navire, le plus généralement. Il fait partie du personnel d’exploitation du navire défini par le chapitre 2 de la loi du 3 janvier 1969 sur l’armement. Il peut pourvoir aux besoins normaux du navire, hors des lieux où l’armateur a son principal établissement ou une succursale. De cette tradition commerciale, il reste des traces. Jusqu’à la loi du 18 novembre 1997, le capitaine était révocable par l’armateur, comme un mandataire commercial. Les capitaines de la marine marchande bénéficiaient des conventions collectives étendues de 1948 et 1950 des officiers marine marchande. C’est seulement la loi n° 97-1051 du 18 novembre 1997 qui a étendu au capitaine le droit des licenciements(8). Les litiges qui opposent le capitaine de navire et son employeur demeurent de la compétence du Tribunal de commerce(9). L’article 104 du code du travail maritime excluait le capitaine de navire de la réglementation de la durée du travail, compte tenu de sa fonction fort ancienne de mandataire commercial de l’armateur ; il ne pouvait donc bénéficier d’heures supplémentaires rémunérées en supplément, ni de repos hebdomadaire(10). Pourtant, les capitaines de navire ne sont pas assimilables aux cadres dirigeants (C. trav., art. L 212-15-1) ; ils sont plutôt assimilables aux cadres autonomes (C. trav., art. L 212-15-3). L’article 49, alinéa 3 de la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 a modifié cet article 104 : la durée du travail des capitaines de navire sera fixée par décret(11). Il est nécessaire de distinguer la responsabilité contractuelle du capitaine vis-à-vis de son employeur, sa responsabilité professionnelle. Ensuite le capitaine du navire engage-t-il sa responsabilité civile personnelle vis-à-vis des tiers, susceptibles de subir un dommage du fait de l’activité du navire ? Si tel est le cas, le capitaine a intérêt à couvrir par un contrat d’assurance sa responsabilité civile personnelle, l’assurance ne pouvant toutefois couvrir les conséquences d’une faute intentionnelle. Nous n’évoquerons la responsabilité pénale éventuelle du capitaine que dans la mesure où elle est susceptible d’ouvrir la porte à la reconnaissance de sa responsabilité civile. Le capitaine du navire n’est plus d’abord un agent commercial de l’armateur. Il n’est plus révocable par celui-ci ; il est devenu un salarié, c’est-à-dire un préposé de l’armement. Vis-à-vis de son armateur, il engage d’abord sa responsabilité professionnelle ; il est susceptible de procédures disciplinaires en cas de faute, dans le cadre des dispositions du code du travail, du code disciplinaire et pénal de la marine marchande(12). Il est susceptible de licenciement, dans le respect des dispositions légales du code du travail et du code du travail maritime, des dispositions conventionnelles. Le capitaine de navire salarié étant un préposé de l’armement, son employeur répond des conséquences dommageables de son activité professionnelle. Deux étapes peuvent être distinguées dans l’évolution récente. Le législateur a précisé et limité la responsabilité civile personnelle du capitaine, dans diverses dispositions législatives maritimes, en raison de fautes personnelles du bord. L’article 216 du code de commerce de 1810 prévoyait que tout propriétaire de navire était civilement responsable des faits du capitaine, mais le capitaine répondait personnellement aussi de ses propres fautes. Puis la subordination du préposé l’a emporté, de sorte qu’une éventuelle faute du capitaine engage la responsabilité de l’armement. Cette immunité classique des rapports de préposition vis-à-vis du commettant n’est pas cependant sans limites. Rotterdam - transport de colis lourds A l’origine, tel un mandataire commercial ou un travailleur indépendant le capitaine est personnellement responsable des conséquences dommageables de son activité professionnelle. L’article 221 du code de commerce énonçait que « tout capitaine ... est garant de ses fautes, même légères ». Cette disposition apparaissait excessive, compte tenu des évolutions du transport maritime. Au cours du XXème siècle, la responsabilité personnelle des capitaines fut très rarement engagée tant par des tiers, que par l’armateur ayant indemnisé des tiers. Robert GARRON proposa une immunité de fonction au bénéfice du capitaine, sauf faute grave de sa part(13). En dépit des critiques, la loi du 3 janvier 1969 maintint la règle traditionnelle : « le capitaine répond de toute faute commise dans l’exercice de ses fonctions » (art. 5). L’employeur est responsable de ses préposés en tant que commettant, mais il n’en est responsable, que lorsque ceux-ci ont agi dans le cadre de leur lien de préposition, dans l’exercice ou avec les moyens de leurs fonctions(14). Le capitaine était-il préposé de l’armement, au moins un préposé indépendant ? Sauf en cas de faute intentionnelle, les P & I clubs de l’armateur prenaient en charge la condamnation rare prononcée contre le capitaine(15). Ainsi la pratique semblait bien en avance sur des textes ’inspiration ancienne. L’article 28 de la loi du 18 juin 1966, modifiée en 1986, prévoit pour le transport de marchandises qu’en cas de mise en cause de la responsabilité d’un préposé de l’armement, par exemple du capitaine, ce préposé peut se prévaloir des exonérations et des limitations de responsabilité que le transporteur peut invoquer. Une faute du capitaine dans la navigation ou l’administration du navire constitue pour le transporteur une cause d’exonération de responsabilité ; le commandant de bord peut donc aussi l’invoquer pour son propre compte(16). La loi du 3 janvier 1969 relative à l’armement a confirmé d’une manière générale que le capitaine pouvait bénéficier de la limitation de responsabilité accordée à l’armateur(17). La Convention de 1976 n’exclut la limitation de responsabilité qu’en cas de faute inexcusable ; il en va de même en droit français(18). L’approche objective de la faute inexcusable traite de la même manière celui qui avait conscience du danger couru et celui qui aurait dû en avoir conscience, et devait prendre les mesures préventives indispensables. Cette tendance générale dans les systèmes complexes de décision et de prévention refuse de reconnaître par principe une spécificité des périls de la mer, vis-à-vis des risques industriels terrestres par exemple, refuse d’entrer dans l’intention personnelle des décideurs dans une approche intentionnelle ou subjective, afin d’apprécier objectivement, in abstracto, leur comportement, vis-à-vis d’un opérateur normalement compétent et prudent. Même si l’armateur répond des fautes commises par le capitaine à l’occasion des opérations commerciales, la responsabilité personnelle de celui-ci pouvait être engagée, en cas de faute. L’arrimage de la marchandise a toujours été une opération délicate, source de risques pour les opérateurs. Le capitaine devait répondre d’une faute dans l’arrimage, source d’accident, à moins de démontrer une faute causale de l’armateur, de son agent ou de ses auxiliaires terrestres, du stevedore ou entreprise de manutention(19). Dans le cas du naufrage du Tito Campanella, c’est la faute directe et la responsabilité de l’entreprise de manutention qui a été retenue(20). Même si l’arrimage reste une opération délicate, complexe, à risques, il ne semble pas qu’il puisse être affirmé que le capitaine est responsable personnellement d’une faute dans les opérations d’arrimage. Progressivement, la responsabilité personnelle du capitaine va se trouver traitée différemment de celle de l’armateur. Dès 1951, la Cour de cassation considère que l’armateur reste le gardien du navire, responsable du fait des choses. En dépit du pouvoir de commandement du capitaine, celui-ci n’a pas la garde juridique du navire, dans la mesure où le capitaine est le préposé de l’armement(21). A la suite de l’accident subi par un baigneur dans les vagues produites par un navire, la responsabilité civile de l’armateur a été retenue, en tant que gardien du navire(22). La loi du 3 janvier 1969 classe le capitaine dans le personnel d’exploitation de l’armement ; il est inclus dans les préposés maritimes dont l’armateur est responsable (art.3), avec une situation spécifique du fait de ses fonctions de commandement (art. 5). Une exception nouvelle apparut limitant la responsabilité civile personnelle du capitaine. L’article 3, alinéa 4, de la Convention de 1969-1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. Le propriétaire du pétrolier est désigné responsable et aucune demande d’indemnisation ne peut être introduite contre les préposés du propriétaire, notamment contre le capitaine. Le propriétaire du pétrolier est donc responsable de ses préposés. Seule la faute intentionnelle du capitaine est susceptible d’engager sa responsabilité personnelle(23). Le Protocole de 1992 a étendu cette immunité à l’affrètement coque-nue. Le capitaine devenant préposé de l’armement, sa responsabilité civile personnelle se réduit tant vis-à-vis des tiers que vis-à-vis de son employeur, devenu responsable de ses fautes vis-à-vis des tiers.
La Cour de cassation a complété sa jurisprudence en se référant à la situation du salarié autonome, qu’il conviendra de distinguer du salarié vraiment, ou totalement subordonné.
Cette immunité a des limites liées aux infractions pénales et aux fautes intentionnelles. Chacun est responsable de sa faute intentionnelle, même un préposé, même un subordonné permanent(32). Il est nécessaire de rappeler que la faute intentionnelle est insusceptible d’assurance ; il ne sert donc de rien dans ces cas au préposé de se couvrir avec une assurance de responsabilité. Mais la chambre criminelle de la Cour de cassation ne limite pas aux seules infractions intentionnelles la responsabilité civile personnelle, semblant remettre en cause les jurisprudences Costedoat et Cousin. . Quand le préposé a été condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis une infraction portant préjudice à un tiers, il engage sa responsabilité civile personnelle(33). Il s’agissait d’un comptable salarié, condamné pour faux, usage de faux et escroqueries, ayant agi sur ordre de son employeur. NON-ASSISTANCE A PERSONNE EN DANGER, FAUTE INTENTIONNELLE. Le délit de non-assistance à personne en danger prévu par l’article 223-6 du code pénal réprime l’abstention volontaire de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou les tiers, il pouvait lui prêter par son action personnelle ou en provoquant les secours. La persistance des malaises aurait dû inciter le patron à faire plus que la simple administration d’aspirine et de nurofen, d’autant qu’il s’est trouvé en contact radio avec un autre patron pêcheur du même armement, connaissant bien le matelot et sa réputation de travailleur, ce qui ne devait pas manquer de l’inquiéter sur un état grave quoique inexpliqué. Le patron devait provoquer une consultation médicale à distance, simple à mettre en œuvre par un service spécialisé, pour un mal qui ne s’apaisait pas. La non-assistance à personne en danger qui s’analyse en une négligence volontaire entre dans les prévisions de l’article L 451-5 et permet l’action de la partie civile contre le patron pêcheur, devant le juge pénal, pour faute intentionnelle ; le patron pêcheur est condamné à 4 mois d’emprisonnement avec sursis et 10.000 euros de dommages et intérêts envers la victime d’un anévrisme cérébral(34). En l’espèce, il s’agit d’un patron de pêche, capitaine salarié d’un armement. Il a rendu compte du malaise du matelot à l’armement, pour ensuite indiquer qu’il s’agit seulement de migraines. Ce sont bien les prérogatives propres au capitaine qui sont en cause ; celui-ci devait contacter le CROSS ou le service médical d’assistance du Centre de consultation médicale maritime (CCMM) de Toulouse, en vue d’un diagnostic précis, compte tenu de symptômes constatés. Un anévrisme cérébral n’est pas une simple migraine, soignable par paracétamol et dispense de travail(35). Est coupable du délit de blessures involontaires le capitaine d’un navire de pêche, qui a procédé à une manœuvre d’accostage d’un chalutier plus petit en vue du transbordement de son patron, alors que la mer, bien que peu agitée, était houleuse, alors qu’un matelot de l’autre navire, placé dans un couloir du navire accosté dont l’étroitesse ne lui permettait aucun repli, était dans son champ de vision, qui n’a pas accompli les diligences normales lui incombant compte tenu de la nature de ses fonctions, de ses compétences ainsi que des pouvoirs et des moyens dont il disposait, qui a commis une faute caractérisée exposant la victime à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer(36). En l’espèce, il s’agit d’un patron pêcheur, propriétaire embarqué, mais sa responsabilité personnelle est mise en cause pour grave négligence dans les opérations nautiques de transbordement d’un bord à l’autre. L’enjeu n’était pas simplement pénal, il était aussi civil au sens de l’indemnisation des préjudices subis par la victime : l’ENIM, subrogé dans les droits de la partie civile, du matelot accidenté, avait demandé, devant le tribunal correctionnel de Cherbourg, 104.000 euros d’indemnités correspondant aux soins et prestations liées à l’incapacité de travail ; une expertise médicale avait été ordonnée. HARCÈLEMENT, FAUTE INTENTIONNELLE. Une salariée victime d’un harcèlement moral dans une entreprise a pu retenir la responsabilité civile tant de son employeur que de son chef de service, auteur des faits répétés de harcèlement. L’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment en matière de harcèlement moral ; l’absence de faute de sa part ne peut l’exonérer de sa responsabilité. Le harcèlement moral est une faute intentionnelle qui engage la responsabilité personnelle de son auteur(37).
Dès lors, ces faits sont de la nature de ceux qui, fussent-ils commis dans l’intérêt, voire sur les ordres de l’employeur, engagent la responsabilité personnelle du salarié qui s’en rend coupable à l’égard de ses subordonnés. Il est nécessaire de rappeler qu’en application de l’article L. 230-3 du Code du travail, tout travailleur doit prendre soin de la sécurité et de la santé des personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail(38). Sans qu’il soit nécessaire de passer par la voie pénale, engage sa responsabilité personnelle à l’égard de ses subordonnés le salarié qui leur fait subir intentionnellement des agissements répétés de harcèlement moral ; il peut dès lors être condamné à leur payer des dommages et intérêts. Le harcèlement sexuel ou moral est toujours un abus de fonction, même si la responsabilité civile de l’employeur est, elle-même, engagée pour défaut de prévention. La chambre criminelle de la Cour de cassation semble distinguer les salariés ordinaires, qui bénéficient d’une immunité civile et les salariés « responsables » dans la mesure où ils participent au pouvoir de commandement de l’employeur et à l’organisation de la prévention. Dans un arrêt du 28 mars 2006, a considéré, à propos d’un salarié cadre, titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière de santé et de sécurité et d’organisation du travail, auteur d’une faute qualifiée en matière de sécurité, qu’il « engage sa responsabilité civile à l’égard du tiers victime de l’infraction, celle-ci fût-elle commise dans l’exercice de ses fonctions »(39). L’employeur doit obturer les trappes afin d’éviter les chutes de hauteur ; le salarié, chef de service, titulaire d’une délégation de pouvoirs sur le chantier de construction du Stade de France, n’a pas pris toutes les mesures pour vérifier la fermeture de la trappe, a commis de façon manifestement délibérée une violation de l’obligation particulière de prudence et de sécurité imposée par la loi et le règlement. Le salarié cadre a été jugé personnellement responsable des conséquences dommageables des infractions commises vis-à-vis des proches des victimes (frères et sœurs, non ayant droits au sens du code de la sécurité sociale). Le salarié titulaire d’une délégation de pouvoirs, auteur d’une faute qualifiée au sens de l’article 121-3 du code pénal, engage sa responsabilité civile à l’égard du tiers victime de l’infraction. Le même raisonnement a été retenu vis-à-vis d’un capitaine salarié d’un navire de pêche, chalutier de la Sté Jégo-Quéré (à tort qualifié de patron-pêcheur), responsable solidairement avec l’armement des préjudices subis par les proches de la victime. L’accident mortel du membre d’équipage, par chute, est intervenu à Lochinver (Ecosse), après l’accostage du chalutier. Le capitaine a été condamné pénalement pour homicide involontaire par la cour d’appel de Rennes. Condamné civilement, il a formé un pourvoi en cassation qui est rejeté. Si l’armateur répond, dans les termes du droit commun, de ses préposés terrestres et maritimes, le capitaine répond de toutes fautes commises dans l’exercice de ses fonctions(40). La Cour de cassation note qu’il était un représentant de l’armement à bord, investi d’une délégation générale en matière de sécurité, pouvant remédier à une défectuosité du matériel, devant informer l’armement de la non-conformité du dispositif de protection. Le raisonnement est identique à celui de l’accident sur le chantier de construction du Stade de France ; la Cour de cassation ajoutant seulement la référence à l’article 5 de la loi n° 69-8 du 3 janvier 1969(41). Le capitaine de navire n’est pas un salarié ordinaire, un exécutant, un simple préposé, il est un salarié ou préposé « responsable », car chargé de la sécurité du travail. Cette distinction est actuellement propre à la chambre criminelle de la Cour de cassation et ne semble pas partagée par les chambres civiles, mais elle ouvre la voie pénale vers l’indemnisation d’une manière excessive. Ce sont les organisations, les entreprises et leurs assureurs, qui doivent supporter les conséquences préjudiciables de l’activité professionnelle des salariés cadres, dans la mesure où ceux-ci restent dans le cadre de leurs fonctions. La contrepartie de la responsabilité personnelle des salariés « responsables » serait un statut leur permettant d’arrêter un travail dangereux, un chantier, une navigation, un vol, dès lors que les conditions de sécurité ne sont pas assurées comme ils le souhaitent. La pression de la rentabilité des entreprises ne leur garantit nullement un tel statut, un tel droit d’opposition, de sorte que la responsabilité civile qu’ils supportent est manifestement disproportionnée à leurs épaules. Il semble plus logique de partir de l’emprise de la terre sur la navigation maritime et les opérations portuaires, sur l’emprise des services sédentaires des armements. Le capitaine, encadré, contrôlé, devant informer et rendre des comptes, l’analyse de la réalité du travail, des prérogatives et des charges du capitaine, doit l’emporter et doit guider l’architecture des responsabilités. Il est loisible de présenter l’extension de son travail administratif, une autonomie de plus en plus réduite, sauf cas exceptionnel, ainsi que la tentation de le transformer en bouc émissaire. Par-delà son autorité, ses fonctions sont d’exécution, même s’il s’agit d’une exécution compétente et intelligente, de sorte que sa responsabilité civile ne devrait être envisagée qu’en cas de faute intentionnelle, ou d’infraction intentionnelle, et au-delà seulement en cas de dépassement de ses fonctions, de « faute détachable du service ». Le capitaine de navire peut bénéficier d’un contrat d’assurance groupe, défense et recours, qu’il doit conserver compte tenu de la diversité de ses fonctions et de l’ambiguïté des interprétations récentes. Quand sa responsabilité personnelle est mise en cause, son employeur lui doit assistance. ASSISTANCE DE L’EMPLOYEUR. Un salarié d’une compagnie d’assurance faisait l’objet d’une plainte d’un client pour faux en écriture, à la suite de la prise en charge d’un sinistre. Le salarié fut mis en examen, puis bénéficia d’un non-lieu. Son employeur a refusé de l’assister et de prendre en charge les frais exposés pour sa défense dans cette procédure pénale. Le salarié a saisi le conseil des prud’hommes et obtenu des dommages et intérêts couvrant les frais engagés. La cour d’appel de Paris a infirmé ce jugement, considérant que la responsabilité pénale est personnelle ; l’employeur a soutenu moralement son salarié, l’assurant de sa confiance. La cour d’appel estimait qu’aucune disposition légale ou contractuelle n’impose à l’employeur d’assister son salarié en cas de poursuites pénales, même pour des faits commis dans le cadre de ses fonctions professionnelles. Le salarié pouvait porter plainte pour dénonciation calomnieuse. Sur le pourvoi du salarié, cet arrêt d‘appel est cassé(42). Il existe à la charge de l'employeur, une obligation relative à la protection juridique de son salarié lorsque celui-ci, poursuivi pénalement par un client de son employeur pour des faits relatifs à l'exercice de ses fonctions, doit engager des frais pour sa défense. « Selon l'article 1135 du code civil, les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l’usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature. Il s'ensuit que l'employeur, investi par la loi du pouvoir de direction et de contrôle des salariés placés sous sa subordination juridique, est tenu de garantir ceux-ci à raison des actes ou faits qu'ils passent ou accomplissent en exécution du contrat de travail. Viole ce texte ainsi que l'article L 121-1 du code du travail, la cour d'appel qui déboute un salarié de sa demande de dommages et intérêts, comprenant le remboursement des frais engagés dans une procédure pénale suivie contre lui sur la plainte d'un client de l'employeur et clôturée par une décision de non-lieu, alors qu'elle avait constaté que le salarié avait dû assurer sa défense à un contentieux pénal dont l'objet était lié à l'exercice de ses fonctions ». Dans le silence du contrat de travail, verbal ou écrit, et des conventions collectives applicables, l’équité et l’usage imposent à l’employeur une obligation d’aide et d’assistance vis-à-vis de ses subordonnés, en vue de leur défense pour des faits réalisés dans le cadre de leurs fonctions. Par exemple, la convention collective nationale des praticiens conseils du régime général de la sécurité sociale de 2006 prévoit, en son article 10, une clause de protection juridique au bénéfice des praticiens conseils dont il résulte que l'employeur doit prendre en charge les frais d'avocat et les frais afférents à la défense du praticien lorsque celui-ci fait l'objet de contentieux à l'occasion de faits liés à sa fonction de praticien-conseil, excepté lorsqu'il s'agit d'une procédure disciplinaire interne.
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