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Contentieux du travail maritime.
Compétences juridictionnelles quant aux litiges entre marins et employeurs.
 
Le Professeur Patrick Chaumette nous a aimablement communiqué ce document sur les contentieux du travail maritime, sujet toujours d'actualité pour l'AFCAN.




       Le décret n° 2015-219 du 27 février 2015 relatif à la résolution des litiges individuels entre les marins et leurs employeurs modernise la procédure de conciliation préalable, réaffirme la compétence du tribunal d'instance en précisant la compétence territoriale, abroge le décret n° 59-1337 du 20 novembre 1959, qui modifiait le titre VII du code du travail maritime. Le décret de 1959 avait pris en compte la disparition de l'inscription maritime et des chefs de quartier, au profit des administrateurs des affaires maritimes, ainsi que le remplacement des juges de paix par le tribunal d'instance. Pour le reste, le décret reprenait, dans un cadre réglementaire dû à la Constitution de 1958, les dispositions autrefois légales inscrites dans le code du travail maritime de 1926.

Le maintien de la compétence du tribunal d'instance.

Depuis la nouvelle codification de la partie législative du code des Transports et l'abrogation des articles essentiels du décret du 20 novembre 1959, par l'Ordonnance n° 2010- 1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des Transports (art. 7-40°), une certaine confusion régnait sur la juridiction judiciaire compétente en matière de litige individuel du travail maritime sous pavillon français. L'article L. 5542-48 du code des Transports dispose que le différend qui peut s'élever, à l'occasion des périodes d'embarquement, entre l'employeur et le marin est porté devant le juge judiciaire. Sauf en ce qui concerne le capitaine, cette instance est précédée d'une tentative de conciliation devant l'autorité compétente de l'Etat. La référence au tribunal d'instance pour les marins et au tribunal de commerce pour le capitaine avait disparu. Il en découlait une étrange codification à droit constant (P. Chaumette, « Le destin du décret du 20 novembre 1959. La codification à droit constant ne peut engendrer une réforme des compétences juridictionnelles », Neptunus, revue électronique, Université de Nantes, Vol. 18, 2012/2, www.cdmo.univ-nantes.fr). Z. Pajot et Me A. Moulinas considèrent que la simplification du droit conduit à la reconnaissance de la compétence prud'homale, après tentative de conciliation devant l'administrateur des affaires maritimes pour les marins (« Abrogation du Titre VII du code du travail maritime par le code des transports : Quelle compétence juridictionnelle pour les conflits du travail maritime ? », DMF 2012, n° 737, pp. 503-508). Plusieurs contentieux se sont efforcés d'obtenir la compétence prud'homale en recourant à une tentative de Question Prioritaire de constitutionnalité (QPC). Les questions posées à la Cour de cassation, vers le Conseil constitutionnel par le TI de Marseille et la cour d'appel de Rennes n'ont pas prospéré et ne pouvaient prospérer, faute de principe constitutionnel mis en jeu par des dispositions légales (Cass. soc. 13 juillet 2012, n° 12-40049 QPC, Cass. soc. 19 septembre 2012, n° 12-40053, Mickaël c/ Sté SNC EMCC - ARMOR).
Le Code de l'organisation judiciaire comportait un article R. 221-13, modifié par le décret n° 2009-1693 du 29 décembre 2009 - art. 3 "Le tribunal d'instance connaît des contestations relatives au contrat d'engagement entre armateurs et marins dans les conditions prévues par le code du travail maritime". Ainsi, il semblait surtout qu'avait été supprimé la compétence commerciale pour les litiges opposant le capitaine et l'armateur (P. Chaumette, « Quel juge compétent pour un litige capitaine - armateur ? », Association Française des Capitaines de Navires, AFCAN, mai 2012, p. 29, v. Nos observations, « A droit constant, le marin trouve son tribunal près de chez lui ? », CA Rennes 3 octobre 2012, Catamaran Diassanga, IRD c/ M. Sanseo, DMF 2013, n° 747, pp. 425-432).

Même si le code du travail maritime a disparu, remplacé par le code des transports, partie législative en 2010, la compétence du tribunal d'instance pour les litiges entre les armateurs et les marins a été maintenue et confirmée par la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc. 12 février 2014, Goulven n° 13-10643, Dr. soc. 2014, n° 4, pp. 389-391, DMF 2014, n° 756, pp. 210-213 ). L'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 8ème chambre, du 16 novembre 2012 est confirmé (dans le même sens, CA Rennes, 7ème ch. prud'homale, 28 novembre 2012, n° 12/04462, navire Le Constellation). Cet arrêt de la Cour de cassation a mis fin, de lege lata, aux discussions (CA Rennes, 3ème ch. Com., 4 décembre 2012, DMF, 2013, n° 747, pp. 432-436, Z. Pajot et A. Moulinas, « Quelle compétence juridictionnelle pour les conflits du travail maritime ? Suite »). La compétence du tribunal d'instance est liée à un contrat d'engagement maritime, concernant un gens de mer, peu importe que le marin soit embarqué ou non : « Tout différend qui peut s'élever à l'occasion de la formation, de l'exécution ou de la rupture d'un contrat de travail entre l'employeur et le marin » (art. L. 5542-48 C. Transports). Le capitaine a été aligné sur l'ensemble des marins et relève aussi de la compétence du tribunal d'instance, sans tentative de conciliation devant l'autorité compétente ; ainsi la compétence commerciale concernant les litiges opposant le capitaine à l'armateur a disparu dans ce chantier complexe et fort peu explicite, conduit entre 2010 et 2015. L'observateur universitaire est frappé par l'apparence secrète de ces réformes ; il en ira probablement de même des praticiens et acteurs concernés. Cela semble bien clos dans une société de la communication, présentant bien des excès par ailleurs.
Cass. soc. 12 février 2014, Goulven n° 13-10643, Dr. soc. 2014, n° 4, pp. 389-391, DMF 2014, n° 756, pp. 210-213 : « Il résulte de la combinaison des articles L. 5541-1 et L. 5542-48 du code des transports et de l'article R. 221-13 du code de l'organisation judiciaire, que le tribunal d'instance est seul compétent pour connaître, après tentative de conciliation devant l'administrateur des affaires maritimes, des litiges entre armateur et marin portant sur la conclusion, l'exécution ou la rupture du contrat d'engagement régi par le code du travail maritime.
Les parties étaient liées par un contrat d'engagement maritime, la cour d'appel en a exactement déduit que le tribunal d'instance de Nantes était compétent pour connaître du litige, peu important que le marin ait ou non été embarqué lors de son licenciement. »
La majorité des syndicats de marins était très attachée au maintien de la conciliation préalable auprès de l'administration maritime, mais souhaitait une compétence prud'homale liée à la création de sections maritimes spécialisées. Selon le ministère de la Justice, en 2013, 319 jugements ont été rendus par des tribunaux d'instance quant aux litiges individuels de travail maritime, parmi les 662 758 décisions rendues par les TI. Ce contentieux est donc faible et des sections maritimes n'étaient pas envisageables (Chr. Eoche-Duval, « Réforme de la résolution des litiges individuels entre les marins et leurs employeur s», DMF 2015, n° 768, pp. 289-295). Ce sont donc des juges d'instance qui traiteront ces litiges et souvent découvriront le droit social maritime. La continuité est affirmée.

L'exclusivité maritime du tribunal d'instance.
Le décret n° 2015-219 du 27 février 2015 unifie le contentieux du travail maritime en mettant fin à la distinction ancienne : périodes d'embarquement / en dehors des périodes d'embarquement, quand la marin travaillait à terre pour son armateur. Cette distinction avait donné lieu à des difficultés d'interprétation, dans la mesure où la référence originelle du code du travail maritime de 1926 était le contrat au voyage. La jurisprudence avait dû reconstruire l'interprétation de ce texte, en sortant d'une lecture littérale, afin de lui donner un sens. En effet, fort peu de recours judiciaires sont engagés quand le marin est à bord, il attend d'être à terre, débarqué, voire congédié pour envisager un recours judiciaire. Littéralement, le contentieux du travail maritime disparaissait. L'ancien article 4 du code du travail maritime n'était plus adapté à l'évolution des contrats d'engagements maritimes, aux liens permanents entre le marin et l'armement au-delà des expéditions maritimes (Droits Maritimes, J.P. Beurier, dir. Dalloz Action, 2è éd., 2008, n° 411-11 et 413.62). Depuis 1983, la jurisprudence ne retenait plus la fausse distinction temporelle du moment d'apparition du litige dans ou en dehors des périodes d'embarquement, mais la nature terrestre ou maritime du litige, suivant qu'il est consécutif ou non au travail à bord (CA Aix-en-Provence, 24 févr. 1983, DMF 1983, 601 - CA Rennes, 4 janv. 1984, DMF 1984, 537, note R. Le Brun - CA Rennes, 10 janv. 1985, DMF 1986, 368, note P. Chaumette – Cass. soc., 14 janv. 1987, no 84-40943, Bull. civ. V, no 24 – Cass. soc., 12 janv. 1993, no 89-45.483, Dr. soc. 1993, 444, note P. Chaumette – Cass soc., 3 mai 2006, no 04-46.506, SNCM c/ Vialis, Bull. civ. V, no 164, JCP S 2006, 1523, note B. Boubli). Le conseil de prud'hommes de Marseille avait décidé que la contestation du licenciement d'un assistant mécanicien relevait de la compétence du tribunal d'instance de Marseille, après tentative de conciliation devant l'administrateur des affaires maritimes de Marseille, même s'il n'était plus apte à la navigation (CA Aix-en-Provence, 9è ch., 5 septembre 2011, P. Giuliani, DMF 2012, n° 737, pp. 522-538, « Des compétences juridictionnelles dans le travail maritime). A l'inverse, le capitaine d'armement, embauché sans qu'aucun service à accomplir à bord d'un navire n'ait été prévu dans le contrat de travail, bien que toujours affilié à l'ENIM, ne peut que saisir le conseil de prud'hommes en vue de statuer sur un litige né à l'occasion de son contrat de travail (CA Aix-en-Provence, 18ème ch., 7 juin 2011, SA Paul Ricard, DMF 2012, n° 737, pp. 522-528 – P. Chaumette, Droits Maritimes, J.P. Beurier dir., Dalloz Action, 3ème éd., 2014, n° 413.62 et suiv. ). Le décret du 27 février 2015 enregistre en quelque sorte cette construction jurisprudentielle et assure une continuité des pratiques.

Compétence d'attribution.
L'article 12 du décret modifie l'article R. 221-13 du code de l'organisation judiciaire : Le tribunal d'instance connaît des contestations relatives à la formation, à l'exécution ou à la rupture du contrat de travail entre l'employeur et le marin, dans les conditions prévues par le livre V de la cinquième partie du code des transports. Tous les litiges individuels relatifs au contrat d'engagement maritime sont portés devant le juge judiciaire (art. L. 5542-48 C. Transports). Le juge d'instance est compétent dès lors que l'objet du litige est lié à la naissance, la vie ou la fin d'un contrat d'engagement maritime, défini par l'article L 5542-1 du code des transports comme tout contrat conclu entre un marin et un armateur ou son représentant, ayant pour objet un service à accomplir à bord d'un navire. Sont marins, les gens de mer, salariés ou non salariés, exerçant une activité directement liée à l'exploitation du navire (art. L. 5511-1 C. Transports).

Compétence territoriale.
Compte tenu de l'abrogation des dispositions du décret du 20 novembre 1959, la cour d'appel de Rennes s'était référée aux dispositions de l'article R. 1412-1 du code du travail (CA Rennes 3 octobre 2012, Catamaran Diassanga, IRD c/ M. Sanseo, DMF 2013, n° 747, pp. 425-432). L'article 13 du décret modifie l'article R. 221-49 du code de l'organisation judiciaire les dispositions suivantes : le tribunal d'instance compétent est celui dans le ressort duquel se situe : soit le domicile du marin ; soit le port d'embarquement ou de débarquement du marin. Le marin peut également saisir le tribunal d'instance dans le ressort duquel est situé le port où l'employeur a son principal établissement ou une agence ou, à défaut, le port d'immatriculation du navire. Le troisième alinéa de l'article R. 221-49 est stupéfiant dans une logique de codification claire, puisqu'il ne concerne nullement les marins et leurs litiges, mais les recours relatifs aux maladies contagieuses des animaux acquis, ainsi que les recours liés aux ventes d'engrais.

Le décret n° 2015-219 du 27 février 2015 modernise la compétence territoriale et les critères géographiques de rattachement. Le décret du 20 novembre 1959 faisait référence aux ports, port d'escale, port d'attache du navire, port dans lequel l'armateur a son principal établissement, port du domicile du marin. La transformation est limitée : les ports d'embarquement et de débarquement sont conservés, étant des rattachements physiques sérieux avec l'activité professionnelle du marin ; il en est de même du port où l'employeur a son principal établissement, ce qui n'a pas de lien avec le siège social de l'employeur ou de l'armement : il suffit du port où l'employeur dispose d'une agence ; le port d'immatriculation est une référence conservée. Par contre, enfin le domicile du marin est un rattachement détaché de toute ville portuaire, prenant en compte les évolutions sociologiques concernant tant l'origine des navigants que leurs pratiques familiales.

Litiges collectifs et travail international.

Le contentieux du travail en France est caractérisé par sa dispersion ; il n'existe pas de tribunaux du travail chargés de l'ensemble des litiges relatifs aux relations de travail, individuelles ou collectives.

Litiges collectifs : compétence du TGI.
La tradition française distingue les litiges individuels de travail, confiés aux conseils de prud'hommes pour les travailleurs terrestres et aux tribunaux d'instance pour les marins et les litiges collectifs de travail. Les litiges individuels opposent un ou des salariés à leur employeur, ou deux salariés entre eux ; plusieurs litiges individuels peuvent opposer plusieurs salariés à leur même employeur sur un même objet. Les litiges collectifs opposent un syndicat, une institution représentative du personnel (comité d'entreprise, CHSCT) à un employeur, sans qu'il n'existe entre eux un contrat de travail. Ces litiges collectifs de travail relèvent du juge judiciaire de droit commun, le tribunal de grande instance (G. Auzero et E. Dockès, Droit du Travail, Dalloz, 29ème éd., 2015, n° 74 et s.). Le recours d'un syndicat représentatif, signataire d'un accord ou d'une convention collective, en application ou interprétation de ce texte relève du TGI ; il en est de même d'une demande d'annulation d'une disposition conventionnelle par un syndicat non signataire. Il en va de même d'une demande d'annulation d'une délibération du comité d'entreprise ou du CHSCT, de la contestation de la désignation d'un expert, par une institution représentative du personnel, de sa mission ou de sa rémunération (A. Supiot, Les juridictions du travail, Dalloz, 1987). Il en est ainsi lorsqu'une entreprise conteste un préavis syndical de grève (Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 10-26237, Dr. soc. 2012, n° 4, pp. 433-436, DMF 2012, n° 746, pp. 326-333 - Cass. soc., 8 octobre 2014, n° 13-13792, SNCM c/ Syndicat CGT des marins de Marseille, DMF 2015, n° 766, pp. 131-139, « De la grève, du service public et du contrôle judiciaire des conflits collectifs de travail »).

Compétence du tribunal d'instance pour les élections professionnelles et la désignation des représentants syndicaux.
Dans le cadre de la dispersion du contentieux du travail en France, il convient de ne pas oublier la compétence du tribunal d'instance concernant les élections professionnelles dans l'entreprise (art. L. 2314-25 et L. 2324-23 C. Trav.), du comité d'entreprise, des délégués du personnel ou du CHSCT, ainsi que les litiges concernant la désignation des représentants syndicaux, délégués syndicaux ou représentants de la section syndicale (art. R. 2143-1 et L. 2324-23 C. Trav.). Cela concerne les armements maritimes (Cass. soc. 22 septembre 2010, n° 09-60435, Syndicat CGT national du personnel sédentaire c/ Sté CMA-CGM, DMF 2011, n° 723, pp. 250-261, « De la représentativité des syndicats affiliés à une même confédération nationale » - TI Marseille, 5 novembre 2009, DMF 2010, n° 715, pp. 497-503, « De la représentativité des syndicats de marins »).

Travail international : compétence prud'homale.
Si la compétence prud'homale n'est pas retenue pour un travail maritime sous pavillon français, elle revient dans le contentieux international du travail maritime, notamment concernant le yachting méditerranéen. Selon la jurisprudence, quand le défendeur n'est pas implanté dans le territoire de l'Union européenne, le décret du 20 novembre 1959, décret d'application du code du travail maritime, n'était pas transposable dans l'ordre international. Nous voyons mal l'article R. 221-3 du code de l'organisation judiciaire l'être, alors qu'il se réfère au code du travail maritime. Par contre, le juge compétent se détermine par l'intermédiaire de l'article R. 1412-1 du code du travail, ce qui renvoie à la compétence prud'homale (Cass. soc. 29 avr. 2003, no 01-41.599, navire Wedge One, Dr. soc. 2003, 893; DMF 2003, 960-966, obs. P. Chaumette – dans le même sens, Cons. prud'h. Cannes, 13 mai 2004, Tingson et Verginesa c/Sté Wedge Limited CIBC, DMF 2004, 1012-1021, note P. Chaumette- Cass. soc. 28 juin 2005, no 03-45.042, M. Bobinet c/ Sté Taiphoon Ltd, navire Nan Shan, Bull. civ. V, no 216 ; DMF 2006, 35-42).

Quand le défendeur au litige est implanté dans le territoire de l'Union européenne, le règlement CE 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 s'applique. Le règlement. 1215/2012 du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, entrera en vigueur le 10 janvier 2015. La jurisprudence aixoise a rattaché la relation de travail maritime au port d'exploitation du navire et à la compétence prud'homale (CA Aix-en-Provence, 9e ch., 23 mars 1992, Birkenfeld c/ Chiaro, Gaz. Pal. 23-25 nov. 1997, no spéc. Le droit de la plaisance, 3e partie, p. 16-20 - CA Aix-en-Provence, 17è ch., 8 févr. 2008, navire MY/All Seven, DMF 2009, n° 701, 228-234 n. C. Babault-Ballufin – Cass. soc., 31 mars 2009, n° 08-40367, navire Ontario, Sté luxembourgeoise Four Wings Charter c/ M. Latoja, Bull. civ. V, n° 93, DMF 2009, n° 707, pp. 835-843 n. Gw. Proutière-Maulion, Dr. soc. 2009, 733, obs. P. Chaumette, RDT 2010, n° 1, pp. 63-66 obs. F. Jault-Seseke, « La compétence judiciaire internationale dans les rapports de travail » - CA Aix-en-Provence, 17è ch., 23 nov. 2009, n° 2009/1245, SA Maritime Charter Corporation, navire Speed II). Le rattachement du litige et de la relation de travail au port d'exploitation du navire a été confirmé par la Cour de justice (CJUE, 4ème ch., 15 déc. 2011, aff. C-384/10, Jan Voogsgeerd c/ Navimer SA, Dr. soc. 2012, n° 3, 315-317, DMF 2012, n° 734, 219-233 n. P. Chaumette « De l'établissement d'exploitation du navire et du lieu habituel de travail d'un marin », RDT 2012, n° 2, 115-119, F. Jault-Seseke). La compétence prud'homale est confirmée même vis-à-vis d'un capitaine de yacht (CA Aix-en-Provence, 17ème ch., 17 décembre 2013, n° 12/23376, Sté Marine Neva Ltd, navire Miss Irisha, DMF 2014, n° 756, pp. 214-228, « Le rattachement d'un capitaine de yacht au lieu de conclusion de son contrat de travail en France - CA Aix-en-Provence, 17ème ch., 26 juin 2014, M. Pondart, navire Grayzone, DMF 2014, n° 763, pp. 869-877, « Le yachting international et ses rattachements »), même lorsque le navire, immatriculé aux Bermudes, n'a pas d'exploitation liée au territoire français, que le contrat de travail est soumis à la loi d'autonomie, choisie par l'employeur dont le siège est aux Iles Vierges Britanniques, à Tortola, mais le marin est domicilié en France, ce qui sur le fondement de l'article R. 1412-1 du code du travail lui ouvre la compétence prud'homale (CA Aix-en-Provence, 17ème ch., 12 décembre 2013, M. B c/ Sté Canford Holding et Sté Navigator, navire S/Y Tatouey, DMF 2014, n° 763, pp. 869-877, « Le yachting international et ses rattachements »).

La conciliation préalable.

Le décret du 27 février 2015 met fin au permis de citer, délivré par l'administrateur des affaires maritimes, mais il conserve la conciliation préalable auprès du directeur départemental des territoires et de la mer, ou son délégué. Selon les partenaires sociaux, cette conciliation est utile ; selon le ministère de la Justice, elle est efficace : elle aboutirait dans 27 % des cas, quand ce chiffre n'est que de 14 % en moyenne sur 10 ans, en matière prud'homale. La conciliation des litiges est commune à toutes les juridictions (art. 21 C. Procédure Civile) ; elle est spécialement organisée au sein du conseil des prud'hommes (art. R. 1454-10 C. Trav.). Il en va de même pour les litiges individuels maritimes. Cette conciliation est obligatoire, sauf pour le capitaine de navire. Un marin ne saurait saisir directement le tribunal d'instance, sa demande étant alors irrecevable.

Procédure de référé devant le tribunal d'instance.
Encore faut-il réserver le cas du recours en référé, qui est ouvert devant toutes les juridictions, permet d'obtenir des mesures conservatoires ou provisoires et n'est pas soumis au préalable de la tentative de conciliation. La procédure de référé est précisée devant le tribunal d'instance par l'article 848 du code de procédure civile. La lenteur des procédures devant les juges du fond incite les salariés, les syndicats, les employeurs, les instances représentatives du personnel à saisir le juge des référés, même s'il ne prend que des mesures provisoires ou conservatoires (G. Auzero et E. Dockès, Droit du Travail, Dalloz, 29ème éd., 2015, n° 78). Le juge des référés, juge de l'urgence, est aussi devenu le juge de l'évidence. Il permet de faire cesser un trouble manifestement illicite ; il peut prendre toutes mesures de nature à faire cesser un risque d'atteinte à l'intégrité physique des salariés, sur saisine de l'inspecteur du travail (art. L. 4732-1 C. Trav.) ; il peut aussi prendre toutes mesures qui ne se heurtent pas à une contestation sérieuse, notamment quand l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Nous connaissons peu de cas de recours en référé dans le contentieux du travail maritime. Un matelot a pu obtenir une provision à titre de complément de salaire, dans la mesure où les parts de pêche n'atteignaient pas le salaire minimal garanti, que l'attestation délivrée par l'armateur évoquait le départ volontaire du marin, quand les courriers échangés démontrent la volonté de l'employeur de rompre le contrat d'engagement maritime ; la créance salariale et d'indemnités de rupture n'est pas sérieusement contestable (TI Saint-Nazaire, 9 janvier 2007, M. Beurrier c/ M. Trocmé, n° 12-06-000139, Droits Maritimes, Dalloz Action, 3ème éd., 2014, préc., n° 413.69).

Conciliation - Compétence matérielle.
Le directeur départemental des territoires et de la mer procède à la tentative de conciliation entre les marins, à l'exception du capitaine, et leurs employeurs. Le directeur départemental peut déléguer cette compétence aux agents qualifiés placés sous son autorité qu'il désigne à cet effet. La liste des agents chargés de la conciliation ainsi désignés est publiée au recueil des actes administratifs et sur le site internet du ministère chargé de la mer.

Conciliation - Compétence territoriale.
Le directeur départemental des territoires et de la mer territorialement compétent pour procéder à la tentative de conciliation est celui soit du domicile du marin, soit du port d'embarquement ou de débarquement du marin. Le marin peut également former sa demande auprès du directeur départemental territorialement compétent pour le port où l'employeur a son principal établissement ou une agence ou, à défaut, pour le port d'immatriculation du navire.

La procédure de conciliation.
La demande aux fins de conciliation préalable est formée par tout moyen auprès du directeur départemental des territoires et de la mer territorialement compétent. Un accusé de réception est remis ou adressé au demandeur par tout moyen permettant d'établir date certaine. Le demandeur indique les noms, prénoms, professions et adresses des parties, ainsi que l'objet de ses contestations (art. 4). Le demandeur est convoqué par tout moyen. Le défendeur est convoqué par tout moyen permettant d'établir date certaine. Le même jour, une copie de cette convocation lui est adressée par lettre simple. La convocation des parties indique leurs noms, professions et domiciles ; le lieu, le jour et l'heure de la conciliation ; l'objet des contestations du demandeur. Elle invite les parties à se munir de toutes les pièces utiles. Cette convocation, ou un document qui lui est joint, reproduit les dispositions des articles 6 à 11 du présent décret, les articles R. 221-3 et R. 221-49 du code de l'organisation judiciaire ainsi que l'article L. 5542-48 du code des transports (art. 5). Les parties comparaissent en personne, sauf à se faire représenter en cas de motif légitime (art. 6).

Les parties peuvent se faire assister ou représenter par un marin ou un employeur relevant de l'article L. 5511-1-2° du code des transports ; un délégué d'une organisation syndicale ou un représentant d'une organisation d'employeurs ; le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin ; un avocat. L'employeur peut également se faire assister ou représenter par un membre de l'entreprise ou de l'établissement. Le représentant, s'il n'est pas avocat, doit justifier d'un pouvoir spécialement établi à cet effet (art. 7).

Conciliation ou procès-verbal de non conciliation.
Le directeur départemental des territoires et de la mer ou l'agent désigné pour la conciliation entend les explications des parties et s'efforce de les concilier. La teneur de l'accord, même partiel, est consignée dans un procès-verbal signé par les parties et le directeur départemental des territoires et de la mer ou l'agent désigné pour la conciliation. En cas d'échec de la tentative de conciliation, un procès-verbal est dressé. Une copie du procès-verbal est remise aux parties. Les mentions obligatoires du procès-verbal, les modalités de délivrance de copies sont fixées par un arrêté du ministre chargé de la mer (art. 8).

Lorsqu'au jour fixé pour la tentative de conciliation, le demandeur ne comparaît pas ou n'est pas représenté, il est dressé un procès-verbal constatant la caducité de la demande de conciliation (art. 9). Lorsqu'au jour fixé pour la tentative de conciliation, le défendeur ne comparaît pas ou n'est pas représenté, le directeur départemental des territoires et de la mer ou l'agent désigné pour la conciliation établit un procès-verbal constatant le défaut de conciliation pour non-comparution et absence de représentation du défendeur. Une copie en est remise au demandeur (art. 10).

En cas de procès-verbal d'échec de la tentative de conciliation ou en cas de procès-verbal de défaut de conciliation, le demandeur peut saisir le tribunal d'instance de tout ou partie de ses contestations par déclaration au greffe du tribunal d'instance compétent désigné à l'article R. 221-49 du code de l'organisation judiciaire. Outre les mentions prescrites par l'article 58 du code de procédure civile, la déclaration doit contenir, à peine de nullité, un exposé sommaire des motifs de ses contestations. Une copie du procès-verbal de non-conciliation y est jointe. Les pièces que le demandeur souhaite invoquer à l'appui de ses contestations sont jointes à sa déclaration en autant de copies que de personnes dont la convocation est demandée. Le greffier convoque les parties dans les conditions de l'article 844, al.1er du code de procédure civile. Une copie de la déclaration et des pièces jointes est jointe à la convocation (art. 11).

A défaut de conciliation, le demandeur, qui sera en pratique souvent le marin, peut saisir le tribunal d'instance ; il n'est pas obligé de le faire et il existe de nombreux cas d'abstention où le rappel des règles existantes faites par l'autorité maritime, éclaire les faibles chances de succès d'un recours judiciaire. Le principal intérêt d'une conciliation « en famille », sous la tutelle en quelque sorte de l'administration maritime, est le langage commun recherché et souvent retrouvé, ainsi que la compréhension commune du cadre juridique. Il reste place à des conflits d'intérêts, des désaccords d'interprétation. La conciliation est utile qu'elle aboutisse ou non, si les directeurs départementaux ou leurs délégués sont suffisamment formés aux évolutions du droit social maritime. L'attente depuis 2010 de la partie réglementaire maritime du code des transports ne facilite pas l'appréhension de ces évolutions (P. Chaumette, « De l'évolution du droit social des gens de mer. Les marins ne sont pas des salariés comme les autres. Spécificités, banalisation et imbrication des sources », Neptunus, E-revue, vol. 21, 2015, www.cdmo.univ-nantes.fr ).

La saisine du tribunal nécessite un exposé sommaire des motifs de contestations et une copie du procès-verbal de non-conciliation. La Cour de cassation a récemment rappelé ces exigences anciennes (Cass. soc. 18 février 2014, n° 12-29601 et 12-29622, X..., c/ Sté Coopérative ouvrière de production des lamaneurs du port de Dunkerque). Comme il existe plusieurs critères de rattachement territorial vers une direction départementale compétente, il existe la même diversité vers la juridiction. Un marin peut-il saisir la direction départementale du port de son débarquement, puis saisir le tribunal de son domicile ? Le décret du 20 février 2015 ne s'y oppose pas. Tel fut le cas récemment, le marin saisissant l'administrateur des affaires maritimes de Marseille, en lien avec le siège social de l'armement, puis le TI de Quimper en lien avec son domicile, à la suite d'un travail lié à un catamaran immatriculé à Dakar. La cour d'appel de Rennes admet ce déplacement géographique qu'aucun texte n'interdit (CA Rennes 3 octobre 2012, Catamaran Diassanga, IRD c/ M. Sanseo, DMF 2013, n° 747, pp. 425-432). Il n'existe pas de délai minimal ou maximal entre le PV de non-conciliation et la saisine du tribunal d'instance ; la saisine de l'administration est-elle interruptive de prescription ? La Cour de cassation l'avait admis, en analogie avec la procédure prud'homale (art. R. 1452-1 C. Trav.) : l'effet interruptif de la prescription, résultant d'une action en justice, se prolonge jusqu'à ce que le litige trouve sa solution an application de l'article 2244 du code civil. La Cour de cassation a considéré que la tentative de conciliation devant l'administrateur des affaires maritimes, exigée par l'article 2 du décret n° 59-1337 du 20 novembre 1959 préalablement à la soumission de tout litige concernant les contrats d'engagement régis par le code du travail maritime, entre les armateurs et les marins, à l'exception des capitaines, au tribunal d'instance, constitue un acte interruptif de prescription (Cass. soc. 23 février 2000, n° 97-45816, X. c/ Port autonome de Rouen – Cass. soc. 24 mars 2004, n° 02-40574, Cie Méridionale de Navigation c/ Paris, DMF 2005, p. 146 et s.). Depuis 2008, le nouvel article 2238 du code civil envisage la suspension de prescription, lorsque « après la survenance d'un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation » ; il s'agit de l'éventualité d'une conciliation volontaire, et non obligatoire ; il est vraisemblable que la Cour de cassation confirme sa jurisprudence et maintienne son analogie avec la procédure prud'homale (en ce sens, v. Chr. Eoche-Duval, « Réforme de la résolution des litiges individuels entre les marins et leurs employeur s», DMF 2015, n° 768, p. 295 – I. Jarry, « Regard sur le décret du 27 février 2015 relatif à la résolution des litiges individuels entre les marins et leurs employeurs », DMF 2015, n° 768, pp. 358-360).

Outre-Mer.

Mayotte.
Les articles 1er à 11 du décret, relatif à la conciliation préalable, ne sont pas applicables à Mayotte. L'article L. 5725-1 du code des transports n'étend pas à Mayotte les dispositions de l'article L. 5542-48 du même code. Pour l'application à Mayotte de l'article R. 221-13 du code de l'organisation judiciaire, imposant la compétence du tribunal d'instance, un renvoi est fait au code du travail applicable à Mayotte. La compétence du tribunal d'instance entrera en vigueur à Mayotte en même temps que l'ensemble de la réforme de l'organisation judiciaire de ce département, au plus tard le 31 décembre 2015 (art. 15).

Wallis et Futuna.
L'ordonnance du 28 octobre 2010 prévoit, en son article 14, que les marins sont également soumis aux dispositions applicables à Wallis et Futuna du Titre IV du Livre V de la cinquième partie du code des transports. Toutefois, l'article L 5785-1 du code des transports ne vise pas l'article L. 5542-48 disposant que le différend qui peut s'élever à l'occasion des périodes d'embarquement, entre l'employeur et le marin est porté devant le juge judiciaire, comme faisant partie des dispositions applicables à Wallis et Futuna. Le TGI des Sables d'Olonne s'est référé à l'article R. 221-13 du code de l'organisation judiciaire pour retenir la compétence du tribunal d'instance. Les parties n'avaient pas invoqué la compétence du tribunal du travail du territoire (TGI Les Sables d'Olonne, 25 octobre 2013, n° 12/01058, Cibié c/ Club Méditerranée, Charming Venture Ltd, DMF 2014, n° 754, pp. 21-25, « Compétence du tribunal d'instance pour un embarquement sur un navire immatriculé à Wallis et Futuna »). Dans un tel cas la conciliation préalable auprès de l'administration maritime ne s‘impose pas.

Entrée en vigueur.

Le décret n° 2015-219 du 27 février 2015 entre en vigueur le 1er mars 2015. Toutefois, les litiges individuels en cours entre les marins et leurs employeurs demeurent régis par les dispositions antérieures à l'entrée en vigueur du présent décret (art. 16).

Décret n° 2015-219 du 27 février 2015 relatif à la résolution des litiges individuels entre les marins et leurs employeurs JORF n° 50 du 28 février 2015, p. 3834

Professeur Patrick CHAUMETTE,
Centre de Droit Maritime et Océanique,
Université de Nantes

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