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ECDIS : La responsabilité du Capitaine
en cas de mauvaise utilisation


Forum ECDIS - ENSM MARSEILLE - janvier 2011


  1. Etat des lieux
  2.        En cas d'accident nautique la responsabilité du capitaine est recherchée. Il est responsable de tout, c'est la grandeur du métier. Mais encore faut-il qu'il ait les moyens d'exercer pleinement cette responsabilité.

    Ces dernières années, la pression sur lui s'est accrue, pour diverses raisons, dont certaines rappelées brièvement ici :
    • importance de la sensibilité du public à la protection de l'environnement : image des «capitaines voyous» dans l'opinion suite aux pollutions marines.
    • tendance accrue des familles de victimes à aller devant les tribunaux pour obtenir réparation du préjudice, mais aussi pour connaître les circonstances précises de l'accident («faire son deuil»). On peut le regretter, mais c'est une réalité dont il faut tenir compte.
    • brèche dans l'exonération de responsabilité en matière civile : suite à l'affaire du chalutier «La Normande», le capitaine peut maintenant être condamné non seulement au pénal, mais également au civil, c'est-à-dire qu'on peut lui demander réparation des préjudices subis.
    • arrivée du VDR (Voyage Data Recorder), à l'origine boîte noire prévue pour permettre aux enquêteurs de déterminer les conditions dans lesquelles s'est produit un accident grave. En fait cet appareil est aussi utilisé par certaines Compagnies pour s'assurer de la bonne conduite du navire : de plus en plus souvent un disque dur d'enregistrement des données est installé
    • en parallèle et ses données sont transmises à la Compagnie à la suite de tout accident, même minime.
    • développement des moyens de communication qui limitent l'autonomie du capitaine.

    Et pourtant dans le même temps, le capitaine a perdu quelques moyens de défense :
    • diminution de ses prérogatives concernant son rôle de représentant de la puissance publique : sans lien direct avec le sujet, cette évolution le rend moins indépendant vis-à-vis de son armateur, et donc diminue sa capacité à faire prévaloir ses vues.
    • remise en cause de la présence de professionnels dans la composition des tribunaux maritimes commerciaux. On ne connaît pas encore précisément comment ces tribunaux vont continuer à fonctionner.

    Quelques moyens nouveaux sont mis à sa disposition, mais ils ont presque toujours une contrepartie :
    • le code ISM renforce son autorité, mais aussi sa responsabilité : il doit contrôler notamment les certificats STCW de son équipage, gérer une augmentation importante du nombre de procédures réglementaires, contrôler les temps de repos de son équipage, etc.
    • la performance des appareils de navigation s'est améliorée, mais il doit s'assurer que ce matériel est correctement entretenu, et qu'il est correctement utilisé.

Le concept de l'«e-navigation», en cours de discussion à l'OMI, et dont l'ECDIS n'est qu'un des éléments, s'inscrit dans ce contexte.

Un des buts de l'ECDIS était d'«alléger la charge de travail» des officiers de quart (COMSAR 14), ou plus exactement de mieux gérer leur charge de travail (MSC 88), en particulier en supprimant à terme le travail fastidieux de correction des cartes. L'objectif poursuivi était l'amélioration de la sécurité de la navigation, la diminution des accidents. Actuellement on constate qu'il ne remplit pas entièrement ce rôle.

    L'ECDIS apporte un plus en tant qu'aide à la navigation, mais amène de nouvelles responsabilités à assumer :
    • contrôle de l'état du matériel et de sa mise à jour
    • contrôle de sa bonne utilisation
    De plus il faut signaler qu'au cours de la 56ème session du Sous-comité NAV de l'OMI, il a été suggéré de connecter les informations de l'ECDIS, y compris le journal électronique, au VDR. En cas d'accident, même s'il n'a rien à voir avec l'ECDIS, nul doute qu'une mauvaise utilisation de cet appareil jouera en défaveur du capitaine.

    Pour que l'ECDIS remplisse parfaitement son rôle, et ne soit pas uniquement un élément de plus à sa charge, il importe que le capitaine ait les moyens de :
    • s'assurer que ses officiers passerelle maîtrisent parfaitement cet outil. Pour cela il devra contrôler la possession du certificat STCW ad hoc par l'utilisateur. De plus, une passation de service d'une durée suffisamment longue devra permettre à tout officier passerelle d'avoir une bonne connaissance du matériel spécifique en place à bord.
    • contrôler sa bonne utilisation : cela ne lui sera possible que s'il a lui-même reçu cette formation.
    • s'assurer du maintien en bon état de l'appareil et de sa tenue à jour


  1. Quelques propositions de mesures à mettre en œuvre
Par l'armateur :
  1. associer pleinement les capitaines lors de l'agencement des passerelles des nouveaux navires, ou l'installation de nouveaux matériels. Les associer au choix du type de matériel. C'est généralement le cas, mais il est important de le souligner ici.
  2. équiper dans la mesure du possible les navires d'une même compagnie avec des appareils d'un même fabricant.
  3. assurer une formation aux capitaines, d'une part en leur permettant de suivre une formation généraliste, mais cela devrait être rendu obligatoire par STCW, d'autre part en leur faisant suivre un stage chez le fabriquant.
  4. soulager leur travail et celui de leurs officiers, en réduisant la tonne de paperasse qui leur est demandée actuellement : les rapports de voyage, par exemple, devraient pouvoir être automatiquement générés et transmis par l'ECDIS.
  5. leur donner les moyens de refuser l'embarquement d'un officier n'ayant pas suivi un stage chez le constructeur, ou au moins d'exiger une passation de suite suffisamment longue.
 
    Par les fabricants:
    1. tenir le plus grand compte des retours d'expérience des utilisateurs
    2. assurer des formations aux officiers sur le matériel fourni, pas uniquement au moment de sa mise à bord. L'idéal est de fournir des formations sur simulateur.
    3. tenir les compagnies au courant des évolutions du matériel.

    Par l'OMI :
    1. s'inspirer des retours d'expérience des utilisateurs pour établir des prescriptions à respecter par les constructeurs. Faciliter et tenir le plus grand compte des retours d'expérience des utilisateurs. Pour cela s'engager à respecter la plus grande confidentialité pour les rédacteurs
    2. établir des prescriptions allant dans le sens d'une uniformisation des différents appareils, et d'une simplification de leur utilisation.
    3. exiger un certificat spécifique en plus du certificat générique, à l'image de ce qui se pratique semble-t-il dans l'aéronautique.

    Par l'Administration :
    1. imposer un contrôle annuel de l'installation, à l'instar du système SMDSS.
    2. saisir l'occasion de ces visites pour répertorier les incidents (Cf projet de circulaire MSC 88).
    3. s'assurer du respect des prescriptions de l'OMI, en ayant conscience que le Capitaine, s'il est responsable de tout, n'est pas toujours coupable…

    Par le capitaine :
    1. intégrer l' ECDIS dans les consignes passerelles
    2. briefer régulièrement son équipe passerelle sur l'utilisation et les risques liés à l'ECDIS. En particulier, il devra mettre en garde les jeunes officiers sur un excès de confiance dans cet appareil. Un grand danger est certainement celui-là : que le virtuel remplace la réalité. Que l'image observée à l'écran paraisse plus importante aux yeux du navigateur que celle qu'il voit à travers les vitres de la passerelle. Car comme chacun sait, l'informatique ne se trompe jamais…
    3. S'assurer de la bonne connaissance du matériel par tous les officiers passerelle. Ceci pourra être fait au moyen de la fiche premier embarquement demandée par l'ISM.
    4. Signaler tous les incidents liés à l'utilisation de l'ECDIS via le système sécurité ISM (retour d'expérience) : ces informations devraient être mises à disposition de l'OMI afin d'établir des prescriptions qui les prennent en compte. L'AFCAN, qui est conseiller technique de la délégation française, peut également servir de relais.

       En conclusion, un capitaine doit pouvoir faire part de son expérience pour faire évoluer positivement la réglementation, et permettre enfin à l'ECDIS de remplir complètement son rôle.

Cdt Marc PRÉBOT


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