Retour au menu
Retour au menu

Journées 2007 de l’École Nationale de la Magistrature

 
  Intervention de notre collègue Thierry ROSSIGNOL le 8 mars 2007.  



Mesdames, Messieurs, bonjour.

       Je tiens à remercier l’E.N.M en les personnes de Messieurs VEYSSIERE et PONS d’avoir permis à un capitaine de navire d’exprimer son point de vue à l’occasion de ces journées d’étude consacrées au développement durable et à l’environnement, et en particulier à la pollution marine.

       Tout d’abord un premier constat : la pollution de l’environnement marin ne repose pas entièrement sur les épaules du navire marchand. Un pourcentage non négligeable et même majeur de la pollution de la mer trouve son origine dans d’autres facteurs comme la pollution d’origine terrestre, la pollution liée au Fait du Prince, à l’exploitation des ressources énergétiques en mer et à la décharge naturelle des gisements pétroliers off-shore.

         Mon propos sera de vous expliquer la pollution de l’environnement marin liée au navire et à son exploitation, qui selon certains auteurs ne représentent qu’à peine 10 % de l’ensemble de la pollution de l’environnement marin. Je vous demande également de bien vouloir considérer que le transport maritime est une activité humaine qui comme d’autre ne possède pas de degré zéro en termes d’accidents même si comme les autres actes de l’homme, elle génère une atteinte à l’environnement.

Un navire est à la fois un outil de transport, un moyen de déplacement et une base vie pour son équipage et ses passagers. Les marins distinguent donc 3 types de pollution, non pas par envie de se singulariser, mais par nécessité de hiérarchiser selon le risque et la rigueur des textes dédiés.

       Chacune de ces activités génère des déchets, des déversements et des résidus qui peuvent conduire suivant leur importance à des catastrophes pour l’environnement, comme peut le rappeler fréquemment l’actualité. Chacune de ces activités est régie par des textes internationaux, régionaux, nationaux qui ne sont pas toujours compatibles entre eux. Chacune des ces activités est aussi dotée de réelles possibilités de développement durable.


  1. La pollution marine


    1. La pollution accidentelle de l’environnement marin :


    2.        C’est la plus connue, mais aussi la moins importante en quantité, sauf dans les médias. Elle intervient à la suite d’un événement majeur de la navigation maritime :
      • abordage.
      • acte spécifique et violent.
      • collision avec le fond.
      • effondrement d’une structure
      • événement inattendu (tempête exceptionnelle).
      • explosion
      • gite inattendue.
      • incendie
      • naufrage.
      • perte de la marchandise.


    3. La pollution fonctionnelle de l’environnement marin :


    4.        Elle est moins connue, mais est la plus importante car liée au navire en tant qu’entité économique et thermique et aggravée par le nombre important de navires et leur disparité en termes de qualité.

        Elle menace les océans par :
  • La décharge des eaux de ballast contenant des espèces pathogènes qui triompheront des variétés endémiques.
  • La lixiviation des peintures anti-salissure des coques de navire qui émet des composés cuivreux et d’étain qui représentent une menace pour l’homme par leur introduction dans sa chaîne alimentaire.
  • La perte de combustible malgré les procédures de sécurité lors des opérations de transfert.
  • La pollution des eaux par la marchandise perdue lors des opérations au port.
  • Le rejet à la mer des déchets du navire (eaux usées et ordures) non neutralisés et des eaux de cale non traitées.
  • Le rejet à la mer des déchets de cargaison ou de la cargaison laissée à bord à la conclusion des opérations de manutention portuaires.
  • Le rejet condamnable à la mer d’eaux huileuses, de boues hydrocarbonées
      Elle menace l’atmosphère par :
      • Les émissions de CO2, qui participent au réchauffement général de la planète comme toute unité thermique
      • Les émissions de NO2 et de SOX, qui génèrent les pluies acides.
      • Les combustibles marins ne sont pas épurés et ont une teneur élevée en soufre. La pollution par SOX est directement liée à la teneur en soufre des combustibles.
      • La perte de composés fluorocarbonés - CFC, HCFC, Halons -(couche d’ozone) à partir des équipements d’air conditionné du navire ou de ses unités de transport sous froid.
      • Les vapeurs de cargaison (COV) pour les navires pétroliers.
      Bien que le taux unitaire d’émission d’un navire soit extrêmement faible par rapport aux autres moyens de transport, elle représente plusieurs millions de tonnes de déchets pour l’atmosphère.


    1. La pollution induite de l’activité du transport maritime :


      • Depuis le bureau ou la tour d’où l’on gère le navire (consommation d’énergie, de papier, et production de déchets).
      • Dans l’espace portuaire et ses environs lors du transfert de la cargaison par les équipements portuaires qui fuient.
      • Par l’amiante des matériaux de construction du navire. Atteinte à la vie du marin et des démolisseurs de navire.
      • Lors du recyclage du navire en fin de vie dans les unités de démolition.
      • Par les déchets du navire déposés à terre lors de l’escale.


    2. Résumé :


    3.        La pollution à partir des navires est un fait conjoncturel et structurel qui n’existe que suite à des accidents imprévisibles, à des comportements sous la pression de facteurs économiques, et autorisée par le laxisme des états du port, des états du pavillon et des états côtiers. Ce sont :

      • L’absence d’unités de réception des déchets dans les enceintes portuaires.
      • Un comportement irresponsable : rejet dans les eaux du port ou à la mer des déchets.
      • Un comportement spécifique : acte de guerre, jet à la mer de la marchandise pour assurer le salut commun.
      • L’état du navire et la démarche qualité sécurité de l’entité propriétaire.
      • Un des événement de mer tel que listés au-dessus.
      • Le mauvais usage et/ou fonctionnement des équipements du navire.
      • Le mauvais usage et/ou fonctionnement des équipements portuaires.
      • La libéralisation de l’économie.
      • La pression exercée par l’affréteur sur la sécurité du transport par son choix du moyen naval et son ingérence dans la gestion nautique.
      • L’excuse du "taux du marché" ne justifie pas la baisse de la rémunération pour protéger le profit de l’affréteur car l’armateur doit trouver l’argent pour entretenir ses navires, les armer correctement et les remplacer.
      • Des faits de société : libéralisation de l’économie et recherche de profits.
      • Certains secteurs du transport maritime sont tellement concurrentiels que tout investissement dans la qualité, la sécurité et la qualification du personnel sont des facteurs antiéconomiques.
      Elle est aggravée par l’absence de port de refuge et d’un défaut ou par non élaboration de plan d’urgence pertinent pour le navire en difficulté.

      Conséquences :
      • atteinte à la bio-diversité,
      • atteinte aux ressources environnementales,
      • mise en danger des populations littorales ou consommant des produits de la mer,
      • perte économique des sites de production de nourriture, touristiques,
      • perte d’un patrimoine,


  1. Les textes fondamentaux.


  2. Toutes ces activités, je vous rassure cependant, n’échappent pas à un encadrement normatif, technique et bien sur répressif.

    1. Les Conventions Internationales dédiées à la sécurité de la navigation.


    2. Elles sont nombreuses, et je ne peux vous les lister toutes sans allonger mon intervention et y intégrer un discours très technique. Il faut cependant citer :
      • La Convention MARPOL 73/78 qui est à la fois un texte fondateur, normatif et répressif.
        • Elle définit les parties prenantes, leurs droits et leurs obligations.
        • Elle définit les rejets (où, quoi, comment).
        • Elle liste des clauses exonératoires sur les rejets.
        • Elle quantifie techniquement les équipements et certificats dédiés.
        • Elle définit l’assistance que doivent fournir aux navires les états signataires.
      • La Convention de MONTEGO BAY qui formalise l’activité sur mer. Et en particulier la liberté de commercer, de naviguer, les protections à fournir aux navires, aux eaux, aux fonds marins mais aussi les perturbations et les troubles liés à l’activité maritime.
      • La Convention 69/73 sur l’intervention en haute mer qui permet l’extension de la compétence d’un état riverain s’estimant menacé par une activité en haute mer.
      • Le code ISM (§ 5) qui traite de la gestion, par le Capitaine, la Compagnie, de la sécurité de la navigation et de préservation de l’environnement
      • Le plan SOPEP du navire qui traite des comptes rendus à faire et des actions à entreprendre en cas de pollution occasionnée par le navire.


    3. Les Accords et Directives Européennes


    4.        Accords de Bonn, de Barcelone, sur les SECA, le tribunal international maritime, les Directives sur la pollution.

    5. Les textes français


      • Le code de l’environnement, les transcriptions dans le droit français des textes internationaux et européens.
      • Les circulaires d’application issues du cabinet du premier ministre ou du ministère de la justice.
      • Le code des ports.
      • Les textes organisant l’action de l’état en mer.
      • La réglementation maritime nationale (transposition des textes internationaux sur la sécurité maritime et la qualification des équipements).



  3. La gestion de la pollution.


  4. La pollution, quelle que soit son origine, existe malgré les textes. Il faut donc gérer celle ci au civil, au pénal et techniquement.

    • Le code ISM qui traite de la gestion, par le Capitaine, la Compagnie, de la sécurité de la navigation et de préservation de l’environnement
    • Le plan SOPEP du navire qui traite des comptes rendus à faire et des actions à entreprendre en cas de pollution occasionnée par le navire.
    • La Convention A950 de l’OMI sur les ports de refuge qui traite des comptes rendus, des mesures à prendre pour gérer l’assistance aux biens, aux personnes et la préservation de l’environnement.
    • Les Conventions internationales sur l’assistance et le droit d’intervention de l’état riverain.
    • Le REMPEC, les accords RAMOGE, textes nationaux organisant la procédure et le relevé de l’infraction, la pénalisation du coupable.
    • Le Capitaine du navire.
    • Ayant le privilège d’être le sommet émergé de l’iceberg et le mandataire des nombreuses parties concernées, ce marin a de redoutables privilèges :
      • Ce marin en charge de tout, est donc responsable de tout, ce qui a le mérite de la simplicité mais pas de la facilité.
      • Ce marin a surtout peu de droits, car les textes qui lui permettraient de faire son travail sereinement (Convention Internationale A 443 et autres) sont toujours dans un tiroir par manque de signature auprès de l’instance internationale.
      • Certains états côtiers s’empressent de lui réserver un traitement tel que des pans entiers de l’élémentaire droit de tout humain doivent en être niés. Comment peut on participer à une cellule de crise dédiée à son navire depuis un fond de cellule ? Il est très difficile d’exercer ses responsabilités quand certains textes classent votre activité au même niveau que le grand banditisme.
      • Les décisions prises par l’autorité peuvent aller jusqu’à lui retirer son autorité décisionnelle, ce qui lui sera bien sûr reproché plus tard.
      • Il sera donc jugé sur les décisions prises avec ou sans son consentement, ce qui pour le moins, est bien peu satisfaisant surtout quand la notion de culpabilité ne tient que dans des affirmations du verbalisateur et que les moyens de sa défense lui sont retirés ou non pris en considération.


  5. Le navire et le développement durable.


  6.        Malgré tout, et je conçois que cela puisse être surprenant, le transport maritime est porteur, voire promoteur, de développement durable. Il est, de plus, vital pour nos économies car sans lui bien des gondoles de supermarché seraient vides. Il faut en effet savoir que 90% des marchandises transportées dans le monde empruntent ce moyen de transport. C’est une activité essentiellement concurrentielle, tout gain de productivité est donc très recherché.

           Le transport maritime est aussi un partenaire qualifié ISO 9014 de partenaires, utilisant ses services, à la recherche d’images qualifiantes pour eux mêmes suite à l’intégration du développement durable dans leur stratégie commerciale.


    1. Ressources techniques employées depuis longtemps pour des gains de productivité.


    2. Le navire utilise les gaz d’échappement de sa propulsion principale pour fabriquer de la vapeur nécessaire au réchauffage de ses soutes à carburant et à la production d’eau chaude. Ce qui permet de n’avoir qu’une petite unité thermique (chaudière de mouillage) pour cette production pendant les périodes ou le navire n’est pas propulsé.

      Le navire utilise l’eau chaude issue des réfrigérants des moteurs pour distiller de l’eau de mer pour produire l’eau douce nécessaire à son fonctionnement et à la vie de son équipage.

      Le lavage des cuves des pétroliers est effectué au pétrole et sous atmosphère inerte.


    3. Le transport maritime est moins polluant et consommateur d’énergie que les autres moyens de transport, tant en NOx, qu’en Sox et qu’en CO2.


   
  • Un navire de 8000 tonnes émet :
    21.1 grammes de CO2
    par tonne transportée et par kilomètre.


  • Un navire de 200.000 tonnes émet :
    4.2 grammes de CO2
    par tonne transportée et par kilomètre.


  • Un camion de 40 tonnes émet :
    50.1 grammes de CO2
    par tonne transportée et par kilomètre.


  • Un avion de transport émet :
    540.2 grammes de CO2
    par tonne transportée et par kilomètre.
L’impact économique et écologique du transport maritime (gros tonnage sur longues distances) en est très clair. Cependant l’usage de combustibles non désulfurisés conduit à d’importantes émissions de Sox.

    1. Le coût indiciel sur les prix final des biens est faible.


    2. 10.00 USD sur le prix d’un téléviseur.
        1.00 USD sur le prix d’un aspirateur.
        0.15 USD sur le prix d’une bouteille de whisky.


    3. Ressources déployées pour répondre aux normes ISO 9014 ou aux besoins des pays fréquentés.


      • Nouveaux composés fluoro-carbonés, pour l’élément réfrigérant des unités de transport sous froid et les installations de climatisation, qui ne procurent pas d’atteinte à la couche d’ozone. Type R 134 A
      • Incinérateur et compacteur performants.
      • Usage de carburants désulfurisés dans les zones SECA.


    4. Amélioration technique.


    5. Ces améliorations techniques visent à l’optimisation des équipements du navire mais aussi à fournir des capacités de suppléer aux carences des états du port et du pavillon.
      • Caisse d’observation sur les circuits d’assèchement des cales.
      • Circuit de réfrigération à 2 fluides caloriporteurs par des échangeurs (fluide chaud/eau douce/eau de mer) plutôt que des échangeurs primaires (fluide chaud/eau de mer).
      • Gestion des eaux de ballast pour éviter le transport de bactéries d’un continent à l’autre.
      • Incinérateur répondant aux normes les plus contraignantes en termes de pollution de l’air.
      • Peinture de coque tolérée par l’environnement marin. Mais qui va être le premier à signer la Convention AFSC ?
      • Nouveau moteur économe en carburant tout en conservant un bon rapport puissance/ poids
      • Nouveau séparateur à eaux mazouteuses plus performant pour atteindre des teneurs maxi en huile des eaux rejetés très en dessous des normes officielles.
      • Politique de gestion des approvisionnements et des pièces de rechange limitant les emballages perdus.
      • Système informatique intelligent permettant de s’approcher du zéro papier.


  1. Conclusion


  2.        La dangerosité pour l’environnement du transport maritime tient autant à la nature des cargaisons qu’au mode de transport lui-même. Les deux faces du problème sont difficiles à appréhender sous un angle global, dans la mesure où le degré de risques liés aux produits et à leurs moyens de transport varie considérablement selon les marchandises, les navires considérés, leur mode d’affrètement et les équipements portuaires, dont la présence est pourtant garantie par la signature des parties contractantes aux Conventions Internationales.

           Si une politique de prévention suppose des contrôles et des sanctions, elle impose aussi de responsabiliser celui qui impose le risque en lui demandant d’atteindre et de maintenir certains objectifs de sécurité et surtout d’assumer le manquement à ses responsabilités. L’exploitation sûre des navires est un des piliers de la prévention des accidents et de la protection de l’environnement. Cette activité existe pour les navires opérant pour des entreprises certifiés par des organismes de qualité.

       Les textes, qu’ils soient normatifs ou répressifs, n’ont pas la même consistance suivant leur origine. Il est temps qu’une unité de vue apparaisse, car le domaine d’activité du maritime est par essence international. La création d’une garde côtière européenne qui, sans mépriser les légitimes compétences nationales, permettrait cette unité de vue et d’action.

       La qualité des inspections de l’état du port devrait permettre la lutte contre le fraudeur, car le risque est à l’intérieur de la collectivité menacée.
           La recherche des responsabilités devrait être plus complète car, dans la majorité des pollutions importantes, le capitaine n’est pas, et plus, le seul très grand responsable. La compréhension des besoins du navire par les états du port est loin d’être identique. Il vaut mieux faire escale dans certains ports plutôt que dans d’autres si on est à la recherche d’équipements destinés à collecter les déchets.

           Né au bord de l’océan et ayant commandé des navires sur toutes les mers du monde pendant plus de 25 ans je respecte profondément le milieu marin. Il est donc très clair pour moi que la pollution volontaire, pour les motifs économiques bien connus, doit être sévèrement punie. Mais il est aussi très clair que je ne suis pas prêt à accepter la responsabilité d’une pollution de quelque nature que ce soit, si l’on m’a contraint par la mise en danger de mon navire, en ne me fournissant pas l’assistance et les facilités garanties par les Conventions Internationales signées par les États du port ou suite à la faillite d’équipements dont l’efficacité a été reconnue par l’état du pavillon, ou pour tout cas exonéré au sens des textes internationaux.

           Je suis au regret de dire que la recherche du vrai responsable ne me satisfait pas, car cela relève parfois de la culpabilisation du lampiste, que les droits élémentaires du capitaine pollueur ne sont pas toujours respectés, et qu’enfin la protection de notre cadre de vie dépend surtout de considérations avisées sur nos activités économiques et notre confort. Je dirais, enfin, que je comprends les capitaines qui organisent leur insolvabilité, car travaillant dans des entreprises peu ou pas certifiées, et affrontant une certaine forme d’injustice.


Cdt Thierry Rossignol,
Vice Président de l’AFCAN.
Retour au menu
Retour au menu