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  L'accident du COSTA CONCORDIA :
quel retour d'expérience ?

 


COSTA CONCORDIA avec tout son éclairage (et pas uniquement l'éclairage de secours pont embarcations) et 25°de gite: les passagers continuent à évacuer par les embarcations. Tandis que d'autres embarcations avec des membres de l'équipage aux commandes sont prêtes à évacuer les autres passagers qui pourraient se présenter.

Introduction :

       Il peut être prétentieux de tenter de retirer déjà un retour d'expérience d'un accident spectaculaire mais trop récent et sans quelconque résultat d'enquête nautique ou pénale. Néanmoins quelques pistes d'analyse peuvent être déjà avancées :
  • L'erreur initiale de navigation
  • La mauvaise gestion de la situation après l'accident
  • Langue de l'équipage versus langue des passagers
  • Le comportement du navire accidenté
  • Le comportement du capitaine du navire
  • Le comportement de l'équipage dans le processus d'évacuation
  • Le comportement de la Compagnie
  • Les moyens d'évacuation
  • L'information des passagers en général
  • La communication avec les passagers en situation de crise
  • Les leçons qu'on pourrait en tirer
  • Conclusion

L'erreur initiale de navigation

       A l'aide des enregistrements des positions AIS qui nous sont parvenus via internet, même en tenant compte du risque de manipulation, on voit nettement l'erreur de navigation commise par les officiers du navire. Il ne s'agit pas d'un accident suite à une avarie, mais bien d'une grossière erreur de navigation! Même si le Cdt SCHETTINO avait pris la responsabilité de la navigation, il semble que l'officier de quart qui pouvait être le second-capitaine, a laissé faire ! Avec les instruments présents à bord, la mauvaise route prise par le navire à une vitesse de près de 15 nds aurait dû interpeller les autres officiers présents à la passerelle. Il arrive à tous les capitaines de «raser les cailloux» ne serait-ce que dans les chenaux, à l'entrée des ports ou encore au passage des jetées. Mais dans ces cas-là, la vitesse est réduite à la vitesse de sécurité (voulant dire pouvoir s'arrêter sur une distance pré-mesurée aux essais mais proche d'une longueur et demie pour un ferry ou un paquebot) et ce, pour pouvoir rectifier la position ou une route erronée sans temps mort. Cette vitesse de sécurité est donc automatiquement liée à une distance de sécurité propre au navire: on doit pouvoir stopper le navire et faire demi-tour ou repartir en arrière sans danger. Communément on multipliera par deux la distance obtenue plus une longueur du navire comme «pied de pilote» soit, dans notre cas au total 4 fois la longueur totale du navire !

       En prenant comme hypothèse que pour CONCORDIA le calcul ci-dessus reste valable, on trouve comme distance de sécurité : 1200m soit 0,7 mille ! Le 13 janvier, le COSTA CONCORDIA n'avait donc pas la distance de sécurité qui aurait permis de parer les roches, même en cas de manœuvre de contournement mal engagée (il était beaucoup trop près de la côte pour cela !) NB : A vitesse de sécurité (10 nds), le car-ferry NORMANDIE (Brittany Ferries 160m/2200 pax/ 24.000 cv/ 2 hélices/4 moteurs/ OUISTREHAM-PORTSMOUTH) s'arrête sur 250 mètres avec 60% de la puissance en AR). Contourner un obstacle en mer où le long de la côte à une distance minimum de 0,5 mille soit 900 mètres soit près de 4 fois la longueur du navire reste du «bon sens marin».

       En conclusion : le Cdt SCHETTINO naviguait certainement à vue – c'est-à-dire plus trivialement, au pifomètre !- Pourtant il avait sa table traçante (ou équivalent) liée au GPS et couplée à la carte électronique ! Même si on a l'habitude du coin, on ne se permet pas cela avec un navire quel qu'il soit : rappelez-vous les accidents de rase-cailloux avec blessés d'une part (HSC SAINT MALO) et morts de l'autre (HSC SLEIPNER) ou les accidents de rase-cailloux sans dégâts humains (Car-ferry MONTE STELLO, Porte-avions FOCH, Pétrolier ELORN, Escorteur d'escadre DUPERRE, Car-ferry ARMORIQUE, Cargo WASHINGTON, Car-ferry SOLIDOR, Paquebot Paul GAUGUIN, Gaz-tanker EL PASO etc. la liste est assez longue !)… où, là-aussi, il faut finalement constater que c'étaient de grossières erreurs humaines ! Des erreurs humaines, aucune compagnie de paquebot ou de ferries n'est à l'abri, mais lorsqu'il n'y a ni morts ni blessés, l'accident fait peu de bruit et est vite oublié sinon occulté ! Seul le responsable de l'accident et l'assureur peut-être en gardent un (mauvais) souvenir !

       Conséquence d'une prise de risques inadéquate, la Compagnie est en droit d'en tirer son retour d'expérience et de sanctionner son capitaine si elle le juge nécessaire. Parfois les possibilités de comportement dangereux d'un capitaine peuvent être détectées avant… qu'il ne provoque un accident ! La Compagnie fait dans ce cas de la prévention en analysant par exemple que certains seconds-capitaines, devant monter à l'ancienneté, pourraient présenter un risque trop grand pour le navire, son équipage, ses passagers et donc… la Compagnie ! Nous connaissons tous des collègues empêchés de commander mais d'une manière «politiquement correcte» (place à l'armement, séparation à l'amiable ou démission forcée). Nul n'est infaillible mais parfois l'évincement à la fonction de capitaine est effectué peu après le début de son commandement et même après quelques années, c'est de la prévention ! Parfois elle ne se fait jamais et … un accident stupide comme celui du COSTA CONCORDIA arrive !

La mauvaise gestion de la situation après l'accident

       Ce navire a été construit en 2005/2006, il bénéficie des dispositions de la SOLAS Chapitre II-1 «stabilité après avarie» mais pas encore des critères plus stricts «safe return to the port» applicables seulement aux navires construits après juillet 2010. C'est-à-dire qu'après envahissement de deux compartiments contigus (Pour COSTA CONCORDIA il semble que ce soit le cas sur bâbord après la rencontre avec le sommet du caillou) le navire prend une gite maximum de 7° en utilisant les traverses d'équilibrage et qui permettra l‘évacuation par les engins de sauvetage des deux côtés du navire ! Notre chapitre de la SOLAS précise que le pavillon (ici l'administration maritime Italienne) et/ ou le conseil /société de classification agissant au nom du pavillon) peuvent permettre une gîte allant jusqu'à 12°.

       Je considère que 12° c'est encore jouable pour une évacuation maîtrisable! En outre, le couple de redressement du navire doit rester suffisant pour que le navire ne chavire pas, ce qui est on ne peut plus logique.

       Le COSTA CONCORDIA a heurté la roche à 15 nds, donc bruit sourd et fortes vibrations assurés. Tout le monde à bord savait que le navire avait touché ! Le premier réflexe du capitaine a certainement été de ralentir rapidement puis d'évaluer les avaries ; ou alors la perte de propulsion a été instantanée ! Le navire est à ce moment-là à bonne distance des côtes (voir carte) ; il prend déjà de la gîte c'est donc qu'il est ouvert, comme les fonds à cet endroit sont entre 30 et 100 mètres, il peut tenter de mettre le navire en travers pour casser l'erre par tous les moyens (barre/propulseurs/ancres) pour une meilleure condition d'évaluation de la situation et surtout commencer déjà le rassemblement des passagers par un appel aux postes de rassemblement. En fait, il semble qu'il a dû subir un black-out peu après le choc avec le rocher : l'enquête nous le dira !

NB : Une erreur est souvent commise dans la marine marchande sur les signaux d'urgence. Le seul signal obligatoire est l'alarme générale composé d'au moins sept coups brefs d'une seconde et d'un coup plus long de plusieurs secondes. Il s'agit en général d'ordonner aux membres d'équipage de rassembler les passagers dans les «MUSTER POINTS» connus de tous (information large dès la montée à bord + informations partout à bord dans les lieux de vie et cabines) en vue d'une éventuelle évacuation décidée plus tard par le capitaine lui-même !

       Sur les RoRo à passagers, les membres d'équipage sont alertés par un signal différent limité à leurs locaux. Sur un paquebot de croisière à 20h, alors que 3000 passagers vont et viennent à bord ou bien dînent dans les nombreux restaurants, près des trois quarts des membres d'équipage sont au milieu des passagers ! Les officiers, second-maîtres et chefs de rang reçoivent d'ailleurs souvent le signal sur un récepteur personnel (TW/bip).

       Sur un car-ferry ou sur un paquebot, les problèmes commencent avec le rassemblement de tous les passagers munis de leur brassière de sauvetage. Nonobstant la situation réelle, le rassemblement avec brassière capelée est toujours difficile et à plus forte raison si la majorité des passagers est sur les ponts car leurs brassières sont … dans leurs cabines ! Sur un paquebot TOUS les passagers ont une couchette en cabines réparties sur plusieurs ponts. Sur un car-ferry par contre la moitié au moins des passagers est en sièges inclinables concentrés sur un seul pont avec les brassières… à portée de main …plus facile donc !

       Lors de l'appel aux postes de rassemblement effectué après le départ, cet exercice est présenté aussi comme un moment ludique pour les passagers des paquebots «vous pouvez apporter vos caméras» ! Il est vrai que le spectacle est photogénique avec toutes ces brassières de couleur orange! Il est vrai que transformer cet exercice obligatoire en spectacle est génial et on s'arrange pour le faire à l'abri si les prévisions météo/mer ne sont pas très bonnes!

       S'il fait mauvais et que visiblement le navire n'est pas au mieux (bruits anormaux, gîte anormale, personnel qui s'affaire et semble inquiet, diminution ou absence d'éclairage etc…), le rassemblement et le «maintien de l'ordre» deviennent difficiles de-par le comportement désordonné des passagers, qu'ils soient 1000 ou 5000 ; la seule différence entre ces deux nombres est que les passagers sont rassemblés sur une plus grande longueur de navire (au fait quelle longueur prévue pour les futurs 6.500 pax ?)

Formation gestion de crise des marins

       Tous les membres de l'équipage désignés pour aider les passagers dans des situations d'urgence sont, en théorie, obligatoirement formés pour gérer les foules. Le personnel hôtelier est de plus formé pour assurer une communication avec les passagers dans ces conditions d'urgence : il s'agit d'abord d'un vocabulaire anglais élémentaire et aussi des gestes des mains et des bras pour attirer leur attention sur les consignes, les échappées, les points de rassemblement, les embarcations de sauvetage, etc.... Le personnel d'encadrement, des officiers aux maîtres, est en plus formé pour gérer les situations de crise et les comportements humains (comportement des passagers et aussi leur propre comportement). Il s'agit aujourd'hui de la formation spéciale V/2 de STCW (les précédentes formations V2 et V3 ont été bizarrement réduites à une seule dans STCW 2010 qui est en vigueur depuis le 1er janvier 2012 !)

       Ces formations sont délivrées dans des centres agréés par les membres de l'OMI, mais même si le contenu est complet, la réalité et l'efficacité de la formation restent aléatoires dans certains centres et pas uniquement aux Philippines ! Nombre de membres du personnel hôtelier sont titulaires du certificat idoine, mais semblent totalement ignorer de quoi il s'agit dès qu'on vérifie un tant soit peu leur compétence au cours des exercices ou au cours des audits internes ISM. Lors des exercices, il est rare de voir le personnel bien préoccupé ou même conscient de la diversité des réactions possibles des passagers ou des autres membres d'équipage. Les bons formateurs pour ces formations pointues sont malheureusement rares et les aides de simulation bien insuffisants. La profession va certainement rapidement investir dans la simulation et la réglementation va, je pense, aussi évoluer vers une certaine obligation de cette simulation.

       En complément, une formation à la gestion des ressources humaines (CRM- Crew Resource Management) obligatoire dans l'aviation depuis longtemps, a été introduite dans STCW 2010 (appelé encore amendements de Manille) sous une forme minimale de BRM (Bridge Resource Management) ou ERM (Engine Room Resource Management). Il semble donc que les marins soient encore considérés, par les membres de l'OMI, comme incapables de comprendre vraiment cette gestion du facteur humain car la formation a été réduite à sa plus simple expression : d'un cours de 30 heures en aviation, on est passé à un contenu de quelques heures à peine dans le maritime (5 fois moins)!

       Si la tendance générale des armateurs internationaux est trop souvent de faire le minimum de ce qui est obligatoire, il faut reconnaître que certains armateurs français de paquebots et de ferries ont assuré de ce côté-là … J'ai vu des équipages entiers du capitaine au cuisinier venir en formation gestion des situations d'urgence ! Bravo … si tout le monde faisait comme cela !

       En conclusion, les marins sont capables d'assimiler toutes ces formations liées aux réactions ou ressources humaines… ces formations peuvent être effectuées à un coût raisonnable au cours d'un embarquement par des officiers de la Compagnie spécialisés ou par l'embarquement d'un formateur. Les meilleurs armateurs le font !

Langue de l'équipage versus langue des passagers

       Sur tous les navires aujourd'hui une langue de travail doit être fixée par la Compagnie ou le capitaine. Chaque membre d'équipage doit être à même de comprendre et, pour ceux qui sont en charge de la sécurité des autres, de donner des ordres et instructions et de faire rapport dans la même langue (réglementation SOLAS). Avec un équipage de plus de 30 nationalités et de 6 ou 7 langues maternelles différentes, l'anglais s'impose mais pour se faire comprendre et donner des ordres à des passagers de 6 ou 7 langues (souvent différentes de celles de l'équipage) qui ne parlent pas obligatoirement anglais !… comment fait-on?

       Rassurez-vous, pour rassembler et ou embarquer les passagers dans un brouhaha d'alarmes ou les hurlements du vent ou les cris des passagers, le langage des signes reste encore le meilleur moyen (body language)… nous conseillons aux membres d'équipage de se comporter comme des sémaphores (technique bien connue) !

Le comportement du navire accidenté

       Il semble que le navire ait continué sur son erre jusque dans le Nord du port de Giglio et ait tenté de revenir ensuite devant l'entrée … ce qui était intelligent. Il apparaît malheureusement que le navire a été incapable d'éviter l'enrochement Nord du petit port ! Même s'il avait ses propulseurs, il ne pouvait pas apparemment éviter les roches. Une des solutions était peut-être de mouiller les deux ancres au plus tôt après l'accident ou de venir s'échouer dans l'entrée du petit port ?

       En fait, à trop tarder, le capitaine du navire n'avait plus beaucoup de solutions ! Le fait de venir sur les roches a peut-être provoqué d'autres brèches à tribord laissant le navire sans aucune possibilité de redressement et le conduisant ainsi à sa perte totale. Ouvert comme il est, le navire ne devrait pas chavirer, il glissera certainement le long de l'enrochement du fait du poids de l'eau embarquée et se posera totalement ou en partie sur le fond à demi-immergé, il ne devrait pas couler ni chavirer en première approximation.
 

Le comportement du capitaine du navire

       Un capitaine de navire est quelque part, comme tout manager, un spécialiste de la gestion des risques. Un plan de route (passage plan) obligatoire est élaboré, validé par lui-même où tous les risques de la navigation prévue ont été pris en compte. Toute modification de ce plan de route est ensuite possible selon la décision du capitaine du navire ou de son représentant sur la passerelle c'est-à-dire l'officier de quart (pour éviter une collision par exemple) mais doit être accompagnée automatiquement d'une nouvelle analyse de risque. Pour effectuer «l'inchino» traditionnel (qui ne figure apparemment pas sur le passage plan), le Commandant SCHETTINO s'est apparemment basé sur sa connaissance des lieux ! On croit rêver : raser les cailloux sans une procédure particulière utilisant toutes les ressources humaines et techniques du navire est complètement sidérante ! Si le capitaine veut quand même naviguer à vue de nez, la distance de la pointe aurait dû être par exemple annoncée toutes les 10 secondes par l'officier de quart qui reste en doublure du capitaine !

       Ensuite, oui je considère qu'il a tenté de sauver ses passagers en se rapprochant du petit port ! Avait-il ses deux ancres à l'eau ? Une autre possibilité aurait été de mouiller l'ancre de croupiat (ancre arrière) mais par malheur… il n'en avait pas (chanson connue !)

       D'autre part on reproche au capitaine d'avoir quitté le navire, il se défend déjà et j'approuve quand il dit, me semble-t-il, que sur une passerelle à 40° où plus rien ne marche, qu'il ne pouvait rien faire et qu'il fallait mieux être à terre et tenter d'y coordonner les secours. Il aurait quand même pu coordonner ou participer aux secours depuis une embarcation de service du port avec des moyens de communications fournis par ce même port et signaler aux plongeurs les endroits du navire ou des passagers pouvaient s'être réfugiés!

       Que s'est-il passé chez lui ? Trop de stress certainement et peut-être une sidération consécutive aux conséquences de son erreur ? Tout capitaine d'un navire aussi magnifique qu'il soit, reste un homme avec ses qualités et ses … faiblesses aussi malheureusement !

Le comportement de la Compagnie

       Le Cdt SCHETTINO, il faut l'admettre, était quand même quelque part un «kamikaze» dont les tendances auraient dues être repérées par la Compagnie COSTA. Apparemment l'habitude de venir raser les cailloux pour saluer la terre était bien « ancrée » (si je puis dire) dans les habitudes des paquebots de cette Compagnie… et rien n'apparaissait jamais évidemment sur les « passages plannings » ni, je suis prêt à parier, dans les journaux de passerelle ! S'approcher autant des cailloux revient pour un commandant de bord d'Airbus 380 à raser les gratte-ciels de la DEFENSE !

       D'autre part, raser les cailloux de nuit n'est pas pour l'agrément des passagers (de nuit on ne voit pas grand-chose des contours de la terre, si ce n'est des lumières ici et là !) mais bien pour l'agrément des populations à terre ! (c'est vrai, un grand navire totalement illuminé, tout près, c'est très impressionnant !). En fait, on peut le faire … en respectant la distance de sécurité (voir ci-dessus) ! N'il y a-t-il pas eu ici d'autre part une compétition entre capitaines ou entre navires…cause de comportements irraisonnés dans beaucoup de cas de naufrage (Snekkar-Artic par exemple?)

       Aujourd'hui, ces comportements inadmissibles auraient dû être analysés lors des audits ISM et traités comme non-conformités majeures et donc proscrits ! Si le management de COSTA en charge de l'ISM laissait faire… il est complice ! Et l'administration Italienne aussi car elle aurait dû retirer immédiatement le DOC (Document of Compliance) de la Compagnie ! D'aucuns - les survivants du scepticisme vis à vis de l'ISM par exemple - vont encore me dire que le code ISM c'est bidon ! Dans son application, oui souvent et pas uniquement sous pavillons exotiques… la preuve !

       En conclusion, dans ce cas, les responsabilités sont à rechercher aussi dans le management de la Compagnie et dans les contrôles du pavillon ou de la classe (agissant en lieu et place du pavillon).

Le comportement des membres d'équipage lors de l'évacuation


         On a déjà parlé des formations spéciales des navires à passagers pour tous les membres du personnel en charge du rassemblement des passagers en cas de situation d'urgence. Être formé c'est bien, rester compétent et s'occuper des autres… ce n'est pas facile quand on est stressé soi-même au-delà de ses propres capacités physiques et mentales ! On peut s'entraîner bien sûr ! La préparation à l'évacuation est effectuée régulièrement par tous les membres d'équipage au cours des exercices et des entraînements. Ce ne sont pas des opérations sans risques (ref : Accident du «CMA CGM Christophe Colomb» il y a peu de temps,) il est donc hors de question de prendre plus de risques que nécessaire pour faire les tests et essais. Comme les militaires, nous faisons tous une évaluation de risques avant toute opération avec les embarcations et/ou les MES (la dernière fois que j'ai essayé à quai, en déploiement réel, un MES/toboggan d'évacuation, il m'a fallu appeler l'ambulance du SAMU à 2 reprises !). Il est donc hors de question d'envisager une simulation en réel d'une évacuation des passagers et à plus forte raison avec 12° de gite !… combien vais-je en tuer cette fois-ci ?

       Que nous reste-t-il ? La simulation est beaucoup critiquée mais elle sera notre seule possibilité de simuler le rassemblement avec le nombre de passagers maximal et avec une possibilité de simulation de mauvais temps (roulis, tangage), d'une situation d'urgence collatérale comme un incendie (cf paquebot ANTILLES) et d'une gîte réglementaire SOLAS ou supérieure ! (Je ne sais pas si le logiciel EXODUS V 30 de l'Université de Greenwich, qui simule l'évacuation, possède la possibilité de simuler une gîte importante)

       Nous devons rappeler qu'avant d'accepter les MES (toboggans ou chutes) et notamment de vérifier que l'on peut évacuer le navire et ses passagers en 30 minutes chrono, l'administration du pavillon peut demander un essai d'évacuation en réel. Pour les raisons évoquées plus haut et peut-être aussi pour des conditions d'assurance, la Compagnie et le chantier trouvent généralement un accord avec une école militaire (ou un lycée maritime et aquacole) du coin pouvant fournir 200 personnes qui évacueront par exemple pour un MES de 400 personnes. On mesure le temps pris pour le déploiement et l'évacuation des « 200 » et … on multiplie par deux ! Il est en effet entendu que tous les moyens d'évacuation sont utilisés en même temps, cqfd ! Mais… nos « cobayes » ont été briffés sur la procédure avant l'exercice et informés qu'il ne s'agissait pas d'une compétition à savoir qui serait le premier en bas ! Enfin ils ont tous 20 ans et sont en pleine condition physique (les vieux colonels ne sont pas là !) Bon ça passe… car comment faire autrement ?

       La seule solution reste la simulation informatique et l'effort des concepteurs pour des scénarii réalistes sera très apprécié… alors tous à vos machines et que le meilleur gagne… je sens un marché qui va s'ouvrir qu'on le veuille ou non !

NB : A ma connaissance, il y a un membre d'équipage parmi les victimes de l'accident – un garçon Péruvien. Il semble donc que tous les autres membres d'équipage aient quitté le navire avant les derniers passagers. Il y avait pourtant des membres d'équipage dans leurs cabines, et certains devaient dormir, car devant prendre le quart à minuit ou à 4 heures du matin.
Et que dire des cuisiniers qui se reposaient avant d'attaquer vers 5h du matin la préparation des petits déjeuners pour 5.000 personnes ! Leurs cabines sont certainement tout en bas et sur l'arrière, près des groupes électrogènes … avec les passagers de 3ème classe ! (je plaisante, quoique...)
Le fait qu'il n'y ait qu'une victime parmi l'équipage prouve au moins qu'eux savaient quoi faire, et comment évacuer alors qu'à peu près toutes les embarcations ont été mises à l'eau (sauf deux, je crois). Se sont-ils occupés des passagers perdus dans les fonds ? Seule l'enquête nous le dira !

Les moyens d'évacuation

       La convention SOLAS permet le panachage des types de moyens d'évacuation : embarcations rigides couvertes, MES, radeaux individuels. Le choix du panachage est laissé aux armateurs dans le cadre quand même strict du nombre de passagers pouvant être évacués de chaque côté (nombre qui n'est pas de 100% comme vous le savez !) et avec l'accord de l'administration du pavillon de neuvage du navire c'est-à-dire à la construction.

       Aujourd'hui on peut avoir un grand paquebot comme le COSTA CONCORDIA avec la majorité des moyens sous forme d'embarcations de 150 personnes mais pas de MES (toboggans ou chaussettes) mais quand même quelques radeaux obligatoires. Avec 4 MES (2 de chaque côté avant et arrière comme sur NORMANDIE ou les autres), je pense sincèrement que le Cdt Francesco SCHETTINO aurait pu évacuer ses passagers plus facilement et plus tôt peut-être et ainsi éviter blessures et peut-être noyades. Récemment de gros ferries viennent d'être mis en service avec plusieurs MES mais… sans aucune embarcations de sauvetage, uniquement les canots de secours rapides (SPIRIT OF BRITAIN et SPIRIT OF FRANCE) ! L'analyse de risques effectuée a dû être convaincante car l'administration britannique l'a validée !

L'information des passagers en général

       Du fait des langues différentes entre les passagers et la langue de travail du navire, la réglementation internationale (SOLAS III reg 8) exige que des instructions claires doivent être communiquées dans la langue ou les langues requises par l'administration du pavillon et en anglais.

       Ceci est en général bien assuré par toutes les compagnies de ferries ou de paquebots. En effet c'est facile et pas cher. On retrouve donc dans toutes les cabines, dans les lieux de rassemblement et les autres espaces publics, des informations sous forme de placards bilingues : langue du pavillon et anglais. Deux langues sur un panneau ça va, mais plus, cela deviendrait «illisible» pour le passager et aussi complètement inesthétique dans une déco soignée ou à thème ! En effet pour que tout le monde puisse lire les instructions en situation de stress, il faut que les lettres soient suffisamment grandes tandis que les dessins restent recommandés. Le problème semble résolu pour l'OMI mais pas pour nous! Quand nous avons des passagers Espagnols, Italiens, Portugais, Allemands, Arabes ou Russes, le problème n'est pas résolu du tout. On ne peut pas exiger que tous les passagers parlent un minimum d'anglais sécurité comme les membres d'équipage !!! Bon, rajouter une information en espagnol dans le garage du ferry de la ligne d'Espagne c'est facile ! Mais pour les autres ?

       Beaucoup de compagnies ont donc investi – malgré que ce ne soit pas obligatoire - dans des petits dépliants «d'information sécurité et urgences» bilingues (la deuxième langue est fonction de la ligne) et tiennent à la disposition des passagers la même information en d'autres langues courantes sur la ligne. Une information/diffusion adéquate sera faite dans les locaux à passagers à plusieurs reprises au début du voyage. Même si ces dépliants donnés à tous les passagers lors de l'embarquement comportent une petite partie commerciale, leur efficacité est reconnue mais le prix assez élevé… pensez donc aux millions de passagers transportés !

         Ces petits dépliants ont été bien étudiés mais souffrent encore d'un défaut à mon avis : si les points de rassemblement y figurent, par contre les moyens d'évacuation n'y figurent généralement pas ! Pourtant ce ne serait pas très compliqué et pas plus cher ! Dans les avions vous avez devant vous la «safety card» équivalente mais où apparaissent les toboggans déployés ! De plus, et cette fois de manière réglementaire, une annonce sécurité doit être effectuée pour les passagers - à partir du moment où il y a ne serait-ce qu'un seul nouveau passager- immédiatement avant ou après le départ (elle est faite en général durant la manœuvre de départ).

NB : les petits dépliants ne remplacent pas cette annonce obligatoire !

       Efficacité des informations : Pour avoir beaucoup observé les passagers durant l'annonce sécurité, je peux dire que même si elle est bien faite, la grande majorité des passagers n'écoutent pas ! Tout à fait comme dans l'avion, combien de passagers, pourtant «captifs», écoutent le briefing et regardent l'hôtesse qui se remue devant eux … pas beaucoup n'est-ce pas ? Pour contrer ce désintérêt d'une annonce sécurité faite au milieu d'autres annonces, des bornes/ écrans TV ont été installés dans les endroits publics et des vidéos y sont montrées en boucle.

       Résultat : je ne suis pas sûr que tout le monde a bien enregistré le message… interviewés après un accident, vous avez toujours un important pourcentage de passagers qui déclarent n'avoir rien entendu du tout !

Communications en situation de crise

       C'est ici le plus difficile assurément. La question est simple : comment communiquer en situation de crise ? Le Capitaine, qui a vraiment autre chose à faire, doit-il communiquer sur la diffusion générale tous les quarts d'heure ? Il est, et c'est normal, stressé par la situation, ne va-t-il pas communiquer son stress à tout le monde via une voix pas facile à maîtriser ? Il lui faudra de plus le faire en deux langues dont une au moins n'est pas sa langue maternelle ! Pourtant la voix du Capitaine est indispensable en situation d'urgence et si la communication effectuée est bien maîtrisée, ce sera un élément important de prévention de la panique tant redoutée.

       Les capitaines de navire sont-ils bien préparés à ce genre d'exercice ? Beaucoup de compagnies de navires à passagers, en dehors de toute obligation, mais par pur bon sens, envoient leurs capitaines et seconds-capitaines en formation pour cela. Mais est-ce suffisant ? Je conseille toujours à ces capitaines et seconds capitaines de s'entraîner à parler dans ce «maudit» micro …car croyez-moi ce n'est pas facile… vous êtes bien seul devant votre microphone à la passerelle de votre bateau ! S'entraîner oui, mais comment ? …tout simplement par exemple en annonçant après le départ, lorsque les conditions de navigation le permettent, la bienvenue aux passagers et leur annoncer une traversée superbe ou un peu agitée ! Cette procédure est en vigueur chez P&O par exemple depuis plus de 20 ans et dans presque toutes les compagnies aériennes ! Lorsque vous entendez le «Captain speaking» peu de temps après le décollage, ce n'est pas parce que le Commandant de bord est sympa mais parce qu'il s'entraîne à parler à ses passagers et en au moins 2 langues au cas où ! Il n'a pas le choix d'ailleurs …c'est une obligation !

       Dans le cas du COSTA CONCORDIA, il a été rapporté que les annonces étaient enregistrées. Ce doit être vrai du moins pour les premières annonces d'urgence. En effet, au début de la situation d'urgence, on privilégie la diffusion d'une annonce pré-enregistrée car le capitaine ou son adjoint sont bien trop occupés par ailleurs. L'idéal est un appareil de diffusion contenant l'annonce correspondant aux 3 ou 4 scénarii majeurs à savoir incendie, collision, échouement/talonnage et homme à la mer ! Je vous passe les détails de la méthode et du texte mais il est important que les annonces soient faites par la voix du ou des capitaines assurant à tour de rôle le commandement du navire et donc enregistrées d'une manière professionnelle …chaque capitaine embarquera donc avec sa clé USB !

Le problème du «rase-cailloux»

         C'est quelque chose qu'on ne peut éviter et parfois cela permet de naviguer à l'abri du mauvais temps (moindre fatigue du navire et meilleur confort de ses passagers) ou gagner quelques milles… c'est toujours cela de pris pour la planète ! La navigation dans ces passages resserrés est délicate c'est vrai, mais pas plus que le fait de rentrer ou sortir d'un port ! Par exemple la rentrée au port de ST MALO est nettement plus délicate que de passer le Raz de Sein principalement du fait d'un fort courant de marée traversier au Grand Jardin !

       Pour être passé de très nombreuses fois par le chenal du Four et le Raz de Sein, je confirme qu'ils peuvent être empruntés par des navires à passagers moyens jusque 200m de long (COSTA CONCORDIA en faisait près de 300 !) en prenant les précautions habituelles du chenalage en passages resserrés.


       Il y a quand même une limite et je ne vois pas pourquoi on s'amuserait à passer dans les chenaux de la pointe du Toulinguet (près de CAMARET) par exemple ou par d'autres encore plus étroits… sinon pour une raison de compétition entre deux capitaines ou deux navires ou deux compagnies !... c'est du comportement kamikaze qui ne servait à rien sinon à soigner parait-il l'ego de certains !

Les leçons qu'on pourrait tirer de cet accident

       Sans attendre les résultats de l'enquête, les premiers retours d'expérience sont évidents :
  • Comportements inadéquats de certaines compagnies, tant à terre qu'à bord. Le système de management de la sécurité de la Compagnie COSTA CROISIERE, vérifié par la maison mère, aurait dû stopper les mauvaises habitudes prises. Le système est donc à revoir et je crois que l'américaine CARNIVAL (propriétaire de COSTA CROISIERE) a décidé une revue complète chez elle et dans ses filiales. C'est bien le moins qu'elle puisse faire mais elle devra renforcer ou ajouter une évaluation possible des risques de comportements dangereux de ses capitaines (près de 100 paquebots en service quand même !) et en même temps mieux former ces mêmes capitaines à la gestion des risques de leur métier (CRM, leadership, communication en situation de crise, etc…) - la littérature existe, les cours aussi, alors ?
  • La simulation des évacuations devra être améliorée et devra être rendue obligatoire ainsi que le cours correspondant pour tous les membres d'équipage. A cette occasion une nouvelle visite ciblée de l'EMSA (European Maritime Safety Agency) aux écoles de formation de certains pays gros fournisseurs de marins serait bénéfique (l'OMI n'a toujours pas de pouvoir réel là-dessus, comme dans de nombreux autres domaines d'ailleurs !).
  • Maintenir l'autorisation d'accès aux chenaux côtiers jusqu'à une certaine longueur pour les navires très manœuvrant, mais mettre en place une licence de pilotage obligatoire pour ces chenaux avec évidemment possibilité pour les capitaines d'acquérir cette licence renouvelable comme les autres licences de ports.
  • Pour les paquebots, le panachage des embarcations (qui servent aussi à aller à la plage !) et des MES/toboggans (j'ai moins confiance dans les chaussettes !) devrait entrer dans la SOLAS c'est à dire que cela devienne obligatoire pour les nouveaux paquebots.
  • Un amendement à STCW devrait être préparé pour amplifier la gestion des ressources humaines à bord (CRM) et l'adjoindre à une formation gestion de crise et comportements humains améliorée et étendue à tous les marins. Une application rapide devrait être mise en place.
  • Exiger dans SOLAS une formation complémentaire pour les capitaines et seconds-capitaines des navires à passagers pour communications en situation de crise et pratique quotidienne du «Captain speaking» obligatoire.

En conclusion

       Une enquête est en cours comme l'exige la convention SOLAS (I/21) et la réglementation Européenne (ED 2009/18). Elle est réglementairement diligentée par l'administration Italienne et son équivalent de notre BEA. Je ne sais pas si ce dernier a été invité à y participer … il y a quand même des Français qui sont morts dans ce naufrage ! D'après la réglementation, nous pourrons faire des commentaires seulement (code of practices- MSC-MEPC.3/Cir.2- en vigueur depuis le 1er Janvier 2010 !). J'espère que le rapport d'enquête sera exhaustif, mais je ne suis pas vraiment sûr que tous les membres des commissions d'enquêtes aient toute l'indépendance requise. Personnellement, je reste orphelin d'une unité d'enquête au sein de l'OMI, composée de vrais spécialistes du monde entier recrutés par l'OMI elle-même… comme le propose la NORVEGE depuis longtemps !
Cdt B. APPERRY
Expert Maritime ISO/ISM/ISPS
mars 2012



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