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Sauvetage de l'équipage de l'Ave Maria le 26 novembre 2011

 


CMA CGM OTELLO


       Le CMA CGM OTELLO est un navire de 8500 EVP. Il a été construit en 2005 en Corée et il est affecté à la ligne Méditerranée – Asie. Chaque rotation dure 11 semaines.


       Nous appareillons de Port Kelang, dernier port d'Asie, le 22 novembre 2011 à destination de Beyrouth via le canal de Suez. Le navire est chargé de 91286 T de divers en conteneurs, le tirant d'eau maximum est 15,0m. La vitesse est réglée à 18,5 nœuds pour arriver à Suez le 3 décembre 2011.
       Nous passons dans le sud du cap Dondra, pointe extrême-sud du sous continent Indien le 25 novembre, et commençons à remonter l'océan Indien nord-ouest. Le vent est frais à grand frais de sud, la mer est forte à très forte. Nous recevons une carte confirmant nos relevés météorologiques. Une dépression tropicale se développe par 05N-078E, dans le sud est du Sri Lanka, avec une prévision de route au NNW. Notre route est au 286. La vitesse, qui est tombée à 14 nœuds, remonte progressivement à 18 nœuds.
       Nous avons passé le méridien 078° Est, et conformément aux instructions de la compagnie, le niveau de sûreté est augmenté à 2. Le message adressé au centre MSCHOA a été envoyé ainsi qu'au centre anglais situé au Koweit et au centre français de contrôle maritime Alindien.
       Le 26 novembre, il est 04h54, et notre position est 07°09'N - 076°15'E, l'officier de quart reçoit alors un appel VHF "help me help me, 11 persons on board". La position du navire (07°00'N - 076°30'E) correspond à un écho AIS (MMSI : 419801080) situé à une distance de 16 milles. D'après l'officier de quart, c'est un petit bateau, croisé il y a moins d'une heure avec une route traversière au 250. Malgré nos tentatives, nous ne parvenons pas à entrer en contact, mais devant le caractère répétitif et alarmiste, je décide de mettre le cap sur ce navire.
       Un autre navire, Le "Cristal Gate", indicatif 2DVJ7, MMSI 235082345, navire contre-bordier, nous confirme qu'ils ne parlent que l'Indi et que l'appel est un appel de détresse.
       Toutes les communications suivantes avec le navire en détresse se feront par l'intermédiaire du "Cristal Gate". Après notre arrivée sur zone, nous attendons le lever du jour prévu vers 6 heures, et tout en gardant une distance de sûreté du navire en détresse, nous vérifions l'absence de skiffs et d'un autre navire pouvant ressembler à un «mother-ship» de pirates. Il est bien entendu que toutes les dispositions sont prises à bord pour parer une éventuelle agression (pompes incendie en service, personnel de renfort, etc.)
       Notre ligne d'urgence compagnie est contactée, il est 00h00 samedi en France, et le DPA à qui nous ferons un rapport fréquent, va d'une part suivre nos opérations, d'autre part intervenir près des diverses autorités.
       A 06h00, nous stoppons à une distance de 3 milles, le vent est frais de suroît, la mer est forte, et la houle modérée courte. Nous inspectons visuellement le navire en détresse. C'est un navire ponté à 2 mâts, d'environ 30 mètres, avec un petit roof à l'arrière. Le «Cristal Gate» nous apprend que le bateau a une avarie de barre et nous confirme l'absence de radeau ou embarcation de survie. Il semble que la situation est désespérée, car l'équipage est déterminé à sauter à l'eau pour rejoindre un autre navire. L'état de la mer est tel qu'il n'est pas envisageable de mettre une embarcation à l'eau.
       Les «Coast Guard» Indiens, contactés par le MRSC Cochin, ne proposent pas de moyen de sauvetage immédiat. Il est donc clair que les opérations de sauvetage devront être effectuées par un navire sur zone. Le «Cristal Gate» se propose d'approcher le navire en perdition.
       Pendant ce temps, nous préparons notre filet de sauvetage à tribord, des lance-amarres et toulines, des bouées de sauvetage et une mise à l'eau d'un radeau pneumatique de 20 places. Notre franc-bord est de 5,70m, et nous ne pouvons envisager d'ouvrir la porte de pilote qui se situe à environ 1 mètre au dessus du niveau de l'eau.
       Le «Cristal Gate» tente une approche à 1 mille. Il n'a pas la volonté de s'approcher plus. Nous prenons la décision d'entreprendre le sauvetage.
       A 07h35, tout le matériel est prêt, le personnel est paré sur le pont pour récupérer les marins, et le "Cristal Gate" est averti de notre tentative d'approche. Celui-ci reste en relation avec le navire en détresse et va transmettre nos demandes au navire en perdition.
       Nous approchons le navire en détresse par l'ouest. Le safran du gouvernail est arraché, son nom est indiqué sur la coque «AVE MARIA - N° 227», 11 marins avec leur gilet de sauvetage sont blottis à l'arrière et une manche rejette de l'eau sur le côté, pompage probable d'une voie d'eau. Le pont se découvre et nous apercevons le chargement. Entre les 2 mâts, un panneau de cale protégé par un prélart, un amoncellement de bouteilles de gaz qui fuient - nous apprendrons plus tard que ce sont des bouteilles d'ammoniac -, des bananes, et un parc à chèvres.
       A 08h20, le voilier est le long du bord à tribord, nous envoyons une touline puis deux faux-bras sont tournés dont l'un cassera en cours de transfert. Les deux navires dérivent, avec la tenue du cap au NNW par le propulseur et le moteur, afin de protéger le transfert.
 
       A 08h34, le premier naufragé est à bord. A 08h48, le onzième et dernier naufragé est monté à bord. Le transfert des marins a été laborieux, car le filet de récupération, bien qu'adapté à cette situation, ne permet pas une sécurisation maximum. D'une part les personnes âgées ou de forte corpulence ne peuvent se hisser d'elles-mêmes, d'autre part chaque personne devrait être munie d'un harnais afin de sécuriser le transfert pour prévenir une chute malheureuse.

       A 08h54, la machine est remise en route. Nous larguons l'«AVE MARIA».
       Les passeports et des documents du navire sont vérifiés. La lecture du manifeste nous apprend que le navire était en route pour les Maldives avec des marchandises diverses, et en particulier un troupeau d'une centaine de chèvres. Les marins sont originaires du sud de l'Inde et sont chrétiens. Passés sous la douche, les vêtements nettoyés par l'équipage, et pour certains habillés, ils sont heureux de visiter la passerelle. Ils repartiront avec une photo.
       Nous rendons compte à notre ligne d'urgence ainsi qu'aux autorités indiennes, et le "Cristal Gate" est libéré.
       Le MRCC Bombay, après s'être informé du nombre de personnes rescapées, nous demande d'aller déposer les rescapés près de VILINJAM à 87 milles de notre position. Bien que ne disposant pas de cartes "papier" mais de deux Ecdis, et que les conditions météorologiques ne soient pas favorables, nous faisons route sur Vilinjan avec un point de transfert prévu par 08°21'N - 076°49'E (262/VILINJAM LT/10 NM). L'unité des CG C-34 est prévue nous y attendre. Le MRCC Gris nez nous contacte et s'informe de nos intentions.
       A 15h48, nous stoppons par 08°19'N G=076° 53'E. Le vent est NE 3/4, avec mer du vent et houle moyenne croisées. La visibilité est fortement réduite par la pluie continue. La vedette CG C-34 a des difficultés d'approche. (ce n'est pas visible sur la photo)
       Enfin, les naufragés sont transférés par le sas pilote bâbord sur la vedette des CG.
 
       A 16h30, nous terminons le transfert, nous remettons en route, route directe au 285 sur le nord de Socotra, l'allure est réduite jusqu'au passage de la tempête tropicale, puis augmentée afin de se recaler sur l'horaire. Le MRSC et la ligne d'urgence compagnie sont prévenus.
       Notre sauvetage est heureusement bien terminé. Celui-ci a mis en évidence le problème de transfert des naufragés par mauvais temps. L'utilisation de notre embarcation de sauvetage aurait été hasardeuse. Quand au filet de naufragés, une amélioration devrait être apportée. (une étude par l'OMI est en cours)

Cdt Jacques Portail


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