Au cours du dernier conseil d'administration de l'AFCAN nous avons évoqué le problème de
la non prise en compte de la loi du 17 décembre 1926 portant Code disciplinaire et pénal de la marine
marchande (CDPMM) dans la procédure judiciaire concernant des enquêtes et des poursuites
éventuelles relatives à certains faits pouvant être constitutifs de délits ou d'infractions et visant des
marins ou d'autres personnes embarquées sur des navires de commerce.
En effet de plus en plus souvent un procureur de la République se saisit d'affaires qui, selon
les dispositions de la loi précitée, devraient être instrumentées par un administrateur des Affaires
Maritimes pour renvoi éventuel devant la juridiction pénale du tribunal maritime commercial et non pas
devant un tribunal correctionnel ou de grande instance.
Les capitaines de navires s'inquiètent d'une telle dérive qui risque de les conduire, ainsi
également que les marins de toutes fonctions et de toutes nationalités embarqués sur un navire
français et même dans certains cas les capitaines étrangers, devant des magistrats dont la culture
juridique n'est certes pas à mettre en doute mais qui, n'étant pas au fait des particularités de l'industrie
du transport maritime, peuvent manquer de certains éléments d'appréciation des faits et circonstances
qui leur permettraient de juger au mieux, tant à charge qu'à décharge d'ailleurs.
Si nous avons fait référence non au seul CDPMM mais à «l'industrie du transport maritime»
c'est que le législateur a reconnu la spécificité de l'ensemble de celle-ci tant en ce qui concerne les
biens que les hommes.
C'est ainsi que sont codifiés par des lois ou décrets particuliers : Le statut des navires(Loi 67-
5), l'armement des navires (lois 69-8) où il est traité, entre autres points, du pilote et de certaines
obligations du capitaine, les affrètements et transports maritimes(Loi 66-420) les assurances
maritimes (D. 71-666), les évènements de mer (L.67-545) etc...
Tous ces textes mettent en place des dispositions différentes de celles qui régissent les biens
et les activités terrestres. Ceci montre clairement que le CDPMM n'est pas une loi mettant, par
exception et par une sorte de privilège hors du droit commun une catégorie d'individus, mais bien
l'élément d'un ensemble voulu par le législateur et dont les textes sont de plus régulièrement amendés
certes pour tenir compte de l'évolution de la société mais aussi pour se mettre en conformité avec les
lois et conventions internationales. En effet cette «industrie du transport maritime » s'exerce à une
échelle internationale, tant au plan matériel qu'au plan humain et c'est aussi en cela qu'elle doit faire
l'objet d'un traitement spécifique. (1)
Ces préliminaires posés nous allons revenir à la loi du 17 décembre 1926. Il convient d'abord
d'insister sur le fait qu'elle ne dispose pas que les personnes embarquées sur des navires bénéficient
d'un traitement particulier pour tous les faits commis à bord de ceux-ci et qui pourraient constituer une
infraction.
En effet le Chapitre 1er de son titre III traite des compétences et procédures. On y lit d'abord
(article 25) que «la connaissance des crimes et délits commis à bord des navires français….appartient
aux juridictions de droit commun» (Décr.-L. du 29.07.1939), mais par contre que selon la loi n°62-899
du 4 août 1962 «la connaissance des délits et contraventions appartient aux juridictions de droit
commun ou aux tribunaux maritimes commerciaux, suivant les distinctions établies aux articles 36 et
36bis». Mais par ailleurs cela est amendé par l'article 36 qui limite le champ d'intervention du
procureur aux délits et contraventions énumérés dans un certain nombre d'articles, réservant les
autres à l'administrateur des Affaires Maritimes (2)
Qui plus est le législateur, dans un désir de guider si besoin les magistrats agissant dans le
cadre du droit commun, selon la répartition des compétences, a parfois lié la procédure à l'avis, voir à
l'aval, de l'administrateur des Affaires Maritimes.
Par exemple le procureur ne peut engager de poursuites sans l'avis de l'administrateur dans
les cas d'exercice illicite du commandement. Il en est de même pour les affaires de clandestins (ar
74). Des obligations sont également imposées à l'administrateur. Ainsi lorsque le capitaine, après
avoir effectué une enquête selon les prescriptions des articles 28 et 29, saisit l'administrateur celui-ci
doit donner suite et saisir selon les cas le procureur de la République ou le président du TMC (art.33 §
3).
Lorsque les capitaines français de navires demandent d'être assujettis à la loi du 17 décembre
1926 ce n'est pas qu'ils soient motivés par un esprit corporatiste mais parce qu'elle assure, à charge
et à décharge répétons le, une appréciation des faits par un tribunal où siègent des «sachants». De
plus nous savons, de par nos contacts avec des associations de capitaines étrangers, que cette
législation, que certains voudraient qualifier d'«exception» avec une connotation péjorative, est enviée
par nos camarades de nations qui, et c'est paradoxal, ont contrairement à la France une grande
tradition maritime.
D'autre part un argument est parfois invoqué pour justifier de la saisine de la juridiction de
droit commun au lieu de celle relevant des Affaires Maritimes et ceci dans l'intérêt des personnes
ayant subi un préjudice. Cet argument tient au fait que, le pénal tenant le civil, un acquittement devant
le premier empêcherait toute réparation accordable par le second. Or cela n'est justement pas valable
s'agissant du TMC. En effet, par exception au droit commun, une relaxe par celui-ci n'empêche
nullement d'ester au civil avec succès. (voir à ce propos les dispositions de l'article 37).
Tout ce qui précède nous amène à nous interroger sur la ou les raisons qui font que les
procureurs se saisissent d'affaires qui semblent pourtant devoir être, aux termes de la loi, de la
connaissance des administrateurs des Affaires Maritimes.
Il s'agit en particulier des délits d'ordre maritimes visés au chapitre V de la loi du 17.12.1926,
chapitre concernant les accidents de mer. Sont considérés comme délictueux, outre la non
observation de certains règlements maritimes, «tout autre fait de négligence » ayant occasionné
dommage ou perte de navire ou blessures ou mort pour des personnes. Le principe de «non-
assistance à personne en danger» est également retenu.
Une réponse à notre interrogation concernant l'empressement des procureurs à se saisir, et la
justification pouvant être apportée à le faire, résiderait dans leur désir d'appliquer la notion, fourre-tout
et si pratique, de «mise en danger de la vie d'autrui». Il est vrai que celle-ci n'est pas reprise
explicitement dans la loi du 17.12.1926 mais il nous semble que celle de «négligence» est à même de
couvrir, et avec plus de précision et aussi d'objectivité tout acte ayant entraîné une mise en danger de
l'intégrité physique d'autrui.
En effet où commence et où s'arrête la «mise en danger de la vie d'autrui» ? En poussant les
limites on peut dire, statistiques à l'appui, que tout conducteur s'installant dans un véhicule et le
faisant circuler entreprend une action risquant de mettre en danger la vie d'autrui. Il en est certes de
même pour le capitaine de navire qui accepte d'appareiller. Il y a cependant une différence essentielle
entre les deux cas. En effet un conducteur expérimenté, appliquant les règles du code de la route, à
bord d'une voiture en bon état, ne peut être victime d'un accident que par la faute d'un autre. Ce n'est
pas le support de son véhicule, en l'occurrence la route, qui peut l'agresser sans aucun recours. Par
contre, et il faudrait que l'opinion publique l'admette, l'action de la mer peut atteindre une telle violence
que le meilleur des capitaines, sur le meilleur des navires n'est pas à l'abri de perdre celui-ci et son
équipage. Il est vrai qu'il ne sera alors plus là pour demander que soit reconnue la «catastrophe
naturelle». Sachant donc que tout navire en mer peut se trouver soumis à des forces naturelles
insurmontables qui peuvent occasionner blessures ou morts, les capitaines en seront-ils amenés à
hésiter à assumer la responsabilité d'un commandement puisque qu'une partie du corps judiciaire
français semble, serait-ce dans un souci de laïcité poussée à l'extrême, ignorer la notion d'«act of
god».
Une autre raison motivant l'action des procureurs serait à rechercher dans la nécessité de
pouvoir imposer, si le délit était reconnu, des peines assez fortes et dissuasives (aux yeux du
public ?). En effet l'article 81 de la loi du 17.12.1926 ne prévoit que des peines de deux ans
d'emprisonnement et de 25000 FF d'amende en cas de mort alors que celles-ci sont de cinq ans et
500000 FF pour les mêmes faits dans le NCP (Art 221-6-2ème al.). Mais si seule la volonté de sévir avec
équité est en cause, il serait peut-être assez aisé d'aligner les peines apparaissant à l'article 81 sur
celles du NCP. Tâche assez simple pour nos législateurs qui n'ont eu aucune difficulté, ni état d'âme,
pour faire grimper de manière faramineuse les amendes pour pollution, même accidentelles et dans
ce cas en contradiction avec la Convention Internationale pertinente.
Il nous est par ailleurs revenu que certains s'interrogeraient, sans doute à tort, sur
d'éventuelles pressions que subiraient les uns ou les autres pour instrumenter ou non.
Leur raisonnement serait que :
Si le gouvernement est censé ne plus donner d'instructions aux magistrats des parquets est-il
tenu à la même obligation s'agissant d'une autre catégorie de fonctionnaires. L'impact de ceux-ci,
conditionnés de par leur statut militaire au devoir de réserve, envers les médias serait-il moins
récupérable vis à vis de l'opinion publique ? Serait-ce pour cela que les affaires d'infractions à la règle
10 du COLREG ou aux «règles édictées par les préfets maritimes» sont généreusement laissées aux
Affaires Maritimes ?
Voudrait-on empêcher les administrateurs des Affaires Maritimes d'exercer leurs
droits ?
Ne voulant pas faire systématiquement du mauvais esprit nous n'irons pas jusqu'à là.
Enfin précisons que, comme nous l'avons déjà sous-entendu, nous ne tenons pas la loi du 17
décembre 1926 pour immuable. Elle a été amendée à de nombreuses reprises et devrait même être
sérieusement rafraîchie pour tenir compte de l'évolution de la société. De même les questions de la
double instruction (administrateur enquêteur et commissaire rapporteur) ainsi que de la possibilité
d'appel mériteraient une sérieuse étude.
Cdt J.Chennevière, avec avis et apports juridiques du Cdt J.P Declercq
(1) A ce sujet, il faut toutefois indiquer qu'un débat est en cours chez les juristes maritimes, entre ceux qui suivent la
tradition de l'enseignement du doyen Ripert (auteur des lois citées ici), selon lesquels le droit maritime est un tout, et ceux qui
considèrent que l'unité du droit maritime est en soit une spécificité française héritée de Colbert, soit une considération juridique
dépassée. Selon les tenants de cette thèse, le droit maritime privé est à relier aux autres branches du droit privé, et de même
pour le droit social et le droit pénal maritime.
(2) On voit que l'on a là deux textes et deux articles de loi quelque peu contradictoires. Toutefois selon l'opinion d'un
juriste membre de l'AFCAN la deuxième phrase de l'article 25-al.1 (loi 62-899) serait prépondérante.