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Pollution par hydrocarbures et transport maritime
 
Par Monsieur Jean-Daniel TROYAT
Expert agréé par la Cour de Cassation, Expert maritime et mécanique générale près la Cour d'Appel de Rennes.



       «Avec deux cuillerées à soupe d'huile, je peux recouvrir le lac Léman» avait coutume de dire le physicien et chimiste américain Irving LANGMUIR, Prix Nobel de Chimie en 1932, qui a étudié les couches minces, mono moléculaires, qui portent son nom. Nous avons tous eu l'occasion de le constater un jour ou l'autre, lorsqu'un hydrocarbure léger est répandu sur un liquide, une infime quantité est suffisante pour en recouvrir une grande surface. Où commence en mer la pollution par hydrocarbure qui, rappelons-le, est un produit naturellement présent dans le sous-sol terrestre ou marin, comment la maîtriser et s'en prémunir, quels sont les règlements internationaux qui régissent les rejets d'hydrocarbures, comment les faire respecter et quelles sanctions appliquer lorsqu'ils ne le sont pas.


Pollution par les hydrocarbures des mers et des océans

       Le commerce mondial s'effectue pratiquement à 95% par voie maritime grâce à près de 50.000 navires de toutes sortes, pétroliers, bien sûr, mais aussi porte conteneurs, vraquiers, cargos polyvalents, navires spécialisés (transport de colis lourds, de voitures, porte barges), sans parler des car-ferries et des navires de croisière.

       En 2003 il y a eu 6.200 millions de tonnes de marchandise transportées par des navires dont près de 2.200 étaient des hydrocarbures (pétrole brut et produits raffinés) : ces cargaisons d'hydrocarbures sont arrivées à destination sans le moindre incident dans 99,9997% des cas.

       Il y a 30 ans on évaluait à près de 3.8 millions de tonnes la quantité d'hydrocarbures de toutes sortes répandue annuellement dans les océans et mers du globe. La part des navires dans ces déversements d'hydrocarbures était alors estimée à près de 1,4 millions de tonnes, soit 37% de ce total.

       Désormais, on considère que ce sont encore 3 millions de tonnes d'hydrocarbures qui se répandent annuellement en mer mais que les navires ne sont plus à l'origine que de 300.000 tonnes, c'est à dire 10% du total ou la cargaison d'un seul gros pétrolier, et encore, pas les plus gros qui emportent 550.000 tonnes. On observera aussi que ce résultat a été obtenu alors que, en l'espace de 30 ans, le tonnage des marchandises transportées par voie maritime a pratiquement doublé.

       Le reste, c'est à dire 90% de ces hydrocarbures que l'on retrouve en mer, a trois origines différentes :
  • la pollution tellurique (industrielle et domestique) qui représente environ 70%,
  • la pollution des activités d'extraction du pétrole off-shore qui représente environ 10%,
  • la «pollution» naturelle - c'est-à-dire celle provenant de certaines fissures dans les fonds marins, sortes de sources sous-marines d'hydrocarbures - qui représente également environ 10% des apports annuels d'hydrocarbures dans les mers et les océans.
       Il est à craindre que dans les années à venir, la pollution tellurique, c'est-à-dire celle qui nous vient de la terre par les eaux de ruissellement et les cours d'eau, ne soit la plus difficile à maîtriser. On peut en effet relever que, dans de nombreux pays au rythme de développement industriel considérable, tels l'Inde ou la Chine, cette pollution n'est même pas considérée. En Chine, tout ce qui est déchet industriel est rejeté à 80% dans les rivières et les fleuves, sans aucun traitement préalable.

Une réglementation internationale

       La haute mer échappe à toute souveraineté étatique. Néanmoins, le transport maritime est une activité qui s'exerce sans limite sur l'ensemble des océans et des mers du globe et, très tôt, de nombreux États ont compris que les mesures qui pouvaient être prises en matière de sécurité de ce mode de transport gagneraient en efficacité si elles étaient appliquées à l'échelle mondiale.

       C'est dans ces conditions que sera créée, en 1948, une Agence de l'Organisation des Nations Unies en charge des questions maritimes. Elle aura d'abord un rôle consultatif mais va rapidement s'émanciper et devenir un organisme incontournable pour tout ce qui touche à la sécurité du transport maritime et à la prévention de la pollution du milieu marin.

         C'est ainsi que l'Organisation Maritime Internationale (OMI), va faire adopter, en 1973, la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires, dite Convention MARPOL. Cette Convention prévoit une réduction drastique des quantités d'hydrocarbures pouvant être rejetées à la mer par des navires et interdit même ces rejets dans certaines zones. Elle introduit également des règles pour la gestion des résidus de cargaison, notamment par l'utilisation de citernes de décantation («slop tanks»), la méthode du chargement sur résidus de la cargaison précédente, dite «load on top», et l'utilisation de capacités de ballastage uniquement destinées à être remplies d'eau de mer pour assurer la stabilité du pétrolier lorsqu'il est lège - c'est-à-dire vide de cargaison -et ne pouvant en aucune façon être utilisées pour le transport d'hydrocarbures. Les prescriptions de la Convention MARPOL de 1973 constituaient une bonne base mais méritaient d'être développées.
       C'est ce qui sera fait en Février 1978, quelques semaines avant le naufrage au large des côtes bretonnes, le 16 mars 1978, de l'AMOCO CADIZ.
       La Convention modifiée prend le nom de MARPOL 73/78 et prévoit des dispositions constructives nouvelles pour les pétroliers - en particulier des capacités de ballastages dédiées disposées de manière à protéger les citernes à cargaison - ainsi que des prescriptions relatives au nettoyage des citernes à cargaison par le pétrole brut lui-même («Crude Oil Washing» ou «COW») et non plus au moyen de l'eau de mer. De plus, l'inertage des citernes à cargaison devient la règle. La Convention MARPOL 73/78 est entrée en vigueur en Octobre 1983.

       Elle sera amendée à plusieurs reprises, en particulier en Mars 1992, où seront adoptées les modifications les plus importantes concernant la protection du milieu marin contre les pollutions par hydrocarbure avec, en particulier :
  • des dispositions constructives concernant les pétroliers à double coque,
  • des programmes renforcés de visites d'inspection dès que le pétrolier est âgé de plus de cinq ans,
  • une réduction à 15 ppm de la teneur en hydrocarbure dans les rejets, et
  • l'interdiction de ces rejets dans certaines zones géographiques, dites «spéciales», car particulièrement vulnérables (mer du Nord, Baltique, mer d'Irlande, Ouest Irlande, Manche, mer Celtique, Méditerranée, mer Rouge, Golfe d'Aden, Antarctique).
       Pour en revenir aux pollutions dont les transports maritimes sont à l'origine, il convient de dire que les accidents de pétroliers représentent moins de 10% du total annuel de celles-ci. Le reste est la conséquence d'un mauvais traitement des résidus de cargaison des pétroliers et des résidus de machine des navires, toutes catégories confondues.


Résidus de cargaison

       Dès qu'apparaît une nappe d'hydrocarbure à la surface de l'eau ou des boulettes sur une plage, la «mésinformation» ambiante - pour employer un néologisme qualifiant la désinformation par ignorance, fréquente dans notre monde paradoxalement surinformé et surmédiatisé -nous conduit à parler de «dégazage». L'acception erronée de ce terme est apparue au courant des années 1970.

       D'abord, il n'y a que les pétroliers qui dégazent, au sens étymologique du terme, c'est-à-dire qui rejettent à l'air libre les gaz d'hydrocarbure, explosibles, qui se développent à la surface des hydrocarbures contenus dans leurs citernes à cargaison. Autrefois, pour chasser ces gaz, on remplissait d'eau de mer les citernes une fois vides afin de refouler à l'atmosphère les gaz qu'elles contiennent. A la fin de cette opération, l'eau chargée de résidus de cargaison était rejetée à la mer, sans traitement préalable. Il s'agit là d'un passé déjà lointain car, comme on le verra plus avant, la réglementation internationale édictée par l'OMI a considérablement évolué en une trentaine d'années. Désormais, cette réglementation interdit tout rejet à la mer d'eau contenant plus de 15 ppm d'hydrocarbure. (15 ppm, ou parts par million, équivaut à 15 ml ou, plus prosaïquement, à une cuillerée à soupe pour 1000 litres.)

       Encore faut-il, pour pouvoir opérer ce rejet, que le pétrolier :
  • soit équipé sur le circuit de décharge à la mer d'une vanne se fermant automatiquement si la concentration d'hydrocarbure dans l'eau rejetée dépasse 15 ppm et ne pouvant être ouverte à nouveau qu'une fois la concentration redescendue sous ce seuil,
  • ne se trouve pas dans une zone spéciale,
  • soit à plus de 50 milles (90 km) d'une côte,
  • fasse route,
  • ne décharge pas plus de 30 litres d'hydrocarbure par mille (1852 m), et
  • décharge un volume inférieur à 1/30000 de celui transporté au cours du précédent voyage.
       Les appareils de surveillance de la concentration en hydrocarbure des rejets à la mer sont couplés à des enregistreurs automatiques de la teneur en hydrocarbure de l'eau déchargée et de nombreux autres paramètres (vitesse du navire, positions des vannes, prises d'échantillon, etc.). Ces enregistrements sont régulièrement contrôlés par les inspecteurs de l'État du port et ceux des affréteurs.

       De nos jours, pour éviter l'accumulation de gaz d'hydrocarbure, le volume libre entre sa surface et le sommet de la citerne est occupé par un gaz inerte qui est introduit dans la citerne à cargaison. On désigne cette opération sous le terme un peu barbare d'inertage. Le gaz inerte employé peut être soit de l'azote, soit, après traitement, les gaz d'échappement du moteur de propulsion. Quant au lavage des citernes à cargaison, il est opéré en utilisant la cargaison elle-même, projetée sur les parois de la citerne à une pression pouvant atteindre une dizaine de bars : c'est le lavage au pétrole brut («Crude Oil Washing» ou «COW»). Le «COW», s'il est correctement mené au cours du déchargement, permet de débarquer le pétrole brut en même temps que ses sédiments tandis que l'inertage conserve une atmosphère non explosible dans les citernes à cargaison. Donc, sauf accident, un pétrolier ne pollue plus du fait de la cargaison qu'il transporte puisqu'il n'utilise plus d'eau de mer pour nettoyer ses citernes à cargaison ou les dégazer.

       En fait, un pétrolier peut néanmoins être amené à utiliser de l'eau de mer pour laver ses citernes dans deux cas : en vue d'une réparation (soudure et meulage) dans celle-ci ou si une cargaison déterminée nécessite un tel lavage. L'eau de lavage est récupérée dans des citernes dédiées appelées «slops» où elle est décantée. Elle est ensuite rejetée à la mer dans les conditions très strictes décrites plus haut.


Résidus de machine

       Un navire est un engin à l'autarcie étonnante, évoluant dans un milieu hostile par nature avec à son bord un équipage pouvant atteindre plusieurs dizaines de marins. Un navire est un concentré de technologies qui permettent non seulement de le propulser mais aussi de produire de l'électricité, de la vapeur, du froid, de l'eau douce, de l'air comprimé, etc. On imagine donc aisément que, outre le moteur principal destiné à la propulsion proprement dite et dont la puissance peut dépasser la dizaine de milliers de kilowatts, de nombreux autres appareils et moteurs auxiliaires sont nécessaires. Toute cette machinerie est contenue dans un espace du navire appelé la salle des machines. Pour assurer son fonctionnement il faut du carburant et de l'huile pour sa lubrification. L'un et l'autre sont susceptibles de polluer le milieu marin au cas où ils y seraient rejetés sans traitement préalable.

         Le carburant le plus courant utilisé pour la propulsion des navires est le fuel lourd. De couleur noire, très visqueux à la température ambiante, il faut le chauffer à plus de 100°C pour le rendre suffisamment fluide et pouvoir l'utiliser dans les moteurs ou les brûleurs de chaudière. Aux allures réduites (chenalage, manoeuvres) le moteur principal est alimenté avec du diesel (gasoil) tout comme les moteurs des groupes électrogènes. La consommation de carburant d'un grand navire est de l'ordre 30 à 50 tonnes/24 heures et peut atteindre, voire dépasser, 100 tonnes. Avant son utilisation le combustible passe par un séparateur, c'est-à-dire une centrifugeuse, qui va permettre sa clarification (séparation des sédiments) et sa purification (séparation de l'eau). Les résidus de ces opérations représentent environ 1% de la consommation quotidienne de combustible du navire. Ces résidus sont stockés dans des ballasts dédiés. A ces résidus de combustible viennent s'ajouter ceux provenant de l'huile de lubrification, qui elle aussi passe par un séparateur placé dans le circuit de graissage et travaillant en clarification. Un navire peut avoir 20 à 30 tonnes d'huile à bord et un moteur de 10.000 kilowatts consomme allègrement 200 kilos d'huile par jour. Les résidus de la clarification de l'huile sont envoyés dans le même ballast que les résidus de combustible.
       On arrive à des quantités de résidus de combustible et d'huile qui, selon la consommation quotidienne du moteur principal et la durée du voyage - (Pour fixer les idées, un porte conteneurs mettra deux semaines pour rallier Miami à Gènes et trois semaines pour aller de Dunkerque à Abu Dhabi. Il faudra un mois à un pétrolier de 300.000 tonnes pour transporter sa cargaison de pétrole brut de Cabinda (Angola) au terminal de Ningbo -Shangai)- peuvent atteindre 30 tonnes. Ces résidus peuvent être incinérés à bord, si le navire est équipé d'un incinérateur, sinon ils doivent être débarqués à terre. Notons que ces résidus de combustible ne se laissent pas incinérer aisément et que pour parvenir à incinérer 1 m3 de résidus de combustible il faudra consommer de 350 à 400 litres de gasoil.

       Les résidus machines ne sont pas uniquement des résidus provenant de la clarification du combustible et de l'huile de lubrification. Il y a également ce que l'on appelle les eaux mazouteuses. En effet, le fuel lourd qui est embarqué à bord des navires n'est pas uniquement chargé de sédiments, il contient aussi de l'eau. C'est la raison pour laquelle il faut d'abord le décanter dans des caisses prévues à cet effet puis le purifier au travers d'un séparateur. L'eau ainsi récupérée est intimement mêlée à des restes d'hydrocarbures et est envoyée dans une capacité dédiée. Elle y est rejointe :
  • par l'eau douce utilisée pour chasser à intervalle régulier les sédiments qui s'accumulent dans les séparateurs pendant leur fonctionnement en clarificateur, et
  • par l'eau qui se retrouve au fond de la cale de la salle des machines en provenance des inévitables fuites de presse-étoupe de dizaines de pompes eau de mer et eau douce, et de celles du moteur principal
       Bien que cela soit prévu par les règlements internationaux, nombreux sont les ports de par le monde qui ne sont pas en mesure de recevoir ces eaux huileuses et mazouteuses. Le bord utilise donc un séparateur à eaux mazouteuses pour ne rejeter à la mer qu'une eau dont la teneur en hydrocarbure soit inférieure à 15ppm, comme le veut la réglementation internationale.


Industrie pétrolière offshore

       L'extraction du pétrole à partir de plateformes en mer provoque aussi une pollution par hydrocarbures du milieu marin. En dehors des catastrophes majeures qui peuvent entraîner des déversements massifs d'hydrocarbure, l'exploitation quotidienne des plateformes de production off-shore génère également une pollution par ce qu'il est convenu d'appeler les eaux de production (aussi appelées eaux de process). Il s'agit des eaux qui sont produites au cours des opérations d'extraction de gaz ou de pétrole par des installations off-shore. Elles sont constituées de l'eau provenant du gisement lui-même, de l'eau injectée (fluide de forage, boues), de l'eau de condensation et de celle résultant de la désalinisation des hydrocarbures.

       On considère que l'extraction d'un baril de pétrole -(Un baril équivaut à environ 160 litres)-nécessite trois barils d'eau de production. Assez curieusement les normes anti-pollution relatives à l'industrie pétrolière offshore sont beaucoup moins contraignantes que celles appliquées au transport du dit pétrole (résidus de cargaison) ou au traitement de leur combustible par les navires (résidus de machine). Ces normes antipollution n'ont pas le caractère mondial des rejets à moins de 15 ppm prescrits par l'OMI. En effet, les normes anti-pollution par hydrocarbure de l'industrie pétrolière offshore sont établies de manière régionale. Au niveau européen, ce sont les Conventions d'Oslo de 1972 (rejets en mer) et de Paris de 1974 (pollution marine d'origine tellurique) qui ont cours. Ces deux Conventions ont été réunies dans la Convention, baptisée «OSPAR», de 1992 «pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du nord-est». On note que les mers Baltique et Méditerranée sont exclues de la couverture géographique de la Convention «OSPAR». En fait, elles relèvent des Conventions d'Helsinki (1974) pour la Baltique et de Barcelone (1976) pour la Méditerranée.

       Selon les recommandations les plus récentes (Juin 2001), aucune installation off-shore sous la juridiction d'un état signataire de la Convention «OSPAR» ne devrait effectuer des rejets à la mer dont la teneur en hydrocarbure dépasse 40 ppm. Au 31 Décembre 2006, ces installations ne devraient plus rejeter à la mer que des eaux dont la teneur en hydrocarbure serait inférieure à 30 ppm.

Cette différence de traitement par rapport aux navires - dont les rejets doivent, eux, présenter une teneur en hydrocarbure inférieure à 15 ppm - est injustifiée et injuste. Elle est injustifiée parce que les rejets des installations off-shore sont plus polluants que ceux des navires : en plus des traces d'hydrocarbures, les eaux de production et les boues sont riches en produits chimiques et en composés métalliques et organo-métalliques. Elle est injuste car, à la fin 2006, cela fera déjà plus de 13 ans - pour les navires construits à partir du 6 Juillet 1993 - et plus de 8 ans - pour les navires existant à cette date -que leurs rejets doivent présenter une teneur en hydrocarbure inférieure de moitié à celle des installations off-shore. Qui plus est, les navires ont l'interdiction de rejeter à la mer, même avec des teneurs inférieures à 15 ppm, dans pratiquement toute la zone couverte par la Convention «OSPAR» où les installations offshore peuvent, elles, allègrement effectuer des rejets à 40 ppm (pendant encore un an) puis à 30 ppm pendant encore de nombreuses années.

       Pourtant, paradoxalement, ce sont les marins que l'on regarde comme des pollueurs, à la moindre traînée suspecte dans le sillage d'un navire.


Vous avez dit 15 ppm ?

       On a vu que le rejet à la mer de l'eau de décantation des «slop tanks» des pétroliers ou des eaux mazouteuses des cales machines de tout navire ne devaient pas dépasser 15 ppm de teneur maximum en hydrocarbures. Le contrôle de cette teneur maximum est assuré par un système qui actionne une électrovanne sur le circuit de rejet à la mer. Il commande la fermeture de l'électrovanne en cas de dépassement de la limite de 15 ppm.

       Le contrôle de cette teneur est obtenu par un moyen optique (source lumineuse dans l'ultraviolet ou l'infrarouge associée à une cellule photoélectrique, mesure de l'indice de réfraction) ou électrique (mesure de la conductivité de l'effluent). Il faut veiller à la propreté des capteurs, cellule photoélectrique ou électrodes. Sur certains modèles leur nettoyage est automatique. De nombreux systèmes de contrôle peuvent être leurrés par la présence d'oxyde de fer dans le rejet et déclencher alors que la teneur en hydrocarbures est inférieure au seuil autorisé. A bord des navires où les procédures sont strictement établies, et ils sont nombreux, ces systèmes de contrôle sont régulièrement testés au moyen d'échantillons types afin de permettre le réglage de leur seuil de déclenchement. Malheureusement, même après avoir été calibré, il n'est pas rare que le système de contrôle qui affiche une teneur en hydrocarbure inférieure à 15ppm en laisse en réalité passer beaucoup plus. Ce n'est que lorsque le bord reçoit, souvent plusieurs semaines après, les résultats des analyses des échantillons de l'eau rejetée qu'il a prélevé, que l'on s'aperçoit du dysfonctionnement. La pollution involontaire, cela existe, même si le législateur ne l'a pas expressément prévu.

         Et puis, il n'y a pas que le système de contrôle de la teneur en hydrocarbures du rejet qui devrait être plus fiable, il y a le séparateur à eaux mazouteuses lui-même qui est grandement perfectible, non seulement pour que son pouvoir de purification soit accru, mais aussi pour que sa maintenance soit aisée, en ces temps de réduction des effectifs à bord des navires. La première étape du traitement des eaux grasses et mazouteuses provenant de la décantation et du traitement du combustible et de la récupération des eaux de cale de la salle des machines, consiste en une décantation dans une caisse dédiée. Les résidus sont récupérés dans une caisse à boues pour être, si possible, incinérés à bord ou bien débarqués à terre, si des installations de réception adéquates existent. Le liquide récupéré après cette décantation est encore gras et contient des hydrocarbures en suspension. Il est envoyé vers le séparateur d'eaux mazouteuses, aussi appelé séparateur d'eaux de cale. Cet appareil va poursuivre la séparation entre l'eau et les hydrocarbures et huiles qu'elle contient encore grâce à des filtres et à l'utilisation de la coalescence, ou encore par centrifugation. Filtration ou centrifugation, pour fonctionner correctement un séparateur d'eau de cale doit demeurer propre. Pour cela il faut le laver... à l'eau, bien sûr. Le résultat est une eau huileuse et chargée en hydrocarbures qui est renvoyée vers la caisse de décantation pour ensuite repasser dans le séparateur d'eaux mazouteuses. Pour que celui-ci soit moins sollicité - et le personnel chargé de sa maintenance également - certains navires mettent en service une deuxième capacité en série avec la caisse de décantation. En décantant le liquide issu de la première décantation, on limite la quantité de résidus retenue par le séparateur et donc son rythme de salissure. Certains armateurs vont même jusqu'à faire installer deux séparateurs en série, l'un et l'autre réglés à 15 ppm.

       On le voit bien - n'en déplaise à certains Saint-Justs de la pollution - les séparateurs d'eaux mazouteuses et les systèmes de contrôle de la teneur en hydrocarbure qui leur sont associés ne fonctionnent pas, dans la réalité, aussi parfaitement que sur le papier glacé des catalogues de la trentaine de fabricants qui les proposent.
       La meilleure preuve en est que trois sociétés savantes mondialement renommées dans l'industrie maritime, deux américaines (la Society of Naval Architects and Marine Engineers et la Society of Marine Port Engineers) et une britannique (l'Institute of Marine Engineering, Science and Technology) ont lancé en mars de cette année un appel de 24 pages. Cet appel circonstancié vise à la formation d'un groupe de travail et de réflexion sur le sujet avec des chercheurs, des représentants de l'industrie maritime et des constructeurs de séparateurs destinés aux navires.

       Dans cet appel à une mobilisation des compétences dans ce domaine on peut lire : «En dépit de tentatives nombreuses, mais souvent peu organisées, les séparateurs d'eaux mazouteuses n'apportent pas des résultats satisfaisants, que ce soit aux armateurs, aux législateurs ou aux équipages». On ne saurait être plus explicite.


Un déchargement fréquemment impossible

       La Convention MARPOL 73/78 prévoit que des possibilités de déchargement et de traitement des eaux de cales et des résidus de combustible doivent être mises en place dans les différents ports du monde. De telles installations sont très coûteuses et les ports ne mettent guère d'empressement à s'équiper. C'est par exemple le cas dans les pays du golfe où le pétrolier qui arrive lège n'aura aucune possibilité de débarquer ses «slops» ou ses eaux mazouteuses. (Il faut savoir que lors de son voyage lège le pétrolier peut être «à ordres», c'est-à-dire qu 'il se dirige vers une région de production sans qu 'un port de chargement précis ne lui soit désigné. Si à son bord il a des «slops» résultant d'un nettoyage de ses citernes à cargaison et qu'il est averti en milieu de traversée qu 'il est affrété «full capacity», c'est-à-dire sans possibilité de charger sur les résidus de la cargaison précédente (opération dite «load on top»), que doit faire le Commandant du navire ? Si il n'existe pas de possibilité de mettre les «slops» à terre au terminal de chargement, l'alternative qui lui est offerte est simple : rejeter en plein milieu de l'océan ou perdre son emploi et être «grillé» auprès des autres armateurs de pétroliers.)

       Même en France - si prompte à faire des lois dites «anti-pollution» - on est loin du compte. Il existe en France 334 ports de commerce et de pêche (plus 228 ports de plaisance) dont 7 ports autonomes et 23 ports d'intérêt national. Si l'on s'en tient aux seuls 30 ports autonomes ou d'intérêt national, on n'en trouve que 12 dotés des installations nécessaires pour recevoir les résidus d'eau de cale et 8 en mesure de réceptionner les résidus de la centrifugation des combustibles utilisés sur les navires de pêche et de commerce. La grande majorité des pays européens font heureusement mieux.

       La Convention MARPOL 73/78 prévoit également la tenue à bord des navires d'un registre des hydrocarbures. Dans ce registre - systématiquement contrôlé par les inspecteurs de l'état du port, et tous les autres (assureur, affréteur, société de classification) - tous les mouvements d'hydrocarbures à bord doivent être notés, suivant un code précis. Après la date, l'heure de début et de fin de l'opération avec positions du navire, doivent figurer la nature (résidus, huile, combustible) et les quantités concernées.

       Le Chef Mécanicien doit se montrer prudent lorsqu'il remplit ce registre. En particulier si le navire a embarqué du combustible de meilleure qualité que lors des voyages antérieurs, il y aura moins de résidus que les fois précédentes et les inspecteurs seront tentés de croire qu'au cours du dernier voyage une partie a été rejetée en mer. Moralité : le Chef Mécanicien est tenté de gonfler les quantités de résidus machine et les temps de fonctionnement de l'incinérateur et du séparateur d'eaux mazouteuses pour rester dans la moyenne et que le navire ne puisse être suspecté d'avoir effectué un rejet illicite. De toutes façons, seul un Chef Mécanicien qui s'entend bien avec le Commandant peut avoir ce genre de tentation puisqu'aux termes de la loi c'est ce dernier qui sera seul inquiété, en tant que «Chef de l'expédition maritime».

Le Commandant a donc le choix de bien faire et laisser dire ou rien dire et laisser faire !


Dix ans de prison et vingt ans de salaire

       Dix ans de prison et jusqu'à 1 million d'euros d'amende - soit vingt ans de salaire - voilà la peine maximum encourue par le Commandant d'un navire français en cas de rejet illicite. (Article 1218-10 du Code Pénal modifié par la Loi 2004-204 du 9 mars 2004.)

       Rien qu'à la lecture des peines encourues on peut raisonnablement penser que, en dehors de rares amateurs de roulette russe, si une pollution est constatée à proximité de côtes que l'on sait très surveillées, elle ne peut être qu'involontaire.

       Désormais les magistrats fondent leur conviction d'une pollution par hydrocarbure sur de simples constatations visuelles de fonctionnaires des douanes ou de militaires, appuyées par des photographies interprétées par un autre fonctionnaire des douanes. Pendant de nombreuses années cela était considéré comme insuffisant pour apporter la preuve d'une pollution par hydrocarbure. Actuellement, en France et dans d'autres pays d'Europe, la tendance est de s'en contenter.

       Peut-être serait-il bon d'en débattre car, si la preuve de la pollution par hydrocarbure pouvait être simplement apportée par une observation visuelle et quelques photos, pourquoi des recherches seraient-elles actuellement menées pour trouver un moyen de «marquer» les hydrocarbures, et donc leurs résidus ? Tout simplement parce qu'en incorporant aux hydrocarbures un marqueur on pourra, de façon certaine, déterminer leur provenance ce qui, actuellement, est difficilement le cas.

       Enfin, au pays des droits de l'homme, est-il raisonnable pour le législateur d'imposer aux Commandants de navires la présomption de culpabilité et ne compromet-on pas de ce fait la tenue d'un procès équitable ?

Cdt J.D. Troyat


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