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Evolution du rôle du commandant de navire de commerce(1)
les incertitudes attachées à la fonction.

Par Madame Francoise Odier
Présidente de l'Association francaise de droit maritime



Des arrêts de la cour de justice des communautés européennes et de la cour française de cassation marquent une évolution juridique importante du rôle du commandant de navire. Celle-ci justifie une réflexion approfondie.

      Plusieurs réunions récentes ont été consacrées à l'examen du statut du capitaine de navire de commerce et aux évolutions auxquelles il est confronté. Ces discussions ne sont pas le fait du hasard, elles révèlent des interrogations profondes résultant de contradictions entre les positions du législateur et celles du juge entre les pratiques au sein des armements et la rédaction des procédures.

      Ce climat d'incertitude contribue à l'inquiétude grandissante des commandants au moment où leur rôle dans le maintien de la sécurité et de la sûreté devient essentiel. Il est donc nécessaire de mieux comprendre les différentes tendances pour envisager avec sérénité les évolutions à venir.

      Les textes les plus classiques, le code disciplinaire et pénal, la loi du 3 janvier 1969, font, en droit français, une place particulière au capitaine qui est à la fois mandataire et salarié de l'armateur. Ce rôle spécifique a été consacré par les conventions internationales aussi bien celles relatives à la sécurité, Solas, que la convention sur le droit de la mer. Ces pouvoirs spécifiques du capitaine sont le support d'un statut particulier faisant du commandant un représentant de l'État du pavillon investit de prérogatives de puissance publique.

      Or deux arrêts de la cour de justice des Communautés européennes du 30 septembre 2003 ont considéré que les conditions d'exercice de la fonction de capitaine ne justifiaient plus un statut particulier et ont remis en cause le privilège de nationalité. Selon cette jurisprudence un travailleur qui reste en liaison constante avec son employeur et peut à tous moments solliciter des instructions est un préposé comme les autres. Cette jurisprudence a été intégrée sans remise en cause en France par un arrêt de la Chambre criminelle de la cour de cassation le 23 juin 2004. Seule une initiative du législateur serait maintenant susceptible de revenir sur cette évolution qui banalise totalement la fonction du capitaine.

      La situation du capitaine est pourtant beaucoup moins simple que les juges ne la perçoivent, dans la mesure où le commandant considéré comme un banal préposé est dans le même temps investi par le Code l.S.M. et le Code l.S.P.S. de très lourdes responsabilités même de nature pénale.

      L'évolution du droit est ainsi parfaitement incohérente et susceptible de décourager des commandants dont les tâches quotidiennes sont très lourdes et pas toujours reconnues comme elles le devraient.

      Le désarroi des navigants est d'autant plus grand que les contradictions manifestées dans la mise en œuvre des fonctions publiques du commandant se retrouvent dons son rôle au sein de l'entreprise.

         A certains égards le commandant est dans les faits un salarié comme les autres; il obéit aux instructions de son armateur et ne manque pas de le consulter pour toute décision importante à prendre puisque les moyens de communication modernes permettent une liaison permanente. Le commandant est ainsi assimilé aux autres officiers et considéré comme un des cadres de l'entreprise; la loi du 24 novembre 1997 (loi d'orientation de la pêche) en a d'ailleurs tiré les conséquences en soumettant le commandant, quel que soit le navire où il opère, aux mêmes procédures de licenciement que les autres préposés de l'entreprise. D'ailleurs le commandant se voit attribuer une rémunération qui correspond à la rémunération d'un cadre supérieur et n'est pas la contrepartie de responsabilités hors du commun.

       Pourtant le commandant d'un navire reste investi de responsabilités considérables qui peuvent être assorties en matière de sécurité et de sûreté de peines très lourdes. L'armateur confie au commandant la conduite d'un bien dont la valeur est de plus en plus élevée et met sous son autorité un groupe d'hommes, l'équipage, dont la vie peut dépendre des quotités dont il fera preuve.
Sa mission est alors tout à fait comparable à celle du responsable d'une usine, considéré comme un mandataire social et non pas comme un préposé.

       Envisagée sous cet angle, la fonction du commandant tend à se développer dans la mesure où l'armateur lui confie des tâches de plus en plus larges; par exemple, il peut être à bord le gestionnaire d'un système de qualité qui est un élément essentiel aux yeux des affréteurs.

       D'ailleurs, les armateurs n'ont pas le choix puisque les codes ISM ou ISPS prévoient que le capitaine a un pouvoir absolu et une responsabilité correspondante pour tout ce qui concerne la gestion de la sécurité.

       Cette évolution de sa mission n'est pratiquement pas contestée; ainsi l'agent de la sécurité et de la sûreté a bord, tel que les codes le prévoient est en fait le commandant, quel que soit le pavillon du navire.

       II y a donc bien deux mouvements contradictoires qui se développent depuis quelques années autour de la fonction de commandant créant une incohérence qui est nécessairement une source d'inquiétude propre à éloigner les meilleurs. Pour inverser cette tendance il faudra reconnaître que les commandants sont les garants d'une navigation sûre et en tirer toutes les conséquences.

       À l'avenir tous tes efforts devront être concentrés sur les garanties à leur apporter afin que l'ensemble de la réglementation édicté en matière de sécurité et de sûreté soit harmonieux dans le cadre d'une mission d'intérêt général pour laquelle les commandants sont des acteurs essentiels.

  Françoise ODIER
Présidente de l'Association française de droit maritime

(1) Juridiquement appelé capitaine de navire.

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